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Didactique du français. Fondements dune discipline

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  1. Didactique du français Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

  2. Pratiques pédagogiques Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Collection dirigée par Jean-Marie DE KETELE et Antoine ROOSEN. Tous ceux qui, déjà dotés d’une bonne formation théorique, sont amenés à travailler sur le terrain : formateurs, formateurs de formateurs, chercheurs dans l’action, décideurs, … vont trouver ici des ouvrages qui ne décrivent pas seulement de nouvelles pratiques ou de nouveaux outils, mais qui en exposent aussi les fondements.

  3. Pratiques pédagogiques Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Didactique du français Fondements d’une discipline Jean-Louis Chiss Jacques David Yves Reuter (sous la direction de)

  4. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Pour Blaise, le vrai… Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.deboecksuperieur.com © De Boeck Supérieur sa, 2015 Fond Jean Pâques, 4 – B-1348 Louvain-la-Neuve 3e édition Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit. Imprimé en Belgique Dépôt légal: Bibliothèque nationale, Paris: septembre 2015 Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles: 2015/13647/097 ISSN 1373-0258 ISBN 978-2-8073-0044-6

  5. Sommaire Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Introduction 9 Jean-Louis Chiss, Jacques David, Yves Reuter Première partie DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES 13 Chapitre 1 Quelques repères, perspectives et propositions pour une didactique du français dans tous ses états Michel Dabène 15 Chapitre 2 Quelle place pour la didactique de la littérature ? Georges Legros 35 Chapitre 3 De l’utilité de la « transposition didactique » Bernard Schneuwly 47 Chapitre 4 Interaction : une problématique à la frontière Jean-François Halté 61 Deuxième partie DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE 77 Chapitre 5 Sciences du langage : le retour Jean-Louis Chiss 79 Chapitre 6 Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ? Dominique-Guy Brassart 95 Chapitre 7 Socio-logiques des didactiques de la lecture Jean-Marie Privat 119 Chapitre 8 Développement, compétences et capacités d’action des élèves Jean-Paul Bronckart 135

  6. 6 DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ■ Troisième partie DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS 149 Chapitre 9 Variations historiques : l’exemple de la « rédaction » André Petitjean 151 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Chapitre 10 Langues maternelle, étrangère, seconde : une didactique unifiée ? Suzanne-G. Chartrand et Marie-Christine Paret 169 Chapitre 11 Positions actuelles et évolutions institutionnelles et éditoriales Jacques David 179 Chapitre 12 Au carrefour des métiers d’enseignant, de formateur, de chercheur Dominique Bucheton 193 Synthèse Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition Yves Reuter 211 Bibliographie générale 235 Index thématique 241 Table des matières 243

  7. Auteurs Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Dominique-Guy B maitres du Nord-Pas-de-Calais , Université Lille 3, Institut universitaire de formation des RASSART Jean-Paul B , Université de Genève RONCKART Dominique B , Institut universitaire de formation des maitres de Montpellier UCHETON Suzanne-G. C , Université Laval, Québec HARTRAND Jean-Louis C , Université Paris 3, Sorbonne Nouvelle HISS Michel D , Université Stendhal, Grenoble 3 ABÈNE Jacques D , Institut universitaire de formation des maitres de Versailles-Cergy AVID Jean-François H , Université de Metz ALTÉ Georges L , Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, Namur EGROS Marie-Christine P , Université de Montréal ARET André P , Université de Metz ETITJEAN Jean-Marie P , Université de Metz RIVAT Yves R , Université Lille 3 EUTER Bernard S , Université de Genève CHNEUWLY

  8. Introduction Jean-Louis CHISS, Jacques DAVID, Yves REUTER Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Didactique du français. Fondements d’une discipline ouvrage de référence paru en 1995 dont des restructurations éditoriales ont rendu la durée de vie trop brève. Les coordinateurs de l’ouvrage et les auteurs, en accord avec la communauté des chercheurs en didactique du français réunie au sein de l’AIRDF , ont considéré que l’essentiel des grandes orientations et thématiques de ce travail n’avaient rien perdu de leur actualité et de leur pertinence. La présente édition a été néanmoins entièrement revue et corrigée et a fait l’objet dans certains de ses chapitres de refontes et de réécritures destinées à maintenir voire amplifier la cohérence d’ensemble. est la réédition d’un 1 Le projet reste inspiré par la nécessité de mieux formaliser les acquis et les problèmes de cette discipline en plein essor (multiplication des équipes de recherche, des thèses, des revues, des collections, place dans les concours de recrutement…), soucieuse de ses fondements épistémologiques et de son développement historique . 2 L’ouvrage est organisé en trois grandes parties confrontant d’abord la didac- tique du français à sa structuration interne et à sa place au sein des didacti- ques disciplinaires, ensuite à ce qu’il est convenu d’appeler les « disciplines de référence », enfin à ses évolutions institutionnelles et praxéologiques. Dans la première partie, il est question des représentations et des modélisa- tions de la didactique du français langue maternelle (désormais DFLM) en relation avec les disciplines scolaires, les disciplines connexes et certains des concepts clés qui fondent la discipline. Michel Dabène analyse ainsi, au travers de vingt-cinq années de recherches en DFLM et DFLE (Didactique du Français Langue Étrangère), l’évolution des modèles proposés et leur ouver- ture à des théories de référence différentes. Il insiste sur le rejet de l’appli- cationnisme et sur l’importance de la formalisation des situations d’enseignement-apprentissage incluant les pratiques langagières et les 1. Association Internationale pour la Recherche en Didactique du Français (nouveau nom de l’AIDR-DFLM, Association Inter- nationale pour le Développement de la Recherche en Didactique du Français Langue Maternelle). Siège social : Univer- sité de Lille 3, UFR des Sciences de l’Éducation, Domaine Universitaire du Pont de Bois, F-59650 Villeneuve d’Ascq. 2. De l’organisation des journées d’étude à l’ENS de Fontenay-Saint-Cloud en septembre 1994 en passant par celles de l’Université de Poitiers en janvier 2000 (cf. Questions d’épistémologie en didactique du français – langue maternelle, langue seconde, langue étrangère, Textes réunis par M. Marquilló Larruy, Les Cahiers FORELL, Université de Poitiers, 2001), jusqu’au 9˚ Colloque international de l’AIRDF en août 2004 à l’Université Laval (Québec), les réflexions n’ont pas manqué sur les aspects théoriques, institutionnels et disciplinaires de la didactique du français.

  9. 10 DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ■ représentations sociales des enseignants et des apprenants pour aboutir à « une didactique du français dans tous ses états ». Georges Legros pose, pour la littérature, la question des relations entre contenus et valeurs et celle de la prise en compte éventuelle de ces dernières. Il questionne ainsi l’unité de la DFLM. Peut-on parler d’une seule didactique ou de plusieurs didacti- ques spécifiques selon leur objet (orthographe, langue, texte, lecture, écri- ture… et littérature) ? Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur À cette interrogation « interne » font écho des interrogations plus transversa- les. Bernard Schneuwly montre, au-delà des débats nécessaires, l’intérêt de la notion de transposition didactique en tant que concept opératoire pour penser les relations entre savoirs savants, savoirs à enseigner, savoirs ensei- gnés, savoirs appris. Jean-François Halté, quant à lui, explore les rapports entre didactique du français et didactique générale à partir des concepts de communication et d’interaction (qui fonctionnent comme cadres des relations dans la classe, comme cadres de l’apprentissage et comme objets de savoir possibles) en insistant sur la « matrice disciplinaire » du français (ses objets et objectifs centraux) qui s’organise de plus en plus autour de la production et de la réception des discours oraux et écrits. La deuxième partie du livre concerne les relations entre la didactique du fran- çais et les disciplines que celle-ci prend comme référence(s). Trois cas sont examinés de façon précise. Jean-Louis Chiss analyse la relation, classique dans notre champ, aux sciences du langage et plus particulièrement à la lin- guistique. Il insiste, au travers de recherches importantes et novatrices, sur la nécessité de repenser les savoirs linguistiques dans la perspective de l’ensei- gnement du français et sur le jeu nécessaire entre justesse théorique et perti- nence didactique. Dominique-Guy Brassart étudie les intérêts et les limites de la référence – très en vogue depuis plusieurs années – à la psychologie cognitive. Il soulève ainsi des problèmes liés aux types de connaissances (procédurales/déclaratives…) et aux modes d’enseignement-apprentissage (avec notamment le regain d’intérêt pour l’enseignement par instruction directe). Jean-Marie Privat se situe dans un autre cadre : celui de la sociolo- gie et de l’ethnologie. Le renouveau des recherches dans ces secteurs per- met de mieux saisir les pratiques et les objets (lectures, écritures, textes…) dans leur dimension culturelle, ainsi que les variations de leurs modes d’appropriation. Ces trois contributions posent, de fait, des questions crucia- les qui structurent des débats passionnés dans le champ de la didactique du français. La DFLM doit-elle se référer à une ou plusieurs disciplines ? En fonction de quels critères ? Selon quelles modalités ? Jean-Paul Bronckart clôt cette partie par une analyse historique-critique des grands courants de la psychologie (le behaviorisme, le constructivisme, l’interactionnisme social) en examinant, à l’aide de critères tels que le type d’interprétation ou la conception du développement, leur pertinence pour la didactique. Ce genre d’analyse est sans nul doute nécessaire pour toutes les disciplines dites de référence.

  10. Introduction 11 ■ La troisième partie est consacrée à l’histoire et au fonctionnement du champ de la didactique du français. André Petitjean étudie ainsi les permanences et les modifications de l’exercice de « rédaction », et plus particulièrement du genre descriptif dans l’entre-deux-guerres. Suzanne-G. Chartrand et Marie- Christine Paret comparent les fonctionnements et les évolutions de la DFLM, de la DFLE et de la DFLS (Didactique du Français Langue Seconde). On ne peut que s’interroger, à l’issue de ce parcours critique, sur leur autonomie respective ou leur intégration possible dans une didactique du français « unifiée » qui fait toujours débat mais dont les bénéfices heuristiques nous semblent appréciables. Jacques David s’intéresse aux acteurs et aux institu- tions. Dans cette perspective, il reprend l’évolution actuelle du champ de la didactique du français en interrogeant les positions et les logiques de fonc- tionnement d’institutions ou de groupes tels que les centres de recherche universitaires, l’Institut National de la Recherche Pédagogique, les revues, les collections, etc. Quant à Dominique Bucheton, elle tente, au travers des questions liées à l’oral, à la littérature, à la lecture-écriture, de mieux com- prendre comment la didactique se construit au confluent des métiers d’enseignant, de formateur et de chercheur. Ces deux contributions expli- quent sans doute – au moins en partie – les différences de positions, de prio- rités, voire de modalités de recherche, en relation avec les places, les pratiques et les formes d’évaluation des acteurs et des groupes concernés. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur En conclusion, Yves Reuter propose une double synthèse. D’une part, il reprend les sept points qui avaient structuré sa réflexion initiale : la définition de la didactique du français, la question des méthodes, l’histoire, les objectifs et les pratiques, les concepts spécifiques, les disciplines connexes et les dis- ciplines de référence ; d’autre part, il évoque les dimensions qui marquent aujourd’hui la didactique du français : tensions institutionnelles, définition de la discipline scolaire, relations entre didactique et discipline scolaire, inven- taire des principaux pôles de recherche. Cet ouvrage a donc pour ambition de construire une cartographie de la didactique du français en privilégiant les situations de « langue maternelle » mais en s’ouvrant aux grands débats de l’ensemble de la didactique des lan- gues. Les avancées des recherches, les représentations de l’histoire de notre discipline, l’organisation de ses composantes et de ses relations aux contex- tes scientifiques et culturels sont au centre des investigations des auteurs de différents pays (Belgique, France, Suisse, Québec) et de différents courants qui ont contribué à ce volume. Il pourra ainsi servir d’instrument de référence, de jalon dans une histoire, voire de cadre pour objectiver les positions dans la communauté des chercheurs. Il sera surtout utile aux formateurs, aux ensei- gnants et aux étudiants qui saisiront mieux ainsi les logiques théoriques et pratiques à l’œuvre dans les revues, les ouvrages de formation et les manuels d’enseignement.

  11. Première partie Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Didactique du français : concepts, modèles, frontières Les quatre contributions réunies dans cette première partie se situent cha- cune à leur manière face à la question d’une hypothétique spécificité de la didactique du français vis-à-vis d’autres didactiques disciplinaires : didacti- que des disciplines scolaires en général, des langues en particulier. Il s’agit à la fois de faire le parcours qui va des représentations bles modélisations et de marquer les places, les frontières, et les recouvre- ments possibles entre les différents champs. Ce n’est pas d’aujourd’hui que se travaille la thématique des particularités et transversalités au sein de la didactique des langues (dont le français langue étrangère), et c’est une ques- tion récurrente que celle des rapports entre didactique de la langue et didac- tique de la littérature subsumées ou non dans le projet global d’une didactique du français. Même si la question littéraire n’est pas la seule à por- ter les enjeux culturels de notre didactique, il est clair qu’elle interroge plus fortement et de manière décisive les valeurs qu’implique tout enseignement- apprentissage du « français » ou d’une autre langue, et plus généralement toute démarche éducative. de la DFLM à ses possi- interaction Chacun de manière différenciée et pertinente, les concepts d’ de transposition didactique apparaissent centraux dans la réflexion ici déve- loppée. L’ interaction parce qu’elle concerne précisément la redistribution des champs de savoirs (dont les sciences du langage) impliqués par la didac- tique du français et la position même du problème constitué par le couple didactique-pédagogie. La transposition didactique ignorer le besoin d’un concept heuristique dans le dispositif savoirs savants- savoirs scolaires, concept qu’il s’agit de lire et de traiter à sa mesure et de confronter éventuellement à d’autres modalités d’appréhension du dispositif. et parce que nul ne peut Cette première partie prétend ainsi, sans comparaison terme à terme avec d’autres didactiques, sans volonté d’articulation ou de globalisation systéma- tique, s’interroger, du point de vue de la recherche en DFLM, sur la capacité de cette didactique à constituer son appareil théorique et méthodologique.

  12. 1 Quelques repères, perspectives et propositions pour une didactique du français dans tous ses états Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Michel D ABÈNE 1 Le domaine de la didactique du français on le sait, en deux grandes propriétés respectivement dénommées français langue maternelle (dorénavant FLM) et français langue étrangère, cette der- nière voisinant depuis quelque temps déjà avec français langue seconde (dorénavant FLE/FLS) . Parler de « propriétés » n’est pas seulement une image, tant il est vrai que les préoccupations institutionnelles de délimitation de territoire l’ont pendant longtemps emporté sur les aspects épisté- mologiques. est, depuis des décennies, divisé, 2 Il s’agira d’examiner ici quelques-unes des conditions dans lesquelles ces différents domaines pourraient s’articuler au sein d’une même discipline de recherche, la didactique du français, elle-même sous-ensemble de la didacti- que des langues. À cette fin, il ne me paraît pas inutile de rappeler, ne serait-ce que de façon cavalière et pour mémoire, quelques étapes dans la constitution (ou des ten- tatives de constitution) de leurs modèles respectifs au cours de ces dernières années. 1. Version revue et corrigée en janvier 2003 de l’article initialement intitulé dans la première édition de ce livre : étapes dans la construction des modèles de la didactique du français 2. La distinction FLE-FLS ne s’est généralisée que dans les années 1990, notamment sous l’influence des travaux de J.-P. Cuq (1991). Compte tenu du propos de cet article, il n’est pas utile de distinguer, à ce stade, ces deux sous-domaines que l’on retrouvera dans le modèle évoqué à la fin de cette contribution. Quelques .

