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Technologie de la nécessité et violence de l'interprétation : éléments pour une éthique de la télésurveillance médicale à domicile - DEA d’Éthique Médicale, 14 janvier 2003 -. Vincent Rialle , Ph.D. MCU-PH. Laboratoire TIMC-IMAG CNRS UMR 5525
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Technologie de la nécessité et violence de l'interprétation :éléments pour une éthique de la télésurveillancemédicale à domicile- DEA d’Éthique Médicale, 14 janvier 2003 - Vincent Rialle, Ph.D. MCU-PH • Laboratoire TIMC-IMAG CNRS UMR 5525 • Service d'Information et d'Informatique Médicale - CHU de Grenoble • Laboratoire d’Ethique Médicale, de Droit de la Santé et de Santé Publique (LEM) • Vincent.Rialle@imag.fr
Table des matières • Equiper l’habitat par des technologies à des fins médicales • Une violence interprétative • Technologie : entre le pire et le meilleur • Une problématique éthique multidimentionnelle • Comment penser la place de la “machine” • Le paradigme cybernétique, sa richesse, ses dangers • Selon Norbert Wiener la “machine à gouverner” • Selon Edgar Morin • Penser Internet • Un produit du “dialogue de l’ordre et du désordre” (I. Stengers) • Cultures d’Internet (M. Castells) • L’Hominescence - Michel Serres Je tiens en préambule à remercier mon collègue de travail Norbert Noury avec qui je travaille sur le premier point de cette liste.
Equiper l’habitat par des technologiesà des fins médicales • Des personnes… et des problèmes (!) • Malades, personnes âgées, médecins, infirmières, travailleurs sociaux, famille, aidants, surveillants à distance, techniciens, … • Des besoins chez les malades… et leurs aidants • bien être malgré la souffrance, d’égard, de confort, convivialité… • sécurité physique et médicale • facilitation des tâches, communication • gestion • Des ressources technologiques … à profusion (?) • Capteurs, robotique d'aide, actionneurs, ordinateurs, Internet, téléphone portables, PDA, … • + quelques personnes qui pensent qu’il est possible de tirer le meilleurs de la technologie, et d’éviter le pire
Concept d’Habitat Intelligent pour la Santé (HIS) • Détection de situations critiques (chutes, malaises, appels vocaux,...), télémonitorage, modélisation de l'état du patient • au moyen de capteurs installés au domicile • et d'algorithmes • Transmission des informations et alarmes • via diverses voies : réseau commuté, Internet, GSM… • sécurisée • Vers des personnes en charge des soins et de la sécurité • service médico-social, unité hospitalière, médecin généraliste, … • Interprétation automatique des données des capteurs • optionnelle, si nécessaire (complexité), si souhaitée, ... • paramétrée, sécurisée
Des soignants, aidants, responsables,« autour » de la personne au domicile Médecin Travailleur/re social Famille amis Administrateur du Système Technicien Agent de Télévigilance Service d'urgence Domicile La personne Infirmières ParamédicauxPharmacien Réseau Centre de télé-vigilance
Médicaliser l’habitat : Comment ?Technologie et (surtout) organisation • Une réponse à la fois technologique et organisationnelle : • En équipant les habitats • En créant des réseaux, des centres de télé-vigilance médicale… • La technologie doit être : • Aidante (adaptée, conviviale, discrète, ergonomique,…) • Robuste (pas de pannes), surveillée (administrateur/techniciens) • Sensible (détection de toute anomalie) • Spécifique (pas de fausses alarmes) • L’organisation doit être : • Médicale (ARH, CAM, URCAM, ANAES,…) • Sociale (CCAS, ADPA, ADMR,…) • Économique (FAQSV, maîtrise médicalisée des coûts) • Retenir : différence entre • Suivi à domicile, maintien à domicile • Hospitalisation à domicile
