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« Toi, Seigneur, tu connais mon chemin » - La place de la mort dans notre vie et la considération de la vie dans notre expérience de la mort -. Bruno-Marie DUFFE Vicaire épiscopal « Famille et Société » - Diocèse de Lyon
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« Toi, Seigneur, tu connais mon chemin »- La place de la mort dans notre vie et la considération de la vie dans notre expérience de la mort - Bruno-Marie DUFFE Vicaire épiscopal « Famille et Société » - Diocèse de Lyon Aumônier catholique du centre Régional de Lutte contre le Cancer Léon Bérard - Lyon
Oser parler de la mort • Nous avons, chacun, une « expérience » de la mort • Mémoire de l’annonce d’une mortbrutale ou inattendue • « Préparation » au départ d’un proche ou d’un ami touché par une maladie grave • « Lent et longmourir d’une personne avancée en âge ou très affaiblie » • Chaque approche de la mort (de l’autre) nous affecte, dans notre relation (à lui / elle et à nous même) et dans le mouvement même de notre vie (entre confiance et deuil) • La mort de l’autre réveille et interroge notre affect et notre foi
Difficile d’en parler … • Nous sommes « fascinés » (saisis et effrayés) par la mort mais nous avons beaucoup de peine à en parler • Que se passe-t-il en nous pour que tout soit ébranlé par la mort de l’autre qui nous touche ? • Viennent, reviennent en nous des souvenirs (récents ou lointains), un regard, des paroles, des chuchotements, des confidences, des silences • Un silence… • Un silence dans lequel apparaît un chemin : quelques pas parcourus ensemble … chemin long et bref : une histoire de découvertes et de pertes, d’impatience et de retrouvailles.
Il y a donc de la mort dans notre vie • Dès notre enfance, nous croisons la mort • cette fragilité d’un souffle, • la condition du vivant, • les quatre saisons de la naissance, de déploiement, de la maturité et de l’accomplissement • Mais il nous faut du temps pour intégrer que nous sommes marqués, dans le développement même de notre vie par la condition de mortalité. • La mort apparaît pour beaucoup – quel que soit l’âge – comme un scandale : ce qui fait trébucher la possibilité de croire… • Comment penser qu’il puisse y avoir de la vie dans mort?
I. Nous venons d’un temps… • Nous venons d’un temps où la mort a eu une place dans la vie, comme l’automne après l’été • Ce qui n’enlevait aucunement le caractère violent et la dramatique de la mort (soulignée par les rites et les « mises en scène » sociales et religieuses : le noir, le glas, le corbillard…) • Douleur et proximité : veillée au domicile, liturgie funèbre, temps du deuil (avec un temps pour entrer et un temps pour sortir du deuil) et …bon repas au cours duquel se transmettent quelques secret et se redéfinissent les rôles
Médicalisation et traitement de la mort par des « professionnels » • Le passage par l’hôpital et le déploiement des techniques de soins d’urgence, de réanimation ou de « fin de vie » (concept qui demande à être précisé) • Tout faire pour faire reculer l’heure de notre mort (pour différer la mort ?) • « Soigner » la mort (questions, centrales en éthique médicale autour de la réanimation …) • Ne pas mourir (trop vite) • La tentation d’occulter (ou de ne pas vouloir voir) la mort
Aujourd’hui, réenvisager la mort • Nous vivons aujourd’hui, un temps où beaucoup de contemporains s’efforcent de « regarder » (à nouveau) la mort en face • La mort de l’autre et la sienne propre (expression orale de souhaits personnels, « directives anticipées, « testament de vie ») • Il s’agit de « vivre sa mort » (mourir vivant, être acteurs jusqu’au bout) et de ne pas « être objets de la décision d’autrui » • Des demandes diverses : mourir à l’hôpital ou mourir à la maison, seul ou accompagné, avec des souhaits plus ou moins formulés pour l’après… • Entre protection des proches et liberté personnelle
Proximité et séparation : le couple qui nous définit comme « vivant/s » • La mort amplifie la séparation entre le JE et le TU : cette séparation qui est caractéristique de la naissance • Au moment de la mort (qui est souvent comme une nouvelle naissance pour celui qui survit), nous prenons conscience du chemin parcouru et du chemin à parcourir encore, au-delà même de la mort de l’autre • « Nous avions encore tant de choses à nous dire » • Pro-jet inachevé, brisé (Cf « Symphonie inachevée » ; • L’enjeu essentiel que tout ne soit pas dit • Le testament à offrir (ce fils que l’on attend pour pouvoirmourir) et la liberté de chacun de l’interpréter et de le poursuivre…
Le deuil : amour et solitude • Nous avons besoin de penser et de vivre le deuil : temps de mémoire et temps d’espoir • Les deuils pathologiques sont liés au fait que l’on est « enfermé » (tombeau) avec la personne décédée • Un temps d’amour et de solitude : une soif de consolation et un nouveau désir d’aimer • « Il y a un temps pour tout » (Qohélet) : un temps pour pleurer et un temps pour rire.