  13. 16 DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES ■ Les années 1980-1990 ont été fertiles en mises en perspective historique : dans le domaine du FLE/FLS en témoigne la création en 1988 de la Société Internationale pour l’Histoire du français langue étrangère ou seconde (SIH- FLES). Les travaux de Sophie Moirand (1988), Daniel Coste (1987, 1994), Christian Puren (1988), et, dans le domaine du FLM, les recherches menées au sein de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP), en particulier dans les équipes pilotées par Hélène Romian ou Jean-Claude Chevalier et, plus récemment, les travaux, colloques et publications de l’Association pour le développement de la recherche en didactique du français langue mater- nelle (DFLM) , sont autant d’entreprises d’envergure qui permettent aux cher- cheurs d’aujourd’hui de se situer dans une évolution en tenant compte des acquis. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur 3 Il est vrai que ces mises en perspective se sont construites, la plupart du temps, séparément, comme si DFLM et DFLE/FLS constituaient deux territoi- res ne souffrant aucune incursion, pas même de frontaliers. Il est vrai aussi qu’il fallait mettre d’abord en lumière leurs spécificités pour éviter tout amal- game et sortir définitivement de l’époque où enseigner le français ici ou ailleurs était considéré comme une seule et même entreprise. De ce point de vue, peu de choses ont changé : les spécificités demeurent, très fortes. Il est cependant devenu possible de ne pas les rigidifier dans des oppositions irréductibles et de reparcourir ces deux territoires en se plaçant du point de vue de la diversité des situations d’enseignement-apprentissage. Pour éclairer l’histoire des relations entre la DFLM et la DFLE/FLS, on peut prendre, de façon partielle et sûrement partiale dans les trente dernières années en France valeur épistémologique et qui attestent des tentatives de modélisation et de structuration disciplinaires. Une approche externe, fondée sur les indicateurs que constituent quelques formalisations visibles du champ (les schémas et modèles ) dans les années 1970, puis au cours de la décennie 80 et jusqu’à aujourd’hui, fournit des pistes de réflexion fécondes. Étant entendu que le champ disciplinaire se construit aussi à travers l’ensemble des discours des didacticiens et pas seulement dans les tentatives de modélisation qu’en ont proposées certains auteurs. 4 , quelques points de repères, , en privilégiant ceux qui ont une 5 6 7 3. Pour éviter toute confusion entre la didactique du domaine considéré et l’Association qui le revendique, je parlerai de DFLM dans le premier cas et de l’Association DFLM dans le second, association aujourd’hui dénommée AIRDF. 4. On aura compris que cette contribution n’est pas œuvre d’historien mais témoignage d’un transfuge (?) qui est passé d’un domaine (DFLE) à l’autre (DFLM), et s’est donc rendu suspect des deux côtés ! 5. Voir aussi ici-même la contribution de S.-G. Chartrand et M.-C. Paret. 6. En gardant en mémoire le propos d’O. Ducrot rappelé par Verrier dans Coste (1994) : « l’inadéquation faisant la force principale des modèles, l’indiscipline est le secret de leur utilisation » et en faisant, sans doute à tort, l’impasse sur les dis- tinctions qu’il serait utile d’introduire entre ces deux notions. 7. Comme le soulignait D. Coste (1989), lorsqu’il définissait la didactique comme « un ensemble de discours portant (directement ou indirectement) sur l’enseignement des langues ».

  14. 17 Quelques repères, perspectives et propositions ■ Cette réflexion rétrospective s’intègre à une démarche prospective et à des interrogations sur le statut de la (ou des) didactique(s) du français, sur un fond de remises en questions de la pertinence des notions de langue mater- nelle et de langue étrangère ou seconde8. J’exposerai, à ce sujet, quelques hypothèses de travail concernant la constitution d’un champ unifié de recher- che en didactique du français ; dans une perspective variationniste et autour de la notion de situation d’enseignement-apprentissage. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur A ■ Histoires d’identités ? Si les dénominations disciplinaires ont bien une valeur d’annonce, force est de constater que les domaines de la didactique du français sont aujourd’hui balisés de façon confuse, comme l’attestent les diverses appellations en usage et les domaines mouvants qu’elles recouvrent dans leurs usages hexa- gonaux. Est-ce le signe d’un malaise épistémologique ou simples fluctua- tions terminologiques ? Entrent aujourd’hui en concurrence au moins quatre bannières. Deux d’entre elles sont centrales : la didactique du français langue maternelle et la didactique du français langue étrangère ou seconde. Les deux autres sont substitutives : la didactique du français et la didactique des langues. On note cependant des régularités dans la variation terminologique. L’Association DFLM s’autorise de plus en plus la dénomination générique de didactique du français9 mais jamais la DFLE/FLS qui, par contre, utilise volontiers et depuis longtemps la dénomination générique de didactique des langues10. Comment interpréter ces flottements ? Indépendamment des revendications identitaires qui sont sous-jacentes, peut-on y voir aussi un manque de théori- sation des relations entre discipline de recherche, champs et domaines d’application ? Il est vrai que la hiérarchisation entre ces trois niveaux met en jeu des choix épistémologiques rarement explicités tout en renvoyant à des enjeux institutionnels qui peuvent rendre compte des cloisonnements persis- tants. On observe cependant des rapprochements significatifs non seule- ment entre la DFLM et la DFLE/FLS, sur lesquels je reviendrai, mais aussi, et ce n’est pas étranger à mon propos, entre la DFLE/FLS et la didactique des langues étrangères enseignées dans l’institution scolaire11, et entre la DFLM 8. Sur ce point, voir entre autres L. Dabène (1994). 9. Voir le titre de l’ouvrage de J.-F. Halté (1992), celui de cet ouvrage et le changement de la dénomination de l’Associa- tion DFLM qui a abandonné la mention LM. 10. Le Dictionnaire de didactique des langues paru en 1976 n’a pour auteurs que des francisants œuvrant dans le domaine du FLE, à l’exception de D. Girard et F. Debyser, respectivement angliciste et italianiste de formation. On trouve dans D. Coste (1994) comme un remords devant cette appropriation lorsqu’il écrit : « l’histoire récente de la didactique des langues ou, du moins, du français langue étrangère vu de France… » 11. On peut de plus en plus constater la présence de didacticiens du FLE/FLS dans des instances de recherche de didacti- ciens des langues étrangères comme l’Association des chercheurs et enseignants en didactique des langues étrangères (ACEDLE).

  15. 18■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES et la didactique de ces mêmes langues enseignées dans leurs pays d’ori- gine12. C’est, à n’en pas douter, l’annonce d’une nécessaire recomposition du champ des didactiques qui se donnent pour objets les langues, les textes et les discours. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur ■ Histoires de schémas et modèles13 B Un rapide coup d’œil sur quelques modèles de la constitution de la didacti- que des deux domaines du français nous donne des indications significatives qui recoupent des analyses faites par ailleurs. On peut distinguer en gros deux périodes, dans la double perspective de l’évolution des conceptions de la didactique et de l’évolution de ses deux domaines constitutifs : Les années 1970 sont dominées à la fois par le souci de théoriser le champ de la didactique des langues et par les tentatives de constitution du domaine de la didactique du FLE (on parle peu alors du FLS). Pendant cette période le domaine du FLM est peu préoccupé par ces interrogations épistémologiques : l’enseignement du français en France, s’il doit être réformé, n’est pas consi- déré comme devant se légitimer en tant que domaine de recherche et d’inter- vention. Le souci de rénovation est cependant commun aux deux domaines, qu’il s’agisse de la percée des nouvelles méthodes d’enseignement du français aux non-francophones (audio-orales, audio-visuelles, structuro-globales) dont on accepte alors qu’il soit considéré comme français langue étrangère14, ou du Plan de rénovation de l’enseignement du français à l’école élémentaire, dit Plan Rouchette15. Mais dans le domaine du FLM le concept de didactique n’a pas encore émergé. Ni les revues spécialisées de cette époque, telles que Le français aujourd’hui, 12. Pour une tentative sommaire et provisoire de clarification, voir M. Dabène (1993-b). 13. Voir note 6. 14. L’appellation « français langue étrangère » ne s’est pas imposée sans mal au cours des années 1960 : on se souvient des réticences des gardiens de l’Institution à admettre cette dénomination à un moment où, par ailleurs, le français fon- damental (à l’origine « français élémentaire »), résultat des enquêtes sur le français parlé menées sous la direction de Gougenheim et Rivenc, avec la collaboration de Michéa et Sauvageot, était considéré par les mêmes comme « français de la rue ». 15. Du nom du président de la Commission, l’inspecteur général Marcel Rouchette. La préparation de ce Plan (1964-1969) et sa publication officielle dans la revue Recherches pédagogiques n° 47 (janvier 1971) ont donné lieu à de violentes polémiques. La version originale, fortement contestée par les tenants du statu quo et plusieurs fois amendée avant publi- cation, au sein même de la Commission, a été publiée en février 1971 dans L’Enseignement public, organe de la Fédé- ration de l’Éducation Nationale (FEN) en guise de protestation contre ce que l’on estimait, à juste titre, être des censures.

  16. Quelques repères, perspectives et propositions ■19 Repères, les Cahiers du CRELEF ou Pratiques, ni les textes officiels, ni les auteurs de référence (E. Genouvrier, L. Legrand, F. Marchand, J. Peytard, H. Romian et al.) ne font mention de la didactique du français langue mater- nelle. Il faut, certes, se garder de tout nominalisme : pendant cette période bien des chercheurs travaillant sur la langue maternelle ressentent la néces- sité de théoriser leur champ d’activité. L. Legrand (1966) s’interroge, par exemple, sur la nécessité de passer d’une attitude empirique ou incons- ciente, « passionnelle ou conformiste » à une technique consciente et raison- née, nourrie des apports de la linguistique, de la psychologie et de la « pédagogie expérimentale », ce qui préfigure les premières modélisations de la didactique des langues. Une décennie plus tard, au terme de cette période des années 1970, H. Romian (1979) dans sa tentative de théorisation de la « pédagogie du français » s’inscrit bien dans le courant de la didactique telle qu’elle est en train de se constituer et telle qu’elle émergera, encore confusé- ment, lors du Colloque organisé par l’INRP à Sèvres en 1983, où l’on trouve les principaux acteurs de la future Association internationale pour le dévelop- pement de la recherche en didactique du français langue maternelle (DFLM) qui verra le jour à Namur en 1986. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur On comprend cependant les réticences des chercheurs en langue mater- nelle, qui travaillent majoritairement au niveau de l’école élémentaire et des collèges, à s’inscrire dans un courant qui se caractérise, à l’origine, dans les langues étrangères et le FLE, par la prédominance de la linguistique appli- quée (à laquelle ils n’ont pas été totalement insensibles16) et par un dogma- tisme méthodologique assorti d’une part importante dévolue aux techniques (audio-visuelles, entre autres). La complexité particulière du domaine fait redouter les approches réductrices ou technicistes. Au cours de cette même période, on assiste, dans le domaine du FLE, non seulement à l’émergence du concept de didactique des langues17 mais aussi à son évolution. En 1972, paraissent deux esquisses de modélisation venant de l’horizon du FLE. L’une (M. Dabène, 1972) se réclame de la didactique des langues conçue comme une interface entre le niveau des disciplines de réfé- rence (linguistique, sciences de l’éducation, psychologie, sociologie) et la classe de langue, et articulant méthodologie, méthode, pédagogie, procédés et techniques. L’autre (R. Galisson, 1972, repris dans R. Galisson, 1990) se réfère à la linguistique appliquée à l’enseignement des langues tout en distin- guant ce qui relève proprement de la linguistique appliquée concernée par la définition de la matière à enseigner, et ce qui relève de la méthodologie de l’enseignement des langues concernée par la manière d’enseigner et ren- voyant aux sciences de l’éducation. 16. Les emprunts du Plan Rouchette à la linguistique structurale et à l’usage qu’en proposait la didactique du FLE, depuis quelques années déjà, sont manifestes. Voir à ce sujet F. Marchand (1989). Et aussi D. Coste (1988) qui analyse les relations entre linguistique et enseignement du français au début des années 1970, notamment à partir des publications de l’Association française des enseignants de français (AFEF et sa revue Le français aujourd’hui). 17. Le terme est déjà institutionnellement présent dès 1969, associé à linguistique appliquée dans l’intitulé d’un département de la nouvelle université de Vincennes : l’Institut de linguistique appliquée et de didactique des langues (ILADL).

  17. 20■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES Ces deux exemples illustrent un débat qui n’est pas clos quant à la place de la linguistique dans la didactique des langues. Ils montrent aussi, à la lumière des développements ultérieurs, que ces positions initiales, reflets d’un état embryonnaire de la réflexion, ne se sont pas figées. Le rejet de l’application- nisme ne signifie pas rupture avec les sciences du langage, pas plus que les applications de la linguistique n’entraînent obligatoirement une impasse sur l’analyse des situations d’enseignement-apprentissage. Les propositions de R. Galisson en 1977 (reprises dans R. Galisson, 1990) introduisent à leur tour les termes de didactique des langues étrangères recouvrant deux sous- ensembles : la méthodologie de l’enseignement des langues étrangères, définie comme la substance du contenu à enseigner, et la linguistique appli- quée à l’enseignement des langues étrangères, définie comme la forme du contenu. Dans le même temps, sur les quarante numéros de la revue Études de linguistique appliquée parus depuis sa création en 1964, six seulement affichent la didactique dans leur titre sans qu’on y trouve, au demeurant, de définition programmatique ni de justifications approfondies, à l’exception du n° 31 (1978) entièrement composé de contributions allemandes18. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Période balbutiante et confuse donc, du moins si on ne prend en compte que les tentatives de modélisations du champ principalement centrées sur les problèmes d’articulation entre la didactique et les disciplines connexes. Les recherches de nature didactique sont cependant foisonnantes comme l’ont montré les travaux des historiens de cette époque. La linguistique constitue toujours la source privilégiée de la didactique des langues mais il s’agit, de plus en plus, d’une linguistique qui élargit ses horizons et qui ne rejette plus hors de son domaine les discours oraux et écrits, l’énonciation, les variations sociales. La didactique des langues ne peut qu’y trouver son compte, même si, comme le souligne D. Coste (1994) elle hésite à prendre en considération l’analyse de discours et la linguistique de l’énonciation, deux domaines qui émergent dans les années 1970 parallèlement à la didactique des langues. Par contre, au terme de ces mêmes années, dans le domaine du FLM, outre le souci, déjà évoqué, de rationaliser la « pédagogie du français » et de distin- guer, comme le propose H. Romian (1979), parallèlement à la recherche fon- damentale, la recherche-action avec ses diverses composantes (innovation, description, validation), on constate une plus large attention accordée à l’analyse de discours ainsi qu’à la sémiotique littéraire et à la linguistique tex- tuelle, références encore quasiment absentes du domaine du FLE. Les années 1980-1990 voient une sorte de renversement de tendance. La « fièvre modalisatrice » passe d’un domaine à l’autre. La DFLE/FLS, forte de sa légitimité croissante, grâce à son implantation dans les universités et à la création de cursus spécifiques ou d’options dans les cursus existants, assor- 18. W. Klein (1978), Perspectives sur la didactique des langues étrangères en République fédérale allemande, Études de linguistique appliquée, n° 31.