Un contexte général :réseaux de télévigilance médicale • Un réseau ville-ville, ville-hôpital, • qui reste à imaginer, struccturer, financer, • avec tous les acteurs : généralistes, spécialistes, responsables/travailleurs sociaux, Assurance Maladie, … Médecins Travailleurs sociaux Centre de télé-vigilance Famille ou aidants volontaires Paramédicaux Service d’urgence Personne à son domicile Soignants et aidants Hôpital
Scénarios d'alarme Appel téléphonique automatique Centre de télé-vigilance médicale détection local Tentative de communication Situation critique ! Service d’urgence
Scénarios de télémonitoring H Réseau téléphonique public Modem, ADSL, … Bus domotique Capteurs
Un exemple d’HIS expérimental… dans la Faculté de Médecine de Grenoble prototype d'appartement de type T1 50 m2 environ comprenant les zones d'habitat classiques : Chambre Séjour cuisine, les toilettes Douche Couloir plus une zone technique attenante Ordinateurs, matériels divers, logiciels
Intégration de capteurssur un bus domotique ? Applications locales Labview et Java Vers le serveur distant et les applications Internet a h b g f Détecteur de mouvement IR • Entrée • Couloir • Cuisine • Salon • Chambre • Douche • WC • Local technique e Contact de portes c d Pèse-personne Tensiomètre Oxymètre G Capteur de chute Antenne acoustique Micorphone Centrale réceptrice
Une architecture logicielle :système distribué, multi-agents, via Internet H ? "Clients" Internet/intranet Serveur local Centre de télévigilance médicale Serveur général Médecin, infirmière… Travailleurs sociaux Détecteur de mouvement Contact de porte Pèse-personne Tensiomètre Oxymètre Capteur de chutes etc. Famille, voisins, aidants….
Fonctions du Systèmed’Information de Communication Gestion des utilisateurs Gestion des prescriptions Monitoring des données SIC-HIS Gestion des comptes rendus Gestion des connaissancesFusion de données, IA Gestiondes alarmes
Les expériences d’habitats intelligentspour la santé dans le monde • Habitat équipé de capteurs : Australie(Celler et al., 1995) • Smart House in Tokushima : Japon(Sueda et al., 1999) • AID House : Edinburgh, GB(Bonner et al., 1998) • Smart model house : Eindhoven, Pays-Bas(van Berlo, 1998) • SmartBo – Stockholm, Suède (Elger et Furugren, 1998) • Welfare Techno House : Tokyo, Japon (Ogawa, 2001) • PROSAFE : Toulouse, France (LAAS - INSERM U 558) • CarerNet : Grande-Bretagne(Williams et al. 1999) etc. etc.
En somme… • Beaucoup de détresse : solitude, handicap, précarité,… • Beaucoup de promesses … certaines technologiques • Quelques pressions • Idéologiques : un futur sur-robotisé • Fantasmatiques : Big-Brother, loft story, "meilleur des mondes"… • Journalistiques : beaucoup d'articles… peu d'analyse • Une réflexion encore balbutiante
… des besoins réels • Certains profils de personnes âgées dépendantes • Populations éloignées des dispensaires, centres de soins… • Handicapés • Malades chroniques • Asthme, mucovicidose, dialyse péritonéale, …. • …
Technologie : entre le pire et le meilleur URL valide en 2002
Une technologie pour rendre "la vie bonne" • PAM-AIDPersonal Adaptive Mobility AID for the frail visually impaired • Department of Computer Science, Trinity College, Dublin • http://www.cs.tcd.ie/PAMAID/pamaid-intro.html
Ou pour … abétir • "According to the Census Bureau’s projections, the elderly population will more than double between now and the year 2050 (to 80 million people). The question arises: How can we provide physical and emotional care for our increasingly aged population? " www.ischool.washington.edu/robotpets/elderly/ Projet : Robotic pets and the elderly
Ou muter en robot… « Mieux nous connaîtrons notre cerveau, plus nous pourrons l'améliorer (...). À mesure que ces inventions s'imposeront, nous les relierons à nos cerveaux, en insérant des milliers d'électrodes microscopiques dans le corps calleux, grand fuseau nerveux où circulent les données du cerveau. Toutes les parties du cerveau seront équipées de nouveaux accessoires. Enfin, nous remplacerons toutes les parties du corps et du cerveau et nous remédierons à tous les défauts et à toutes les blessures qui écourtent notre vie » Marvin Minsky. Laisserons-nous la terre à des robots ? Pour la Science 1994: 206; pp. 120-126. (sur www.lhommededemain.org, valide en 2002)
