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Autobiographie- Autofiction. L’Autobiographie racontée par Philippe Lejeune (1971) Un mot nouveau: Autofiction Serge Doubrovsky Fils (1977) Une nouvelle frontière: Philippe Forest (1997). Première partie. L’Autobiographie racontée par Philippe Lejeune. Les œuvres de Lejeune.
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Autobiographie- Autofiction • L’Autobiographie racontée par Philippe Lejeune (1971) • Un mot nouveau: Autofiction • Serge Doubrovsky Fils (1977) • Une nouvelle frontière: Philippe Forest (1997)
Première partie L’Autobiographie racontée par Philippe Lejeune
Les œuvres de Lejeune “L’Autobiographie en France” (A.Colin, 1971) “Le Pacte autobiographique” (Seuil,1975) “ Moi aussi” ( Seuil, 1986) “Cher cahier, témoinages sur le journal personnel” (Gallimard, coll. “Témoins, 1989) “La Mémoire et l’Oblique, Georges Perec autobiographe”(POL,1991)
Définition donnée par Philippe Lejeune • “ Récit rétrospectif en prose que quelqu’un fait de sa propre existence quand il met l’accent principal sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité” Définition normative qui a le mérite de mettre l’accent sur • la forme du langage : “récit”; “prose”; • le sujet traité: “ vie individuelle”; “ histoire de sa personnalité”; • position particulière de l’auteur: point de vue “rétrospectif”, identité auteur-narrateur-personnage;
Ce que le genre autobiographique n’est pas • Poésie: en raison des marques de fiction et d’art qui l’emportent, dans le récit versifié, sur la vraisemblance; • Journal intime:dont la construction n’est pas rétrospective; il est écrit au jour le jour sans le recul du temps qui permet à l’autobiographe de juger les événements passés avec une certaine distance. • Autoportrait:à la façon de Montaigne (Essais), texte ordonné logiquement ou thématiquement et non chronologiquement. L’autoportrait ne comporte pas le caractère rétrospectif de l’autobiographie. Il ne propose pas la même organisation temporelle et ne se présente pas comme le récit d’une vie intime. Montaigne annonce les sujets de réflexion d’un homme qui se met au centre de son livre: “Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre…” Cependant son objet n’est pas la relation de sa vie mais le compte rendu d’un certain nombre d’expériences intimes, intellectuelles et affectives, exposées selon des thèmes qui lui tiennent à cœur. • Mémoires: dans la mesure où le mémorialiste, témoin des événements de son temps, privilégie la chronique sociale au détriment de sa propre histoire personnelle. On accordera une place particulière aux Mémoires d’outre-tombe qui mêlent étroitement le récit d’une vie intime et son inscription dans la grande histoire.
Le pacte autobiographique • Les œuvres autobiographiques se présentent comme une communication entre l’auteur et le lecteur. • L’auteur prend la parole à la première personne et annonce qu’il va faire le récit de sa vie. On se trouve donc dans le cadre d’un schéma de communication traditionnel comportant un émetteur ( l’auteur), un destinataire (le lecteur), un message (le livre), qui a pour référent (élément de la réalité) la vie de l’auteur. Le récit de cette vie est l’objet d’un contrat dont les termes sont énoncés au début du texte. L’emploi de la première personne garantit l’identité du narrateur et du personnage principal. Toutefois, une interrogation subsiste sur l’identité de ce “je” qui peut tout aussi bien être un personnage fictif, une pure invention de l’auteur. La plupart des auteurs entendent dire la vérité, assurent le lecteur de leur bonne foi. L’identité du nom de l’auteur figurant sur la couverture et de celui du narrateur/ personnage garantit l’authenticité des propos et conclut un “pacte référentiel”. • “ Par opposition à toutes les formes de fiction, la biographie et l’autobiographie sont des textes rérérentiels: exactement comme le discours scientifique ou historique, ils prétendent apporter une information sur une “réalité” extérieure au texte, et donc ,se soumettre à une épreuve de vérification.” (Le pacte autobiographique, 1975)
Les éléments du pacte autobiographiqueL’emploi du nom propre • “C’est donc par rapport au nom propre que l’on doit situer les problèmes de l’autobiographie.[…]C’est dans ce nom que se résume toute l’existence de ce qu’on appelle l’auteur: seule marque dans le texte d’un indubitable hors-texte, renvoyant à une personne réelle. […] La place assignée à ce nom est capitale: elle est liée par une convention sociale, à l’engagement de responsabilité d’une personne réelle. • […] J’entends par ces mots […] une personne dont l’existence est attestée par l’état civil et vérifiable. ( Le pacte autobiographique, Seuil, 1975) • La trinité narrative de tout roman classique: • l’auteur ( à la lisière du texte celui qui fait profession d’écrire), • le narrateur (sujet de l’énonciation, chargé par l’auteur de raconter l’histoire), • le personnage ( sujet de l’énoncé, créature fictive, “ être de papier” chargé d’assumer une ou plusieurs fonctions dans le récit) se trouvent liés dans une unique identité de nom. Une des fonctions du “pacte autobiographique” est de déclarer explicitement cette identité.
