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SYLLABUS DU COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE Psychologue Clinicien Directeur de la Ligue Française pour la Santé Mentale

SYLLABUS DU COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE Psychologue Clinicien Directeur de la Ligue Française pour la Santé Mentale Les adolescents difficiles Vendredi 31.10.08 2 éme année

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SYLLABUS DU COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE Psychologue Clinicien Directeur de la Ligue Française pour la Santé Mentale

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  1. SYLLABUS DU COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE Psychologue ClinicienDirecteur de la Ligue Française pour la Santé Mentale Les adolescents difficiles Vendredi 31.10.08 2 éme année

  2. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE «  Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS I . LE MINEUR ET LA GARDE A VUE Le nombre des mineurs mis en cause par les services de police et de gendarmerie a augmenté de 14,92% en quatre années, passant de 154 037 à 177 017. Ils représentent à eux seuls 21% du total des mis en cause[1][2]. De leur incapacité juridique[2][3] découle un certain nombre de règles et de recommandations. LE CADRE JURIDIQUE 1. Dispositions générales La garde à vue est une mesure permettant à un officier de police judiciaire de retenir une personne dans des locaux de police ou de gendarmerie, afin de faciliter les investigations nécessaires à une enquête. Les dispositions relatives à la garde à vue des mineurs figurent dans l’ordonnance du 2 février 1945[3][4]. Cette mesure ne peut concerner qu’un mineur de 13 ans révolus et peut soulever la délicate question de la détermination d’âge chronologique, autrement appelée « âge osseux » chez les mineurs isolés. La garde à vue est prévue pour une durée de 24 heures qui peut être prolongée de 24 heures sur autorisation du procureur de la République. En cas d’infraction à la législation sur les stupéfiants, la garde à vue peut être étendue jusqu’à une durée de 4 jours au total[1][5]. [1][5] Code de procédure pénale, art. 706-26 [1][2] Annexe à la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice [2][3] Code civil, art. 371-1. [3][4] Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, art. 4 [1][4] Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, art. 4 [1][5] Code de procédure pénale, art. 706-26

  3. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE «  Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS I . LE MINEUR ET LA GARDE A VUE La présentation aux fins de prolongation de la garde à vue d’un mineur est subordonnée à sa présentation préalable devant le procureur de la République ou le juge chargé de l’instruction[1][7]. Lorsqu’un mineur est placé en garde à vue, l’officier de police judiciaire informe de cette mesure les parents, le tuteur, la personne ou le service auquel est confié le mineur[2][8]. L’information des parents n’entraîne en aucun cas un droit des parents à accompagner leur adolescent. 2. Dispositions relatives à la retenue du mineur âgé de dix à treize ans Un mineur de treize ans ne peut être placé en garde à vue. Entre dix et treize ans, un mineur ne peut pas faire l’objet d’une mesure de garde à vue, mais d’une mesure dite « de retenue ». Cette mesure, qui ne peut excéder douze heures, s’applique lorsqu’il existe des indices graves ou concordants laissant présumer que le mineur a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement. La retenue peut être prolongée à titre exceptionnel pour une durée maximale de douze heures [1][9]. [1][7] Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, art. 4 [2][8] Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, art. 4] [1][9] Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, art. 4.

  4. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE «  Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS I . LE MINEUR ET LA GARDE A VUE L'EXAMEN MEDICAL DE COMPATIBILITE AVEC UNE MESURE DE GARDE A VUE Pour des considérations tenant à la sécurité publique, le code de procédure pénale prévoit que le mineur de moins de 16 ans est examiné systématiquement par un médecin dès le début de la garde à vue, puis réexaminé au bout de 24 heures en cas de prolongation. Le mineur de plus de 16 ans peut, à sa demande ou à celle d’un des titulaires de l’exercice de l’autorité parentale, être examiné par un médecin, puis réexaminé une seconde fois au bout de 24 heures. Dans le territoire de Polynésie française, en l’absence d’un médecin dans l’île où se déroule la garde à vue, l’examen est effectué par un infirmier diplômé ou, à défaut, par un membre du corps des auxiliaires de santé publique[1][10]. L’objectif de l’examen est d’attester que l'état de santé physique et psychique de l’adolescent est compatible ou non avec son maintien dans les locaux de police ou de gendarmerie et prévenir toute violence pendant cette période. L'examen doit être pratiqué dans des conditions satisfaisantes au plan médical, assurant la confidentialité. Il appartient au médecin d’apprécier au cas par cas s’il doit prendre en charge, seul ou non, le mineur. En effet, ce dernier est souvent choqué et mutique ou au contraire revendicatif, agressif, voire violent. Un récent rapport du Conseil de l’Europe stipule que « toute consultation médicale, de même que tous les examens et soins médicaux effectués dans les établissements hospitaliers civils, se déroulent hors de l’écoute et – sauf demande contraire du personnel médical soignant, relative à un détenu particulier – hors de la vue des membres des forces de l’ordre »[1][11]. Il convient, à notre avis, de respecter les mêmes règles en matière de garde à vue. [1][10] Code de procédure pénale, art. 813 [1][11] Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, rapport du 19 juillet 2001