Une violence interprétative • Exemple d’une émission télévisée, « Scapel », diffusée le 12 décembre 2001 à 14h30 sur Arte/cable-et-satellite; co-signée par R. Brauman et E. Sivan avec pour rédacteur en chef Laurent de Villepin. • Son but : dire « quelles illusions, quelles idéologies se cachent derrière ces scénarios du futur » RB. • Une émission en trois parties : • la première, sous forme d'une fiction humoristique et prophétique, mettait en scène une jeune femme victime d'une télémédecine délirante, • la seconde était un reportage intitulé « Robots palpeurs, télédiagnostic, corps virtuels : visite dans les laboratoires où s'invente la médecine sans médecin », • enfin la troisième était un « débat » entre Rony Brauman et Philippe Breton. L'ensemble de l'émission, y compris la partie « débat », était un réquisitoire contre les outils d'ingénierie médicale (« robots palpeurs, télédiagnostic, corps virtuels ») en tant que moteurs d'une « machinisation » de la médecine et d'une suppression de toute relation humaine entre le patient, réduit à l'état de simple objet numérisé, et le médecin, réduit à l'état de technicien-opérateur de machines diaboliques.
… • Rony Brauman : « Vulgarisation et télétransmission des données, automatisation, robotisation des actes, il paraît loin le temps où la médecine était décrite comme un art, incertain et faillible. S'affirmant désormais comme une science exacte, aspirée par la déferlante des cyber-technologies, la médecine de pointe se représente le corps humain comme un stock d'informations. Les touches et les écrans de l'intelligence artificielle sont appelés en toute occasion à assister le médecin, et bientôt, pourquoi pas, à le remplacer. Dématérialisé, virtualisé, le patient devient une base de données gérable à distance. Dehors les malades, place à l'usager gestionnaire de sa santé sous la conduite de médecins manager de données. Bienvenue dans le meilleur des mondes médical, celui des robots et des ordinateurs. »
… • RB : « Dans le reportage et le court métrage que nous venons de voir, nous avons voulu montrer comment la distance entre les patients et les médecins était en train de s'accroître. Comment en quelque sorte les patients étaient expulsés du cabinet du médecin. C'est l'effet des technologies de l'information (…) »(introduction de la 3e partie de l’émission). • Philippe Breton : « On est dans l'exaltation d'un lien social qui serait meilleur parce qu'indirect. Non seulement c'est équivalent mais certains disent que d'être à distance c'est mieux parce qu'on aurait tous les avantages de la communication sans en avoir les inconvénients. Évidemment en disant cela, on crée l'impasse sur deux éléments qui sont essentiels depuis très longtemps entre les hommes, qui sont d'une part la parole, la parole première, la parole directe, et d'autre part la présence. Et il semble qu'il y ait là je dirais presque une condition d'efficacité des rapports humains. Qu'on puisse avoir cette dimension corporelle dans une même dimension communicationnelle. »
Des questions Soulevées par : (1) l’observation de la personne à travers «l’œil » des capteurs(2) la transmission des données d’observation à l’extérieur du domicile privé(3) l’utilisation de ces données par des tiers, (4) • Comment ces nouvelles technologies "norment" notre réalité, nos relations… ? • Dégré d'acceptation, adaptation • Risque de "trop aider" • Equilibre entre exigence de sécurité/exigence de liberté • Qualité de service, robustesse • Evaluation : sensibilité, spécificité • Responsabilités • loi sur la responsabilité du fait des produits défectueux • Mise sur "écoute" risques de dérive • La question des coûts. Médecine de nantis ? Augmentation des dépenses de danté. • etc.
