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Rapport au(x) savoir(s) d’adultes en situation d’illettrisme Nacira AIT-ABDESSELAM Semaine de l’éducation et de la formation des adultes –groupe FDB Université Lille1-Cueep- 23 mars 2011. Objectifs de la recherche.
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Rapport au(x) savoir(s) d’adultes en situation d’illettrisme Nacira AIT-ABDESSELAM Semaine de l’éducation et de la formation des adultes –groupe FDB Université Lille1-Cueep- 23 mars 2011
Objectifs de la recherche • Comprendre les logiques et processus en jeu lorsque des individus ayant connu des difficultés scolaires décident de suivre une formation
Contexte de recherche • Organismes de formation accueillant des adultes inscrits dans des parcours d’insertion sociale et professionnelle dont principalement : • Des formations en ateliers de pédagogie personnalisée (APP) • Des formation de type Maîtrise des Savoirs de Base (MSB) • Des AFB
Questions de recherche • Quel sens confèrent les adultes en situation d’illettrisme au fait d’entrer en formation, et d’apprendre à lire et à écrire? • Comment des adultes se mobilisent-ils sur des contenus de savoirs, a priori éloignés de leurs préoccupations et problèmes quotidiens ? • Qu’est-ce que le savoir pour eux ? • Quels sens et valeurs confèrent-ils aux différentes pratiques de lecture/écriture ?
Cadre théorique • Problématique du rapport au savoir (Charlot,1997, 1999) • Questions liées au sens de « l’apprendre » (op. cit.) et de la mobilisation sur le savoir d’un sujet engagé dans un processus de formation : quel sens attribue un sujet au fait d’apprendre? • Le rapport au savoir est « l'ensemble des relations qu’un sujet entretient avec un objet, un « contenu de pensée », une activité, une relation, une relation interpersonnelle, un lieu, une personne, une situation, une occasion, une obligation, etc., liés en quelque façon à l'apprendre et au savoir – par là même, il est aussi rapport au langage, rapport au temps, rapport à l'activité dans le monde et sur le monde, rapport aux autres et rapport à soi-même comme plus ou moins capable d'apprendre telle chose, dans telle situation ». Bref, « le rapport au savoir est le rapport au monde, à l'autre et à soi-même d'un sujet confronté à la nécessité d'apprendre ». (Charlot 1997).
Cadre théorique • Tout rapport au savoir possède une double dimension, l’une épistémique : « Apprendre, c’est avoir quel type d’activité ? » (op. cit., p. 78). Le rapport épistémique se réfère à la nature même de l’acte d’apprendre et de savoir ; • l’autre identitaire : « apprendre fait sens en référence à l’histoire du sujet, à ses attentes, à ses repères, à sa conception de la vie, à ses rapports aux autres, à l’image qu’il a de lui-même et à celle qu’il veut donner aux autres » (idem, p. 84-85).
Du point de vue méthodologique • 35 entretiens semi-directifs d’une durée de 25 minutes à deux heures • Retranscription et analyse thématique des entretiens
Population étudiée • Échantillon de 18 hommes et 17 femmes de niveau infra V • 5 inactifs, • 17 demandeurs d’emploi dont 5 RMIstes, • 13 salariés dont une dame de service, 1 ATSEM, 1 femme d’entretien, 1 garçon de café, 1 cuisinier, 1 adjoint de sécurité, 1 lad dans une écurie de courses, 1 technicien de surface employé en tant qu’emploi-jeune, 5 salariés en chantier d’insertion. • Les personnes interviewées ont entre 17 et 51 ans.
Un rapport à l’école emprunt d’affects • rapport astreignant, humiliant, voire traumatisant à l’école • désaffection pour l’école et pour ce que l’on est censé y faire, c’est-à-dire y apprendre. • Lieu non investi de la fonction et du sens de lieu d’apprentissage • Mise en avant de malentendus, lesquels génèrent des déficits en termes d’estime et d’image de soi. • l’école est vécue comme une obligation qui met les élèves devant un nombre de contraintes disciplinaires et comportementales (respecter les professeurs, même s’ils sont racistes et ne vous respectent pas, être poli…).