  5. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE «  Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS I . LE MINEUR ET LA GARDE A VUE L’entretien est le premier temps de l’examen. Il est nécessaire de recourir aux services d’un interprète pour les mineurs étrangers. Il convient de recueillir avec précision les antécédents médico-chirurgicaux de l’adolescent et de rechercher une affection de long cours. La prudence doit concerner toute pathologie rapportée par le mineur et susceptible d'une décompensation parfois brutale, principalement lorsqu’ils’agit d’un asthme, d’un diabète, d’hypertension artérielle ou d’antécédents psychiatriques avec risque possible de « passage à l’acte », de manifestations d’autoagressivité ou de simulation. L’examen physique est complet. Les éventuelles lésions traumatiques sont scrupuleusement consignées sur un schéma, voire photographiées et les allégations faites par le jeune concernant leur origine sont notées. Si le jeune indique avoir été victime de violences par les forces de l’ordre lors de son interpellation, il convient d’en alerter sans délai le procureur de la République. Une atteinte intracrânienne doit être recherchée, particulièrement chez le sujet en état d’ébriété ou susceptible d’avoir subi un traumatisme crânien. L’ensemble des données de l’examen clinique fait l’objet de la prise d’une observation médicale que le médecin conserve et qui est revue en cas de nouvel examen dans le cadre d’une prolongation de la mesure. Le certificat médical est remis à l'autorité requérante et à elle seule (copie en est conservée par le médecin), mentionnant l'existence ou non d'une contre-indication médicale à la mesure de garde à vue ou à sa prolongation, sans aucune précision d'ordre diagnostique.

  6. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE «  Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS I . LE MINEUR ET LA GARDE A VUE En cas d'affection bénigne, un traitement ambulatoire peut être remis. Les traitements en cours des maladies chroniques doivent être poursuivis, ce qui ne manque pas de poser un problème de confidentialité vis à vis des forces de l’ordre. En cas de contre-indication à la mesure de garde à vue, l'autorité requérante peut décider la poursuite de la mesure en milieu hospitalier ; elle en assure alors la surveillance.   Le mineur peut refuser l’examen médical qui lui est proposé. Le médecin doit s’attacher à lui présenter les avantages de ce bilan de santé, l’assurer de sa confidentialité et tenter de le convaincre de s’y soumettre. Si le mineur persiste dans son refus, mention en est faite dans le certificat médical.

  7. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE «  Les adolescents difficiles» ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS II . QUELLE LOI POUR FAIRE TIERS CHEZ LES ADOLESCENTS ETATS LIMITES La loi est un outil centraldes traitements institutionnelsdes adolescents présentant une tendance au passage à l’acte notamment dans le cadre d’une pathologie limite. Dans ces situations, on attend de la loi qu’elle participe à la fonction contenantede l’institution en venant fixer des limites qui s’imposent à tous, avec cette idée, que cette limitation va conduire le sujet à la reconnaissance interne de la tiercéité qui est l’un des principaux objectifs de nos soins dans ces situations cliniques. On attend donc de la loi qu’elle limite la tendance à l’omnipotence que l’on retrouve si souvent chez ces adolescents, mais aussi dans les équipes de soins soumises à l’induction contagieuse de mécanismes d’identification projective, eux aussi particulièrement fréquents dans ces configurations cliniques qui se caractérisent tout particulièrement par une tendance à agir dans la réalité externe la conflictualité que l’espace psychique interne ne peut contenir. Il s’agit de décider quand recourir à l’exercice pratique de la loi.Devant telle ou telle exaction des adolescents, quand faut-il faire appel à la loi d’airain de la réalité externe ?

  8. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles  » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS Quand, autrement dit, faut-il « passer à l’acte » juridique ou réglementaire et faire appel à la réalité du droit ou à l’exercice implacable des règles institutionnelles ? Quelle autre transgression devra-t-on au contraire tolérer, en la « reprenant » dans le cadre des soins, cadre qui est certes référé à la loi mais n’appelle pas constamment à son exercice explicite. Autrement dit, quelle transgression doit être supportée dans le cadre des soins, et quelle autre impose le recours à l’autre ou à l’ailleurs du juridique ? Ces questions sont d’autant plus cruciales que les exemples ne manquent pas où l’exercice implacable des règles ou des lois signifie la fin des soins, au nom du bien, tandis que l’omnipotence de l’équipe que l’on prétendait limiter par le recours à la loi se trouve souvent déplacée sur le choix d’appliquer ou non les règles et les lois dont l’exercice est inconstant. La loi interroge donc sur son domaine d’application en clinique et sur les conditions de son efficacitédans certaines organisations psychopathologiques, notamment celles qui, comme les États Limites présentent la double particularité de fragiliser la tiercéité tout en favorisant le passage à l’acte. Comme le précise Masterson (1971) et beaucoup d’autres, l’Etat Limiteest en effet une organisation dontla cohérence n’est pas symptomatique mais psychopathologique avec un centre de gravité (Misès, 1990) qui se situe entre l'organisation névrotique et l'organisation psychotique.

  9. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » • Le noyau psychopathologique des États limites paraît être la nécessité de recourir aux éléments du monde extérieur pour combler les lacunes du fonctionnement imaginaire interne. En ce sens "l'État Limite est essentiellement anaclitique" comme le dit Bergeret (1970). Ce n'est le cas : • • Ni de l'organisation névrotique où le fonctionnement psychique est suffisamment autonome de la réalité extérieure pour s'appuyer sur elle sans en dépendre, • • Ni de l'organisation psychotique où la rupture de contact avec la réalité conduit à la construction d'une néo-réalité délirante. • Autrement dit et du point de vue de la relation d'objet, pour les états limites leur objectalité est instable, étroitement dépendante de la concrétude de l'objet externe, et constamment soumise à la double menace de l'intrusion et de l'abandon. • Défaut de l'imaginaire et du préconscient : (Mises, 1990) Ceci est notamment manifeste en ce qui concerne le registre de la transitionalité qui est en échec. La transitionalité, c'est à dire au sens de Winnicott, l’espace que le sujet crée entre lui même et l'objet externe de telle sorte que, dans cet espace, la question de savoir ce qui est à lui et ce qui est à l'autre ne se pose pas parce qu'elle est recouverte d'un halo d'illusion de continuité. Autrement dit, c'est quelque chose qui, en se situant entre l'objet interne et l'objet externe, permet d'amortir les effets de la réalité externe et de réduire ainsi la dépendance à l'objet externe. • Avec la défaillance de ce registre on constate que la possibilité de mobiliser les objets subjectifs est limitée ou contre investie, interdisant leur utilisation pour dépasser les désillusions et éviter de dépendre de l’objet concret et du double risque auquel il expose le sujet : l’intrusion ou l’abandon.