Des impacts dans plusieurs sphères • Sociologique : amélioration de la qualité de vie, diminution du handicap, lutte contre l'exclusion, pratiques émergentes de réseaux de soins et de la multi-professionnalité. • Économique : problématique des réseaux de soin. • Démocratique : égalisation des facilités d'accès à un suivi médical, à une sécurité de vie et à l'information de santé; problème du droit d'accès à l'information. • Scientifique et épistémologique : données de vie quotidienne, chronicité, de rythmicité…
Une problématique éthiquemultidimentionnelle Dimentions • médicale • Suivi à domicile, réseaux de soin… • sociale • La vie en réseau • psychologique • Sujet / vie privée / domicile… • juridique • Les responsabilités • idéologique • Le mythe de l'autonomie robotique • philosophique • Le sujet, l'exo-darwinisme,… …
Comment penser la place de la “machine”:ordinateurs capteurs, effecteurs… ? • Quelques directions, sous forme de citations : • Le paradigme cybernétique, sa richesse, ses dangers • Sa richesse selon J.P. Dupuis • Selon Norbert Wiener • Selon Edgar Morin • L’Hominescence
Richesse du paradigme cybernétiqueselon Jean-Pierre Dupuis • « La cybernétique aura : introduit la conceptualisation et le formalisme logico-mathématique dans les sciences du cerveau et du système nerveux ; conçu l'organisation des machines à traiter l'information et jeté les fondements de l'intelligence artificielle ; produit la "méta-science" des systèmes, laquelle a laissé son empreinte sur l'ensemble des sciences humaines et sociales, de la thérapie familiale à l'anthropologie culturelle en passant par l'économie, la théorie des jeux, la sociologie, les sciences du politique et bien d'autres ; fourni à point nommé à plusieurs "révolutions scientifiques" du XXe siècle, très diverses puisqu'elles vont de la biologie moléculaire à la relecture de Freud par Lacan, les métaphores dont elles avaient besoin pour marquer leur rupture par rapport à un ordre ancien ». Dupuis JP. L'essor de la première cybernétique. Cahiers du CREA 1985: 7., Cité par : Pelissier A, Tête A, eds. Sciences cognitives : textes fondateurs. Paris: Presses Univ. de France, 1995.
La cybernétique et quelques idées associéesselon son fondateur:Wiener N. Cybernétique et Société. Paris: Editions des Deux-Rives, 1952. • La cybernétique : principe de “l’action en retour” • “Dans sa forme la plus simple, le principe de l’action enretour signifie que le comportement est scruté afin d’en connaître le résultat, et que la réussite ou l’échec de ce résultat modifie le comportement futur.” p.93 • “La communication est le ciment de la société et ceux don’t le travail consiste à maintenir libre les voies de la communication sont ceux-là même dont dépend surtout la perpétuité ou bien la chute de notre civilisation” p. 183 • “Vivre effectivement, c’est vivre avec une information adéquate.” p. 161 • “(…) si nous transférons notre responsabilité à la machine, quel que soit le type de celle-ci, nous lancerons notre responsabilité au vent, et nous la verrons revenir, portée par la tempête” p. 262 • “Tant que nous confierons nos décisions à des machines métalliques ou bien à ces immenses appareils mécaniques vivants que sont les burreaux, les laboratoires, les armées et les corporations, nous ne recevrons jamais de justes réponses à nos questions à moins de poser enfin des questions justes”. p. 263