Un rapport à l’école emprunt d’affects(suite) • « J’ai décidé de ne plus aller à l’école[…] j’suis sortie de l’école j’en pouvais plus […] j’en avais marre de tout le monde, je voulais voir personne, pour moi, me lever le matin et aller à l’école c’était vraiment une corvée » (Karima). • « L'école, j'avais beaucoup de difficultés… […] j'ai été jusqu'au collège. Après, j'ai arrêté... […] parce que j'avais du mal à suivre. Et, puis, en ce temps là quand on suivait pas bah on vous met dans un côté et on s'occupe des autres » (Daniel). • « Mon parcours scolaire après, ça a été une catastrophe » (Albertino); « j’ai redoublé deux fois et puis j’avançais pas et puis j’apprenais pas. Ça ne rentrait pas » (Paulette)
Un rapport à l’école emprunt d’affects(suite) • « Ça a commencé à m’prendre la tête l’école pour handicapés. […] c’est pour les handicapés, ceux qui ont du mal à monter dans la tête, ceux qui arrivent pas à lire, à suivre […]. Moi j’étais normal […] ça m’faisait mal au cœur. […] Je crois dans un sens j’étais mal à l’aise là d’dans parce que t’avais tout le monde qui il faut dire que là d’dans c’étaient des cas mentals, des cas sociaux, c’étaient des mecs qui leur manque une case dans la tête, moi c’était carrément autre chose […] c’est vrai moi j’étais là-bas pour autre chose, c’était au niveau d’orthographe tandis qu’eux c’était pas parce qu’ils avaient pas appris, ils étaient mentalement un peu dérangés » (Olivier ).
Un rapport à l’école emprunt d’affects(suite) • « Après j'ai fait un apprentissage en menuiserie qui a duré deux ans. En fait la menuiserie ça m'plaisait mais j'ai eu un prof après qui m'a dégoûté quoi, c'était un raciste de première un gros facho. […] Et lui c'était franchement, le terme, excusez-moi, mais c'était un vrai fils de … ce type là. […] Les étrangers dans la classe il les a tous virés dès l'début et puis il employait des termes vraiment fascistes "tout c'qui est pas d'chez nous, ça dégage" il l'a dit. Moi plusieurs fois il a voulu m'foutre dehors » (Octave).
L’école vécue comme lieu de socialisation • L’école est vécue sur un registre relationnel, plus que sur un registre intellectuel : • « En primaire j’étais déjà un peu chahuteur et à partir du collège, c’est même pas la peine. Avec les copains on chahutait, on perturbait les cours. En plus de ça je ne travaillais pas, bon encore si j’étais perturbateur et que je travaillais à côté, ben j’étais perturbateur et je ne travaillais pas à côté. […] j’aimais faire des bêtises […]. J’en garde un bon souvenir surtout que j’allais à l’école, c’était pas pour seulement apprendre, c’était aussi pour voir les amis, passer un ptit peu l’temps quoi. Non c’était pas du tout pour apprendre, c’était pour voir mes amis, faire des connaissances, pour les heures de récréation, de cantine, c’est tout » (Nicolas)
Apprendre ou l’idée d’un recommencement • Apprendre équivaut à « rapprendre » « récupérer ce qui est oublié », « se souvenir », « faire revenir la mémoire », « à force d'écrire,ça revient » • « Qu’est-ce que je fais là ? Ben je me dis peut-être que j’ai une chance que ma mémoire va revenir, que ça va revenir vite, tout ce que j’ai appris, dès le début de l’année là […]. Tout ce que j’ai appris peut-être que ça va revenir plus tard […] peut-être si je refais la même chose, peut-être que ça va revenir » (Karima) • Le savoir est réduit à une activité de stockage, et a comme fonction de remplir « une têtevide ». • modèle du stockage approprié, selon eux.