  10. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles  » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS • Défaut d'élaboration de la position dépressive et de la triangulation oedipienne qui rendent notamment impossible l'élaboration de l'ambivalence de l'objet et l'intégration des angoisses de séparation. Bergeret (1970) et Kernberg (1967) insistent plus particulièrement sur ce point. • Défaut d'étayage précoce : obligeant le sujet à élaborer des solutions de colmatage. C'est un point essentiel pour Masterson (1971) qui fait des états limites, notamment à l'adolescence,une conséquence d'un arrêt du développement du moi incapable de dépasser la deuxième phase du processus de séparation individuation. • Dans ces différentes perspectives, le contact avec laréalité n'est activement maintenu qu'au prix de mécanismes mentaux archaïques où dominent le clivage, l'identification projective, l'idéalisation ou le déni, réduisant le potentiel psychique du moi. L'objectif de ces mécanismes de défense psychique est de protéger le narcissisme en luttant contre la souffrance dépressive et contre la mentalisation, et en ramenant les investissements de l'objet vers le narcissisme.

  11. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS En découlent des fonctionnements pathologiques comme : ·      La mise en acte impulsive à effet de décharge, sous tendue par une mentalisation aussi réduite que possible. ·      Le surinvestissement du monde externe, du corps, et de la sensation aux dépens de la pensée, du monde interne, et des mouvements qui les traverse. ·      La lutte active contre la dépendance psychique et contre le paradoxe qui fait que, « ce dont l’adolescent à le plus besoin est ce qui le menace le plus parce qu’il en a besoin », ce qui le menace le plus de cette dépendance à l’égard de l’objet qui constitue en elle même une blessure narcissique intolérable. ·      Devant la dépendance que ce paradoxe révèle, l’adolescent limite va d’ailleurs l’inverser en un désir d’emprise qu’il attribue à cet autre dont il redoute de dépendre, solution qui paraît somme toute narcissiquement plus supportable qu’un pur et simple constat de sa dépendance.

  12. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS On entre alors dans un conflit qui devient insoluble tout en imposant une résolution urgente ce qui a deux conséquences :   1 - tout objet (une personne, un référent, un parent) qui devient significatif pour ces adolescents limite devient du même coup source d’une menace de dépendance que l’adolescent inverse en désir d’emprise qu’il lui attribue. L’objet perd ainsi toute fonction tierce au fur et à mesure de l’importance concrète qu’il prend pour le sujet et de la sollicitation qu’il fait de sa dépendance. Cette « détiercéification » atteint tout ce qui vient de l’objet, tous ses attributs, qui sont conçus comme autant de manœuvre pour augmenter son pouvoir d’emprise (une parano: il veut me rendre son esclave ou a son image!). Dans la mesure où c’est la tiercéité même qui se trouve ainsi attaquée, il n’y a aucune raison que la loi échappe à cette dérive : elle devient, elle aussi, un attribut de l’objet qui y fait appel. 2 - face à cette opposition narcissico (moi) objectale (l’autre), l’adolescent va, pour maintenir l’équilibre psychique de son moi, avoir recours de manière prévalente au surinvestissement de la réalité externe perceptive et motrice, sous la forme d’agir ou de conduite, pour contre investir son monde interne défaillant. (on dira de lui: « il agit,il ne pense pas et ne ressent rien!)

  13. ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » En regroupant les deux propositions précédentes on pourrait donc dire que, c’est précisément dans les cas où les agir sont les plus probables, c’est-à-dire les cas ou l’exercice des règlements et de la loi sont le plus couramment sollicités, que la fonction tierce de l’objet est la plus précarisée. Autrement dit, c’est dans les cas où l’appel à la loi serait le plus utile que la loi court le plus le risque d’apparaître comme un des attributs de l’objet (la parano: qu’est-ce qu’il me veut ce bouffon!) qui se charge de la rappeler, une arme pour servir le projet d’emprise qu’il prête à cet objet (tu veux avoir le pouvoir sur moi!). Pour l’adolescent en souffrance, ce n’est donc pas un facteur limitant ou apaisant, mais l’instrument d’un duel sans tiers possible facteur d’une excitation exacerbée (tu me cherches, hein!). La loi participe alors à la relation d’empriseréciproque et à la nécessité de recourir à l’acte. Elle devient fondamentalement excitante en participant à une indifférenciation totalitaire qui met le sujet dans une situation d’impuissance, d’autant plus insupportable qu’elle trouve souvent écho dans son histoire antérieure, réelle ou reconstruite. Face à ce constat, que l’on peut faire si fréquemment, il nous faut, en tant que soignant, trouver une autre voie. Une autre voie lorsque cela est possible, c’est-à-dire lorsque l’exercice de la loi d’airain de la réalité externe n’est pas imposée par la loi et la logique juridique. Cette autre voie se base sur le constat que contrairement à la loi, la tiercéité ne se décrète pas. C’est-à-dire le constat que la tiercéité n’obéit pas à la loi mais est au contraire le pré requis de son efficacité puisqu’elle est seule à même de permettre à l’exercice de la loi de ne pas constituer une attaque supplémentaire contre la tiercéité. Insensible aux décrets la tiercéité doit donc se construire et c’est une des tâches essentielles de nos institutions que de le faire, pas à pas, en s’appuyant sur les interactions du quotidien ou sur des médiations plus spécifiques, activités où les objets sont présents même si ils s’attachent à ne pas s’imposer trop lourdement dans la vie du sujet qui craint de dépendre d’eux.