Chronologie • C’est un des axes d’étude de l’autobiographie. La plupart des auteurs suivent l’ordre chronologique et commencent par le récit de leur naissance: • “Je fut le triste fruit de ce retour. Dix mois après, je nacquit infirme et malade: je coûtai la vie à ma mère et ma naissance fut le premier de mes malheurs.” (Rousseau, Confessions.) • “Je fut le premier de dix enfants. Il est probable que mes quatre sœurs durent leur existence au désir de mon père d’avoir son nom assuré par l’arrivée d’un second garçon; je résistais, j’avais aversion pour la vie”. (Chateaubriand, Les Mémoires d’outre-tombe.) • “ En 1904, à Cherbourg, officier de marine et déjà rongé par les fièvres de Cochinchine, il fit la connaissance d’Anne-Marie Schweitzer, s’empara de cette grande fille délaissée, l’épousa, lui fit un enfant au galop, moi, et tenta de se réfugier dans la mort” • (Sartre, Les Mots)
Récit chronologique • Les grandes étapes de la vie ; • La mise en évidence des événements importants qui ont joué un rôle dans la formation de sa personnalité et dans sa perception du monde. • L’ordre chronologique peut être brisé par : • des digressions; • des retours en arrière; • le rapprochement de différentes périodes; • des intrusions du narrateur commentant certains épisodes de son passé.
Destinataire • Personne ou public auxquels l’œuvre autobiographique s’adresse. • Ce destinataire est explicite chez de nombreux auteurs. • En évoquant ses “semblables”, Rousseau invite ses contemporains et l’humanité tout entière, à juger l’homme à travers l’œuvre. • Chateaubriand s’adresse aux générations futures. • Dans d’autres autobiographies, le lecteur n’est pas explicitement nommé, mais on peut deviner son profil en analysant ses références culturelles utilisées par l’auteur et tous les signes d’une connivence avec le public ainsi délimité et choisi.
Enfance • Passage obbligé de tout récit autobiographique. • C’est le moment où se forme la personnalité future, où se tissent les rapports au monde et à autrui et où se nouent les premiers conflits. • Il convient d’étudier le regard que pose le narrateur sur l’enfant qu’il était, comment les deux “moi” de l’auteur sont mis en rapport et qui domine qui.
Mémoire • Le fonctionnement de la mémoire est différent selon les auteurs mais ils essaient, par l’écriture autobiographique, de donner une forme à ce qui existe confusément: un objet, un lieu, une situation, une saveur…déclenchent le souvenir. Les oublis sont également révélateurs. Certains pudeurs du texte trahissent l’événement traumatisant ( Sartre, Pérec).
Sincérité • Le lecteur entend trouver dans l’autobiographie une vérité qu’il ne demande pas au roman. Mais l’autobiographe est prisonnier d’une contradiction. D’une part il prétend raconter les événements passés avec un maximun d’exactitude et de sincérité; c’est une gageure: la mémoire est infidèle; le passé est coloré par le regard rétrospectif; la mise en forme discoursive ordonne les pensées, les émotions qui ne peuvent être restituées avec leur spontaneité première. • D’autre part, souhaitant comprendre l’évolution de sa personnalité il est conduit à analyser, donc à structurer son histoire. Une autobiographie nous renseigne surtout sur l’auteur qui écrit parce qu’on découvre la perspective selon laquelle il désire voir sa vie et cette perspective est elle-même le résultat de son histoire. • Dans les Confessions, Rousseau construit son mythe personnel, dans Les Mots Sartre règle ses comptes avec son passé.