Peut-on apprendre à vivre la mort ? • « Philosopher, c’est apprendre à mourir » : penser et aimer, c’est aussi oser parler de ce qui nous habite (joies et inquiétudes) • Considérer le couple vie-mort qui n’a rien à voir avec une « approche consommatrice de la vie » car il s’agit de rester attentif à ce qui apparaît et à ce qui disparaît • Se laisser instruire et garder mémoire de ce que nous avons reçu • De là, l’importance de la confidence : « Tu diras à ton fils … » • L’évocation de ceux qui ont donné la / leur vie • Se séparer; c’est se parer pour l’Autre, se pré-parer pour la rencontre et, en cela, se donner autrement à ceux qui continueront l’Histoire
Notre foi en Christ est une espérance en la Vie • Espérer sur fond de limite ou vivre la mort comme une traversée • Il n’y pas d’espérance sans mémoire : « je me souviens avec toi » • Il n’y a pas d’espérance sans con-fiance : « avec toi, j’ose croire » • Il n’y pas d’espérance sans amour : « merci d’être là » • Rester là pour rencontrer autrement celui/celle que nous avonsaimé et laisser monter en nous la Parole (Emmaüs) qui nous envoie pour rejoindre les frères (Récits d’apparition du Ressuscité et finale de l’Evangile selon St Matthieu) • Le vivant porte les traces (cicatrices) de la mort mais nous pouvons le re-connaître car il est proche
II. Quelques éléments du débat contemporain autour de la fin de la vie » • Notre temps et nos esprits sont profondément marqués par les conséquences des avancées considérables de la médecine depuis 50 ans (réanimation, traitements, chirurgie) • Évolution des thérapeutiques et chronicisation de certaines maladies (sida, cancer, maladies neuro-dégénératives) • Augmentation de l’espérance de vie mais accompagnée par cette double question (paradoxale) qui habitent beaucoup : • « Ne pourrait-on pas guérir de ce qui nous fait mourir ? » • « Pourquoi vivre si longtemps ? Pour qui ? »
Données bio-médicales et enjeux éthiques • 25 000 entrées, en 2013, au Centre Régional de Lutte contre le Cancer • 800 000 personnes touchées par la maladie d’Alzheimer (prévision pour 2025 : 1 250 000) • Radicalisation des questions éthiques (sens et solidarité) à partir de certaine situations de grande vulnérabilité (états végétatifs chroniques : ces vies qui sont pour nous des « mystères » que nous ne voulons plus toujours entendre) • Augmentation des demandes de mort : « mourir vaut mieux que vivre dans certaines conditions » • Droits des personnes (à décider et/ou à être associé à la décision) et devoir de solidarité
Ce que nous nommons « la fin de la vie » • Les signes d’une vie fragilisée… qui nous font penser à la mort (de l’autre et de nous-mêmes) et qui nous rappellent à notre condition humaine vulnérable : • l’accident; le handicap, la maladie grave, le grand âge • Des situations différentes mais une même « hantise », souvent cachée par un désir plus ou moins implicite de ne jamais mourir • Des postures complexes et paradoxales : • Le refus (de mourir ou de continuer à vivre) • L’évitement • Le désir de mourir • Vouloir décider pour ne pas subir ou pour protéger l’autre
La question de la dignité de la « personne en fin de vie » • Nous avons besoin de réfléchir sur l’expression « personne en fin de vie » • La personne : un être unique, être de relation et de raison • Une conscience et une histoire • Un chemin « intérieur » et une présence « irréductible » • La notion de « dignité » et ses acceptions contemporaines : • Une personne – « sujet » qui ne peut être traitée comme un « objet » • Une personne qui se définit par « sa liberté de choisir » (ce qui lui convient) • Une personne qui porte en elle « la marque d’un amour » • Une personne « appelée et inscrite dans un Autre »
III. Les termes de la revendication actuelle • Rompre avec les états de douleur; de souffrance et de dégradation, considérés comme « indignes » • Rompre avec « l’hypocrisie des soins palliatifs (disent certains partisans d’une légalisation de l’acte euthanasique), présentés comme soins de la douleur et accompagnement psychologique et spirituel (hypocrisie qui consisterait à entretenir la souffrance et/ou à donner la mort sans le dire: cf. sédation) • Rompre avec toute interprétation qui donnerait sens à cette ultime étape de la vie, placée sous le signe de la souffrance • Honorer le désir et la demande de ceux qui veulent mourir et vivre leur mort comme manifestation de leur liberté de conscience.