… • “On doit enseigner à ces hommes que la science et la culture ne sont pas des trésors privés à enfermer dans un coffre-fort et à ne faire entrevoir qu’à l’élite, mais que toutes les connaissances et toutes les cultures ne font qu’une et sont indivisibles. Ils doivent apprendre à éprouver ce qu’ils savent déjà, à savoir qu’il ne faut rien de moins que l’homme tout entier pour former le savant , l’artiste et l’homme d’action. C’est cet engagement total, cette intégrité qu’un groupe considérable des nôtres au M.I.T., essaie d’éveiller et de rendre consciente chez nos étudiants”. p. 204 • “Une attitude hostile à des aspects positifs et constructifs, et sur bien des points, le choc de l’âge de la machine doit rencontrer une résistance intelligente et active.” p. 204 • “Cependant, si nous agissons selon les méthodes évidentes de notre comportement traditionnel et si nous demeurons fidèles à notre idolâtrie du progrès et de la Cinquième Liberté – la liberté d’être un exploiteur – il est pratiquement certain que nous devrons traverser, durant dix années au moins, une préiode de ruine et de désespoir”. p. 236
La “cinquième liberté”...Les “machines nouvelles”… • “Tant qu’il subsistait quelque chose des donts généreux de la nature et de sa dotation initiale, notre héros national a été l’exploiteur dont l’objet essentiel a été de convertir ce capital naturel en espèces sonnantes et trébuchantes. Dans nos théories de la libre entreprise, nous avons exalté cet exploiteur comme s’il était le créateur de ces richesses qu’il a volées et dissipées. Nous avons vécu pour le jour de notre prospérité et nous avons espéré que quelque ciel indulgent nous pardonnerait nos excés et rendrait la vie possible à nos descendants appauvris. C’est là ce qu’on nomme la cinquième liberté.” p. 55 • “Certes, il nous faudra modifier mains détails de notre façon de vivre lorsque nous entrerons en rapport avec les machines nouvelles. Celles-ci n’en dépendent pas moins dans nos évaluation de la juste appréciation et de l’utilisation des hommes en tant qu’hommes et non pas en tant que substituts de second ordre aux machines futures.” p. 14
Droit et communication … • “Les problèmes du droit participent de la nature de la communication et de la cybernétique en ce sens qu’il s’agit de problèmes de contrôle (command) régulier et repérable de certaines situations critiques.” p. 151-152 • “Le sort de l’information dans un monde typiquement américain est de devenir une chose ayant un prix et qui peut être vendue ou achetée. (…) Il ne m’appartient pas de présenter des arguties relatives à la moralité ou l’immoralité, à la grossièreté ou à la subtilité de cette attitude mercantile. Mais il entre dans mes attributions de démontrer qu’elle conduit à l’incompréhension et aux erreurs dans le traitement de l’information et des notions qui en dépendent” p. 162 • “Le phénomène par lequel une invention est découverte simultanément par des inventeurs sans contact entre eux et se trouvant en des parties du monde tout à fait différentes est trop fréquent pour être considéré comme un simple coïncidence.” p. 57-58 • “Il est tard: déjà sonne l’heure du choix entre le bien et le mal”.p. 263
Fragilité et valeur de la vie • “Pour ceux d’entre nous qui connaissent l’étendue extrêmement limitée des conditions physiques dans lesquelles les réactions chimiques nécessaires à la vie peuvent se produire, il est évident que l’accident heureux qui permet la continuation de la vie sur cette terre, sous quelque forme que ce soit et sans restreindre à l’homme le sens de ce terme, doit obligatoirement arriver à une fin complète et désastreuse… Nous pouvons pourtant réussir à édifier nos valeurs de façon telle que ces accidents temporaires que sont l’existence vivante et la vie humaine soient considérées comme des valeurs positives souverainement importantes en dépit de leur caractère fugitif.” p. 42
