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La construction du savoir dans l’écrit scientifique L'exemple de l'article en linguistique

La construction du savoir dans l’écrit scientifique L'exemple de l'article en linguistique. Françoise Boch LIDILEM, Grenoble III Université Stendhal Francoise.Boch@u-grenoble3.fr. Perspective didactique.

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La construction du savoir dans l’écrit scientifique L'exemple de l'article en linguistique

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  1. La construction du savoir dans l’écrit scientifique L'exemple de l'article en linguistique Françoise Boch LIDILEM, Grenoble III Université Stendhal Francoise.Boch@u-grenoble3.fr

  2. Perspective didactique • En quoi l’écrit scientifique peut poser problème aux apprentis chercheurs en sciences sociales ? • En quoi les études descriptives des écrits scientifiques peuvent-elles aider les étudiants à mieux rédiger ?

  3. Qu’entend-on par écrit scientifique ? • Ecrit scientifique : Production validée comme telle par un cadre institutionnel habilité (organismes de recherche, université, comité de revue scientifique, etc.) • Types d’écrit : Article, proposition de communication, etc. mais aussi thèse, mémoire.

  4. L’écriture, condition de la construction du savoir Depuis les années 70, approche renouvelée de l’écriture scientifique : • constitue une dimension essentielle de l’activité scientifique - pas de science sans écriture? (Jurdant, 2006) • s’ analyse comme dispositif matériel participant directement à la production de savoirs (Lefebvre, 2006)

  5. Un objet d’étude récent en didactique de l’écrit • Depuis les années 1980: études descriptives des écrits produits par des étudiants « entrants » à l’université • Depuis 2000: Focalisation croissante sur l’écrit scientifique

  6. Enjeu didactique dans l’analyse de l’écrit scientifique • L’entrée dans l’écrit scientifique : saut qualitatif qui nécessite un accompagnement pédagogique • Un moyen d’initier les étudiants aux caractéristiques du genre : leur faire observer les pratiques • Multiplier les études descriptives de l’écrit scientifique

  7. I. Obstacles potentiels à l’entrée dans l’écriture scientifique Des représentations obstacles : • Représentations de la tâche • Représentations du genre • Représentations de soi en tant qu’auteur

  8. Les représentations de la tâche (Reuter & Delcambre, 1998) • L’écriture « don », forme de création ex nihilo • Angoisse de la page blanche pour ceux qui ne se sentent pas « doués » • Report systématique de la phase de rédaction

  9. Les représentations de la tâche • L’écriture terminale, au service des idées: « j’ai tout dans la tête, je n’ai plus qu’à rédiger » • Pas de prise en compte de la fonction cognitive de l’écrit (cf. Goody, 1979; Olson, 1998) • Négation du processus d’écriture : conception de l’écriture en un jet (Becker, 1986)

  10. Les représentations de la tâcheBessonat (2001) • Réécriture vécue comme un nœud de tensions… • entre le même et l’autre • entre le projet d’écriture rêvé et l’état du texte réalisé sur le papier • entre le chaud et le froid • entre le besoin d’aide et le besoin d’autonomie

  11. Les représentations du genre • L’écriture de recherche : un écrit avant tout objectif, c’est-à-dire neutre ?  Confusion entre neutralité et objectivité • Neutre : neuter « ni l'un ni l'autre »  • Objectif : objectivus, de objectum  Ecrit scientifique : écrit à visée objectivante ET argumentative (non neutre)

  12. Ecrit à visée objectivante • Un discours à visée universelle, donc autonome par rapport à la situation dans laquelle il a été produit (« situation d’énonciation ») • Quasi-absence d’indices spatiaux ou temporels de la situation d’énonciation (« je/ici/maintenant ») • Utilisation du présent intemporel

  13. Ecrit à visée objectivante On écrira par exemple: Les résultats de l’enquête réalisée en 2007 montrent que… plutôt que: J’ai fait le mois dernier une enquête et je pense que… • Contrainte de « l’effacement énonciatif » bien intégrée par les étudiants Mais…

  14. Ecrit argumentatif • Argumenter : construire un point de vue (définir sa problématique, dérouler son raisonnement, justifier ses choix méthodologiques, etc). • Argumentation : dimension centrale de l’écrit scientifique