“De je mis avec Moi tu fais la récidive” ( Stendhal) • Pronom sujet abondamment employé par les autobiographes. Il représente celui qui tient la plume pour raconter son histoire (le narrateur) et celui qu’il était à l’époque des faits ( le personnage) mais qu’il n’est plus. Le lecteur perçois ainsi un mouvement de va-et-vient entre les deux “moi”. On distinguera donc le “je narrant” et le “je narré”. Ces différents “je” sont identifiables par l’emploi des temps verbaux auxquels ils sont liés ( présent et passé).
Temps • L’écriture autobiographique est tributaire des caprices de la mémoire du narrateur. À travers la narration, l’auteur réorganise le temps écoulé, lui donne un sens. Il s’agit toujours d’un travail de reconstruction dépendant d’une série de choix. Aucun autobiographe ne peut en effet prétendre à la relation exaustive de sa vie. L’entreprise est éminemment subjective et arbitraire; elle se rapproche , à certains regards, de la fiction. • Le temps est également un thème de l’autobiographie: il peut engendrer une méditation ( Chateubriand).
L’analyse du récit autobiographique • En tant que récit, le texte autobiographique ne diffère pas fondamentalement du texte de fiction romanesque par: • le mélange du narratif et du descriptif (portraits, descriptions, les fonctions qu’ils assument); • la temporalité: chronologie et altération de l’ordre chronologique (anticipations); • le rytme de la narration (division en chapitres, recours à l’ellipse, à la pause, au sommaire, aux scènes); • les techniques du discours rapporté ( paroles ou discours intérieur des personnages) • la construction des séquences narratives plus ou moins complètes, plus ou moins élaborées.
Le discours autobiographique • Le caractère rétrospectif de la narration et la réunion dans la même personne grammaticale “Je”, des trois entités ( narrateur-personnage-auteur) donnent au discours autobiographique une complexité particulière. • Le va-et-vient constant entre le temps de l’histoire et celui de l’écriture permet au “Moi” présent de nouer avec le “Moi” passé des rapports d’identification (découverte des origines d’une personnalité; renaissance des émotions d’autrefois) ou de distanciation ( nostalgie d’une époque révolue ou reniement du passé). • Ce jeu de narrateur et personnage se double d’une mise en scène qui concerne l’écriture elle-même. À destination de son lecteur avec lequel il instaure un dialogue plus ou moins explicite, l’auteur commente son texte, il note les jeux de sa mémoire, insiste sur la difficulté de cerner la vérité, de communiquer certains états psychiques.
Quatre questions à Philippe Lejeune, théoricien et praticien de l’autobiographie. Lejeune d’aprés un entretien avec Anne Brunswic, journaliste pour le magazine “Lire” (1993)
Q: Pourquoi avez-vous pris tant de soin à définir l’autobiographie? • R: “Parce que le mot est employé généralement avec une grande ambiguïté. On considère comme “autobiographiques” toutes sortes d’ œuvres lorsqu’on suppose que leur créateur, volontairement ou non, y révèle quelque chose de sa propre vie. Au sens stricte, une autobiographie est le récit donné pour vrai qu’une personne réelle fait de sa propre vie en essayant de l’expliquer. L’autobiographie se distingue donc des Journaux intimes, qui n’ont pas la forme d’un récit; des Mémoires, qui, en principe, ne sont pas centrés sur l’histoire personnelle et bien entendu des œuvres de fiction, puisqu’elles ne se donnent pas pour vraies”.