  14. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS C’est donc par un aménagement progressif de l’environnement soignant du patient (Botbol, 2000) que l’on va lui permettre de remettre en route les processus transitionnels et les illusions qu’ils autorisent. Ceci permet au sujet de reprendre le risque d’investir l’objet comme tiers, dès lors que cet investissement ne s’oppose plus à la défense de son narcissisme (de son Moi). La loi peut alors retrouver la fonction différenciatrice qu’elle avait momentanément perdue. Bibliographie  Bergeret J. : Les états limites – Revue Française de Psychanalyse, 1970, 34, 4, 601-633.  Botbol M., Papanicolaou G., Balkan T : Soigner les états limites au quotidien - Une "psychothérapie par l'environnement"; Enfances et Psy, 2000, 12, 96-104.  Jeammet Ph. : Réalité interne et réalité externe à l'adolescence, Revue Française de Psychanalyse, 1980, 44, 481-521.  Jeammet Ph. : Les destins de la dépendance à l’adolescence. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, 1990, 38, 4-5, 190-199. Kernberg O. : Border line personnality Organisation, J. Am. Psychoanal. Assoc. 1967, 15, 641-685.  Masterson J.F. : Diagnostic et traitement du syndrome Border Line à l'adolescence, Confrontation Psy. 1971, 7, 125-155.  Mises R. : Les pathologies limites de l'enfance. 1990, PUF, Paris  Roussillon R. : Paradoxe et continuité chez Winnicott - Les défenses paradoxales. Bulletin de psychologie, 1981, tome XXXIV, 350.  Winnicott D.W. : La capacité d’être seul in De la pédiatrie à la psychanalyse. 1969, Payot, Paris

  15. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS Une vignette pour illustrer ce propos : Valérie est une jeune fille de 18 ans entrée à la clinique pour un syndrome dépressif sévère. Elle rapporte une histoire abandonnique et traumatique, paraît avoir vécu d’expédients, s’est droguée, prostituée, etc… Dans le service elle échappe à tout, et à tous, se réfugie à l’extérieur de l’établissement ou dans sa chambre, passe son temps à fumer du haschich ou à s’intoxiquer autrement, seule ou avec un autre patient dont la problématique est proche. Avec elle les seuls échanges « thérapeutiques » sont marqués du sceaux du réglementaire : ils ont lieu avec l’objectif de « reprendre » les transgressions concernant les sorties ou l’usage de toxiques. Devant le peu d’effet de ces « reprises » il est maintenant question d’appliquer strictement les règlements et donc de la faire sortir pour raisons disciplinaires. Lors de la synthèse qui précède cette décision, qui paraît inéluctable, les propos des soignants font apparaître à quel point les modalités de leurs interventions les éloignent de leur idéal soignant. Ils se vivent comme des policiers sans autre intention que celle de réprimer. Proposition leur est alors faite de développer, dans le service, des médiations thérapeutiques qu’ils n’envisageaient jusque là qu’avec une certaine réticence, pour des raisons vaguement corporatistes. Notre idée explicitée est de donner à l’équipe et à la patiente l’occasion de déplacer le conflit sur une exigence plus « thérapeutique ». Les soignants acceptent cette proposition, « pour voir ».

  16. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS Une vignette pour illustrer ce propossuite Valérie Malgré la résistance de la patiente et ses transgressions constantes du programme proposé, le travail du cadre sort alors de sa focalisation excessive sur le respect des interdits légaux et réglementaires, pour entrer dans une interaction plus directement centrée sur les soins proposés, notamment autour de la participation de la patiente aux médiations thérapeutiques qui lui sont indiquées. Valérie quitte progressivement sa position de refus systématique et entre alors, subrepticement, dans le cadre qu’elle utilise pour dire son refus de ce même cadre. Progressivement, elle investit néanmoins positivement certains soignants, auxquels elle exhibe son autonomie, mais sur lesquels elle peut maintenant s’appuyer autour de l’alibi que lui donnent des activités créatrices dans lesquelles elle réussit de façon narcissisante pour tous. Ceci l’autorise finalement à accepter de demander les soins dont elle a besoin (y compris physiquement). Son attitude reste certes globalement transgressive, mais il s’agit pour l’essentiel de transgression dans le cadre. Les transgressions qui échappent au cadre, mais elles sont beaucoup plus contenues par la patiente qui a évolué dans son rapport à elle-même et aux autres. Parallèlement Valérie continue de diversifier considérablement ses intérêts, elle vient de réussir son Bac, ce qui était difficilement envisageable au début de cette prise en charge.

