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1. P. Samvelian Les constructions impersonnelles
2. P. Samvelian Définition et propriétés On parle de construction impersonnelle lorsque dans une phrase le verbe est précédé du pronom il, avec les caractéristiques suivantes :
La forme pronominale il est invariable et ne peut pas commuter avec d’autres formes pronominales :
Il pleut / * elle pleut / *on pleut
Il faut un logement / * elle faut un logement
Elle ne commute pas avec un syntagme nominal référentiel, c’est pour cela qu’on l’appelle « le il impersonnel » :
* La pluie pleut
* Jean faut un logement
3. P. Samvelian Définition et propriétés c. La forme pronominale il régit l’accord du verbe en personne et en nombre :
1. a. Il est arrivé trois inconnus
b. * Ils sont arrivés trois inconnus
1. a. Il se produit des choses étranges dans ce village
b. * Ils se produisent des choses étranges dans ce village
? La forme pronominale il a donc les propriétés formelles du sujet.
4. P. Samvelian Définition et propriétés Le il dit « impersonnel », n’est donc pas un pronom anaphorique et ne peut pas être mis en relation avec un antécédent.
Il est par conséquent dépourvu du contenu sémantique et de référent.
N’ayant pas de contenu sémantique, le il impersonnel n’a aucune des propriétés interprétatives d’un sujet ordinaire. Il ne reçoit aucun rôle sémantique du verbe : il n’est ni agent, ni patient, ni cause, … du procès dénoté par le verbe.
5. P. Samvelian Définition et propriétés Cette absence de contenu sémantique explique certaines propriétés du il impersonnel :
Il ne peut faire l’objet d’une interrogation partielle :
Il se passe de drôles de choses.
? * Qui se passe de drôles de choses ?
Il ne peut pas être focalisé au moyen de la construction ce … qui. Comparez :
a. Marie est arrivée
b. C’est Marie qui est arrivée
a. Il est arrivé trois inconnus
b. * C’est lui qui est arrivé trois inconnus
6. P. Samvelian Constructions impersonnellesDifférentes classes On peut établir deux grandes classes de constructions impersonnelles :
Les constructions impersonnelles dans lesquelles le verbe est essentiellement impersonnel.
Les constructions impersonnelles où le verbe admet la double construction personnelle et impersonnelle.
7. P. Samvelian I. Verbes et locutions verbales impersonnels Certains verbes ne s’emploient qu’à la forme impersonnelle et ne peuvent pas avoir de sujet référentiel. D’où l’appellation « verbes impersonnels » :
a. Les verbes décrivant les phénomènes météorologiques : pleuvoir, neiger, geler, venter, …
Certains de ces verbes météorologiques peuvent être suivis d’un SN spécifiant la manifestation matérielle du procès :
Il pleuvait des hallebardes
8. P. Samvelian I. Verbes et locutions verbales impersonnels N.B. Certains de ces verbes peuvent avoir d’autres emplois (sens figuré ou métaphorique) compatibles avec la forme personnelle :
Les coups pleuvaient sur sa tête
Les canons tonnent
9. P. Samvelian I. Verbes et locutions verbales impersonnels b. Outre les verbes météorologiques, quelques verbes simples et certaines locutions verbales ne s’emploient qu’à la forme pronominale :
Il faut une heure pour se rendre à cet endroit
Il s’agit d’une question très importante
Il s’en est fallu de peu pour qu’il n’échoue
Il y avait une pile de livres sur la table
Il fait un temps magnifique
Il y va de votre santé.
…
10. P. Samvelian II. Verbes ayant la double construction personnelle et impersonnelle Certains verbes admettent la double construction personnelle et impersonnelle :
a. Il est arrivé trois inconnus en votre absence
b. Trois inconnus sont arrivés en votre absence
a. Personne n’est venu
b. Il n’est venu personne
a. Aucune plante ne pousse dans ce désert
b. Il ne pousse aucune plante dans ce désert
11. P. Samvelian II. Verbes ayant la double construction personnelle et impersonnelle Dans la construction impersonnelle, le verbe est suivi d’un SN, appelé généralement la séquence de l’impersonnelle.
