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CINEMA RESEAU. Judith Cahen, La Révolution sexuelle n’a pas eu lieu , 1998. Cinéma réseau Cinéma cerveau. Toute la mémoire dans une prothèse infinie.
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Les connexions de ce cinéma résultent d’un univers où les éléments, enregistrés ou calculés, peuvent être réactivés. Tout élément qui a été enregistré, encodé, rangé, classé, puis agencé de manière à être accessible sont agencés et reliés entre eux en une forme singulière.
Ou comment la technique du cinéma numérique se rapprocherait de certains mécanismes de la pensée…
« Lentement, mais sur un mode de plus en plus accéléré, ces deux dernières décennies, la technologie informatique a transformé nos façons de comprendre et d’agir sur le monde. » Steven Rose, La Mémoire : des molécules à l’esprit
Nous verrons ici quels sont les emprunts à l’analogie cerveau-machine et la poursuivre, sans pour autant cherche à reproduire le fonctionnement du cerveau. Comme l’explique Deleuze au sujet du cinéma de Resnais, notre connaissance du cerveau et de son fonctionnement ayant changé, c’est notre rapport au cinéma, de sa création à sa réception, qui s’en trouve aussi transformé.
Il s’agit d’organiser de nouveaux circuits mentaux, des circuits du possible. La création de nouveaux circuits s’entend du cerveau autant que des exemples que nous allons trouver utilisant les images en mouvement.
Le cinéma digital sera l’art des transformations, il incarnera aussi l’art des connexions et des liens modifiant les possibilités de jeu et d’interprétation des images mouvantes.
Ces œuvres tendent ensuite à faire participer la pensée du spectateur. Par une activité de mise à jour de ces liens, l’observateur peut chercher, comme un détective, les rapprochements entre les images, tout en circulant par ces signes visibles et ces lignes. Il en complète les manques au fil de sa découverte de l’œuvre.
Je nomme « cinéma connecté » un cinéma dont les caractéristiques empruntent au réseau. Ce qui ne veut pas dire qu’il dépend d’un réseau impliquant forcément Internet ou d’autres machines Intranet. Dans notre conception, ses connexions dessinent un réseau, qu’elles soient internes ou externes à l’œuvre. Suivant les versions, ces œuvres impliquent un réseau de liens (réels ou imaginaires) entre auteurs, spectateurs et histoires.
Waxweb, est devenue l’une des premières fictions filmiques diffusées sur Internet. Par morceaux, le lecteur sillonne ce méta-film, qui présente plusieurs percées dans la fiction. Waxweb se compose de six cent fragments, formant des nœuds, et de courts textes qui en décrivent les quelques deux mille plans.
Chaque chapitre dure environ une minute, suffisamment pour nous contenter et nous inciter à s’enquérir de la suite. Chaque morceau est représenté par une vignette, qui est une zone sensible, reliée à d’autres. Un clic sur cette zone nous emmène dans un sommaire composé de vues multiples de tous les chapitres (les plans qui sont des entrées dans le film) présentées par des icônes. Chaque icône peut être vue en voisinage d’autres se rapprochant d’elles. Le récit est alors pensé en termes de correspondances et de traversées. Comme un tissage, il se voit diversement suivant les fils narratifs qu’on explore, il est sujet à dérive et à enquête, tant ce film prend des allures de roman policier. L’intrigue et ses formes déborderaient au-delà du récit, par des liens vers d’autres pages et vers d’autres histoires.
De connexions en connexions, les possibilités deviennent illimitées. Dans les œuvres qui utilisent des bases de données comme Waxweb, les différentes histoires s’ordonnent souvent comme le feraient des cellules interconnectées, suivant divers critères de classement. On peut ainsi varier les entrées et les sorties dans le récit pour accéder aux différents agencements d’un même projet.
Les Histoire(s) du cinéma se sont formées selon un ordre non linéaire, « de la façon dont [les] idées naissent comme des étoiles, se rapprochent et s’éloignent les unes des autres, au-delà des étoiles, du désir du passé, naissance du temps […]» Jean-Luc Godard décrit les Histoire(s)… comme deux ensembles, composés de huit films, réunis en un seul.