  17. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS III . Jeunes suicidaires et jeunes anorexiques. CONTENIR SANS DETENIR OU LA QUESTION DU CADRE THERAPEUTIQUE Voici une expérience, celle d’une institution hospitalière au sein de laquelle il y a deux unités de soins disposant chacune d’une équipe pluridisciplinaire spécifique et d’un espace propre, accueillant à temps complet ou partiel des adolescents et jeunes adultes âgés de 14 à 25 ans : une unité de 15 lits, destinée aux jeunes suicidaires ; une unité de 12 lits, destinée aux jeunes anorexiques. La première accueille environ 350 patients par an. La seconde, 40 patients à temps complet et 40 à temps partiel. Dans l’une ou l’autre unité, les séjours sont librement consentis et se déroulent en milieu ouvert. Ils sont brefs (de 10 jours à 3 semaines) pour les jeunes suicidaires et d’une durée de 4 mois en moyenne pour les jeunes anorexiques. C’est dire que les temps et les modalités de soins ne sont pas les mêmes, restituant en cela les différences de prise en charge entre un comportement de rupture – l’acte suicidaire – au caractère transnosographique et un trouble addictif constitué – l’anorexie mentale grave avec ou sans conduites boulimiques.

  18. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS III . Jeunes suicidaires et jeunes anorexiques. La spécificité en âge et en pathologie traitée caractérise notre postulat institutionnel. Les deux unités accueillent une même tranche d’âge – les 14-25 ans – qui est celle où l’incidence de ces troubles des conduites est la plus forte. Ce choix permet aussi de réunir adolescents et jeunes adultes se reconnaissant comme « semblables », ce qui facilite leur adhésion aux soins et favorise le travail groupal. On sait en effet que ceux-ci supportent mal d’être hospitalisés avec des enfants ou des personnes âgées. Quant à la nature du service qui les accueille, la peur de la maladie mentale et la crainte de la stigmatisation leur font fuir les lieux trop marqués par la psychiatrie institutionnelle. Dans la plupart des cas, il n’est d’ailleurs pas souhaitable d’hospitaliser les jeunes suicidaires et les jeunes anorexiques dans des unités de psychiatrie ayant à traiter des malades mentaux aux pathologies sévères et évolutives. Tentatives de suicide (TS) et troubles anorexiques à l’adolescence nécessitent d’être évalués dans des espaces de soins « transitionnels » permettant la reconnaissance et la prise en compte de la souffrance psychique sans réduire celle-ci à la maladie mentale. Il est même nécessaire de distinguer ces conduites d’agir entre elles à partir des fonctionnements psychiques qui les sous-tendent. Les jeunes suicidaires agissent dans le registre de la rupture et de la décharge pulsionnelle, tandis que les jeunes anorexiques sont dans une position de déni et de clivage.

  19. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS III . Jeunes suicidaires et jeunes anorexiques. • L’attaque du corps propre se trouve, dans l’un et l’autre cas, au devant de la scène, mais son « niveau » n’est - le plus souvent - pas le même : • la majorité des TS s’inscrivent dans le cadre d’une réactualisation de conflits oedipiens non résolus ; • l’anorexie mentale grave de l’adolescence renvoie à l’altération des relations pré-oedipiennes de la prime enfance. • Évidemment, et en dehors des questions de structures de personnalité, il existe des cas où la TS révèle un fonctionnement psychotique et d’autres où l’adolescent en souffrance passe de l’anorexie à la problématique suicidaire. La mise en place de deux unités d’hospitalisation distinctes et spécifiques permet justement le « passage » de l’une à l’autre en fonction de la nature des troubles constatés, ce qui en favorise la reconnaissance et la prise en charge. • L’unité pour jeunes suicidaires a pour triple objectifd’offrir un temps de pause et un espace contenant où chaque sujet trouve un apaisement à ses tensions, où un bilan approfondi est réalisé et où peut s’amorcer une élaboration psychique qui se poursuivra en ambulatoire avec l’aide d’un thérapeute. • L’unité pour jeunes anorexiques offre des conditions d’évolution d’un « corps groupal anorexique » à l’intérieur duquel des groupes évolutifs sont définis et reconnus en fonction des rapports que les adolescents concernés entretiennent avec la nourriture, leur corps, leur imaginaire, les pairs, la famille. Les diverses transitions établies entre corps et psyché, sujet et groupe, modes d’hospitalisation (à temps complet ou à temps partiel), etc., servent de supports à l’expression des affects et à la restauration des capacités de liaison

  20. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS III . Jeunes suicidaires et jeunes anorexiques. Chaque unité dispose de modalités thérapeutiques articulant soins individuels et soins de groupe, entretiens et médiations non verbales, rencontres centrées sur le patient et rencontres familiales. Certaines sont naturellement spécifiques des troubles exprimés, tandis que d’autres sont proposées de manière similaire. Mais la spécificité de chaque unité ne repose pas seulement sur les méthodes et les techniques utilisées. Chacune trouve sa cohérence dans la définition d’un cadre thérapeutique propre, conçu en fonction des problématiques rencontrées. Le cadre thérapeutique dépasse en cela la simple configuration architecturale censée définir les lieux de vie, les espaces hôteliers, les salles de réunion et les pièces destinées aux entretiens. Il s’agit plutôt d’un « cadre d’évolution » dans tous les sens du terme, représentant l’ensemble du dispositif formel et contractuel fournissant des temps et des espaces thérapeutiques inscrits dans la réalité externe mais riches d’éléments figuratifs propices à la symbolisation. La notion de cadre renvoie d’abord à la délimitation de ces temps et de ces espaces, le mot désignant concrètement la bordure (carrée à l’origine, comme l’exprime le latin quadrus) d’un tableau ou d’un miroir. Cette délimitation est à la fois matérielle et abstraite, signifiée par l’identification des lieux et des moments de la vie institutionnelle, et garantie par un règlement intérieur stipulant les conditions de séjour, les horaires, les autorisations et les interdictions. Tout patient ne peut être admis qu’après avoir pris connaissance et accepté ces conditions, ce qui confère au cadre thérapeutique sa dimension contractuelle librement consentie. Il fait office d’enveloppe générale, de « peau institutionnelle », circonscrivant un ensemble à l’intérieur duquel d’autres enveloppes définissent des sous-espaces.