Or, cette séquence correspond au sujet de la construction personnelle.
D’où l’opposition fréquemment établie dans les grammaires entre le sujet grammatical ou apparent (le il impersonnel) et le sujet réel ou logique (la séquence postverbale).
12. P. Samvelian Sujet « apparent » vs. Sujet « réel »Paradoxe réel ou apparent ? Cette distinction est censée expliquer un paradoxe :
Le il impersonnel présente les propriétés de position et de rection caractéristiques de la fonction sujet, mais est dépourvu de la contrepartie référentielle associée aux sujets canoniques.
Inversement, la séquence postverbale est interprétée comme un sujet, mais partage certaines propriétés du complément d’objet, notamment au regard de la cliticisation.
13. P. Samvelian Les propriétés syntaxiques de la séquence postverbale La séquence postverbale manifeste les propriétés syntaxiques d’un complément d’objet.
Pronominalisation (remplacement par un pronom clitique)
a. Jean a bu du lait
b. Jean en a bu
a. Il reste du lait
b. Il en reste
N.B. La cliticisation par le (la, les) pose généralement problème.
14. P. Samvelian Les propriétés syntaxiques de la séquence postverbale b. La possibilité du de partitif négatif :
Le déterminant partitif (de, de la , des) d’un COD se réalise de après une négation :
3. a.Marie veut du lait
b. Marie ne veut pas de lait
On remarque le même phénomène avec la séquence postverbale de la construction impersonnelle :
4. a. Il reste du lait
b. Il ne reste pas de lait
15. P. Samvelian La séquence postverbaleContraintes sur la détermination Comme plusieurs grammaires l’ont remarqué, la séquence postverbale est généralement contrainte quant à sa détermination : le déterminant défini est exclu.
a. Les enfant sont arrivés
b. * Il est arrivé les enfants
a. Des enfants sont arrivés
b. Il est arrivé des enfants
16. P. Samvelian Contraintes sur la déterminationStructure informationnelle de la phrase Organisation informationnelle de la phrase : Thème vs. Propos (Rhème).
Thème : ce dont on parle.
Propos (Rhème) : ce que l’on dit du Thème.
Dans une phrase assertive à intonation neutre, le sujet est généralement le Thème et le syntagme verbal, le Propos (Rhème).
Marie a arrosé les plantes
(Thème) (Propos ou rhème)
17. P. Samvelian Contraintes sur la déterminationStructure informationnelle de la phrase Le Thème correspond à une information connue, alors que le Propos fournit une information nouvelle.
D’où la difficulté pour les SN indéfinis à apparaître en position sujet, qui a priori doit être attribuée au Thème :
1. a. Le vin est sur la table
b.?? Du vin est sur la table
c. Il y a du vin sur la table
18. P. Samvelian Contraintes sur la déterminationStructure informationnelle de la phrase Le SN définis sont généralement anaphoriques (i.e. reprennent un référent déjà introduit dans l’univers du discours).
Ils correspondent donc généralement au Thème et apparaissent dans une position qui peut accueillir le Thème.
La position sujet, et plus généralement la position initiale dans la phrase est généralement réservée au Thème.
19. P. Samvelian Contraintes sur la déterminationStructure informationnelle de la phrase Position initiale = Position du Thème
Les SN définis apparaissent sans difficulté dans cette position.
Pour thématiser le COD, dont la position canonique est une position posteverbale en français, il existe plusieurs possibilités :
Marie, plusieurs personnes l’ont vue hier après-midi.
Marie a été vue par plusieurs personnes hier après-midi.
20. P. Samvelian Contraintes sur la déterminationStructure informationnelle de la phrase Dans des langues où l’ordre est plus libre, l’ordre relatif des constituants dans la phrase en détermine généralement la structure informationnelle :
Russe :
procital knigu
« J’ai lu le livre / J’ai lu un livre »
kingu procital
« Le livre, je l’ai lu »
21. P. Samvelian Contraintes sur la déterminationStructure informationnelle de la phrase Les SN indéfinis introduisent de nouveaux référents dans l’univers du discours (donc : nouvelle information).