  18. Quelques repères, perspectives et propositions ■21 tie de création de postes d’enseignement supérieur ciblés, poursuit son développement dans deux directions : – la recherche, avec l’élargissement de ses références, soit dans des domaines déjà explorés par la DFLM (par exemple, les grammaires de texte19), soit dans des domaines qui lui sont propres et où se marque sa spécificité : la linguistique acquisitionnelle, la pragmatique, l’analyse con- versationnelle, les interactions, en attendant l’émergence des sciences cognitives dans le champ ; – l’élaboration de contenus d’enseignement et de formation, qui relève d’une sorte de recherche-action, soit en direction de l’enseignement hors de France (la production de méthodes de français est abondante au cours de cette décennie) soit dans les centres universitaires de FLE au contact du public spécifique des étudiants et chercheurs étrangers en France, ou encore, mais dans une moindre mesure, dans les différents types de classe qui accueillent des élèves non francophones. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Ce n’est pas le lieu d’examiner ici les relations entre ces différentes activités. Pour faire court, disons qu’elles se partagent entre une orientation vers la didactique générale des langues et un ancrage très marqué dans la spéci- ficité du FLE, en tant que matière d’enseignement, ce dernier courant étant prédominant sur le plan institutionnel20. De son côté, la DFLM se consolide progressivement en tant que telle, au fil des colloques et journées d’études organisés par l’Association DFLM21 et du développement des recherches sur l’enseignement-apprentissage du français à l’Institut national de recherche pédagogique (INRP), dans les Insti- tuts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et dans un certain nombre d’équipes de recherche universitaires22, sans compter les nombreux travaux de terrain qui ne revendiquent pas forcément l’appartenance à l’un ou l’autre courant de cette discipline en « émergence ». On peut en effet parler de cou- rants, mais sans frontières vraiment étanches : didactique descriptive, expli- cative, praxéologique, avec références dominantes aux sciences du langage, ou aux sciences de l’éducation, ou à la psychologie cognitive…, autant de positionnements qui alimentent beaucoup de débats, non clos aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, comme le souligne M. Mas (1994), « l’apparition puis la dif- fusion du mot didactique sont des indicateurs de l’émergence et de l’implan- tation, dans les milieux de l’enseignement du français langue maternelle, 19. Ce sont, semble-t-il, les ouvrages de H. Rück (trad. français, 1980) et de G. Vigner (1979) qui vulgarisent les références à la linguistique textuelle auprès des enseignants de FLE. 20. Les départements de FLE dans les Universités, lorsqu’ils ne sont pas autonomes, ne sont pas implantés dans les UFR de langues vivantes mais dans les UFR de Lettres ou de Sciences du langage. 21. Voir les Actes de ces colloques : J.-L. Chiss et al. (1987) ; B. Schneuwly (1990) ; M. Lebrun & M.-C. Paret (1993) ; R. Bouchard & J.-C. Meyer (1996) ; G. Legros et al. (1999). 22. Telles que le Centre de didactique du français (CDF) – Grenoble III, ou le centre Théories et didactique de l’écrit (Théo- dile) – Lille III.

  19. 22■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES d’une notion déjà répandue dans des domaines voisins (français langue étrangère, mathématiques, sciences…) ». On peut ajouter qu’au cours de cette période l’utilisation du terme, dans un environnement institutionnel pour le moins méfiant sinon hostile, a valeur emblématique et s’inscrit dans la perspective d’une revendication identitaire. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur La DFLM s’efforce alors de faire dialoguer ses deux courants fondateurs : celui, issu de la « pédagogie », des chercheurs institutionnellement proches du terrain scolaire, incarné par les équipes de l’INRP, et celui des chercheurs universitaires, plutôt issu, à l’origine, de la linguistique et des sciences du lan- gage23. Les débats actuels sur les contours de la discipline portent la marque de cette double origine. Les discours définitoires de la DFLM se multiplient alors avec, nous l’avons vu, des variantes notoires dans la conception du champ, mais aussi un souci commun de prise d’autonomie et le rejet d’un applicationnisme étroit, sans que, pour autant, soient parfaitement définies les relations avec les discipli- nes de référence. Dans la deuxième moitié de la décennie 1980 s’esquissent aussi des ten- dances aux rapprochements des deux domaines de la didactique du français (DFLM, DFLE/FLS), le plus souvent sous forme de déclarations d’intentions ou de références croisées, plus qu’en termes de nouvelle construction épistémologique. Elles viennent indifféremment des acteurs de l’un ou l’autre domaine et s’inscrivent dans une recherche commune de transversalités. Les motivations sont certes différentes. Ainsi, le n° 78 de la revue Le français aujourd’hui, intitulé « Langue maternelle, langue étrangère », vise à « donner à nos lecteurs des éléments d’information sur ce qui se fait en didactique du FLE… les convaincre que les collègues qui enseignent le français à l’étranger… enseignent le français à des élèves que nous verrons peut-être bientôt dans nos classes ». Cet argument, de nécessité externe, sera maintes fois repris, notamment par F. Marchand (1989) qui constate que « la présence dans de nombreuses écoles d’enfants étrangers ou d’origine étrangère… conduit à s’interroger à la fois sur les facteurs de différenciation et aussi les possibles proximités entre FLM et FLE24 » et qui s’interroge sur l’opportunité d’une didactique « commune aux deux situations ». Le colloque organisé par le CREDIF en 1987 sur le thème « Didactique des langues ou didactiques de langue ? Transversalités et spécificités » travaille 23. Ces courants ne sont pas cloisonnés : bien des chercheurs sont venus à la didactique grâce à un contact avec le terrain, à l’occasion de l’enseignement de la linguistique dans les anciennes Écoles normales. Voir à ce sujet F. Marchand & J. Hébrard (1978). 24. Dans le numéro de Langue française où paraît l’article de F. Marchand (1989, n° 82), E. Roulet, qui le coordonne avec R. Galisson, s’interroge déjà : « Faut-il développer une didactique du français (DF) intégrant l’enseignement du français langue maternelle (FLM) et l’enseignement du français langue étrangère, ou faut-il distinguer deux didactiques du français ? »

  20. Quelques repères, perspectives et propositions ■23 dans l’un de ses ateliers sur les relations entre les didactiques de diverses langues mais pose de façon relativement marginale25 la relation entre FLE et FLM, l’essentiel des contributions portant sur les passages et les cloisonne- ments entre DFLM et didactique des langues étrangères enseignées dans l’institution scolaire26. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Le colloque restreint organisé par D. Coste à Genève à la fin 1988 pour mar- quer les vingt ans de la création de l’École de langue et de civilisation françaises et dont les Actes ont paru en 1994 sous le titre Vingt ans dans l’évolution de la didactique des langues (D. Coste, 1994) n’affiche pas explici- tement une préoccupation de transversalité mais les intervenants relèvent des deux domaines, le FLE étant cependant majoritaire. Il y apparaît, du point de vue qui m’intéresse, un renforcement de l’ancrage du FLE dans la didacti- que des langues et, dans certains cas, le souci de tenir compte de l’évolution des recherches en DFLM, notamment dans le domaine de la grammaire, de la lecture et de l’oral27. Les schémas formalisés de la DFLM qui se développent quelques années plus tard (entre autres, D.-G. Brassart et Y. Reuter 1992, M. Dabène, 1993a) ne marquent pas un ancrage exclusif dans une situation d’apprentissage particulière qui serait celle de la langue maternelle. Ils se situent dans une perspective plus générale, avec des nuances qui s’expliquent par leurs hori- zons respectifs de références (sciences de l’éducation, psychologie cogni- tive, sociolinguistique) et par leurs focalisations différentes. Ils dénotent cependant le souci de prendre en compte des variables difficilement maîtri- sables par la recherche en FLE/FLS conduite en France, comme les sujets locuteurs, les institutions, les dispositifs d’enseignement-apprentissage, les représentations sociales et les pratiques langagières qui environnent la situa- tion didactique proprement dite. Y. Reuter (1992) distingue le niveau des théories et celui des pratiques ainsi que trois espaces : celui des contenus disciplinaires et de leurs théories de référence qui appartient en propre aux enseignants de français, « celui des dispositifs d’enseignement-apprentissage… qui appartient à tous les ensei- gnants », et « celui des pratiques didactiques du français… qui se constitue à 25. Notamment par M. Dabène : je tente de recenser de façon programmatique tous les contacts possibles entre FLM, FLE et autres langues étrangères en fonction des lieux institutionnels d’enseignement et des situations d’apprentissage. Le texte de cette contribution a été repris dans M. Dabène (1993b). 26. On peut regretter que ce Colloque qui, pour la première fois à ma connaissance, réunissait des didacticiens de FLE, de FLM et de langues vivantes, n’ait pas donné lieu à la publication d’Actes. Les travaux des Ateliers ont paru, de façon dis- persée, voir : Études de linguistique appliquée n° 72 (J.-C. Beacco & J.-C. Chevalier, éds, 1988) ; Les langues moder- nes n° 1-1988 (M. Candelier, L. Dabène,éds, 1988). Ces publications éclatées reconstituent, au niveau éditorial, les réseaux de diffusion propres à chaque domaine et des cloisonnements contradictoires avec l’esprit du Colloque. 27. En ce qui concerne l’oral, il est intéressant de noter que J. Mouchon dans sa contribution, souligne, a contrario, le peu d’échos qu’ont rencontrés en DFLM les grandes enquêtes sur le français parlé, comme celle d’Orléans dont le corpus est constitué de 497 enregistrements faits en 1970 à l’instigation d’enseignants de français britanniques. Dans le même ordre d’idées, les corpus de français parlé recueillis à Montréal par Sankoff-Cedergren ou à Hull par S. Poplack, n’ont guère été exploités par les didacticiens québecois.

  21. 24■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES l’intersection de ces deux espaces et qui, par les élections et les interactions qu’il opère, réorganise le contour des deux autres ». D.-G. Brassart (1992) propose un modèle cognitif de la didactique du français fondé, de façon « largement spéculative » sur une formalisation des différents aspects de l’activité cognitive des enseignants. Il distingue une phase de pla- nification-préparation hors de la classe, conçue comme une activité de réso- lution d’un problème mal défini, et une phase interactive de décisions en classe qui allie mise en œuvre de l’action planifiée et improvisation face aux imprévus inévitables. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur De mon côté (M. Dabène, 1993a), je tente de montrer l’insuffisance de la notion de « triangle didactique » et la nécessité de son inclusion dans un con- texte social et éducatif prenant en compte disciplines de recherche et matiè- res d’enseignement, répertoires verbaux des apprenants, représentations et pratiques sociales de la langue, des textes et des discours28, tandis que J.-F. Halté (1992) analyse les problématiques particulières aux trois pôles concernés : le pôle de l’élaboration didactique (savoirs), celui de l’appropria- tion didactique (élèves) et celui de l’intervention didactique (enseignant). En bref, ce qui ressort de cette esquisse de panorama, nécessairement incomplet, est, par-delà les spécificités des deux domaines concernés, sur lesquelles je reviendrai, une interrogation progressive sur la légitimité des cloisonnements, mais aussi des déclarations d’intention ou des silences qui ne sont pas tout à fait satisfaisants au plan épistémologique. ■ Spécificités et transversalités d’aujourd’hui29 C Les spécificités et les transversalités des deux domaines, abstraction faite de leur histoire propre et pour s’en tenir aux affichages explicites, sont bien connues : aussi n’y insisterai-je pas. Je me contenterai d’en évoquer quel- ques aspects, complexes et problématiques dans la situation actuelle. Au plan institutionnel, on peut constater une implantation relativement éten- due de la DFLE/FLS en milieu universitaire, mais selon des statuts très varia- bles et la plupart du temps fragiles. Cette implantation concerne à la fois des activités d’enseignement et de formation (cours de langue aux étudiants étrangers, spécialistes de français ou d’autres disciplines, cours universitai- 28. Point de vue qui est loin de faire l’unanimité. Ce qu’exprime bien J.-L. Chiss (2001, 162) : « Face aux conceptions extensives du champ, j’ai toujours plaidé pour une vision réductionniste, convaincu sur le fond que, selon le mot de Judith Schlanger, le propre de la discipline, c’est de circonscrire et de renoncer. » 29. Est-il nécessaire de rappeler que l’aujourd’hui du scripteur est déjà du passé pour le lecteur, y compris le scripteur lui- même !

  22. Quelques repères, perspectives et propositions ■25 res dans le cadre des cursus FLE, licences, maîtrises, DEA) et des activités de recherche dans un certain nombre de centres spécialisés. L’implantation universitaire de la DFLM est plus complexe : elle occupe une place restreinte, pour ne pas dire inexistante, à l’exception de quelques uni- versités, dans les cursus de premier et de deuxième cycle, malgré le déve- loppement des unités de valeur dites de « préprofessionnalisation » préparatoires à l’entrée dans les IUFM. Elle se heurte à des résistances qui s’expliquent par une focalisation souvent exclusive sur des objectifs différents qui devraient être complémentaires : préparation au métier d’ensei- gnant/préparation aux concours de recrutement et formation de spécialistes d’une discipline. S’y ajoutent des conflits de territoire entre départements ou UFR de lettres et départements ou UFR de sciences du langage. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Ces conflits ont, de toute évidence, une incidence sur les orientations de la recherche et sur la conception épistémologique du champ. Ils expliquent, en partie, le rôle de plus en plus central joué par les Instituts de formation des maîtres (IUFM), au côté de l’INRP, dans le développement des recherches en DFLM30. La pression sociale exercée par les questionnements actuels sur l’enseigne- ment du français ne peut pas, non plus, ne pas avoir de répercussions sur la conception du champ, selon que les chercheurs choisissent d’ignorer le con- texte institutionnel ou de s’y investir. Ce qui est en jeu, c’est la place qui doit être assignée à ce qu’on a appelé l’interventionnisme dans la recherche en DFLM. De ce point de vue, les deux domaines ont de réelles spécificités, souvent paradoxales. La DFLE/FLS en France n’a pas directement accès au terrain, à l’exception du cas particulier des enseignements dispensés à des non-fran- cophones. Elle a cependant produit du « prêt à enseigner », sous forme de nombreuses méthodes à exporter se présentant comme autant de mises en application des acquis de la recherche31. La DFLM peut travailler « sur site », même si l’accès au terrain scolaire pose de nombreux problèmes aux didacticiens. Mais la production de matériel didactique, sous forme de manuels, n’est pas la préoccupation majeure des chercheurs et la fonction des supports didactiques n’est évidemment pas la même selon qu’il s’agit d’une langue « maternelle » ou d’une langue ensei- gnée à des non natifs. 30. Au cours du premier semestre de l’année 2003, deux colloques de DFLM ont été organisés, l’un sur « Langue et étude de la langue » par l’IUFM d’Aix-Marseille, l’autre sur « Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » par l’équipe de psychologie de l’éducation de Bordeaux II et l’équipe de didactique du français de l’IUFM d’Aquitaine. 31. Par exemple les méthodes dites notionnelles-fonctionnelles ou celles qui s’inspirent des courants de l’analyse conversa- tionnelle.