Les Histoire(s) du cinéma s’articulent en huit chapitres et s’étalent sur plus d’une dizaine d’année : « 1A, Toutes les histoires » ; « 1B, Une histoire seule » ; « 2A, Seul le cinéma » ; « 2B, Fatale beauté » ; « 3A, La Monnaie de l’absolu » ; « 3B, Une vague nouvelle » ; « 4A, Le contrôle de l’univers » ; et « 4B, Les signes parmi nous ». Moments choisis des Histoire(s) du cinéma (2004) est une compilation de quatre-vingt-quatre minutes commandée par Gaumont pour une distribution en salle.
Jean-Luc Godard tisse les liens entre les films cités. Selon les souvenirs et la connaissance que nous en avons, nous les percevons de façon très différente. Réalisant alors que « les meilleurs films sont ceux qu’on n’a pas vus ; les films que l’on ne peut pas voir ; les films qui semblent détruits ; les films qui ne sont pas sortis ; les films qui ont été remontés, mutilés, changés ; les films qu’on n’a pas vus au moment où on les voit ; les films qui n’ont pas été tournés ; les films qui ont été rêvés ; les films qu’on se fait dans la tête ; les films qu’on a vu et que vous ne verrez pas [… ]»
Les meilleurs films sont ceux dont les extraits ont pu susciter notre désir de les entrevoir, au regard de ce que nous avions imaginé. Ainsi, l’usine à rêve du cinéma hollywoodien devient, dans les Histoire(s)…, un moteur à fictions. Le bruit de la machine à écrire pour composer l’histoire, qui sera rejouée par le mécanisme d’une autre machine, l’appareil de projection.
Dans ce seul lieu où la mémoire est esclave, Godard réussit à dominer nos souvenirs en les libérant de l’emprise des films dont ils étaient issus. Il extirpe une phrase, un morceau, un détail de leur origine. Une fois placé dans un autre contexte, le morceau cité ne dépend plus de sa matrice originelle. Sans pour autant les revendiquer à la manière d’un ready-made, ces entités empruntées ne sont visibles qu’eu égard au temps qui leur est accordé. Combien de temps restons nous en présence de ces corbeaux noirs ? Et combien de temps devant Gilda clignotante ?
Lorsque l’on apprend par cœur des extraits d’un texte, on se saisit de ce texte afin d’entretenir un contact plus intime avec lui. En ce qui concerne les images, il est certes possible de mémoriser un ensemble d’éléments, en particulier avec le langage cinématographique, mais lorsqu’il faut le transmettre par le langage, cela semble fastidieux, voire inutile. D’où l’intérêt de trouver des moyens pour rejouer aisément les images. C’est ce que propose Jean-Luc Godard dans les Histoire(s)…. En faisant coïncider ses pensées avec des morceaux choisis, il se saisit du texte et de l’image comme d’un langage – pour rejouer les pensées d’autrui.
Les citations sont les embrayeurs communs d’un dialogue. Elles déclenchent une question – « Que penses-tu de ?… » – et suscitent une réponse sous forme d’emprunt, comme l’image imprimée d’un tableau de Paul Klee, transportable sous forme de carte postale dans Le Petit Soldat. Dans le même film, Bruno Forestier dialogue avec lui-même : « Il y a une phrase très très belle, de qui est elle ? Je crois qu’elle est de Lénine.
Le choix de la pensée d’autrui et de son orchestration ne suffisent pas, il faut aussi créer les circonstances de la collision. Dans À bout de souffle, le choc a lieu entre Marianne d’Auguste Renoir et le visage de Jean Seberg, entre sa pensée et celle d’autrui. Pour expliquer le mode de fonctionnement de la pensée, Henri Poincaré la compare à des atomes rentrant en collision : « Les atomes mobilisés vont alors subir des chocs, qui les feront entrer en combinaison, soit entre eux, soit avec d’autres atomes restés immobiles et qu’ils seront venus heurter dans leur course. »
Esthétique des liens Dans le logiciel Max/MSP, utilisé pour composer des pièces vidéos interactives, les différents objets de programmation sont connectés les uns aux autres, à l’aide de liens symbolisés par des traits entre les objets. Ces programmes rappellent un cinéma connecté.