Ils font par conséquent partie du Propos (Rhème).
Ils sont donc plus difficilement compatibles avec la position initiale dans la phrase, qui est réservée au Thème :
?? Des enfants ont mangé leur repas
?? Du vin reste sur la table
?? Des filles jouent dans la cour
22. P. Samvelian Contraintes sur la déterminationStructure informationnelle de la phrase On trouve bien entendu des indéfinis en position sujet :
Un homme est entré dans la pièce.
Une vitre s’est brisée.
Mais dans ces cas-là, il s’agit de phrases dites « thétiques », où il n’y a pas de Thème. Toute la phrase s’interprète comme un Rhème.
-Que s’est-il passé ?
Un homme est entré dans la pièce.
Une vitre s’est brisée.
23. P. Samvelian Contraintes sur la déterminationStructure informationnelle de la phrase Grévisse : « Le choix de la tournure impersonnelle permet de transformer le sujet (le thème) en propos ».
Beaucoup de grammairiens considèrent que le verbe se trouve mis en relief.
Il serait plus exact de dire que toute la phrase se trouve rhématisée : on obtient une phrase thétique :
- Que s’est-il passé ?
- Il m’est arrivé un malheur.
24. P. Samvelian Contraintes sur la déterminationStructure informationnelle de la phrase Certains linguistes ont recours à cette propriété des constructions impersonnelles pour expliquer l’incompatibilité du déterminant défini avec la séance post-verbale.
Le SN défini, agent du procès, serait un Thème et ne devrait pas apparaître dans une position post-verbale à l’intérieur du SV, réservée au Rhème.
Cette explication est mise en avant dans de nombreux ouvrages de grammaires ou de linguistique. Elle pose toutefois quelques problèmes. Il existe d’autres possibilités d’explication.
25. P. Samvelian Les propriétés des verbes apparaissant dans une construction impersonnelle Comme plusieurs grammaires l’ont souligné, seuls certains verbes ou certains types de verbes peuvent donner lieu à une construction impersonnelle :
A la voix active, seuls certains verbes intransitifs.
Les verbes passifs.
Les verbes pronominaux moyens
(Certains verbes pronominaux neutres et essentiellement pronominaux, qui sont en réalité des verbes intransitifs, cf. classe (a))
26. P. Samvelian Construction impersonnelleVerbes intransitifs A la voix active, seuls certains verbes intransitifs peuvent se mettre à l’impersonnel.
a. Un vent chaud soufflait dans le désert
b. Il soufflait un vent chaud dans le désert
a. Des centaines d’enfants naissent dans cette maternité
b. Il naît des centaines d’enfants dans cette maternité
a. Des clients sont venus juste avant la fermeture
b. Il est venu des clients juste avant la fermeture
27. P. Samvelian Construction impersonnelle Verbes intransitifs Cette propriété n’est pas partagée par tous les verbes intransitifs :
a. Des inconnus marchaient dans le jardin
b. * Il marchait des inconnus dans le jardin
a. Des personnalités déjeunent dans ce restaurant
b. * Il déjeune des personnalités dans ce restaurant
28. P. Samvelian Construction impersonnelle Verbes intransitifs Il y a généralement une corrélation entre le fait qu’un verbe se conjugue avec l’auxiliaire être et la possibilité de la construction impersonnelle.