  23. 26■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES Par ailleurs, les circulations entre organismes spécialisés, les rencontres au sein d’instances associatives ou professionnelles, les transferts éditoriaux, les itinéraires individuels de chercheurs, contribuent de façon conjoncturelle à des brassages qui tendent à réduire les clivages entre les deux domaines. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Mais peut-on se satisfaire de transversalités conjoncturelles ? Ou est-il pos- sible de construire épistémologiquement des transversalités qui seraient constitutives d’une didactique du français fondée sur la prise en compte de la diversité des situations d’enseignement-apprentissage ? D ■ Quelques arguments et conditions pour une didactique du français Ce qui guide cette réflexion c’est l’idée simple que spécificités ou transver- salités, notions qui maintiennent un clivage, peuvent être réinterprétés en ter- mes de variations32. Je rappellerai ici quelques remarques succinctes qui ont, depuis leurs premières formulations33, fait l’objet de maints débats. Les Journées d’études organisées par l’Association DFLM à Poitiers en janvier 2000 proposent explicitement, dans le texte d’orientation, de « réfléchir à la constitution du domaine en prenant en compte des variations contextuelles »34, tout en incitant, sous la plume de Y. Reuter (2001), à beaucoup de prudence à l’égard d’une posture épistémologique « qui serait ingénument revendi- quée, non seulement parce que cela pourrait témoigner d’une quête plus ins- titutionnelle… que cognitive mais aussi parce que cette posture est particulièrement difficile à tenir… ». J’avancerai ici quelques remarques succinctes que je considère comme pro- blématiques et ouvertes au débat : – La transversalité LANGUE est forte mais pas entièrement pertinente au regard des descriptions qu’on peut en faire dans une perspective d’ensei- gnement-apprentissage et dont la didactique du français (dorénavant DIF) a besoin. Il est illusoire de fonder le rapprochement entre les deux domai- nes sur les mêmes descriptions de la langue, sauf à privilégier le noyau dur de la linguistique. Outre le fait qu’on en reviendrait aisément dans cette perspective à une nouvelle linguistique appliquée, il est difficile d’admettre que, par exemple, la description du système verbal du fran- çais puisse être strictement la même quelle que soit la langue des appre- nants, même si les variations nécessaires ne sont que des différences d’éclairage sur une réalité linguistique dont les recherches fondamentales permettent d’affiner l’analyse. A fortiori si on prend en compte les compo- 32. La notion de variation apparaît aujourd’hui comme l’un des concepts centraux en sociolinguistique et influence fortement les conceptions actuelles de l’acquisition des langues. 33. Notamment dans la première édition de cet ouvrage en 1995. 34. Voir M. Marquilló Larruy (2001).

  24. Quelques repères, perspectives et propositions ■27 santes sociolinguistiques, pragmatiques et discursives de la description des textes et des discours. La transversalité APPRENTISSAGE n’est pas davantage satisfaisante. Il s’agit bien, dans les deux domaines, d’apprentissages langagiers, mais ils ne se construisent pas sur les mêmes substrats. Les oppositions externes entre langue maternelle, langue seconde, langue étrangère, qui structurent institutionnellement les deux domaines, sont réductrices. La prolifération actuelle des qualificatifs en usage (langue nationale, langue d’enseignement, langue vernaculaire, langue d’appartenance, langue régionale…) montrent la complexité des statuts à prendre en compte, tant pour l’enseignant que pour les élèves35. – Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur – Ces remarques me ramènent inévitablement à la notion de situations d’ensei- gnement-apprentissage pour caractériser les variables de la situation didacti- que d’enseignement-apprentissage du français. S’agissant d’enseignement- apprentissage langagier, on peut estimer qu’une place centrale doit être accordée aux pratiques langagières de l’enseignant et de l’apprenant ainsi qu’aux pratiques sociales des discours oraux et écrits et à leurs représenta- tions dominantes. La perspective de recherche est alors celle de la définition d’un continuum d’enseignement-apprentissage qui assure l’unité constitutive du champ et le relie éventuellement à des champs voisins, et des axes de variation spécifi- ques qui rendent compte de sa diversité : – les deux éléments organisateurs du continuum sont, d’une part, les des- criptions de la langue et des fonctionnements des textes et des discours oraux et écrits (savoirs savants évolutifs) et, d’autre part, les activités cognitives à l’œuvre dans les apprentissages-acquisitions langagiers (par exemple, le rôle des métalangages) ; – les axes de variation sont au moins de deux types : - l’axe des situations d’enseignement : statuts formels et informels du français, politique linguistique des institutions éducatives au sein des- quels il est enseigné (par exemple types de liens entre langue et littéra- ture), statut des enseignants de français (natifs, non natifs), types et niveaux de leur formation, niveaux d’expertise (degrés de sécurité ou d’insécurité linguistique) ; - l’axe des situations d’apprentissage-acquisition : répertoires verbaux des élèves (monolingues, bi- ou plurilingues) types d’exposition au français, univers de références, représentations et pratiques de la lan- gue en milieu extra-scolaire profils d’acculturation à l’écrit, etc. Les relations entre la didactique du français et les disciplines dites « contributoires » peuvent alors être conçues et hiérarchisées autrement, selon qu’il s’agit de travailler au niveau des savoirs renvoyant aux éléments organisateurs du continuum (sciences du langage, sciences de l’éducation, 35. Pour une analyse détaillée, voir L. Dabène (1994).

  25. 28■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES sciences cognitives) ou au niveau des axes de variation (sociolinguistique, linguistique acquisitionnelle, psycholinguistique) renvoyant à la diversité des situations d’enseignement-apprentissage. Conçue comme une « discipline d’articulation et d’interactions » (Y. Reuter, 1996, p. 12), la didactique se construit au confluent de ces différents apports. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Les deux situations prototypiques extrêmes du continuum sont schémati- quement constituées : – d’une part, par la situation d’enseignement-apprentissage du français, dans son milieu naturel et culturel d’origine, comme langue dans laquelle s’est fait prioritairement l’accès au langage (langue 1)36 ; – d’autre part, par la situation, exolingue, dans laquelle l’apprentissage se fait en milieu institutionnel comme langue autre que celle du vernaculaire de l’apprenant ou du véhiculaire de la communauté d’appartenance (lan- gue 2 ou 3 ou 4…) ; – les situations intermédiaires se situant sur un continuum selon des varia- bles liées à l’un ou l’autre des axes de variation : par exemple l’apprentis- sage du français dans l’un de ses milieux naturels et culturels d’origine par un élève ayant accédé au langage dans une autre langue ou prati- quant une autre langue dans son milieu extrascolaire ; ou l’apprentissage du français comme langue d’enseignement ou langue véhiculaire, hors de son milieu d’origine, etc. Ainsi conçue la recherche en didactique du français s’ouvre sur de nouvelles transversalités, encore peu explorées, dans deux directions au moins : – du point de vue de l’enseignement, les didactiques comparées : recher- ches comparées sur les didactiques des langues 1 ; – du point de vue de l’apprentissage, les didactiques en contact : recher- ches comparées sur la didactique de la langue 1 ou de la langue 2 et la didactique d’une autre langue aux mêmes apprenants. Soit, par exemple, en France, la didactique du français et la didactique des autres langues enseignées à l’école primaire, au collège ou au lycée. Nul doute que des problèmes aussi centraux que celui du métalangage grammatical ou du lexique gagnerait à être examinés à la lumière de ces éclairages diversifiés dont on peut faire l’hypothèse qu’ils favoriseraient aussi les apprentissages langagiers37. Les incidences de cette recomposition sont évidentes. Mais peut-on accep- ter que la discipline de recherche « didactique du français » soit bridée par des pesanteurs institutionnelles, qui sont certes fondées historiquement mais qui ont pour effet notoire de borner son horizon sans profit apparent. 36. Cette situation ne recouvre évidemment pas la réalité géographique de tous les pays dits francophones. 37. On n’a pas vraiment évalué les dommages probablement causés lorsqu’on soumet l’élève à un certain type de travail grammatical en langue 1 et, simultanément, à un tout autre type en langue 2.

  26. Quelques repères, perspectives et propositions ■29 Références bibliographiques BOUCHARD, R. & MEYER, J.-C. (éds) (1996), Les Métalangages de la classe de français, Actes du 6e Colloque de la DFLM, Lyon, Saint-Cloud, DFLM. BRASSART, D.-G. & REUTER, Y. (1992), Former des maîtres en français : élé- ments pour une didactique de la didactique du français, dans J.-L. Chiss et M. Dabène, Recherches en didactique du français et formation des enseignants, Études de linguistique appliquée n° 87, Didier Érudition. CANDELIER, M. & DABÈNE, L. (éds) (1988), D’une langue à l’autre… la didactique des langues, Les Langues modernes, n° 1. CHISS, J.-L., LAURENT, J.-P., MEYER, J.-C., ROMIAN, H. & SCHNEUWLY, B. (éds) (1987), Apprendre/enseigner à produire des textes écrits, Actes du 3e Colloque international de didactique du français, Namur 1986, Bruxelles, De Boeck Université. CHISS, J.-L. (2001), Didactique des langues et disciplinarisation, dans M. Mar- quilló Larruy (éd.) (1990), Questions d’épistémologie en didactique du français, DFLM, Université de Poitiers. COSTE, D. & GALISSON, R. (1976), Dictionnaire de didactique des langues, Hachette COSTE, D. (1987), Institution du français langue étrangère et implications de la lin- guistique appliquée. Contribution à l’étude des relations entre linguistique et didactique des langues de 1954 à 1975, Doctorat d’État, Université de Paris VIII. COSTE, D. (1988), Linguistique et enseignement du français langue maternelle. Sur quelques relations au début des années 1970, dans J.-C. Beacco & J.-C. Chevalier, Didactique des langues : quelles interfaces ?, Études de linguistique appliquée, 72. COSTE, D. (1989), Débats à propos des langues étrangères à la fin du XIXe siècle et didactique du français langue étrangère depuis 1950. Constantes et varia- tions, Langue française, 82. COSTE, D. (1994), Vingt ans dans l’évolution de la didactique des langues (1968- 1988), coll. « LAL », Crédif-Hatier. CUQ, J.-P. (1991), Le français langue seconde, Paris, Hachette. DABÈNE, L. (1994), Repères sociolinguistiques pour l’enseignement des langues, Paris, Hachette. DABÈNE, M. (1972), Le CREDIF en 1972 : les champs de la didactique des lan- gues, Le français dans le monde, 92, Paris, Hachette. DABÈNE, M. (1993a), La didactique du français : autonomie et interactivité, M. Lebrun & M.-C. Paret, L’Hétérogénéité des apprenants, un défi pour la classe de français, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé. DABÈNE, M. (1993b), Situations d’enseignement/apprentissage des langues et didactiques en contact, Mélanges offerts à Jean Peytard, Annales littéraires de l’Université de Besançon, Les Belles Lettres, tome 2, 705-713. GALISSON, R. (1990), De la linguistique appliquée à la didactologie des langues- cultures, Études de linguistique appliquée, 79, Paris, Didier Érudition. HALTE, J.-F. (1992), La Didactique du français, PUF, coll. « Que sais-je ? ». HOLEC, H. & PORCHER, L. (éds) (1989), Formations et processus de formation en français langue étrangère, Paris, Larousse. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

  27. 30■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES LEBRUN, M. & PARET, M.-C. (éds) (1993), L’Hétérogénéité des apprenants, un défi pour la classe de français, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé. LEHMANN, D. (éd.) (1989), La Didactique des langues en face à face, Paris, Cre- dif-Hatier LEGRAND, L. (1966), L’Enseignement du français à l’école élémentaire. Problè- mes et perspectives, Delachaux et Niestlé. LEGROS, G., POLLET, M.-C. & ROSIER, J.-M. (éds) (1999), Didactique du fran- çais langue maternelle : quels savoirs pour quelles valeurs ?, Actes du 7e Collo- que de la DFLM, Bruxelles, Publication DFLM. MARCHAND, F. & HÉBRARD, J. (éds) (1978), Enseignement du français langue maternelle : la formation des maîtres dans les Écoles normales, Études de lin- guistique appliquée, 32. MARCHAND, F. (1989), Français langue maternelle et français langue étrangère : facteurs de différenciation et proximités, R. Galisson & E. Roulet (éds), « Vers une didactique du français ? », Langue française, 82. MARQUILLÓ LARRUY, M. (éd.) (2001), Questions d’épistémologie en didactique du français, DFLM, Université de Poitiers. MAS, M. (1994), Recherches sur l’évaluation des écrits des élèves, Thèse de Doc- torat, Université Stendhal, Grenoble III, tome 1. MOIRAND, S. (1988), Une Histoire de discours… Une analyse des discours de la revue « Le français dans le monde » 1961-1981, Paris, Hachette. PUREN, C. (1988), Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, Paris, Nathan, CLE International. REUTER, Y. (1996), Enseigner et apprendre à écrire, Paris, coll. Pédagogique, ESF éditeur. REUTER, Y. (2001), Éléments de réflexion à propos de l’élaboration conceptuelle en didactique du français, dans M. Marquilló Larruy (éd.) (2001), Questions d’épistémologie en didactique du français, DFLM, Université de Poitiers. ROMIAN, H. (1979), Pour une pédagogie scientifique du français, Paris, PUF. RÜCK, H. (1980), Linguistique textuelle et enseignement du français, coll. LAL, Paris, Credif-Hatier. SCHNEUWLY, B. (éd.) (1990), Diversifier l’enseignement du français écrit, Actes du IVe Colloque international de didactique du français langue maternelle, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé. VIGNER, G. (1979), Lire : du texte au sens, Paris, CLE International. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

  28. Quelques repères, perspectives et propositions ■31 Annexe 1 Linguistique appliquée à l’enseignement des langues (Galisson R., 1972, repris en 1990) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Première génération Deuxième génération … générale … générale linguistique connaissances théoriques linguistique connaissances théoriques française, anglaise, etc. française, anglaise, etc. … … … MATIÈRE : quoi enseigner linguistique appliquée … MATIÈRE pragmatique sélective actuelle contrastive linguistique linguistique linguistique appliquée + … MANIÈRE : comment enseigner sciences de l’éducation besoins pratiques méthodologie de l’enseigne- ment des langues … MANIÈRE pédagogie psychologie sociologie technologie sciences de l’éducation * Au cours des années 1970, une première évolution se dessine (de la première à la seconde génération de la linguistique appliquée) caractérisée par l’apparition de la notion de « méthodologie de l’enseignement des langues » qui, selon Galisson, a désormais compétence pour répondre à la question du « Comment enseigner ». 2 Didactique des langues (Dabène M., 1972) SCIENCES DE L’ÉDUCATION LINGUISTIQUE PSYCHOLOGIE SOCIOLOGIE DIDACTIQUE DES LANGUES Contenus Méthodologie Méthode Pédagogie Procédés Techniques Objectifs CLASSE DE LANGUE * Contemporain du précédent, ce modèle élargit le champ des disciplines de référence sans toutefois hiérarchiser leurs apports.

  29. 32■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES 3 Didactique des langues étrangères (Galisson R., Études de linguistique appliquée, n° 27, 1977) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Méthodologie de l’enseignement des langues étrangères Linguistique appliquée à l’enseignement des langues étrangères P R A G M A T I Q U E I P O L I T I Q U E T E C H N O L O G I E P S Y C H O L O G I E T H É O R I E S C I E N C E S D O C I M O L O G I E I E T C L E X I C O L O G I E S É M A N T I Q U E S T Y L I S T I Q U E E T C S O C I O L O G I E K I N É S I Q U E P H O N É T I Q U E G R A M M A I R E D É O L O G I E C O N O L O G I E A P P R E N T I S S A G E D E P R O X É M I Q U E É D U C A T I V E L’ É D U C A T I O N – identification des besoins notionnels des publics concernés – conversion des besoins notionnels en formes linguistiques – adaptation des besoins notionnels et des formes linguistiques • au profil du public, aux objectifs, aux moyens disponibles • en vue de la production d’outils pédagogiques circonstanciés inventaire des formes linguistiques répondant aux besoins notionnels * Selon les termes de l’auteur, cette « vue panoramique » de la didactique des langues étrangères affine le modèle de 1972 en « subdivisant la matière (ou contenu) d’enseignement-apprentissage en substance du contenu (besoins notionnels) et en forme de contenu (formes linguistiques) » (R. Galisson, 1977 repris en 1990). La substance du contenu est du ressort de la méthodologie tandis que la linguistique sélectionne les formes linguistiques correspondantes.