… • “(…) je ne saurais affirmer que des normes considérées comme nécessaires à l’existence de la justice par ceux qui m’entourent et par moi-même. Les mots les meilleurs pour exprimer ces exigences sont ceux de la Révolution Française: Liberté, Egalité, Fraternité. Ils signifient: la liberté pour chaque homme de développer en pleine indépendance la mesure totale des possibilités humaines qu’il incarne; l’égalité en vertu de laquelle ce qui est juste pour A et pour B demeure juste lorsque les situations respectives d’A et de B sont interverties; et une bonne volonté d’homme à homme qui ne connaît d’autres limites que celles de l’humanité.” p. 146
La question de la “machine à gouverner”,posée dès l’aube de l’informatique • Le Père Dubarle, Le Monde du 28-12-1948, à propos de la cybernétique : • “Les amateurs de meilleur des mondes ont bien de quoi rêver…En dépit de tout ceci, heureusement peut-être, la machine à gouverner n’est pas tout à fait pour un très proche demain. Car, outre les problèmes très sérieux que pose encore le volume de l’information à recueillir et à traiter rapidement, les problèmes de la stabilité de la prévision sont encore au-delà de ce que nous pouvons songer sérieusement à dominer. Car les processus humains sont assimilables à des jeux à règlesincomplètement définies et surtout fonction elles-mêmes du temps. La variation des règles dépend tant de la matérialité effective des situations engendrées par le jeu lui-même que du système des réactions psychologiques des partenaires devant les résultats obtenus à chaque instant.” (cité par Norbert Wiener, p. 256-258)
Le paradigme cybernétique selon Edgar MorinLa méthode, tome 1: La nature de la nature. Paris, Seuil, 1977. • “Le paradigme cybernétique, c’est l’union maîtresse des deux concepts de communication et de commande. Il s’agit d’un paradigme, c’est-à-dire de l’association pour tout raisonnement ultérieur de ces deux concepts jusqu’alors étrangers et indifférents l’un à l’autre.” p. 254 • “Le formalisme cybernétique a le mérite d’unifier sous les mêmes catégories des traits organisationnels propres aux sphères séparées des machines physiques, des machines vivantes, des machines sociales, mais ce formalisme, qui désubstancialise fort justement ce qu’il touche, est incapable de concevoir l’être et l’existence.” p. 251-252
La vulgate cybernétoïde • “Pis encore, il est né de la cybernétique une vulgate cybernétoïde, où les termes de rétroaction et d’information, devenusmaîtres mots, au lieu d’exprimer leur complexité profonde, banalisent les systèmes de la nature et les problèmes de la culture. Cette vulgate associe en elle le réductionnisme engeeneral et l’impérialisme pan-cybernétique. Elle conçoit la vie selon les fonctionnalités informatiques de la machine artificielle. Ainsi, les assauts de cette vulgate sur l’être vivant et l’être social ont pu justement être preçus comme un des aspects du formidable expensionnisme tous azimuts de la pensée technocratique, comme une nouvelle forme industrialisée du réductionnisme qui ramène toujours le complexe au simple (ici la réduction de l’organisation vivante aux principes organisationnels de la machine artificielle), comme une réoffensive du machinisme cartésien, qui, cette fois non content de se borner à réinvestir l’animal, s’afforce d’annexer l’homme et la société.” p. 252-253
Vers une sy-cybernétique • “Il faut donc opérer un double arrachage, un double changement d’orbite, physique et sociologique, pour le développement d’une science de l’organisation communicationnelle. Il faut révolutionner la cybernétique, c’est-à-dire la dépasser en une sy-cybernétique, pour que celle-ci exprime enfin son message révolutionnaire: la découverte de l’organisation communicationnelle.” p. 253 • “L’idée de cybernétique – art/science de la gouverne – peut s’intégrer et se transformer en sy-cybernétique – art/science de piloter ensemble, où la communication n’est plus un outil de commande, mais une forme symbiotique complexe d’organisation” p. 256.