  21. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS III . Jeunes suicidaires et jeunes anorexiques. Il est donc question de contenance, non de détention. Sa matérialisation doit faire sens : ainsi, chaque séjour dans l’unité pour jeunes suicidaires débute par une période de rupture (pas de téléphone, pas de visites, pas de sorties) qui dure 48 heures, renvoyant l’adolescent à la rupture agie de son passage à l’acte ; dans l’unité pour jeunes anorexiques, c’est une période initiale de « coupure » de 15 jours qui précède l’établissement du contrat thérapeutique et qui révèle la nécessité et l’urgence d’aménagements prenant en compte la dépendance aux liens familiaux. Le cadre est aussi le support, le châssis, ce qui constitue la structure de l’espace de soins. Les éléments qui le composent doivent être fermes et robustes mais souples, car il s’agit de maintien, de permanence du dispositif de soins et de sa capacité à absorber les contraintes, le cas échéant à se déformer pour éviter la rupture et la déchirure. Il est alors question de souplesse, non de rigidité. L’unité pour jeunes suicidaires offre des temps et des lieux permettant le regroupement spontané des adolescents. Les soignants les délimitent sans y faire intrusion et sans chercher à s’approprier la dynamique ainsi constituée, tout en prenant en compte ce que l’effet de groupe produit et donne à voir. Inversement, l’unité pour jeunes anorexiquespermet des moments de repli individuel, hors du corps groupal, au cours desquels peuvent se travailler avec un soignant la crainte du regard de l’autre et l’angoisse de la fusion identitaire.

  22. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS III . Jeunes suicidaires et jeunes anorexiques. Par métonymie, le cadre est encore ce qui définit le contenu thérapeutique, les modalités et les mouvements de passage d’un espace thérapeutique à l’autre. Entre chaque temps se révèlent des moments « libres » qui renvoient les adolescents, dans l’unité pour jeunes suicidaires, à la peur de l’ennui et de la passivité (interprétée comme une soumission) et, dans l’unité pour jeunes anorexiques, au vide et à l’abandon. Il est alors possible de travailler l’articulation de ces temps en termes d’engagement, de maîtrise, de défaut d’intériorité, etc. Le cadre thérapeutique représente enfin pour patients et soignants le garant de l’interdit de l’inceste, interdit qui peut en favoriser l’expression métaphorique et l’intégration. Le cadre constitue un tiers rappelant que toute relation « duelle » est illusoire, même dans les moments de la plus intense des régressions. Pour cela, les éléments qui caractérisent le cadre doivent être riches de symbolisations dialectisant différentes formes d’interfaces et d’échanges ayant valeur de protection ou de menace, d’apaisement ou de violence, d’activité ou de conduite d’agir, etc. Définir un cadre thérapeutique, c’est ainsi fournir une réalité externe spécifique que nous supposons activatrice du processus de construction ou de restauration d'un espace psychique interne. Chaque unité offre un cadre et un contenu déterminés en fonction d'insuffisances ou de carences présupposées, afin que les sujets puissent se saisir des supports proposés et donner du sens à leurs attentes et à leurs manques. Les modalités offertes et les règles de vie établies sont définies en fonction de ce qu'elles sont censées « réfléchir » en termes de repères, de limites et d'étayages.

  23. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS III . Jeunes suicidaires et jeunes anorexiques. À l'incapacité pour le sujet de s'engager d'emblée dans un travail d'élaboration psychique, à la prégnance de traumatismes passés ou actuels qui maintiennent béantes de douloureuses effractions psychiques, l'institution répond par la mise en place d'un cadre délimitant,contenant et pare excitant. Celui-ci est destiné à protéger les adolescents contre eux-mêmes ou contre la réalité externe, au sein d'une structure conçue pour cela et acceptée par eux. L'implication personnelle qui est demandée à chacun, place le su­jet dans une position d'acteur principal de la démarche de soins. L'adolescent participe lui-même à sa prise en charge dans un espace mis à sa disposition, mais en même temps investi par lui comme un lieu lui appartenant. En l'aidant à s'approprier ses actes pour ce qu'ils représentent et à les inscrire dans son histoire personnelle et familiale, l'institution lui permet d'amorcer un travail de réflexion et d'élaboration. A travers le cadre thérapeutique, l’équipe soignante répond aux conduites d’agir par des actes de soins dont la cohérence doit faire l’objet d’un travail institutionnel continu. Il ne s’agit ni de garder, ni de détenir des adolescents en souffrance, mais de leur permettre d’intégrer de nouvelles possibilités de conflictualisation, celles-là dirigées vers le respect de soi et de l’autre.