  30. Quelques repères, perspectives et propositions ■33 4 Recherche-Action (Romian H., 1979) Recherche-innovation Recherche-description Recherche-validation Essais expérimentaux des pratiques pédagogiques répondant aux hypothèses du Plan de rénovation, et affinement de ces hypo- thèses, voire remise en question Description systématique des pratiques en vue d’établir une caractérisation des démar- ches d’ensemble possibles, au-delà de la diversité appa- rente des pratiques Mise en évidence des diffé- rences significatives entre les performances verbales des enfants selon la pédagogie pratiquée, à mlieu scolaire analogue Objectifs au plan de la recherche Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur L’action pédagogique dans les classes expérimentales L’observation des situations vécues dans des classes diverses L’observation de situations expérimentales permettant le recueil de données compa- rables dans des classes caractéristiques pédagogique Champ au plan – Mise à l’épreuve pratique des hypothèses théoriques – Évaluation théorique des pratiques pédagogiques Établissement d’observation des comporte- ments habituels des maîtres et des élèves (notamment des productions orales et écrites des élèves, issues de la vie des classes) de grilles Création de dispositifs expé- rimentaux (situations, épreu- ves, questionnaires, etc.) Méthodologie – Dynamiser la pratique pé- dagogique – « Nourrir » la créativité des enseignants en formation initiale et continue – Dynamiser la théorie péda- gogique – Fournir des outils de travail pour la formation des maî- tres au niveau de : • l’élucidation des pratiques • la caractérisation des pratiques Évaluer le « rendement » effectif des pratiques péda- gogiques en fonction des objectifs définis Objectifs au plan de la rénovation * À la même époque dans le champ de la langue maternelle, les préoccupations sont autres ; Romian (1979) s’attache à construire la notion de recherche-action en distinguant ce qui relève de l’innovation, de la description et de la validation. On sent ici la prégnance du terrain scolaire et des enseignants participant aux recherches de l’INRP. 5 Un modèle du champ de la didactique du français (Reuter Y., dans Brassart & Reuter, 1992) Théories de référence de l’enseignement apprentissage Théories de référence du français Théories didactiques du français Sujets, institutions, dispositifs d’enseignement apprentissage Contenus disciplinaires du français Pratiques de didactique du français * Selon l’auteur, ce modèle comprend « deux niveaux distincts : celui des pratiques et celui des théories. Il distingue trois espaces : celui des contenus disciplinaires et de leurs théories de référence qui appartient en propre aux enseignants de français, celui des dispositifs d’enseignement-apprentissage… qui appartient à tous les enseignants… et celui des pratiques didactiques du français… qui se constitue à l’intersection de ces deux espaces et qui, par les sélections et interactions qu’il opère, réorganise les contours des deux autres ». L’auteur précise que les « flèches établissant les relations peuvent être posées entre tous les pôles » (Y. Reuter).

  31. 34■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES 6 Un modèle cognitif de la didactique du français (Brassart D.G., dans Brassart & Reuter, 1992) Phase de planification-préparation hors de la classe Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur MÉMOIRE À LONG TERME DU MAÎTRE PLANIFICATION Génération Organisation DÉCISION Mise en mot Mise en activité RÉVISION Évaluation Modification Connaissances/représentations – de la matière – des programmes, curricula – des apprenants – des contraintes organisationnelles CONTRÔLE Paramètres méta-dida : domaines disciplinaires curriculum apprenants, temps matériel Support d’activités TRACES ÉCRITES Théories scientifiques et personnelles Expériences antérieures, plans mémorisés, routines… TRACES MATÉRIELLES * Il s’agit ici de ce que l’auteur nomme la phase « pré-active de préparation conçue comme la résolution d’un problème mal défini » se fondant sur « une représentation mentale de l’activité et sur une série de traces observables ». Le modèle comporte en outre une normalisation de la phase interactive (non représentée ici) qui est le « moment de la mise en œuvre de l’action planifiée mais aussi de l’improvisation… » (voir D.G. Brassart, 1992). 7 La constellation didactique (Dabène M., 1993a) REPRÉSENTATIONS DISCIPLINES DE RECHERCHE C O N T E X T E É D U C A T I F SOCIALES C O N T E X T E S O C I A L OBJETS D’ENSEIGNEMENT APPRENTISSAGE (Langue, discours, texte) D’ENSEIGNEMENT MATIÈRES APPRENANTS PRATIQUES ENSEIGNANTS LANGAGIÈRES * Ce modèle montre l’insuffisance, aux yeux de l’auteur, de la notion de triangle didactique et de la nécessité de son inclusion dans le contexte social et le contexte éducatif prenant en compte non seulement les disciplines de recherche et les matières d’enseignement, mais aussi les représentations et les pratiques sociales de la langue, des textes et des discours.

  32. 2 Quelle place pour la didactique de la littérature ? Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Georges LEGROS A ■ Professeur de lettres ou enseignant de français ? Volontairement provocante dans l’ensemble où elle est ici posée1, la question n’a d’autre ambition que d’inviter à analyser certaines implications du constat dressé naguère par Yves Reuter : « Par rapport à d’autres secteurs de la didactique du français, la didactique de la littérature me paraît indéniable- ment en retard2. » Plus précisément, elle vise à interroger la part que peut prendre, dans les raisons institutionnelles et théoriques de ce retard, l’inscrip- tion même de la problématique littéraire dans le cadre actuel de la DFLM et à contribuer ainsi à une reprise critique de la réflexion sur les objets et les objectifs de l’enseignement de la littérature, de façon à ordonner les moyens à des fins plus explicites et davantage porteuses de sens pour les acteurs. 1. Rappelons qu’il s’agissait, au départ, de journées d’étude organisées par l’Association internationale pour le développe- ment de la recherche en didactique du français langue maternelle, en septembre 1994. Depuis lors, bien entendu, de l’eau a coulé sous le pont Mirabeau et sous les autres ! Comme cette republication ne pouvait accueillir que des ajuste- ments mineurs, je me suis contenté de signaler ici ou là, par une note brève, quelques-uns des changements importants survenus. Si la réflexion apparaît ainsi datée, rien, à mes yeux, n’a vraiment remis en cause ses principaux arguments ni sa conclusion : la didactique de la littérature me semble toujours à l’étroit sous l’étiquette englobante de « didactique du français », où l’ambiguïté du dernier terme tend à réduire la complexité de la discipline scolaire en l’alignant d’abord sur son volet linguistique (comme l’indiquent d’ailleurs les appellations consacrées pour subdiviser le domaine : « français langue maternelle [ou langue première] », « français langue seconde », « français langue étrangère », qui, certes, sont aujourd’hui remises en question, mais généralement pour d’autres raisons) ; elle devrait, au moins, s’enrichir aussi de rapports avec des didactiques comme celle de l’histoire ou celle des autres arts. 2. Y. Reuter, « Quelques notes à propos de la didactique de la littérature », dans DFLM, La Lettre de l’association, n° 10, 1992, pp. 9-11.

  33. 36■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES Dans la longue histoire scolaire, l’enseignement de la littérature et celui de la langue maternelle ont toujours eu partie liée, étant généralement dispensés, dans des proportions diverses, par les mêmes professeurs, voire partielle- ment fondés sur les mêmes textes – non sans quelques malentendus ou con- flits, toutefois. Le modèle traditionnel faisait de celui-ci un préalable au service de celui-là, appelé à le dépasser, voire à le contredire par la valorisa- tion des contenus et des « styles » personnels au-delà de la « simple » norme linguistique ; hiérarchie des objets, mais aussi des élèves et des enseignants, qui s’est longtemps exprimée dans la distinction entre les « classes de grammaire », ouvertes à tous, et les « classes de lettres », réservées aux res- capés d’une sélection sévère3. De ce point de vue, les changements pro- fonds qui ont, un peu partout, affecté l’enseignement secondaire depuis une bonne trentaine d’années doivent aussi se lire, toute autre question mise à part, comme un renversement des rapports de force au sein de la corpora- tion. Association française des Enseignants de Français, Association québé- coise des Professeurs de Français, Société belge des Professeurs de Français… : toutes les associations professionnelles affichent la même éti- quette, souvent devenue militante, avec parfois l’ambition proclamée de généraliser « de la maternelle à l’université » une identité disciplinaire définie par son seul volet linguistique. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Que le conflit ne soit pas que de mots et qu’il puisse encore être vif en dehors des milieux consensuels, on s’en convaincrait aisément, si c’était nécessaire, par deux brèves citations, parmi beaucoup d’autres possibles. Ainsi, dans un « Libre propos » sur une réforme des épreuves orales du CAPES, en France, Jean-Pascal Simon, relevant que certains textes officiels parlent des « rela- tions que l’enseignement des lettres entretient avec les autres disciplines », s’indigne aussitôt : « L’utilisation du vocable lettres témoigne, une fois de plus, d’un décalage entre le concours, l’esprit dans lequel il est mis en œuvre et la réalité enseignante : il n’y a rien de fâcheux à être un enseignant de français !4 » À quoi pourrait répondre l’envolée inverse d’Alain Finkielkraut, alerté par un énième discours sur la baisse de niveau : « Il faut rendre à la lit- térature sa place centrale dans l’enseignement même du français, pour que nous restions le pays de la conversation et non une province de la communi- cation planétaire5. » Sur le mode anecdotique, la première de ces deux réactions contradictoires rappelle que la DFLM, largement issue des mouvements de réforme de l’enseignement du français évoqués, n’occupe, dans le conflit, une position ni neutre ni œcuménique. Au contraire, obligée de conquérir son domaine propre contre un modèle dominant dont la clef de voûte était un certain enseignement de la littérature, elle a plutôt cherché appui sur d’autres disci- 3. Sur ces rapports entre la valeur attribuée à la littérature et les effets du dispositif institutionnel scolaire, on se rappellera la réflexion critique ouverte par R. Balibar, Les Français fictifs. Le rapport des styles littéraires au français national, Paris, Hachette-Littérature, 1974. 4. J.-P. Simon, « Le CAPES : quoi de neuf ? », dans DFLM, La Lettre de l’Association, n° 13, 1993, p. 32. 5. A. Finkielkraut, « Oui, soyons exigeants », dans Le Nouvel Observateur, n° 1546, 23-29 juin 1994, p. 11.

  34. Quelle place pour la didactique de la littérature ? ■37 plines (comme la linguistique ou la psychopédagogie) plus ouvertes au chan- gement et plus immédiatement liées aux nouvelles urgences suscitées par la démocratisation des publics scolaires. Évoquant l’ouverture, en janvier 1969, du « Centre universitaire expérimental » de Vincennes, Jean Verrier note qu’« au département de littérature française, seuls quelques enseignants s’intéressent à la didactique. Il se trouve que ce sont les “linguistes” » ; et il ajoute qu’en 1977, la« didactique de la littérature ne se fait plus par les uni- versitaires mais par des “enseignants-chercheurs”, travaillant en équipes (issues de l’AFEF, de Pratiques, du lycée de Sèvres), informées des recher- ches en linguistique, poétique et sciences humaines, et qui essaient de théo- riser leurs pratiques »6. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Ce sont donc, en bonne partie, les circonstances historiques de l’émergence progressive de la didactique du français qui expliquent la relative faiblesse, en son sein, des préoccupations littéraires (toujours minoritaires dans ses principales « vitrines », que ce soient les colloques internationaux de l’Asso- ciation de DFLM ou le « Que sais-je ? » de Jean-François Halté7), alors que les recherches proprement littéraires continuent, en général, d’ignorer le défi didactique, comme si rien n’avait changé de ce côté. Semblable divorce ins- titutionnel n’est pas sans exposer la didactique de la littérature à se conce- voir et à s’élaborer dans une reconnaissance insuffisante des limites et des spécificités de son objet. Car – et c’est une première différence fondamentale – l’objet de l’enseigne- ment de la littérature me paraît beaucoup plus problématique que celui de l’enseignement de la langue maternelle, non seulement dans son étendue, mais encore, plus radicalement, dans sa nature. B ■ Savoirs ou savoir-faire ? On se rappelle les principales critiques – pédagogiques, scientifiques, socio- politiques – adressées au modèle traditionnel. Essentiellement transmissif, il ordonnait chronologiquement des connaissances souvent « gratuites », sans veiller suffisamment à leur appropriation et à leur intégration dans des prati- ques réelles, liées aux intérêts et aux besoins des élèves dans le monde 6. J. Verrier, « De l’enseignement de la littérature à l’enseignement de la lecture », p.160 ; dans D. Coste (éd.), Vingt ans dans l’évolution de la didactique des langues (1968-1988), Paris, Crédif-Hatier, coll. « LAL », 1994, pp. 159-174. 7. J.-F. Halté, La didactique du français, Paris, PUF, « Que sais-je ? », n° 2656, 1992. Depuis lors, la situation a sensible- ment évolué : l’ouvrage de C. Simard, Éléments de didactique du français langue première, Montréal – Bruxelles, Édi- tions du Renouveau Pédagogique – De Boeck, 1997, envisage systématiquement les deux composantes du « couple langue-littérature » ; il arrive que l’Association DFLM organise des journées d’étude consacrées à la seule littérature ; il s’est même créé un groupe informel de didacticiens de la littérature, qui se réunissent chaque année autour de problè- mes communs. Au point que le nouveau « Que sais-je ? » parle de « retour du littéraire » (J.-M. Rosier, La Didactique du français, Paris, PUF, 2002, p. 53). Tout malaise n’est cependant pas dissipé : signe sans doute révélateur, le groupe de didacticiens de la littérature s’est, jusqu’à présent, maintenu en dehors de l’Association DFLM.