Q: “Pour définir le genre, vous avez introduit la notion de “pacte autobiographique” qui caractériserait le genre, cet acte par lequel l’auteur s’engage vis-à-vis du lecteur à ne dire que la vérité. • R: “Je n’ai pas inventé cette idée de pacte. Toute œuvre donnée à un public comporte une forme de contrat de lecture, ce qui fait que le lecteur n’attend pas la même chose d’un roman, d’un essai ou d’un poème. Dans le cas de l’autobiographie, ce pacte a la forme d’un engagement quasi juridique. L’auteur s’engage comme au tribunal à dire la vérité, rien que la vérité, toute ( ou pas toute) la vérité. À partir de là, le lecteur se sent autorisé à vérifier, à soupçonner. Un peu naïvement du reste, car une autobiographie n’est pas un texte où l’auteur dit vrai, c’est un texte où l’auteur dit qu’il dit vrai, nuance!”.
Q: “Mais n’est-ce pas tout de même son poids de vérité qui donne sa valeur à l’autobiographie? • R: “Certainement, mais cette vérité, quelle est-elle? Comment peut-on atteindre la vérité de son passé? En fait, nous sommes perpétuallement en train de recomposer notre passé en fonctions de nos projets actuels, de notre idéal. Le centre de l’autobiographie n’est pas le passé mais le présent puisque c’est à partir de lui, pour le déchiffrer, que nous regardons en arrière. Les gens qui ont écrit dea autobiographies à différents moments de leur vie (comme Sartre par exemple) donnent souvent, en toute bonne foi, des versions contradictoires”.
Q: “Quand sont apparues les premières autobiographies” • R: “ Le terme lui-même est créé en Allemagne à la fin du XVIIIème siècle, se diffuse aussitôt en Angleterre et autour de 1830 en France. Auparavant on parlait de “Mémoires” ou de “Vie de M. Untel par lui-même”. • La naissance de ce mot correspond à la diffusion nouvelle que connaît le genre autobiographique, mais en histoire il n’y a jamais de début absolu, il n’y a que des recombinaisons et des tournants. L’autobiographie telle que l’ inaugure Rousseau dans les Confessions est en fait héritière de deux grandes traditions, d’une part le “connais-toi toi-même” de la sagesse antique, d’autre part la tradition chrétienne de l’examen de conscience tel qu’on la pratiquait dans la vie religieuse”.
La passion du “je” ou l’histoire d’une vie: l’autobiographie de Montaigne à Perec Comment les écrivains racontent leur vie et s’inventent en s’écrivant: les explications de Philippe Lejeune
Q: “Montaigne n’est-il pas le premier autobiographe?” • R: “Au sens strict, les Essais ne sont pas une autobiographie puisque Montaigne ne donne jamais à son texte la forme d’un récit chronologique. C’est même le contraire d’un récit clos ou exemplaire. Il s’agit en fait d’un autoportrait extrêmement fouillé portant une attention exceptionnelle à toutes les circonstances de la vie privée, ce que Georges Perec appellera “l’infra-ordinaire”. Les Essais appartiennent plutôt à la tradition antique de l’exercice de soi. Mais Montaigne, bénéficiant de l’invention de l’imprimerie, est le premier qui ait eu l’idée de faire de soi un livre”. • Les deux premiers livres des Essais sont édités à Bordeaux en 1580; Montaigne se peint et s’analyse mais ne donne pas de récit de sa vie.
Q: “Considérez-vous donc Rousseau comme le fondateur du genre? • R: “Il marque en tout cas le tournant de toute une époque. Le préambule des Confessions formule le contrat autobiographique comme une provocation violente contre l’ordre social. Dans une société qui étouffe le moi et impose à tous le mensonge, Rousseau défini l’autobiographie comme une protestation contre l’hypocrisie, au nom des droits de la nature”. • Quatre ans après la mort de Rousseau, paraissent à Genève les Confessions. Pour la première fois un écrivain célèbre entreprend de raconter sa vie depuis son premier jour: “ Je coûtai la vie à ma mère et ma naissance fut le premier des mes malheurs”.
Q:Pourquoi Rousseau, Stendhal et Chateaubriand écrivent-ils leur autobiographie dans la perspective d’une pubblication postume? • R: “Rousseau, qui se sentait persécuté, ne pouvait s’en remettre qu’à la postérité. • Stendhal pensait, non sans raison, qu’on ne pouvait le comprendre avant 1935. • Pour Chateaubriand, il s’agit surtout de s’assurer avec ses Mémoires une survie imaginaire comme on se bâtit un somptueux tombeau. La psychanaliste Sophie de Mijolla emploie à ce propos une exellente formule: • “ Écrire son autobiographie, c’est survivre à son passé”. • Il est toujours terrible de mettre un point final à son autobiographie. Michel Leiris a tenté plusieurs fois de le faire mais y a renoncé parce qu’il ne voulait pas s’empêcher de continuer à écrire et donc s’empêcher de vivre”.