Internet : un produitdu “dialogue de l’ordre et du désordre” * • “Soulignons ici l’exception remarquable que constitue le réseau Internet: ses constructeurs n’ont pas visé seulement la création d’un dispositif technique, mais aussi la mise en place de contraintes destinées à obliger l’histoire, à contrecarrer la possibilité d’une prise en main centralisée. C’est pourquoi le fait que l’avenir d’Internet puisse apparaitre comme singulièrement indéterminé doit être célébré comme une nouveauté, traduisant l’apparition d’un type psycho-social inédit d’innovateur technique.”Isabelle Stengers: Cosmopolitique, tome 6. La vie et l’artifice. La Découverte/Les empécheurs de penser en rond. Paris, 1997, p.40 * Expression d’ Edgar Morin
Les quatres cultures d’Internet Manuel Castells. La galaxie Internet (traduction). Paris: Fayard, 2001. • « Je vais maintenant définir plus précisément l’articulation des quatre cultures qui, conjointement, ont produit et configuré Internet. • Au sommet de l’édifice culturel qui a présidé à sa création, il y a la culture techno-méritocratique de l’excellence scientifique et technologique, qui provient essentiellement de la méga-science et du monde universitaire. Cette techno-méritocratique se trouvait enrôlée dans une entreprise de domination (ou contre-domination) mondiale par la puissance du savoir, mais elle a conservé son autonomie et fait de la « communauté des pairs » sa source de légitimité autodéfinie. • La culture hacker a particularisé la méritocratie en fortifiant les frontières de la communauté des initiés et en l’affranchissant des pouvoirs établis. Seuls les hackers peuvent juger les hackers. Seule l’aptitude à créer la technologie (peu importe dans quel environnement) et son partage au sein de la communauté sont respectables. Pour les hackers, la liberté est une valeur fondamentale, notamment leur propre liberté d’accéder à la technologie et de l’utiliser comme bon leur semble. • Des réseaux sociaux de toutes sortes se sont alors approprié l’informatique en réseau pour constituer des communautés en line, qui ont réinventé la société et, ce faisant, accru considérablement la porté et les usages de cette technique. Ils ont pleinement accepté les valeurs technologiques de la méritocratie, et adhéré à la foi des hackers dans les principes de liberté, de communication horizontale et de réseau interactif. Mais, récusant « la technologie pour la technologie », ils s’en sont servi à des fins sociales. …/…
…/… • Enfin, les entrepreneurs d’Internet nous ont ouvert une nouvelle planète, peuplée d’une innovation technologique extraordinaire, de nouvelles formes de vie sociale, et d’individus autonomes, auxquels leur compétence technologique donne une importante marge de manœuvre face aux règles et institutions dominantes. Ils ont fait un pas de plus. Au lieu de se retrancher dans des communautés construites autour d’Internet, ils sont partis à la conquête du globe en usant de sa puissance intrinsèque. Dans le monde actuel, cela veut dire surtout avoir beaucoup d’argent, plus que n’importe qui. La culture des net-entrepreneurs s’en est donc allé conquérir le monde pour le profit, et a fait ainsi d’Internet l’ « épine dorsale » de la vie. • Telle est donc la culture d’Internet : fondée sur une foi technocratique dans le progrès humain par la technologie ; mise en œuvre par des communautés de hackers adeptes de la libre créativité technologique ; intégrée à des réseaux virtuels qui veulent réinventer la société ; et matérialisée par des entrepreneurs motivés par la gain, dans le cadre de mécanismes propres à la nouvelle économie. » p. 79-80)