  35. 38■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES actuel (les « compétences » visées aujourd’hui) ; d’où le risque de lectures seulement anthologiques, voire d’un certain psittacisme. Ses conceptions de la périodisation, du sens du texte et de son explication étaient battues en brèche par le développement des sciences humaines. Sa hiérarchie des valeurs, enfin et surtout, reproduisait de façon convenue un consensus cultu- rel dépassé, peut-être adapté aux « héritiers » d’hier mais qui excluait les nouveaux élèves de l’école de masse, en ignorant ou en niant leurs propres représentations et pratiques culturelles. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur On sait aussi comment, dans bien des cas, on a tenté de répondre à cette critique multiple. D’une façon sans doute plus psychologique que politique, en cherchant d’abord à susciter l’envie de lire chez les élèves et, dans cette perspective, en choisissant par priorité des œuvres à leur portée, voire à leur goût. D’une façon technique, en adoptant des « méthodes », le plus souvent inspirées de la sémiotique ou de la psychanalyse, censées mieux assurer (ou, au contraire, « libérer ») la recherche du (ou de) sens, sans d’ailleurs toujours chercher à vérifier la pertinence de ces méthodes par rapport aux visées « éducatives » généralement maintenues : comme pour l’influence de la lin- guistique sur l’enseignement de la langue, une certaine « scientificité » a d’abord semblé se suffire à elle-même8. Jean Verrier parle à ce propos du « rêve d’une “science” de la littérature et note que, par un effet pervers, fré- quent en pédagogie, ce nouveau savoir à prétention scientifique alimente les pédagogies les plus normatives »(op. cit., p. 162). Au sein de certains groupes de recherche pédagogique, Jean Verrier distin- gue ensuite une « troisième vague », sans doute encore assez rare dans les classes sous la forme exploratoire qu’il lui donne, mais significative pour notre propos : celle où la confrontation des réceptions réelles, et diverses, des textes par les élèves prend le pas sur l’analyse de leur fonctionnement. « Enseigner la littérature n’est plus tant alors transmettre un savoir sur les textes (vie des auteurs, écoles littéraires, citations…) qu’entraîner à la maî- trise des effets de sens d’un texte sur un individu appartenant à une culture donnée. Comme dans d’autres pédagogies, l’“apprenant” est ici placé au centre de la démarche. […] D’un point de vue civique, sinon politique, l’enjeu est de taille, et d’une brûlante actualité. […] Enseigner la lecture, de l’école primaire à l’université, serait donc apprendre à lire, la plume à la main, et d’abord les textes littéraires parce que c’est eux qui font qu’une langue est vivante » (ibid., p. 163). Primum legere : fondamentale, en effet, la consigne n’est pas vraiment nou- velle, et elle fait facilement l’unanimité. Sous de tout autres formes, certes, Gustave Lanson notait déjà : « L’étude littéraire se fera par les textes. L’his- toire littéraire, chose d’enseignement supérieur, est, dans l’enseignement 8. Sur de tels changements « superficiels » de méthodes, qui paraissent n’entamer ni les objectifs visés ni les courants de pensée dont se réclament les enseignants de littérature, voir notamment S. Bogaerts, B. Dispa & G. Legros, « Profils de profs : une enquête au secondaire supérieur », dans Enjeux, n° 16, déc. 1988, pp. 27-64.

  36. Quelle place pour la didactique de la littérature ? ■39 secondaire, un fléau. […] Jusque-là le maître s’occupera de faire déchiffrer le plus de textes qu’il pourra9. » Et l’un de ses adversaires les plus déterminés, en son temps, Servais Étienne, définissait ainsi son programme de formation au premier cycle universitaire : « Bref, pendant les deux premières années de leurs études, de dix-sept à dix-neuf ans, les élèves sont priés d’apprendre à lire10. » Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur C ■ Littérature ou (types de) textes ? La vraie nouveauté est bien plutôt – avec celle du sens unique, cautionné par l’autorité du maître ou de la méthode – la fin du « corpus » imposé, au profit de l’infinité des textes et des lecteurs. Jean Verrier lui-même intitule d’ailleurs son article De l’enseignement de la littérature à l’enseignement de la lecture et souligne au passage que « Le numéro 7 de la revue Littérature qu’édite chez Larousse le département de littérature française de Paris VIII s’intitule : “Le discours de l’École sur les textes” (1972), et le numéro 19, en 1975 : “Enseigner le français” (pas la littérature) » (op. cit., p. 160). Sur un autre ter- rain, Monique Lebrun note que « Dans les programmes du secondaire [au Québec],le mot “littérature”est occulté au profit de celui de “discours”11. » Et l’on pourrait en dire autant des programmes belges en vigueur jusqu’il y a peu, dont l’un déclarait notamment : « Loin de vouloir obtenir une « culture » littéraire uniforme, savant dosage d’époques et de genres différents, le pro- fesseur s’attachera plutôt à, stimuler une lecture critique de tous les textes (ou messages) qui assaillent les étudiants12 ; et l’autre, comme en écho : Ce que l’on vise, […] ce n’est pas l’acquisition d’un bagage littéraire exhaustif […], c’est le développement des aptitudes à lire toutes les espèces de textes, c’est l’installation d’un savoir-être que caractérisent, principalement : la famil- 9. G. Lanson, « Contre la rhétorique et les mauvaises humanités », dans L’Université et la société moderne, Paris, A. Colin, 1902, repris dans Essais de méthode, de critique et d’histoire littéraire, rassemblés et présentés par H. Peyre, Paris, Hachette, 1965, p. 59. 10. S. Étienne, Expériences d’analyse textuelle en vue de l’explication littéraire, Liège, Bibliothèque de la Faculté de Philoso- phie et Lettres, et Paris, Droz, 1935, p. 2. 11. M. Lebrun, « Problématique de l’institutionnalisation d’une littérature nationale à l’école : le cas du corpus québécois », dans Enjeux, n° 32, juin 1994, pp. 33-40. 12. Secrétariat national de l’Enseignement catholique, Enseignement secondaire de type I. Français. Troisième degré, sec- tion de transition, Bruxelles, LICAP, 1980, p. 22. Pour donner toute la mesure du déplacement, ajoutons que le même programme précisait ailleurs que « le concept de texte a reçu, dans la pensée contemporaine, une extension maximale. Sont considérés comme textes aujourd’hui, non seulement les énoncés de langage formant un ensemble clos (qu’il s’agisse de discours oraux ou de discours écrits), mais aussi toutes les autres manifestations humaines qui, en quelque sens que ce soit, nous “disent quelque chose” : on pourra parler du texte pictural (pour un tableau), du texte d’une ville, du texte constitué par un ensemble de gestes corporels » (p. 7). Pour une vue comparative des programmes de l’époque en Belgique, en France et au Québec, voir Enjeux, n° 43-44, « Littérature : les programmes francophones », mars 1999.

  37. 40■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES iarité avec les livres, ou, plus largement, les textes ; l’intérêt ou le goût pour leur contenu ; l’esprit d’accueil et l’esprit critique13. » Bref, plus l’objectif est le savoir-lire, plus il s’instrumentalise, plus, en somme, il s’inscrit dans une perspective de didactique du français,et plus la littéra- ture,comme ensemble organisé et significatif, tend à s’effacer, devant des textes littéraires d’abord (mais dont on se garde bien, le plus souvent, d’inter- roger la « littérarité »), devant des textes non autrement définis ensuite. Dans une telle perspective – où« Il s’agit moins de l’enseignement de la littérature que d’un usage de la littérature pour l’enseignement du français », comme le marque bien Jean Peytard14 –, ce qui devient difficile, en effet, voire impossi- ble, c’est d’établir la spécificité de « la “littérature” comme sous-ensemble du domaine “scriptural” »et, bien plus encore, sa nécessité dans la formation des jeunes. « Lieu privilégié, entre tous, […] moment d’excellence, pour connaître le mouvement de la langue française », propose Jean Peytard (op. cit., p. 31),peu avant Jean Verrier ; ou encore :« ensemble essentiel à l’apprentissage et à l’approfondissement de la langue française. […] “labora- toire langagier”, où plus qu’en tout autre “discours”, les différents niveaux […] se trouvent en posture de dévoilement, s’aperçoivent dans leur fonctionne- ment, jusqu’au détail le plus inattendu (ibid., p. 9)15 ». Mais c’est oublier que de telles définitions « techniques », qui voient d’abord dans la littérature des types et des structures de texte, des fonctionnements et des innovations lin- guistiques16, souffrent de deux défauts majeurs. D’une part, elles ne sont nul- Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur 13. Ministère de l’Éducation, de la Recherche et de la Formation, Enseignement secondaire. Troisième degré de transition. Français, Bruxelles, Direction générale de l’Organisation des Études, mai 1993, p. 6, sous la rubrique « Lecture ». On doit cependant à la vérité d’ajouter que le même programme comporte, par ailleurs, une rubrique « Approches de la vie littéraire et artistique », où l’objectif est, pour « mieux comprendre le XXe siècle et ses productions, d’organiser de manière réflexive notre patrimoine littéraire et culturel, notamment en se rendant capablede reconnaître les grands mou- vements européens de la pensée, […] les grands courants artistiques et culturels européens »et d’établir entre eux des relations (p. 18). Depuis lors, cette tendance a été sensiblement renforcée par un décret qui a fixé, pour tous les établis- sements, les Compétences et savoirs requis en français à l’issue des humanités générales et technologiques (Ministère de la Communauté française, Administration générale de l’Enseignement et de la Recherche scientifique, Bruxelles, 1999). Parmi les acquis à certifier, figure une certaine connaissance (« expliquer les ruptures fondamentales…, reconnaître diffé- rents traits majeurs… ») de dix « grands courants littéraires et artistiques d’hier et d’aujourd’hui », cités dans l’ordre chro- nologique (l’humanisme, le baroque, le classicisme…). Pareille contrainte légale a évidemment entraîné la refonte des programmes, qui, selon les réseaux, invitent davantage à une réflexion critique sur le concept même de littérature ou à un ordonnancement historique des œuvres et des manières d’écrire. 14. J. Peytard, Les Cahiers du CRELEF, n° 36, « Souvent textes varient », Besançon, 1993-2, p. 31. 15. Même image du littéraire comme simple degré supérieur de la performance langagière dans le programme de français du troisième degré du réseau catholique belge pour les années 1980, qui se couvre notamment de l’autorité de la revue de l’AFEF : « Dans la masse des textes, le texte littéraire possède un statut particulier du fait qu’il exploite au maximum les possibilités de création et de renouvellement de la langue : “Le texte littéraire demeure pour nous essentiel parce que son fonctionnement pousse à leurs extrémités les possibilités ludiques, symboliques, imaginaires, etc., du langage” (1977 : “Aujourd’hui le français”, supplément au n° 39 de Le français aujourd’hui, p. 39). C’est pourquoi nous le prendrons comme référence dans les réflexions qui vont suivre. (Mais ce que nous en dirons vaudra, à des degrés divers, pour tout type de texte) » (op. cit., pp. 7-8). 16. Au fond, dans leur invocation de « l’excellence », diffèrent-elles autant qu’on veut bien le dire de plus anciennes auxquel- les on les oppose volontiers (par exemple, la littérature comme « norme du “bon français” », voire « comme ornementa- tion ou comme objet de plaisir », pour continuer à citer Jean Peytard, ibid.) ? Ne risquent-elles pas, au contraire, d’exposer rapidement leur objet aux mêmes reproches de luxe, sinon superflu, du moins secondaire par rapport à des attentes fonctionnelles plus immédiates, trop souvent encore insuffisamment rencontrées ?

  38. Quelle place pour la didactique de la littérature ? ■41 lement propres à la littérature elle-même : les débats autour de la célèbre « fonction poétique » de Roman Jakobson, par exemple, ont montré depuis bien des années que les discours publicitaires ou politiques, notamment, peuvent comporter autant de jeux subtils d’équivalences que les plus beaux poèmes ; et la chronique des faits divers est, tout autant qu’un conte ou qu’un roman, passible d’une analyse narratologique. D’autre part, elles demeurent muettes sur la question, centrale dans la problématique littéraire, des valeurs ; plus particulièrement, elles ne permettent en rien de discriminer un pastiche ou une vulgaire copie de l’original qui a marqué son temps ou frayé des voies nouvelles pour l’avenir. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Or, c’est un trait spécifique des objets littéraires que le point de la chaîne his- torique où ils s’inscrivent, tant à la réception qu’à la production, soit une par- tie constitutive de leur valeur et de leur sens même : il y a longtemps que Roger Fayolle a montré comment Baudelaire s’est trouvé progressivement « canonisé » par l’école à la suite d’une période de violences politiques et culturelles qui ont dû, par contraste, le faire passer pour une sorte de « classique » plus sage qu’on ne l’avait d’abord cru17 ; par contre, aujourd’hui où on le lit et on le cite tant dans les classes, quel sens y aurait-il à écrire encore à la Baudelaire ? D’où la difficulté bien connue de lire d’emblée ses contemporains, et, du même coup, le soupçon qu’à trop s’en tenir aux inté- rêts spontanés des élèves, on ne les aide pas nécessairement à mieux com- prendre la littérature d’aujourd’hui que celle d’avant-hier. D ■ Refonder l’objet : extension, spécificité, nécessité À en croire les souvenirs de jeunes étudiants, c’est pourtant en ce sens que la contestation de l’histoire littéraire traditionnelle et de son corpus imposé de « chefs-d’œuvre » aurait conduit bon nombre de pratiques scolaires. Deux enquêtes parmi des étudiants belges de diverses orientations, mais princi- palement de Lettres, ont naguère dessiné de curieux portraits des lectures en classes terminales du secondaire18. Deux traits principaux y frappent. D’abord, l’extrême réduction des référents culturels communs : cinq poètes seulement auraient été étudiés en détail par 17. R. Fayolle, « La poésie dans l’enseignement de la littérature : le cas Baudelaire », dans Littérature, n° 7, oct. 1972, pp. 48-72. Dans un tout autre registre, J.L. Borges a démontré pourquoi Pierre Ménard, en récrivant mot à mot, dans l’entre- deux-guerres, le Don Quichotte, avait nécessairement produit une œuvre toute différente de celle de Cervantes (« Pierre Ménard, auteur du Quichotte », dans Fictions, Paris, Gallimard, 1983, « Folio » n° 614, pp. 41-52). 18. G. Legros, M. Monballin & M. van der Brempt, « Le cercle des poètes rebattus. Résultats d’une enquête auprès d’élèves sortants », dans Enjeux, n° 24, « Enseigner la poésie ? », déc. 1991, pp. 5-23 ; M. Monballin & G. Legros, « Œuvres romanesques et théâtrales en fin de secondaire : un singulier pluriel », ibid., n° 32, « Corpus et lectures littéraires », juin 1994, pp. 7-21.

  39. 42■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES plus de la moitié des élèves consultés (par ordre décroissant, Baudelaire, Ver- haeren, Hugo, Vigny et Lamartine) et un seul roman aurait été lu dans la même proportion (L’Étranger d’Albert Camus). Ensuite, la disparate des images selon les genres : alors que la poésie y est d’abord représentée par les grands « mages » du romantisme et leurs successeurs immédiats, avec une forte concentration sur quelques noms, la prose romanesque et théâtrale s’y manifeste à 80 % par des titres du XXe siècle, et, cette fois, dans une spectaculaire dispersion (47 % des mentions d’œuvres sont des hapax et l’auteur le plus cité, Camus, n’atteint pas les 10 % du total des occur- rences)19. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Cette double tendance, quelles que soient les réserves et les nuances que l’imperfection des instruments oblige à y apporter, montre à quel point l’école, dans la liste infinie des œuvres, se taille un corpus sur mesure. En fonction, sans doute, d’un critère de lisibilité immédiate : dès lors que l’objec- tif premier est de faire lire et d’en développer le goût, la logique de la con- sommation l’emporte sur celle du savoir et impose ses limitations. L’ensemble, complexe sinon confus, des tentatives multiformes qui compo- sent l’aventure littéraire est alors renvoyé au statut d’objet virtuel de connais- sance, que l’élève, le cas échéant, explorera plus tard, au hasard des rencontres et des inclinations personnelles ; en attendant, règne l’accessible, donc, nécessairement, le plus familier. Si la priorité ainsi accordée aux lecteurs, à leurs capacités et à leurs intérêts réels ou présumés, évoque un « discours de bibliothécaires », elle n’est toutefois pas incompatible avec le maintien d’un « discours d’école »20 bien traditionnel, dont on aurait tort de sous-estimer la force constante. Un autre critère, en effet, semble bien présider à la sélection : celui de la glosabilité, qui renvoie directement à la question des finalités. Pour être retenue, une œuvre doit pouvoir être lue par les élèves, mais aussi commentée par le pro- fesseur dans la perspective qu’il a adoptée. Or celle-ci est bien plus souvent celle de l’accès immédiat aux grandes « questions morales ou humaines » posées par le texte que celle de la pertinence et des limites de différentes méthodes de lecture et d’analyse (malgré les consignes de certains pro- grammes), ou encore que celle de l’évolution des modes d’écriture (ou de réception) et de leurs enjeux respectifs21. Visée éducative, en somme, « humaniste » si l’on veut, que l’on pourrait aisément faire remonter, elle aussi, au moins à Lanson22, mais qui demeure sans doute dominante 19. Dispersion, y compris géographique et culturelle, qui peut cependant s’accommoder de certaines limitations significatives ; ainsi, par exemple, les incursions dans le « Nouveau Roman » semblent bien rares : vous aviez dit « culture contemporaine » ? 20. Pour reprendre les catégories qui structurent une grande partie de l’étude d’A.-M. Chartier & J. Hébrard, Discours sur la lecture, 1880-1980, Paris, BPI, Centre Georges Pompidou, 1989. 21. Voir notamment S. Bogaerts, B. Dispa & G. Legros, « Profils de profs », op. cit., p.32. 22. Voir, entre autres, la formule de M. Charles : « […] pour Lanson, l’enseignement littéraire a une fonction aussi essentielle que provisoire. […] Fonction transitoire, pour être précis : en un mot, les lettres assurent un relais entre la religion et les sciences » (L’Arbre et la Source, Paris, Seuil, 1985, p. 268).