  24. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » ADOLESCENTS DIFFICILES entre AUTORITÉS et SOINS III . Jeunes suicidaires et jeunes anorexiques. Bibliographie Pommereau X., L’adolescent suicidaire, 2ème édition, Paris, Dunod, 2001. Pommereau X., Santé des jeunes : Orientations et actions à promouvoir en 2002, Rapport remis au ministre délégué à la Santé, avril 2002 (disponible sur le site internet du Ministère de la Santé     www.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/024000188/0000.pdf). Pommereau X., Les addictions, in Le Breton D., L’adolescence à risque, Coll. Pluriel, Paris, Hachette, 2003 : 144-156.

  25. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » IV . Acteur de violences inacceptables, il n’est tout aussi souvent que le vecteur et la victime d’une violence généralisée AUTORITE ET SEXUALITE D. MARCELLI[1][1] Le rapprochement de ces deux mots, autorité et sexualité, peut apparaître de prime abord comme un accouplement contre nature ! La sexualité est par essence subversive et vouloir l’assujettir à une quelconque autorité résume parfaitement les impératifs d’une société normative. Y verra-t-on plus clair si on associe les mots adolescence, violence, sexualité et autorité ? C’est en effet autour de ces quatre mots que nous souhaitons articuler brièvement notre propos. L’être sexué devient “ secare ”, c’est à dire coupé du fait de sa sexualité : cette coupure introduit l’individu dans le domaine du manque avec lequel bon gré mal gré il devra s’accoutumer. Cet écart fait violence sur l’individu, d’autant plus qu’il n’y a pas été antérieurement préparé. On dit d’un fleuve que son courant est violent mais on ne dit jamais rien des berges qui l’enserrent : ce proverbe chinois situe parfaitement les enjeux de la violence, terme qui d’ailleurs signifie primitivement un caractère emporté, tumultueux. La violence se situe toujours dans un rapport, rapport entre deux personnes, deux groupes mais aussi entre un contenu et un contenant. On dit volontiers des adolescents qu’ils sont violents, mais a-t-on pensé aux berges qui leur sont nécessaires pour guider des pulsions volontiers débordantes ? Comment un adolescent peut-il soudain apprendre à attendre et patienter, à tolérer la frustration, si depuis sa plus tendre enfance le seul objectif fut de le satisfaire, de répondre immédiatement à ses désirs, en un mot de le combler ? [1][1] * Professeur de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Chef de Service, Centre Hospitalier Henri Laborit - 86021 POITIERS

  26. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » Inversement comment cet autre adolescent peut-il accepter ce temps incontournable de frustration quand sa propre histoire est faite de chaos, de carence majeure où la seule survie possible consiste à vivre de rapine car il n’y a rien à espérer ni à attendre… Les contenants d’autorité sont essentiels à tout être humain, mais leur défaillance se manifeste encore plus clairement chez l’adolescent et tout particulièrement autour de la problématique de la sexualité. Selon l’enquête Baromètre Santé Jeunes, près d’un adolescent sur dix (8%) a déclaré avoir commis un acte violent sur quelqu’un au cours des douze derniers mois, avec une nette prédominance des garçons (12,2%) par rapport aux filles (3,5%). Toutes les données épidémiologiques actuelles tendent à montrer une augmentation régulière des comportements de violence ou des conduites de délinquance chez les jeunes avec un abaissement régulier de l’âge des premiers actes délictueux[1][2]. Effectivement, les “ jeunes ” présentent plus que les enfants ou les adultes des conduites perçues comme dérangeantes par la société. [1][2] Pour plus de détails voir : P. Alvin et D. Marcelli : Médecine de l’adolescent, chapitre 41, p. 253-264, Masson, Paris, 2000, 1 vol.

  27. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » Cependant, lorsqu’elles portent sur des études longitudinales (des populations suivies pendant plusieurs années ou étudiées à des tranches d’âge successives) toutes les enquêtes montrent que les conduites dites violentes observées chez le jeune adolescent, en particulier dans les années “ collège ” (entre 12/13 ans et 15/16 ans), bagarres, fugues, casse ou dégradation de matériel, etc., ont tendance à diminuer nettement de fréquence avec l’âge, certes sans disparaître complètement. Toutefois, il y a beaucoup moins de comportements violents au lycée qu’au collège. Cette constatation apporte un argument de poids sur le rôle de la puberté et du processus de l’adolescence dans l’expression de certains comportements agressifs ou violents. Revenons un instant à l’enfance. L’enfant doit avoir des limites afin d’être à la fois protégé et contenu : protégé par rapport à sa curiosité, son besoin d’exploration avec les risques auxquels l’enfant peut se trouver exposé, contenu dans ce sentiment de toute puissance et d’affirmation de soi avec le risque de voir ce besoin d’affirmation l’emporter sur tout autre considération, en particulier sur l’existence et les besoins de l’autre. A partir de cette première limite interindividuelle, posée au cours de la petite enfance, l’enfant devra rencontrer une seconde limite, celle de son désir au moment de la période dite œdipienne. Classiquement à ce désir œdipien de “ posséder ” son parent du sexe opposé et d’éloigner le parent de son propre sexe, une limite est mise autant par le parent que par l‘enfant lui-même. Le parent signifie clairement que cette possession exclusive n’est ni possible, ni souhaitée. L’enfant craint de s’attirer la colère de celui qu’il veut exclure. Il a peur d’une punition et d’une rétorsion : la punition se représente sous la forme de la “ menace de castration ”, d’autant plus précise que le jeune enfant peut être “ excité ” par l’idée de la scène primitive et que cette excitation peut prendre la forme d’une auto-excitation de type masturbatoire.