Q: Quelle influence la psychanalise a-t-elle eu sur l’autobiographie? • R: “ Dans les années 20, Freud a commencé a être lu dans l’entourage de Gide, à la NRF, et dans le groupe surréaliste d’ André Breton. Aussitôt on s’est mis à lire les autobiographies autrement, avec une attention particulière au non-dit, aux failles, aux cicatrices, aux symptômes de l’inconscient”.
Q: Pourquoi Gide n’a-t-il pas choisi de présenter “Si le grain ne meurt” comme un récit fictif? R: “ Il voulait changer la société de son époque, faire comprendre que le choix homosexuel était naturel et acceptable. Au risque moins de nuire à sa réputation d’écrivain que de saccager sa vie privée”.
Q: Gide connaissait bien la psychanalyse mais il n’avait pas été analysé. Quels sont les premiers autobiographes français à suivre une cure analytique? • R: “Entre autres, Queneau, Leiris et Bataille. Mais psychanalyse et autobiographie sont tout à fait différentes. La psychanalyse suppose la parole, la présence d’un autre et le transfert. On l’entreprend pour se changer, se défaire et se recomposer. • L’autobiographie avance dans la solitude de l’écriture avec éventuellement l’idée d’un lecteur futur à séduire. Sa pente naturelle est plutôt la synthèse que l’analyse: elle colmate les failles, panse les blessures, construit une cohérence”.
Q: Pourquoi vous êtes-vous passionné pour le cas Leiris? • R: “Précisément Leiris a eu le courage ou le masochisme, de prendre l’ autobiographie à rebrousse-poil, en allant contre la tendance au colmatage. Leiris accepte le fourmillement et le dérapage. Son livre le moins déroutant, L’Âge d’homme, est un montage de souvenirs d’enfance, de rêves, de lectures littéraires, etc., une sorte de kaléidoscope dans lequel il essaie de voir se composer sa véritable identité. • Leiris note un petit fait de la vie quotidienne, un mot, un fantasme, une expérience. Avec ce jeu de cartes personnel, il joue une sorte de réussite qui about it à une série de dix à douze cartes se suivant dans un ordre précis. La règle consiste alors à écrire un texte qui eliera chacun des éléments de la première à la douzième carte. Ce procédé ludique et poétique permet à Leiris d’explorer des associations d’idées. Leiris est un véritable inventeur, un poète qui a fondé son autobiographie sur la logique des jeux de mots en poésie”.
Q: Jean-Paul Sartre a-t-il lui aussi pratiqué l’autobiographie comme une exploration? • R: “C’est évident surtout dans les Carnets de la drôle de guerre. Sartre y conçoit l’autobiographie comme un laboratoire de philosophie. Ces Carnets ont la forme d’un journal dans lequel Sartre examine systématiquement ses idées à la lumière de sa propre expérience. • Ces plongées dans son passé l’amènent souvent à corriger sa philosophie. Ce sont des pages sans aucune rature, d’une drôlerie et d’une spontanéité extraordinaires”.
Q: “LesMots n’est-il pas un livre plus réussi?” • R: “ C’est sans doute un texte plus brillant, un exercice d’une virtuosité rare mais c’est moins un livre de recherche. Sartre travaille dix ans sur Les Mots mais il a déjà toutes les idées au début: il construit un récit d’enfance conforme à sa philosophie. La thèse exposée dans L’Être et le Néant est que l’homme a peur de la liberté et la fuit dans la comédie et la mauvaise foi. Le héros des Mots, Poulou, lui aussi, fuit sa liberté en endossant successivement tous les rôles que lui propose son grand-père. Les Mots est un livre très original car c’est une autobiographie parodique, genre rare et difficile s’il en est. Il s’enscrit dans la tradition des souvenirs d’enfance mais il les passe à la moulinette du comique. […] C’est le texte de quelqu’un qui, croyant tout savoir sur lui-même, construit un texte si serré qu’il ne permet aucune autre interprétation que la sienne”.