  40. Quelle place pour la didactique de la littérature ? ■43 aujourd’hui23. De ce point de vue, en effet, le double portrait évoqué il y a un instant, de disparate devient singulièrement cohérent : au-delà du décalage chronologique apparent, n’est-ce pas une contestation identique de la trans- parence du langage, une interrogation semblable de la littérature sur elle- même, bref, le même abandon d’un certain « réalisme » qui font négliger lar- gement le roman post-camusien autant que la poésie post-baudelairienne ? Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Pareille exploitation directement « idéologique » des œuvres souffre, elle aussi, de deux défauts majeurs. Le premier, on vient de l’apercevoir, est qu’elle rend aveugle sur des pans entiers, voire sur des périodes entières de la production24. Le second, plus radical bien que généralement inaperçu, est qu’au fond, pas plus que l’approche « technique » envisagée d’abord, elle n’exige vraiment le recours au littéraire comme tel : des discours sur l’homme qui permettent de soulever de grandes questions existentielles, on en trouve à suffisance dans les ouvrages de philosophie ou de psychologie, dans les essais moraux, dans les récits de vie et les témoignages de toute sorte, et jusque dans les éditoriaux des quotidiens. Et l’on sait quelle place tiennent désormais, dans certaines lectures scolaires, des genres ou des œuvres naguère réputés mineurs ou non littéraires, voire de simples articles de presse25. Dès lors, qu’est-ce qui justifie, dans de telles pratiques, l’utilisation d’œuvres littéraires (qui ne sont pas encore nécessairement « la littérature »), fût-ce au prix d’un certain malentendu constant ? La force d’une tradition et un pres- tige ininterrogé ? Le goût des professeurs, partagé par beaucoup d’élèves, notamment pour l’expression sentimentale et la fiction ?… Mais l’exemple de pays proches suffirait à montrer la fragilité de traditions non fonctionnelles26 ; et quant aux goûts personnels, s’ils peuvent constituer un puissant moteur 23. Comme l’indique un autre sondage, quelque dix ans plus tard : K. Canvat, G. Legros, M. Monballin & I. Streel, « L’enseignement de la littérature au secondaire supérieur belge. Une enquête auprès des professeurs », dans G. Legros, M.-C. Pollet & J.-M. Rosier (éds), D.F.L.M : quels savoirs pour quelles valeurs ? Paris, Association internationale pour le développement de la recherche en didactique du français langue maternelle, 1999, pp. 215-218. 24. C’est ainsi que certains sont incapables de voir autre chose qu’une décadence dans les œuvres proprement contempo- raines. « Ce que je refuse d’accepter, c’est que la littérature cesse d’être un discours sur l’homme », s’indignait, voici trente ans, A. Léonard (La Crise du concept de littérature en France au XXe siècle, Paris, Corti, 1974, p. 15). J.-M. Domenach disait-il autre chose, vingt ans plus tard (Le Crépuscule de la culture française, Paris, Plon, 1995) ? Et J.-P. Sartre, à sa manière, n’avait-il pas déjà donné l’exemple par des formules péremptoires comme : « on a écrit pendant soixante-dix ans pour consommer le monde ; on écrit après 1918 pour consommer la littérature ; on dilapide les tradi- tions littéraires, on gaspille les mots, on les jette les uns contre les autres pour les faire éclater ; ou L’extrême pointe de cette littérature brillante et mortelle, c’est le néant. Sa pointe extrême et son essence profonde ; ou encore La littérature moderne, en beaucoup de cas, est un cancer des mots »(Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, 1948, coll. « Idées », pp. 162, 165 et 341) ? 25. Les témoins de l’enquête de S. Bogaerts, B. Dispa & G. Legros, notamment, déclarent analyser plus volontiers un article de presse que les œuvres proposées de Molière, Butor ou Kundera (« Profils de profs », Op. cit., p. 31). 26. Au Danemark, l’école considérerait l’enseignement de la littérature davantage comme un moyen mis au service de la capacité à communiquer que comme une fin culturelle ; aux Pays-Bas, elle l’aurait pratiquement abandonné (A. Benoît, « Dans l’Europe des Douze », dans les Cahiers pédagogiques, n° 313, avr. 1993, pp. 16-17).

  41. 44■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES pour l’apprentissage, ils n’en demeurent pas moins un fondement bien aléa- toire pour une didactique27. « Tout projet social d’enseignement et d’apprentissage se constitue dialec- tiquement avec l’identification et la désignation de contenus de savoirs comme contenus à enseigner », note Yves Chevallard, qui ajoute : « Les con- tenus de savoirs désignés comme étant à enseigner […], en général préexis- tent au mouvement qui les marque comme tels »28. Comment la didactique de la littérature ne serait-elle pas en retard, dans l’incertitude et la confusion où elle se trouve, depuis le rejet de l’histoire littéraire traditionnelle, sur son objet et ses contenus de savoirs ? Et comment pourrait-elle espérer progres- ser si l’on continue à dissoudre ceux-ci dans l’infinité inorganisée des occa- sions, des problèmes humains, des goûts et des intérêts personnels, voire dans la virtualité du « laboratoire langagier » ? Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur E ■ Rendre sens au singulier défini On peut, certes, utiliser les œuvres littéraires comme « prétextes » : pour découvrir la richesse des possibilités de la langue, par exemple, ou pour débattre de quelques grandes questions psychologiques et morales, en sai- sissant, le cas échéant, cette occasion pour faire éprouver la relativité per- sonnelle et culturelle de la réception et des interprétations29. Mais, si l’on veut élaborer une véritable didactique de « la littérature », c’est d’abord à ce sin- gulier défini qu’il faut rendre sens. Yves Reuter a bien montré, à plusieurs reprises, que le relativisme nécessaire en la matière pour éviter le piège d’une définition essentielle de la littérature, n’empêche pas toute élaboration de savoirs objectifs30. Si la littérature est « une construction historique », ses variations, du moins, sont significatives. Éducative, engagée et militante, « scientifique » ou onirique, exploration de la réalité matérielle et sociale, de la spiritualité indicible ou de ses propres pos- sibilités et limites, elle n’a, selon les époques et les milieux, ni même statut, ni même visée, ni même fonctionnement. Les changements de ses modes de réception comme de ses modes d’écriture portent ainsi témoignage de l’aventure de l’homme aux prises avec le monde et avec le langage par lequel il essaie de le (et de se) représenter, de lui (et de se) donner sens. C’est l’intel- 27. De ce point de vue, le succès considérable de l’ouvrage de D. Pennac, Comme un roman (Paris, Gallimard, 1992) est lourd d’ambiguïtés : tout entier tourné vers une « réconciliation avec la lecture » (p. 51), il indique – et avec quelle cha- leur communicative ! – comment séduire, entraîner, par mimétisme et non par contrainte, mais il ne résout aucun des pro- blèmes de contenus d’enseignement. 28. Y. Chevallard, La Transposition didactique, Du savoir savant au savoir enseigné, Grenoble, La Pensée Sauvage, 2e éd., 1991, p. 39. 29. Peut-être même faut-il commencer par là : je ne dispute pas ici de ce qui est faisable à tel ou tel degré scolaire, dans tel- les ou telles conditions. 30. Voir notamment Y. Reuter, « Enseigner la littérature ? », dans Recherches, n° 16, Lille, AFEF, 1992-1, pp. 55-70.

  42. Quelle place pour la didactique de la littérature ? ■45 ligence de cette aventure, dont nous sommes le produit et qui conditionne profondément notre perception actuelle du monde et de nous-mêmes, notre capacité de nous déchiffrer en même temps que de nous inventer31, qui me paraît être l’enjeu profond d’un enseignement de la littérature. C’est dire que celui-ci ne peut se concevoir dans le simple émiettement des textes innombrables : pour faire sens, il lui faut tracer des voies convergentes ou contrastées, marquer des étapes successives, des conflits et des découvertes… Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Dans une telle perspective, Christian Vandendorpe n’hésite pas à proposer, à contre-courant de la doxa du moment, la lecture obligée d’une sélection d’œuvres « classiques », redéfinies comme celles qui ont « ouvert un nou- veau champ d’exploration à la littérature, et parfois même radicalement mod- ifié l’horizon d’attente à l’égard de l’œuvre littéraire », celles « dont la lecture constitue le plus court chemin pour amener l’élève à se donner un prototype d’un genre donné, parce que des centaines d’autres œuvres n’ont fait qu’exploiter le champ ouvert par elle[s] ou en préparer la venue32 ». À un tel palmarès d’œuvres individuelles, on peut, pour éviter l’effet toujours discut- able de panthéon, préférer l’abord par de grandes catégories de l’écriture comme, par exemple, la représentation du personnage ou le jeu de la voix narrative, dans le roman, la syntaxe et l’isotopie sémantique, en poésie33 ; tel semble être le choix, entre autres, de Jean-Marie Schaeffer et de Michael Werner, qui plaident, en citant Gérard Genette, pour une étude à la fois struc- turale et historique et qui devrait être transtextuelle34. Mais ce n’est pas ici le lieu de discuter des moyens dans leur détail concret. Pour conclure par où j’ai commencé, et dans le même esprit, je dirai que, si elle veut sortir de son état de matrice disciplinaire insuffisante, la didactique de la littérature doit commencer par identifier et structurer ses savoirs constitutifs ; qu’elle doit donner à ceux-ci une dimension historique,« car la littérature est construite dans une histoire et ne saurait donc s’enseigner en la refoulant35 »; enfin, qu’elle doit les ordonner au corpus réel d’œuvres et de pratiques et non aux virtualités de la langue, sous peine de se retrouver, à terme, privée de justification profonde36. Ce faisant, elle devra affronter des 31. Autant de « grandes questions humaines » qui, ma foi, en valent bien d’autres. 32. C. Vandendorpe, « L’enseignement de la littérature aujourd’hui », DFLM, La Lettre de l’association, n° 10, 1992, p. 4. 33. Ou, bien entendu, celui par les « grands courants littéraires et artistiques », qu’a choisi la Communauté française de Bel- gique dans son décret de 1999 (voir ci-dessus, note 13). Notons au passage que ce décret ajoutait ensuite, à titre de « balise » indicative, un certain nombre de « grandes références littéraires et artistiques » ; comme on pouvait s’y atten- dre, c’est cette liste d’auteurs et d’œuvres qui a soulevé le plus de critiques. 34. « Pourquoi l’histoire littéraire n’a-t-elle jamais réussi en France à se constituer en discipline scientifique autonome ? », dans Le Monde du 18 mars 1993 (propos recueillis par M. Contat). Voir aussi Y. Reuter, « Enseigner la littérature ? », Op. cit., p. 68. 35. Y. Reuter, « Enseigner la littérature ? », op. cit., p. 68. 36. On aura compris qu’à mes yeux, le décret de 1999 répond assez largement à cette perspective. Reste à voir si sa mise en œuvre (notamment par les programmes et par la formation continuée) saura convaincre les enseignants qu’il peut aussi répondre à leurs objectifs humanistes ; faute de quoi, il risque fort de rencontrer la même résistance que la vague formaliste issue du structuralisme.

  43. 46■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES problèmes (liés à l’interprétation et à l’évaluation de ses objets, à leur inscrip- tion dans l’histoire, à leur mise en rapport avec d’autres champs : politique, philosophique, artistique…) différents de ceux de l’enseignement-apprentis- sage d’une langue. Sans vouloir nier, bien entendu, l’intérêt, la nécessité d’échanges nombreux, le texte littéraire demeurant légitimement un support d’apprentissages variés en français, il me semble donc que la didactique de la littérature a tout à gagner à s’affranchir du cadre et des modèles de la seule DFLM pour repenser à nouveaux frais ce qui fait la spécificité de son objet et de ses finalités. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur

  44. 3 De l’utilité de la « transposition didactique » Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Bernard SCHNEUWLY A ■ L’étonnant investissement affectif d’un concept Quand A. Chervel écrit que le terrain de la réflexion pédagogique « est large- ment occupé […] par cette transposition didactique qui est devenue dans bien des endroits la ligne de pensée quasi officielle » (1992, p. 195), ou quand P. Perrenoud affirme que « les didacticiens, pour avoir droit à l’existence et imposer leur point de vue à des psychologues, psychosociologues ou péda- gogues […] ont été obligés d’introduire dans leur discours une forte clôture, [… qu’il y a] guerre de territoires […] affrontement sur la construction des objets et des frontières » (1992, p. 349), le lecteur sent un léger frisson le par- courir. Rares sont les concepts qui peuvent se targuer d’un tel investissement affectif ; rares aussi ceux qui connaissent une telle « success story » (Y. Lenoir, 1994). L’histoire nous permettra sans doute un jour de comprendre les raisons de cet engouement. Je vais beaucoup plus modestement essayer de réfléchir sur ce concept et son utilisation dans les didactiques disciplinaires, et plus particulièrement en didactique du français langue maternelle (DFLM). Le rapport entre cette didactique et les autres – l’un des aspects de la réflexion sur l’état de la discipline – est donc abordé pour ainsi dire en acte à travers le travail sur un concept. Le fait que certains problèmes ne peuvent être pensés qu’à travers le concept de transposition m’amène à conclure qu’il est indispensable, aussi et surtout en DFLM.