  15. Exemple de marqueurs argumentatifs: l’accord et le désaccord Utilisation de marques de positionnement plus ou moins explicites (Grossmann & Rinck, 2004) • Exemple de marqueurs d’accord (explicite) Nous souscrivons pleinement à la théorie de Benveniste • Exemple de marqueurs de désaccord (implicite) La ponctuation a longtemps été considérée comme (…)Un examen des usages réels montre toutefois que (…)

  16. Les représentations du genre • Des exigences vécues comme paradoxales au plan de l’écriture : • Viser l’objectivité (effacement du « je » individu) et • Se positionner et étayer sa position (présence du « je » chercheur) • Représentation brouillée du genre à produire

  17. Les représentations de soi : être auteur sans s’y sentir autorisé (1) • Injonction institutionnelle paradoxale “Se poser en tant que chercheur tout en sachant qu’un des enjeux essentiels de l’écrit produit est justement la certification de chercheur”(Reuter, 1998)

  18. Les représentations de soi : être auteur sans s’y sentir autorisé (2) • Deux écueils (caricaturaux) : • Citations massives (effacement devant le discours d’autrui) « Les discours d’autrui sont montrés tels une collection de pièces dans une vitrine attestant du travail accompli » (Delcambre & Reuter, 2002) • Plagiat (« fausse » prise en charge)

  19. Comment modifier ces représentations ? • Sensibiliser les étudiants aux caractéristiques de l’écrit scientifique en tant qu’écrit argumentatif faire observer les stratégies linguistiques utilisées par les experts pour construire le point de vue

  20. II. Un exemple d’étude descriptive : les introductions d’articles en linguistique(Boch, Grossmann, Rinck, 2009) La démarche de recherche en sciences sociales ? Penser avec rigueur des concepts flous  • Concepts flous = concepts discutables • Discussion théorique prégnante dans l’article en sciences sociales

  21. L’article, prototype de l’écriture de recherche • Genre central dans la production, l’évaluation et la diffusion des savoirs • Lieu de l’avancée intellectuelle de la recherche • Moyen de reconnaissance académique du chercheur • Genre qui présente des propriétés linguistiques régulières et conventionnelles

  22. L’introduction (ou le cadrage ) dans l’article en linguistique • Le lieu de la légitimation de l’objet d’étude • Discussion faisant référence aux travaux antérieurs dans le champ pour mieux créer « sa niche » (Swales, 1990) • Une quasi-obligation du genre de l’article en linguistique (Rinck, 2006)

  23. L’introduction dans l’article en linguistique (1) • Le lieu du positionnement du chercheur par rapport à l’existant • Enjeu de prolongement ou de démarcation qui peut être totale ou partielle (Teufel & Moens, 2000 ; Mroue, 2006)

  24. L’introduction dans l’article en linguistique (2) • Contraintes fortes du format • Rendre compte de l’existant (chercheur savant) • Se positionner dans le champ (chercheur appartenant à la communauté) • Montrer l’intérêt de son étude (chercheur innovant)

  25. Hypothèse de travail L’enjeu de positionnement a des effets sur l’écriture, observables à un double niveau • Traces linguistiques récurrentes (expressions lexicales) • Routines argumentatives (moules rhétoriques)

  26. Méthodologie d’analyse • Appui sur une sélection de 40 introductions d’articles (à partir d’un corpus de 110 articles de sciences du langage) • Présence d’une discussion théorique avec enjeu de démarcation

  27. Les routines argumentativesprivilégiées • L’évidence remise en cause (limites d’une tradition, du sens commun, des approches classiques, etc.) Ex : Dans le cadre des études sur la politesse linguistique(...), la politesse (...) est souvent associée implicitement à (…). Le but du présent article est (…) de remettre en questionquelques conceptions discutables qui ont toujours cours.

  28. Les routines argumentativesprivilégiées • La « niche ignorée » (aspect non traité par les approches antérieures) Ex: Si depuis un peu plus d’une vingtaine d’années, on a timidement commencé à s’intéresser à (…), si on s’est penché sur (…), il n’existe pas d’étude de la citation en histoire, en langue française du moins.