Q: “Le dernier écrivain auquel vous vous êtes beaucoup intéressé est George Pérec. Pourquoi? • R: “Perec s’est donné des règles du jeu encore plus compliqués que Leiris; une façon pour lui de contourner l’impossibilité de raconter sa vie. La question qui domine son entreprise autobiographique est “comment écrire après l’holocauste”. Il y a consacré l’essentiel de son travail entre l’âge de 30 ans et de 40 ans, ce qui a donné notamment deux livres très différents: W ou le souvenir d’enfance et Je me souviens. Le premier commence par une phrase provocatrice: “ Je n’ai pas de souvenirs d’enfance”. En fait, lorsque Perec regarde son enfance il y voit un trou où grouillent des choses tellement horribles que c’est insoutenable. Les contraintes formelles qu’il se donne lui permettent malgré tout de regarder mais obliquement, comme sous anésthésie. W ou le souvenir d’enfance mène de front deux récits: l’un explore l’horreur fascinée qu’un adolescent éprouve pour les camps nazis, l’autre est un récit d’enfance écrit dans la façon la plus blanche. Au lecteur de croiser ces deux séries, de prendre en charge l’holocauste à la fois comme victime et comme bourreau. Ce livre douloureux, exigeant du lecteur une gymnastique difficile, fait éprouver un intense sentiment de solitude”.
Q: “ Je me souviens souscite un sentiment tout à fait opposé. • R: “Oui, c’est un livre euphorique, convivial, qui explore la zone partagée de notre mémoire. Ces 480 phrases commençant par “Je me souviens” rassemblent des souvenirs presque oubliés, banals, apparemment insignifiants mais communs à tous”.
Deuxième partie Un mot nouveau: Autofiction
L’autofiction • Le terme d'autofiction est un néologisme apparu en 1977, sous la plume de l'écrivain Serge Doubrovsky, qui l'a employé sur la 4e de couverture de son livre Fils. Ce néologisme a connu depuis un succès grandissant aussi bien chez les écrivains que dans la critique. Il est intéressant de remarquer que la paternité du terme revient à quelqu'un qui a été à la fois un critique universitaire français enseignant à New York (spécialiste de Corneille) et un écrivain menant une carrière littéraire (après Fils, il a publié une suite de livres d'inspiration autobiographique). On pourrait dire qu'il s'agit d'une mise en question savante de la pratique naïve de l'autobiographie.
Serge Doubrovsky, Fils, Paris, Galilée, 1977, quatrième de couverture. • . « Autobiographie ? Non, c’est un privilège réservé aux importants de ce monde, au soir de leur vie, et dans un beau style. Fiction d’événements et de faits strictement réels ; si l’on veut, autofiction, d’avoir confié le langage d’une aventure à l’aventure du langage en liberté, hors sagesse et hors syntaxe du roman, traditionnel ou nouveau. Rencontres, fils des mots, allitérations, assonances, dissonances, écriture d’avant ou après la littérature, concrète, comme on dit musique. Ou encore, autofriction, patiemment onaniste, qui espère maintenant partager son plaisir. ». • La fiction devient ici l’outil affiché d’une quête identitaire (notamment à travers l’utilisation de la psychanalyse).
« L’Autofiction : un mauvais genre » • « Récit dont un auteur, narrateur et protagoniste partagent la même identité nominale et dont l’intitulé générique indique qu’il s’agit d’un roman. » -- • Lecarme (Jacques), Autofictions & Cie, Doubrovsky (Serge), Lecarme (Jacques) et Lejeune (Philippe) éd. (Paris : Université Paris X, 1993), p. 227.
« L’autofiction est un récit intime dont un auteur, narrateur et protagoniste partagent la même identité nominale et dont le texte et/ou le péritexte indiquent qu’il s’agit d’une fiction. » • Pierre-Alexandre Sicart, Autobiographie, Roman, Autofiction (thèse de doctorat, 2005).