L’Hominescence - Michel SerresHominescence. Paris: Editions Le Pommier, 2001. • "Nos actes et projets locaux, nos réalisations hautement définies tombent pour partie en désuétude à mesure d'élargissement du monde. Pénétrant à petits pas dans le global, nous quittons nos anciennes maisons, le corps faible, les outils locaux, le monde borné, nous perdons le confort d'habitats exigus et de leur porte étroite." p. 67 • "Et si notre vieille violence découlait de l'étroitesse étranglée de notre archaïque finitude ? Pleins de haine et de ressentiment, malingres et médiocres, nous abritâmes des âmes de colombes prêtes à tuer; acquérir quelques capacités de plus nous donne l'occasion de générosité, comme à des tigres. A mesure de moyens, perdrons-nous de la méchanceté ?" p. 68 • « Le décalage entre ce que nous pourrions faire et ce que nous en faisons caractérise notre temps d'omnipotence impuissante. Nous maîtrisons l'atome pour opposer des policiers obéissants à des manifestations d'enfants gâtés ; d'ingénieux trésors d'électronique permettent d'échanger des messages débiles. » p. 57
… • "Les lamentations prophétiques selon lesquelles nous allons perdre notre âme dans les laboratoires de biochimie, ou devant les ordinateurs s'accordent sur cette haute note: Que nous fûmes heureux dans notre petite cabane! Nous en touchions les parois, notre tête s'y cognait aux poutres, nous vivions serrés ensemble, ah! la solidarité, face au non-sens universel! Quel bonheur: nous ne pouvions guérir les maladies infectieuses, et, les années de grand vent, la famine tuait nos enfants; nous ne parlions point aux étrangers de l'autre côté du ruisseau et n'apprenions pas les sciences difficiles. La chute des murailles, l'advenue brusque du virtuel et du possible, la libération progressive du corps, des cultures et du monde, l'habitat découvert dans le carré flottant des modalités donne le vertige à ceux qui ne travaillèrent pas à cette sortie, lente longtemps, et hier subite, de la finitude. Tous le malheur qu'ils projettent sur le monde leur vient de ce qu'ils ne surent jamais quitter au moins une heure leur chambre." p. 68
" Quittons-nous le local pour rejoindre le global ? Mais que signifie ce nouvel habitat ? Notre niche, notre maison envahissent-elles la Terre entière ? Faut-il comprendre que notre présence occupe l'espace, universellement ? (…) Ces nouvelles technologies nous font habiter, donc penser autrement. " Michel Serres
Quelques références • Castells M. La galaxie Internet (traduction). Paris: Fayard, 2001. • de Pracontal M. L'Homme artificiel - Golems, robots, clones, cyborgs. Paris: Denoël, 2002. • Hervé C. Ethique, Politique et Santé: vers une politique de santé publique. Paris: Presses Universitaires de France, 2000. • Larcher P, Poloméni P. La santé en réseaux. Paris: Masson, 2001. • Morin E. La Méthode - t.1 : La nature de la nature. Paris: Le Seuil, 1977. • Serres M. Hominescence. Paris: Editions Le Pommier, 2001. • Thonnet M. Les enjeux liés à l'introduction des TIC, en France, dans le domaine de la santé. In: Carré D, Lacroix JG, eds. La santé et les autoroutes de l'information. Paris: L'Harmattan; 2001; pp. 73-99.
… • Rialle V. Trop de technologie ne peut-il nuire à la médecine ? Le courrier de l'éthique médicale 2002: 2; pp. 29-30. • Rialle V, Noury N, Bajolle L, Lamy, J.B., Virone, G., Duchêne F., Moha N., Demongeot J. Le concept d'Habitat Intelligent pour la Santé: considérations techno-scientifiques pour un service médico-social. Revue de Gériatrie 2002 (Accepté). • Rialle V. La santé par des capteurs au domicile : entre "meilleur des mondes" et opportunités de solidarités nouvelles: réflexions pour une éthique des technologies médicales au domicile du patient. Cahiers du groupe Sujet, Théorie et Praxis, Maison des Sciences de l'Homme, Paris; 2002 (accessible par Internet: www.lutecium.fr/stp/meilleur.html). • Rialle V. Introduction à quelques questions d'ordre éthique concernant la télé-surveillance médicale au domicile de la personne. Deuxième séminiaire d'experts de l'Institut International d'Ethique Biomédicale, 2002; Paris, 3-4/12/2002.