La réponse de ceux qui pratiquent les soins palliatifs et l’accompagnement « en fin de vie » • Soigner n’est pas tuer mais prendre soin de la vie, dans son extrême vulnérabilité • Soigner, c’est soulager (Cf. Code de déontologie médicale) et non pas abréger les souffrances d’un être • Soigner, c’est donner des soins, honorer un être dans son corps, mais aussi dans son désir, ses relations et ses convictions • Soigner, c’est manifester une solidarité humaine qui engage à porter avec le souffrant le désir d’une existence digne et accomplie.
Soigner, c’est respecter l’autre dans son intégrité et son intégralité • Les trois dimensions des soins palliatifs : • le traitement de la douleur, • les soins corporels (bouche, massage…) • l’accompagnement psychologique et spirituel (dans le respect des convictions et des appartenances de la personne) • Un engagement à refuser tout acharnement thérapeutique et à assurer un suivi par une équipe pluridisciplinaire • Un engagement à la parole partagéeet à la présence, y compris lors d’une sédation (endormissement réversible en cas de « détresse respiratoire » ou de douleurs rétives • La conscience claire du « double effet »
Ce que dit « la loi Leonetti » (Loi n°2005 – 370 du 22 Avril 2005) • Le droit pour toute personne de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue… « au regard des connaissances médicales avérées »… sans risque disproportionné par rapport au bénéfice escompté (Code de santé publique. 1ère partie; Livre 1; Titre 1; chapitre préliminaire : Droits de la personne – articles L.1110 – 1 à L.1110 – 11) • « Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l’article L.1110 – 10. (soulagement de la douleur, apaisement de la souffrance psychique, sauvegarde de la dignité de la personne et soutien de l’entourage)
Un « souci » et une responsabilité partagée • « Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, la personne de confiance, ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical » (Art L.1110 – 5) • (Art L. 1111 – 6 : la désignation de la personne de confiance se fait par écrit et est révocable à tout moment. Il s’agit d’une personne « qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. »)
Dans la tradition et l’enseignement de l’Eglise • Un ensemble de références qui prend appui sur un discours de Pie XII en 1957 au sujet des problèmes moraux et religieux posés par l’analgésie : traitement de la douleur et atténuation ou perte de conscience du fait de l’emploi d’analgésiques centraux ou d’antalgiques. • Permanence de la recommandation relative à l’usage de « narcotiques » pour « éviter au patient des douleurs insupportables » • Insistance sur le fait de ne jamais priver le mourant de la conscience de soi (expression, décision) • On peut donc « procurer l’inconscience » mais dans les limites du nécessaire • Reconnaissance de la pertinence du concept de « soins proportionnés » (1980 – 1995 « Evangelium vitae § 65)
IV. Entendre la demande de mort • Le désir de mourir et la demande de mort – pour soi-même ou pour un proche – révèle notre interprétation (toujours inachevée) de notre vie. Ce désir exprime une aspiration et une soif : • En finir avec la douleur, la souffrance, la dépendance ou la « bagarre » • Rejoindre quelqu’un qu’on aime • « Guérir de la vie, considérée comme épreuve » • Atteindre à une unité, sur fond d’incertitudes
Entendre et se risquer à parler encore • Parler (encore) parce que parler c’est vivre, même quand on peut plus parler avec des mots • Ce qui ne veut pas dire « trop parler » • Envisager encore un chemin en considérant le caractère inaccessible de l’histoire intime de l’autre et en évoquant le chemin partagé • Parler jusqu’au bout n’est évidemment pas prôner l’acharnement thérapeutique mais marcher humblement avec la personne, au rythme de sa respiration • On peut parler « espérer la mort »