Mais ce n’est pas une conditions nécessaire :
a. Des difficultés de dernière minute ont surgi
b. Il a surgi des difficultés de dernière minute
a. Un silence de mort a régné pendant plusieurs minutes
b. Il a régné un silence de mort pendant plusieurs minutes
29. P. Samvelian Construction impersonnelle Verbes transitifs A la voix active, les verbes transitifs sont exclus dans la construction impersonnelle :
a. Des filles mangent des pommes
b. * Il mange des filles des pommes
c. * Il mange des pommes des filles
2. a. Une étudiante a rendu sa copie
b. * Il a rendu sa copie une étudiante
c. * Il a rendu une étudiante sa copie
30. P. Samvelian Construction impersonnelle Verbes passifs Tous les verbes passifs peuvent avoir un emploi impersonnel :
a. Des millions de disques ont été vendus
b. Il a été vendu des millions de disques
2. a. Plus de mille romans ont été publiés cette année
b. Il a été publié plus de mille romans cette année
a. Plusieurs cris ont été entendus dans la nuit
b. Il a été entendu plusieurs cris dans la nuit
31. P. Samvelian Construction impersonnelle Verbes passifs On observe même des verbes a priori non passivables qui apparaissent à la forme passive dans une construction impersonnelle :
a. Le directeur n’a pas accédé à votre demande
b. Il n’a pas été accédé à votre demande par le directeur
a. Les députés ont débattu de cette question
b. Il a été débattu de cette question
a. Les responsables ont remédié à la situation
b. Il a été remédié à la situation
32. P. Samvelian Construction impersonnelle Verbes passifs Ces verbes ne sont pas transitifs directs : le complément est introduit par une préposition. La passivation devrait donc a priori être exclue :
1’. * A votre demande a été accédé par le directeur
2’. * De cette question a été débattu par les députés
3’. * A cette situation a été remédiée par les responsables
Le paradoxe des phrases (1) – (3) (page précédente) doit donc être expliqué. Nous verrons une explication possible en abordant la représentation syntaxique des constructions impersonnelles.
33. P. Samvelian Construction impersonnelle Verbes pronominaux Tous les verbes pronominaux moyens peuvent apparaître dans une construction impersonnelle :
a. Beaucoup de fleurs se vendent le dimanche
b. Il se vend beaucoup de fleurs le dimanche
a. des milliers de litres de vin se consomment tous les ans dans ce pays
b. Il se consomme des milliers de litres de vin tous les ans dans de pays
a. Beaucoup de bêtises se disent dans ces réunions
b. Il se dit beaucoup de bêtises dans ces réunions
34. P. Samvelian Construction impersonnelle Verbes pronominaux Certains pronominaux neutres et et certains verbes essentiellement pronominaux peuvent aussi se mettre à la forme impersonnelle, mais ce n’est pas régulier.
Ces verbes étant des intransitifs, On se retrouve dans le même cas qu’avec les verbes intransitifs.
35. P. Samvelian Construction impersonnelle Traitement syntaxique La représentation syntaxique adoptée pour le passif et les pronominaux moyens (cf. Cours 3 et 4) explique pourquoi ces verbes admettent systématiquement la construction impersonnelle.
La position sujet étant vide en D-Structure, on peut soit y déplacer le COD, soit la remplir par un élément postiche, c’est-à-dire le il impersonnel.
Cela nous montre l’intérêt d’une représentation syntaxique plus abstraite qui dépasse le stade d’une simple description et qui cherche à expliquer certains phénomènes a priori mystérieux ou sans lien apparent.
36. P. Samvelian Construction impersonnelle Traitement syntaxique Reste à expliquer la possibilité pour certains verbes intransitifs (i.e. venir, arriver, tomber, …) d’apparaître aussi dans cette construction.
Pour être cohérent, il faudrait considérer que le sujet de ces verbes-là est en réalité un COD en D-Structure.
Soit le COD se déplace vers la position sujet, à cause d’une contrainte générale en français qui veut que tout verbe fini (i.e. fléchi) ait un sujet réalisé.
37. P. Samvelian Construction impersonnelle Traitement syntaxique Soit le COD reste dans sa position initiale, et dans ce cas, la position sujet est remplie par un élément postiche (le il impersonnel).
Il existe des arguments en faveur d’une telle analyse. Toutefois, pour en expliquer tous les détails, il faut recourir à certains concepts que nous n’avons pas encore abordés en cours.
J’évoque donc la possibilité d’une telle analyse sans en démontrer, à ce stade du cours, la pertinence.