Le terme est composé du préfixe auto- (du grec αυτος : « soi-même ») et de fiction. L’autofiction est un genre littéraire qui se définit par un "pacte oxymoronique"2 ou contradictoire associant deux types de narrations opposés : c’est un récit fondé, comme l’autobiographie, sur le principe des trois identités (l’auteur est aussi le narrateur et le personnage principal), qui se réclame cependant de la fiction dans ses modalités narratives et dans les allégations péritextuelles (titre, quatrième de couverture...). On l’appelle aussi roman personnel dans les programmes officiels. Il s’agit en clair d’un croisement entre un récit réel de la vie de l’auteur et d’un récit fictif explorant une expérience vécue par celui-ci. • L’autofiction est le récit d’évènements de la vie de l’auteur sous une forme plus ou moins romancée (l’emploi, dans certains cas, d’une narration à la troisième personne du singulier).
La possibilité d'une vérité ou d'une sincérité de l'autobiographie s'est trouvée radicalement mise en doute à la lumière de l'analyse du récit et d'un ensemble de réflexions critiques touchant à l'autobiographie et au langage. A la suite de Doubrovsky, d'autres écrivains-professeurs, comme Alain Robbe-Grillet ont écrit des autofictions dans lesquelles ils soumettaient leur propre biographie au crible de leur savoir critique. Encore récemment, en 1996, des réflexions théoriques sur l'autofiction ont été élaborées par Marie Darrieussecq qui est à la fois une universitaire et une romancière à succès, auteure notamment du roman Truisme.
Double définition de l'autofiction • c'est ce qu'on appelle un mot-valise, suggérant une synthèse de l'autobiographie et de la fiction. un détournement fictif de l'autobiographie • selon un premier type de définition, stylistique la métamorphose de l'autobiographie en autofiction tient à certains effets découlant du type de langage employé • selon un second type de définition, référentielle, l'autobiographie se transforme en autofiction en fonction de son contenu, et du rapport de ce contenu à la réalité.
La théorie littéraire de langue anglaise comporte deux notions proches de l’autofiction : faction (mot-valise regroupant "fact" et "fiction") et autobiographical novel. La faction est tout texte mêlant une technique narrative empruntée à la fiction et un récit portant sur des faits réels ; même si le terme a le mérite de faire référence aux problématiques de l’autofiction, le corpus textuel qu’il désigne semble se rapprocher davantage de la nonfiction novel, voire d’un récit historique fictionnalisé. Autobiographical novel est un terme plus courant pour désigner un récit proche de la vie de l’auteur
L’autofiction, c’est transposer sa vie dans le champ de l’impossible, celui de l’écriture, un lieu qui n’aura jamais lieu…C’est, en quelque sorte, l’énonciation elle seule qui est fiction dans le livre. La fiction dans ce terme d’autofiction n’est pas sur le plan de l’identité mais au niveau de la structure dans laquelle naît une voix impossible. Tout est vrai dans l’autofiction, rien n’est inventé, tout est créé. L’être de papier fanfaronne, gesticule sur la scène autofictionnelle : il ne pourra jamais avoir lieu dans le réel, dans la vie. L’autofiction n’est pas une fictionnalisation de soi : se fictionnaliser, c’est partir de soi pour créer une existence autre, c’est transposer son être dans le champ des possibles qui pourraient / auraient pu avoir lieu dans la réalité.