  29. Les routines argumentativesprivilégiées • La troisième voie (proposition d’une alternative nouvelle à un débat) Diverses conceptions fondent les différentes théories de la lecture. (…) Tantôt elles concernent (…), tantôt les théories de la lecture inclinent vers (…). Les premières prennent (…), les secondes tracent (…). Si toutes les théories de la lecture (…), aucune ne met vraiment l’accent sur (…)

  30. Des expressions lexicales récurrentes (1) • Marqueurs d’ancrage temporel « large » Depuis quelques années… Dès le début des années 70… Les cinquante dernières années… Ce n’est que depuis une quinzaine d’années… Très tôt…

  31. Des expressions lexicales récurrentes (2) • Marqueurs de référence à des sources généralisantes ou effacement de source Des linguistes et des historiens… La plupart des auteurs... La poétique contemporaine… La rhétorique ancienne… Il a été montré… On s’est intéressé…

  32. Des expressions lexicales récurrentes (3) • Marqueurs évaluatifs ou assertifs De manière surprenante… Timidement… Une conception naïvement réaliste… Une conception discutable…

  33. Caractéristiques de l’introduction de l’article • Discours généralisant et assertif permettant le positionnement et la légitimation du chercheur • Discours qui fournit une nouvelle vision du champ (reconstitution de son histoire ou de son état d’avancement)

  34. Effet positif sur la construction du savoir • Permet de fournir une image momentanément nette du paysage théorique et fait progresser la connaissance du champ (bonne prise pour le lecteur futur rédacteur) Mais aussi effet parodaxal • Permet au chercheur de se démarquer du dogme… pour mieux participer à la création d’un autre discours dogmatique (peu discuté, faiblement référencé)

  35. En guise de conclusion… • L’étude de l’écrit scientifique • Permet d’identifier les conventions qui construisent les fondements de la culture disciplinaire (Hyland, 2006) • Permet aux jeunes chercheurs de mieux prendre conscience des rituels d’écriture et de leurs effets

  36. Références bibliographiques • Becker, H..S. (2004), Ecrire les sciences sociales, Chicago, Economica. • Jurdant, B. (2006), Ecriture, réflexivité, scientificité, Sciences et écriture,67, 130-143. • Bessonat, D. (2000), Deux ou trois choses que je sais de la réécriture, Pratiques, 105-106, 5-22. • Boch, F., Grossmann, F., Rinck, F. (à paraitre), Le cadrage théorique dans l’article scientifique, un lieu propice à la circulation des discours, Actes du Colloque International Ci-dit, Québec. • Delcambre, I. Reuter, Y. (2002), Le rapport à l’écriture d’étudiants de Licence et maitrise, première approche, Spirale, 29, 7-27. • Grossmann, F., et Rinck, F., (2004), La surénonciation comme norme du genre. L’exemple de l’article de recherche et du dictionnaire en linguistique, Langages,156, Paris, Larousse, 34-50. • Hyland, K., Bondi, M. (eds) (2006), Academic Discourse Across Disciplines, Bern, Peter Lang. • Lefebvre, M. (2006), les écrits scientifiques en action. Pluralité des écritures et enjeux mobilisés, Sciences et écriture,67, 3-17. • Mroue, M. (2006), Collocations et positionnement dans les écrits scientifiques, communication non publiée à la journée d’étude du Cluster 14, Grenoble III. • Olson, D. (1998) L’Univers de l’écrit. Comment la culture écrite donne forme à la pensée, Paris, Retz. • Reuter, Y. (1998), De quelques obstacles à l’écriture de recherche, Lidil, 17, 11-23. • Rinck, F., (2006), L’article de recherche en sciences du langage et en lettres. Figure de l’auteur et identité disciplinaire du genre, Thèse de doctorat, Grenoble III. • Swales, J., (1990), Genre analysis. English in academic and research settings, Cambridge, Cambridge University Press. • Teufel, S., Moens, M. (2000) What’s yours and what’s mine: Determining Intellectual Attribution in Scientific, http://www.cl.cam.ac.uk/~sht25/papers/emnlp00.pdf

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