  45. 48■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES B ■ Petit (mal-)traité du concept Inutile de parcourir encore une fois la si courte histoire du concept de trans- positiondidactique, introduit d’abord par M. Verret dans sa thèse de 1974 pour comprendre le temps des leçons dans une enquête sociologique sur le temps des études ; repris, développé et précisé dans le sens du passage des savoirs savants aux savoirs enseignés par Y. Chevallard dès 1980, illustré par un travail empirique sur la notion de distance par S. Johsua et Y. Chevallard en 1982 ; rendu accessible enfin à un plus grand public en 1985 dans un livre qui, depuis, a fait date dans les annales des didactiques. Dans ce qui suit, je ferai ressortir quelques aspects du concept qui me paraissent particuliè- rement importants pour le débat en DFLM et entre didactiques (pour d’autres présentations plus détaillées voir entre autres J.-P. Astolfi et M. Develay, 1989 ; G. Arsac, 1992 ; et surtout l’excellente présentation de S. Johsua et J.-J. Dupin, 1993). Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Partons de la définition suivante : « Le passage du savoir vu comme un outil à mettre en usage au savoir vu comme quelque chose à enseigner et à apprendre est précisément ce que j’ai nommé transposition didactique. » (Y. Chevallard, p. 6 ; voir aussi F. Conne, 1992a, pour une définition analogue). Pourquoi cette insistance sur les savoirs ? Une thèse fondamentale liée au concept de transposition est que ne sont enseignables que des savoirs (ce qui ne veut pas dire que les élèves n’apprennent que des savoirs : c’est une autre question sur laquelle nous reviendrons). Pour enseigner, il faut savoir ce qu’on enseigne ; il faut prendre « savoir » ici dans ses deux sens de savoir à l’avance (il y a un projet d’enseignement, une intention) et savoir dans le sens de connaître consciemment, avoir une conscience réfléchie de ce qui est à enseigner. Sans le savoir, il n’y a pas enseignement, mais initiation ou imita- tion au niveau purement pratique. Le savoir, ingrédient essentiel de l’enseignement, existe d’abord comme savoir utile dans les situations avant d’être transposé dans la situation d’enseignement et devenir savoir enseigné, c’est-à-dire un autre savoir. Autrement dit : les savoirs n’existent pas en premier lieu pour être enseignés, mais pour être utilisés dans des situations diverses. En situation, évidem- ment, on sait en général ce qu’il faut savoir, sinon on ne saurait agir ; un savoir se justifie par sa pertinence pour l’action dans une situation. Tout autre est la situation dans l’enseignement. Le savoir est savoir à enseigner, savoir à savoir, savoir enseigné au lieu d’être savoir à utiliser. La question de la perti- nence par rapport à la situation ne peut donc pas se poser ; mais se pose celle, essentielle, de la légitimité : quel savoir enseigner et pourquoi parmi les nombreux possibles ? Il faut une reconnaissance sociale, une légitimité pour le savoir à enseigner. Cette légitimité lui est conférée, du moins pour l’essen- tiel et dans nos sociétés, par des savoirs dits savants, c’est-à-dire « le savoir utilisé à la fois pour produire un nouveau savoir et pour structurer le savoir

  46. De l’utilité de la « transposition didactique » ■49 nouvellement produit dans un ensemble théorique cohérent » (p. 9). C’est un savoir, pour le dire avec S. Johsua (1994), qui, à un moment historique donné, est déclaré savant par la société à travers l’attribution de caractéristi- ques visibles, notamment académiques, à l’institution qui les génère. « Et ces institutions ont alors vocation à porter “la culture” en ce domaine » (p. 4). Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur La transposition didactique du savoir a des effets importants, maintes fois décrits, d’abord en mathématiques, puis également en biologie, géographie, physique et plus récemment en langue maternelle (B. Veck, J.-M. Fournier, R. Lancrey-Javal et M. Robert,1989 ; J.-F. Halté, 1992). De manière générale, on peut mentionner deux effets nécessaires qui découlent du principe même de transposition : – le corps des savoirs qui fonctionne comme un tout en tant que savoir utile est fragmenté en éléments lors de la transposition, notamment pour des raisons de séquentialisation des contenus pour l’enseignement et de pro- gression pour le fonctionnement du système scolaire ; – les situations d’usage ne peuvent être transposées telles quelles, ne peu- vent être reproduites fidèlement en classe ; elles se transforment nécessairement, prennent une autre signification dans le contexte scolaire ; et cela affecte bien entendu les savoirs enseignés qui ont nécessairement une tout autre fonction que dans le cadre habituel ; il est donc nécessaire de construire, éventuellement en imitant les aspects ori- ginaux, un contexte nouveau pour les savoirs enseignés. Le processus de transposition est inconscient, non contrôlable, multidéter- miné. Si, subjectivement, chaque agent – et ils sont nombreux, agissant à des niveaux très divers, comprenant militants pédagogiques et inspecteurs, spécialistes intéressés et parents, autorités politiques et administratives et méthodologues – prend probablement des décisions rationnelles d’adéqua- tion des contenus par rapport aux finalités scolaires, objectivement le nom- bre même de niveaux de décisions et surtout l’intégration de chaque savoir dans un tout solidaire d’une discipline déjà constituée, et plus généralement des disciplines et du cadre scolaire, font que la signification que prendront les savoirs dans l’institution échappe largement aux acteurs. Loin de consti- tuer la simple vulgarisation d’un savoir de départ, loin aussi d’être le produit appauvri d’un savoir savant ou utile toujours inatteignable, le savoir enseigné doit être considéré comme une création hautement originale, collective, sou- vent séculaire de l’institution scolaire en fonction de sa mission première qui est celle d’enseigner, de transmettre des savoirs et des savoir-faire pour pré- parer des sujets adaptés à la société. Le juger à l’aune des savoirs savants ou utiles nous renseigne sans doute sur certains mécanismes à l’œuvre dans l’élaboration des savoirs, mais ne nous apprend rien sur la logique interne, didactique, de l’apprêt qui repose en grande partie aussi sur la solidarisation des contenus et exige donc d’adopter un autre point de vue, celui de l’écolo- gie des savoirs à enseigner.

  47. 50■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES Comme il se doit, le concept de transposition didactique a été rapidement soumis à une discussion approfondie à partir de plusieurs didactiques. Si l’intérêt, voire la nécessité du concept ont été reconnus par de nombreux auteurs, d’autres, notamment dans le champ de la DFLM, sont arrivés à la conclusion qu’il s’agit d’un concept peu opérant, voire dangereux, nuisant à la bonne compréhension des processus en jeu, tandis que d’autres encore proposent une transformation, allant très souvent vers un élargissement du concept pour le rendre plus conforme aux besoins d’une didactique1. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur C ■ Les savoir-faire ou les pratiques sociales de référence : toujours des savoirs La critique sans doute la plus répandue du concept de transposition didacti- que tel qu’il a été introduit et discuté par Y. Chevallard s’attaque à ce qui est annoncé dans le sous-titre de l’ouvrage de référence : Du savoir savant au savoir enseigné. Comment peut-on parler de savoirs savants comme réfé- rence, dit-on couramment, pour des disciplines comme le français qui visent essentiellement des savoir-faire ou comme certains enseignements de physi- que liés à la formation professionnelle qui visent surtout la création de certai- nes habiletés techniques complexes ? Comment peut-on a fortiori en parler dans des disciplines comme l’enseignement de la musique (ou du chant), ou encore du dessin ? Le concept de transposition ne perd-il pas toute perti- nence dans un tel contexte de recherche, la discipline s’établissant – telle du moins est la thèse de A. Chervel (1988) – presque indépendamment de toute référence, en toute autonomie, en fonction de finalités définies pour l’école mais dont cette dernière décide seule, librement, les voies d’accès ? L’argu- mentation peut également prendre une tournure un peu différente, tout en étant sur le fond la même, notamment dans le contexte de la DFLM. R. Bou- chard par exemple affirme qu’« il ne s’agit pas en effet de faire de l’élève un spécialiste des sciences du langage [est-ce le cas pour les mathématiques ? B.S.], mais de lui faire développer des savoir-faire langagiers largement indé- 1. Il est une attitude normative par rapport au concept de transposition didactique, notamment dans des approches qu’on peut grossièrement qualifier de « pédagogiques », qui fait qu’il est discuté non pas comme une construction théorique dont on évaluerait la cohérence, la pertinence, la force d’explication des phénomènes observés, mais comme un outil ou même une arme dans le combat pédagogique. On ne le traite pas, dès lors, en termes d’accord ou de désaccord sur fond d’arguments empiriques ou théoriques, mais en termes d’effets bénéfiques ou maléfiques, de mérites ou de limi- tes qu’aurait le concept. Y. Lenoir, par exemple (p. 24), affirme que la transposition didactique implique la « revendication » qu’« il appartiendrait aux spécialistes des disciplines et aux didacticiens ce que doit être un cursus de formation ». P. Perrenoud (1992) dresse une liste des apports « maléfiques » de la transposition didactique et aboutit tout naturellement à la conclusion que la « notion même de transposition est inadéquate » (p. 353). Parmi ces apports malé- fiques, il note qu’il y a un risque, notamment dans la formation des maîtres, « de ne retenir qu’une seule question : com- ment maîtriser la transposition didactique ? » Le concept est ainsi récusé à cause du mauvais usage qu’on pourrait en faire. Ailleurs, P. Perrenoud pense qu’« on peut soupçonner cette approche de conforter les hiérarchies en place, le savoir savant valant mieux que les autres » (p. 351), comme s’il n’y avait pas autour de cette question du statut des savoirs une argumentation complexe qu’on peut certes contester, mais qui n’a rien d’un jugement de valeur, qui dirait que certains savoirs en soi valent mieux que d’autres.

  48. De l’utilité de la « transposition didactique » ■51 pendants des savoirs métalangagiers que nous cherchons à construire dans nos disciplines scientifiques » (1992, p. 33) et D.-G. Brassart va encore plus loin en disant que « si apprendre les mathématiques ou les sciences naturel- les c’est s’approprier, peu ou prou, le savoir du mathématicien ou du biolo- giste, apprendre sa langue maternelle ne peut consister à s’approprier le savoir du linguiste ou du psychosociolinguiste, qui ne sont pas, en l’occur- rence des experts “ordinaires” » (1992, p. 19). Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Il est utile et nécessaire d’introduire quelques distinctions essentielles, la plus importante étant la suivante : tout enseignement vise en dernière instance toujours des savoir-faire, ou plus précisément vise à transformer la capacité d’agir dans des situations grâce à des savoirs utiles. L’enseignement mathématique ne vise pas à produire des mathématiciens, pas plus que l’enseignement du français des écrivains ou des grammairiens. Le savoir mathématique, tout comme le savoir rhétorique ou grammatical, permettent de résoudre plus efficacement des problèmes liés à des pratiques particuliè- res, mais présupposent en même temps et rendent possible des manières différentes d’aborder des problèmes, changent le mode de pensée. Tout enseignement vise précisément ces changements nécessaires et tente à construire chez l’élève certaines manières de penser, de parler ou d’écrire, de se comporter dans certains contextes, autrement dit des normes de compor- tement, des « formes idéales » (L. S. Vygotsky) et constitue profondément dans ce sens une initiation à la culture d’une société, ou comme le dit Y. Chevallard : « Nous sommes d’abord des êtres sociaux, et, pour cela, des “scolêtres” » (1991, p. 220). J’oserai donc la thèse que tout enseignement se réfère toujours à des pratiques sociales, pour utiliser la terminologie de J.-L. Martinand, à savoir « des activités objectives de transformation d’un donné naturel ou humain (“pratique”) [… qui] concernent l’ensemble d’un secteur social, et non des rôles individuels (“social”) » (1986, p. 137). Le hic – c’est l’essence même du concept de transposition didactique à mon sens, telle qu’elle apparaît déjà en partie dans la conception de M. Verret – est que ces savoir-faire, ou plutôt ces manières d’être, de penser et de faire, pour devenir objet d’enseignement, passent nécessairement par une étape qu’on pourrait appeler de modélisation. Ce n’est jamais la pratique en tant que telle de l’écriture, du dessin, du chant ou du calcul qui devient objet d’enseignement, mais le savoir de l’écriture, du dessin, du chant ou du cal- cul. Pour être enseigné, un objet doit être su, sinon nécessairement dans le sens de savoir chanter au moins dans le sens de savoir ce qu’est chanter ; sinon dans le sens de savoir écrire au moins dans le sens de savoir ce qu’est écrire. Le paradoxe suprême de l’enseignement est qu’il est parfaitement concevable qu’on puisse enseigner ce qu’on ne sait pas (faire), mais dont on sait ce que c’est (au moins scolairement). Ce qui ne présage en rien, bien entendu, de la qualité de l’enseignement, tant il est vrai que le meilleur ensei- gnant n’est pas nécessairement le meilleur savant, ni le meilleur écrivain ou chanteur.

  49. 52■DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES Illustrons le savoir comme condition de « l’enseignabilité » encore d’un autre point de vue. Certaines pratiques sont concevables avec peu (pas) de savoir ; mais il s’agit là de cas limites puisque toute pratique génère presque automa- tiquement un savoir y correspondant, même s’il n’est pas nécessairement public, ni publiable au sens d’être apte à être transmis indépendamment de cette pratique. Gieseeke (1991) montre que des formes langagières nouvelles doivent être créées pour rendre par exemple les techniques artisanales moyenâgeuses publiques et publiables – au sens strict des livres publiés –, formes développées grâce et à cause de l’imprimerie et qui rendent les tech- niques enseignables en dehors de la pratique même de la technique. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:46 - © De Boeck Supérieur Restons quelques instants encore sur ces savoirs liés à leur pratique d’ori- gine et essayons d’en recenser les formes à travers les distinctions introdui- tes par plusieurs auteurs qui s’y réfèrent pour penser les contenus d’enseignement. S. Trevisi (1994) propose de parler de « savoir théorique éla- boré dans des lieux institutionnels de la recherche scientifique et savoir de sens commun élaboré dans le cadre des pratiques sociales de référence » (p. 1). F. Conne (1992 a et b) propose une distinction simple entre savoirs pragmatiques comprenant notamment les savoirs réfléchis où l’on considère la manière d’obtenir les produits obtenus à travers le savoir-faire, et les savoirs savants dont la finalité est l’organisation et le développement du savoir lui-même. S. Johsua (1994) parle de savoirs savants caractérisés par leur légitimité sociale à dire ce qui est savoir reconnu, incontestable, du moins temporairement, et savoirs d’experts, c’est-à-dire savoirs de ceux qui savent faire et savent ce qu’est ce qu’ils font et qui tirent leur légitimité de ces savoirs qui leur sont reconnus en tant que personnes – savoirs par définition fragiles puisque liés à leur personne, toujours susceptibles d’être remis en question. Inutile de lancer ici une polémique sur la nature du savoir savant et son rapport aux institutions scientifiques. La définition lapidaire de Cheval- lard, pour qui les savoirs savants sont ceux qui servent à produire de nou- veaux savoirs, me paraît suffisamment opérationnelle et impliquer, dans notre société, une pratique de type scientifique, en général dans un cadre institu- tionnel précis. Les autres distinctions méritent plus de commentaires. Je défends la thèse que les savoirs communs – si l’on entend par là les savoirs du commun, de l’homme commun, nécessaires à sa pratique – ne sont pas transposables, scolarisables parce que faisant partie des savoirs empiriques dont M. Verret (1974) dit que « leur syncrétisme les voue précisément à l’acquisition globale et personnelle, par les voies intuitives de la familiarité mimétique, sans qu’on sache jamais précisément quand on apprend, ni ce qu’on apprend exactement. Sait-on même quand on apprend à parler, à écouter, à s’habiller, à plaisanter ? » (p. 147) Je traiterai de la même manière le savoir pragmatique dont parle F. Conne. Le critère de scolarisabilité serait en quelque sorte la publicité du savoir, son caractère explicite, son caractère discutable, peut-être même son caractère écrit. Ne peut devenir savoir à enseigner et enseigné – objet d’une intention didactique (et je limiterais le sens de didactique à l’institution scolaire, elle-même liée à l’institution étati-

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