Troisième partie Une nouvelle frontière: Philippe Forest
Philippe ForestLes œuvres • Romans • L’enfant éternel Gallimard, 1997 • Toute la nuit, Gallimard 1998 • Sarinagara (Prix Décembre), Alet, 2008 • Le Nouvel Amour, Gallimard, 2007. • Essais • Philippe Sollers, Seuil, 1992 • Camus, Marabout, 1992 • Le Mouvement surréaliste, Vuibert, 1994 • Textes et labyrinthes : Joyce, Kafka, Muir, Borges, Butor, Robbe-Grillet, éd. Inter-universitaires, 1995 • Histoire de Tel Quel, Seuil, 1995 • Oé Kenzaburô, Pleins Feux, 2001 • Le roman, le je, Pleins Feux, 2001 • Près des acacias, l'autisme, une énigme (avec des photos d'Olivier Menanteau), Actes Sud/ 3CA, 2002 • Raymond Hains, uns roman, Gallimard 2004 • La beauté du contresens et autres essais sur la littérature japonaise (Allaphbed 1), Cécile Defaut, 2005 • De Tel Quel à L'Infini, nouveaux essais (Allaphbed 2), Cécile Defaut, 2006 • Le Roman, le réel et autres essais (Allaphbed 3), Cécile Defaut, 2007
Philippe Forrest, entre intellectualisme et pathos d’après un entretien avec Yann Nicol, journaliste ( Avril, 2006) • Q: Vous êtes un écrivain très érudit qui a un rapport intellectuel et théorique avec la littérature. Faut-il, dans une démarche de création littéraire, se débarrasser de son savoir ? Peut-on s’extraire de la réflexion pour se situer entièrement dans l’émotion ? • R:“ Je suis tout à fait convaincu que la vraie littérature ne peut pas procéder de l’ignorance et de l’inculture.Je ne conçois pas de littérature qui ne soit également un exercice de pensée, de réflexion où l’écrivain s’interroge sur ce qu’il fait à mesure qu’il le fait”. • “Mes premiers livres étaient des études consacrées à la littérature d’avant-garde : le surréalisme, le nouveau roman, le post-structuralisme et tout particulièrement ce qui s’est passé dans les années 60 et 70 autour du mouvement Tel Quel (Sollers, Kristeva, Barthes, Derrida, etc.). C’est seulement tardivement que je suis devenu romancier. J’avais trente-cinq ans. Si l’on en croit Dante : l’âge du milieu du chemin de sa vie”.
La tension entre la pensée et l’émotion • Être un théoricien de la littérature est une chose. Être un écrivain en est une autre. Il faut se placer dans des dispositions mentales telles que l’on en vient à oublier ce que l’on sait afin d’être en mesure de le réinventer de manière à ce que le savoir ne vienne pas étouffer, entraver le geste de l’imagination. Autant que je puisse en juger, mes romans ont ceci de particulier qu’ils s’inscrivent consciemment dans une tradition littéraire influencée en effet par la théorie mais qu’ils revendiquent également une dimension pathétique très marquée - alors que le "pathos" est une notion très dépréciée, voire tout à fait méprisée au sein de cette même tradition et plus généralement, malgré de géniales exceptions (Victor Hugo par exemple), dans la littérature française. Il y a ainsi dans mes livres une tension, une contradiction peut-être entre la pensée et l’émotion. Mais c’est cette tension, cette contradiction qui, à mon sens, fait battre le coeur vrai de l’expérience littéraire.
L’événement personnel avant toute chose • Dans mes deux premiers romans (L’Enfant éternel et Toute la nuit) j’évoquais très directement l’événement personnel qui m’a décidé à écrire : la mort de ma fille, alors âgée de quatre ans, des suites du cancer. J’ai voulu écrire chacun de mes livres dans la fidélité à cet événement mais de telle sorte que tout nouveau roman constitue comme la reprise des précédents - au sens où le philosophe danois Kierkegaard, opposant "reprise" et "répétition", définit une "reprise" comme un "souvenir en avant".
On sait que vous êtes un spécialiste de l’écriture du JE, et des éternelles questions autour de l’autobiographie et de l’autofiction. Pouvez vous nous dire votre position à ce sujet ? En quoi votre livre peut-il être considéré comme une autofiction ? Cette question est-elle particulièrement une affaire française ? • R : Je laisse dire de mes romans qu’ils relèvent de l’"autofiction" parce que je sais qu’il est nécessaire à un écrivain, s’il veut qu’on le lise, de passer des compromis avec l’esprit de son temps et d’accepter qu’on le range dans telle ou telle des écoles, dans tel ou tel des mouvements que reconnaît la critique littéraire dont il est le contemporain. Pourtant, et en vérité, je ne me sens qu’assez indirectement concerné par le renouveau actuel du roman autobiographique français. A mes yeux, ce que l’on a appelé dans les années 80 et 90 l’"autofiction" a été le plus souvent une réaction de repli un peu régressive consécutive à la crise de l’avant-garde. Une nouvelle génération de romanciers a prétendu revenir à la réalité, au vécu, à la psychologie après toute une période où dominait une conception très théoricienne et un peu abstraite de l’écriture.