Un rapport au savoir reposant sur trois modèles • École est un lieu où l’« on apprend des choses », et où ce sont « les profs qui apprennent » = modèle de transfusion • « Les profs m'ont pas aidé non plus parce que si on veut apprendre à quelqu’un, à un enfant, quand j'étais enfant, si, on me mettait dans le banc d'la classe, on m'dit "tu vas apprendre ça", fais-moi confiance, j'aurais fini par apprendre […]. Si un enfant, on le laisse à rien faire, il fera rien. Si on veut le faire travailler, il travaillera. » ; • « Et c’est… en 4ème C.P.P.N., là j’ai rencontré des profs qui voulaient m’apprendre » (Rabah) • l’imprégnation, absorption (du savoir) par la fréquentation du lieu (où l’on apprend) et par le temps que l’on y passe ; • la reconnaissance des choses que l’on a déjà vues.
Un rapport utilitaire au savoir • Le sens donnés aux apprentissages est étroitement lié à leur finalité • Apprendre pour obtenir un diplôme • Apprendre pour obtenir un « bon travail » • Apprendre pour fonder une famille • « J'me suis dit : "Ben toute façon j'suis cuit quoi" . J'ai pas le choix, il faut que je me jette à l'eau. La honte, il faut que je m'en dégage. Voilà j'ai plus rien à perdre […] j'y vais et puis le plus dur ça va être de passer la porte. J'm'suis dit, bon, ben, faut faire quelque chose. De toute façon, j'avais plus le choix, c'était ça ou, j'faisais quoi? J'allais faire quoi comme métier ? Sans savoir écrire ou… J'étais coincé dans ma tête. J'ai retourné ça cinq cent mille fois, j'ai dit j'vais y aller (Albertino) » • Apprendre pour obtenir une place dans la société • Apprendre pour vivre « une vie normale ».
Des idées sur ce qu’est apprendre • Pour apprendre « faut le vouloir » et « être motivé » • « Faut le vouloir. Après ça vient tout seul »( Alexandre) • « C'est vrai que quand on est plus jeune, on apprend plus facilement il paraît, mais, je pense que c'est la volonté. Quand t'as la volonté ça marche, ça marche un peu plus. C'est comme celui qui va à l'école et qui n'a pas de volonté, il va pas apprendre… il va pas pouvoir apprendre parce qu'il a pas cette volonté là » (Albertino) • « Si on veut pas apprendre, on fait rien du tout » • « Pour bien travailler, faut être concentré, se concentrer et puis être motivé quoi, autrement si on vient là pour faire le beau arrivé ici, faire semblant des trucs, j’pense qu’il vaut mieux rentrer chez soi […] sans motivation on fait pas grand chose […] « (Christian)
Des idées sur ce qu’est apprendre(suite) • Parvenir à apprendre s’apprécie selon les aptitudes intellectuelles de la personne • L’intelligence est liée aux savoirs scolaires et aux diplômes • « Les gens qui savent sont intelligents » • « L'école c'est en général j'veux dire tout a été gâché chez moi parce que j'aurais tellement voulu avoir de grandes études ou bien qu'je me démerde bien manuellement, j'suis assez agile mais […] C'est vrai ça m'a toujours attiré en fait d'être pilote d'avion de chasse et vu que le niveau est vachement élevé » (Olivier 2) • « Quand j’étais môme, je m’en rappellerai toujours, j’voulais être maîtresse, mais ça m’est passé sous le nez » (Monique) • « [Ils ont] de bons boulots (…) travaillent dans les bureaux, les banques des trucs comme ça » […] déjà au parler, on voit qu’ils sont intelligents.[…] comment ils parlent, comment ils tournent leurs phrases » (Bruno)
Conclusion • L’engagement en formation : • Désir de changement • La formation représente une opportunité à saisir, une seconde chance pour obtenir un diplôme et espérer « vivre une vie normale » • Désir de rompre avec des images dévalorisantes d’eux-mêmes • Désir de revanche et d’ascension sociale • Désir d’être reconnu socialement • Apprendre correspond au désir de « devenir quelqu’un »