« L’autre chemin » - ou la dimension spirituelle de la personne - • Contre le réductionnisme biologique et ses incidences utilitariste (« à quoi sert une vie ? » et « les limites du bien faire ») • « L’autre chemin »,c’est le chemin de la rencontre : ces deux regards qui se croisent et se parlent, au-delà même des mots et de toute « production de discours » • Il s’agit du chemin imperceptible que nous ne saurons jamais « mesurer » : chemin de l’autre (et de nous –mêmes) vers l’Autre • Il s’agit de la dimension spirituelle de l’être : quand le souffle et le corps lui-même portent en eux-mêmes un « testament »
Quand la personne est/semble inconsciente • La personne que l’on dit « inconsciente » n’est pas morte ! • Les différents modes et degrés de con-science (le savoir en relation) • La douce approche de la « personne inconsciente » • Conscience et émotion : l’intelligence du cœur et l’expérience affective et tactile des étapes intermédiaires • Apprendre le langage du corps • Demeurer en chemin, y compris dans le silence
Quand on ne sait pas / plus… quel accompagnement vivre ? • Nous ne savons jamais tout ce que nous aimerions savoir • Faut-il (tout) savoir ? Le peut-on ? • Souvent, la personne que nous accompagnons perçoit des signes qui anticipent ou dépassent le savoir de ceux qui interviennent et interprètent • Nous-mêmes, nous pouvons être habités par des sentiments qui nous inspirent ce qu’il convient de faire ou de dire • Trois constantes : • demeurer en écoute; être nous-mêmes écoutés par quelqu’un • être là, dans la délicatesse d’une présence; • vivre l’attention à l’instant
En contexte de gériatrie • Le contexte de la gériatrie pose la question essentielle de savoir « comment porter ceux qui nous ont portés » • La perte d’autonomie n’est pas toujours une perte de conscience et la limitation – parfois très forte – des possibilités n’implique pas nécessairement une absence « totale » • La question est : comment se tenir dans une juste mesure entre « sollicitation (plus ou moins forte) et délicatesse filiale » ? • Le rite peut ne plus remplir son rôle de lien communautaire mais le regard – que l’on offre trop souvent de manière furtive ou que l’on définit parfois un peu vite comme « vide » peut être toujours « efficient » - • le geste d’amour et le réveil d’un regard
V. En toute situation, inventer le geste et proposer l’espérance • L’exigence d’une ritualité offerte et consentie • La dimension intime et communautaire du signe (communion, onction) • La dimension « symbolique » - au sens fort du lien entre sujets) de la « simple présence » • Offrir aussi une attention (geste ou parole) pour ceux qui sont là, dans la proximité • Offrir et s’effacer • L’espérance du Royaume dans le geste d’humanité : l’autre manière d’anticiper
La personne « en fin de vie », sa « famille » et ses amis • Quand on ne peut plus parler… on peut encore s’exprimer et (s’)offrir • Les demandes des proches : • « avez-vous tout fait pour celui/celle que j’aime ? » (« essayer encore… »); • « est-ce que vous pensez qu’il/elle souffre ? », • « est-ce qu’il/elle nous entend ? », • « devons-nous rester près de lui / d’elle, prévenir son fils, sa fille ?, • « vous a-t-il / elle dit quelque chose (sous entendu : pour moi) ? • La séparation (qui a à voir avec une naissance) nous interroge chacun sur notre de-venir
* Quand vient l’heure de notre mort • La densité de ces instants : l’approche de la mort amplifie (libère) les sentiments et les traces (les blessures) de la vie partagée • Nous nous trouvons alors dans un jeu complexe d’attentes (parfois contradictoires ou en conflit) et de protections, de messages et de blocages… • L’attitude juste : offrir une présence qui ne parasite pas le jeu des désirs mais qui en facilité l’expression : entre écoute et effacement • Accompagner, c’est être là pour que les personnes touchées au plus intime ne soient pas paralysées par la peur de la solitude (seul face à l’autre; seul face à soi-même; seul face à la mort)