  28. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » L’énoncé de cette menace prend la forme de l’interdit de l’inceste, plus classiquement affirmé par la parole du père. La rétorsion se traduit par la peur de perdre l’amour et la protection de l’un des parents, la mère en particulier. Pour s’éviter de tels désagréments, l’enfant renonce à ses désirs œdipiens pour se tourner vers des intérêts sublimatoires tels que les apprentissages, ou vers le désir d’être comme son parent (à défaut de l’écarter, cherchons à lui ressembler…). Cet interdit œdipien pose à l’enfant une limite, celle de son désir, avec la nécessité concomitante de devoir tenir compte de la réalité et de ce que l’autre représente quand on est habité par un tel désir. Cela lui est d’autant plus “ facile ” qu’à cet âge il n’est pas encore pubère et que sa sexualité reste dans le registre de l’auto-érotisme. Ainsi cette limite imposée à la sexualité infantile, au désir de l’enfant vient redoubler la limite précédente, acquise durant le petite enfance, celle qui protège et contient. S’il peut garder en fantasme l’idée de sa toute puissance pour “ quand il sera grand ”, cette double limite en revanche, celle qui est imposée par ses parents et celle qui provient de son immaturité sexuelle, le protège et le canalise.Telle est la description classique de ce qu’on appelle le conflit œdipien et qu’on trouvera encore souvent décrit à quelque variantes près de cette manière. Cependant les temps ont profondément changés et de notre point de vue, ces changement affectent la façon dont l’enfant peut rencontrer non seulement une limite externe mais aussi sa limite interne. De nos jours en effet, tous les parents connaissent ce “ conflit œdipien ”, savent que cela fait parti du développement normal et aucun d’entre eux ne songerait à menacer son enfant ni d’une “ castration ” fut-elle symbolique, ni d’un retrait d’amour ! Tout au plus quand le petit enfant semble vraiment s’exciter, peuvent-ils lui dire : “ va faire ça dans ta chambre… ”. Par ailleurs, avec la disparition de la “ puissance paternelle ” et l’affirmation de l’autorité parentale conjointe, chaque parent a tendance à se situer avec son enfant dans une relation plus dyadique que triadique, le souci essentiel étant souvent de s’en faire aimer plus que de lui donner des limites ou de l’éduquer. Dans ces conditions l’enfant est en réalité plus confronté à une permissivité œdipienne que qu’à un réel interdit.

  29. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » Cas clinique : Donnons un exemple de cette permissivité œdipienne : une mère rentrant chez elle surprend sa fille de 9 ans et demiavec son cousin de 14 ans en train de regarder une cassette pornographique (achetée par le frère aîné). Elle passe devant les enfants et se contente de leur dire : “ Quand est-ce que vous aurez fini de regarder ces bêtises… ”. Elle n’interdit pas vraiment ni ne confisque la cassette ! Il s’agirait simplement de “ bêtises ” comme celles que l’on peut faire quand on est enfant en prenant de la confiture dans le placard : confusion complète de registre. Quelques jours plus tard, le cousin regarde sa cousine avec des yeux “ bizarres ” dit la fillette, les yeux “ comme dans la cassette ”. Par jeu elle lui dit “ tu veux faire l’amour ?”, le cousin excité par cette “ proposition ” se déshabille aussitôt, la fillette pour ne pas avoir l’air ridicule fait de même, ils se caressent et au moment de la pénétration devant la douleur la fillette crie, mord à l’épaule son cousin, ce qui arrête le “ jeu ” ! Toute la famille se retrouve aux urgences de l’hôpital et l’on parle d’abus sexuel, ce qui dans l’absolu n’est pas faux… Il faudra attendre l’arrivée du pédopsychiatre pour que les deux enfants y compris la fillette reçoivent une admonestation, ce que jusque là personne n’avait songé à faire. On peut avancer l’hypothèse que cette fillette en disant cela à son cousin se laissait aller à sa curiosité d’enfant et “ jouait ” à la grande fille sans vraiment prendre conscience de la réalité de sa proposition. Assurément si elle avait eu quelques années de plus, 12/13 ans par exemple, elle n’aurait pas dit cela, consciente des enjeux. Quant au cousin il est non moins vrai qu’il aurait du être capable de contenir son excitation. Mais comment aurait-il pu apprendre cette limite quand sa tante se contentait de parler de “ bêtises ” lorsque, quelques jours auparavant, il regardait une cassette porno avec cette même cousine.

  30. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » Ainsi, même quand cet interdit est énoncé, c’est plus souvent dans un climat de grande paradoxalité. Finalement les parents s’amusent plus des désirs œdipiens de leurs enfants qu’ils ne s’en offusquent et ne cherchent à les limiter. En outre, dans la fréquente compétition pour l’amour de l’enfant dans lequel chaque parent se trouve engagé, l’objectif prioritaire semble être de le séduire, de l’attirer à soi quand le parent est seul avec son enfant plutôt que de faire référence à un tiers qui s’interposerait dans une proximité/intimité relationnelle de plus en plus recherchée entre un adulte et “ son ” enfant (et non pas “ notre ”) comme marque d’une “ vraie ” relation ! Cela apparaît d’autant moins grave que de toute façon l’enfant étant impubère, il n’y a pas de risque. Finalement la seule limite que l’enfant rencontre, c’est celle de sa physiologie ! Effectivement il est protégé par cette immaturité sexuelle. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, la toute puissance de ce désir peut prendre la forme des caprices que pendant un temps les parents pourront encore chercher à satisfaire. Mais hélas pour l’enfant comme pour les parents, la puberté va bouleverser cette donne ! Ce climat que nous nommons “ permissivité oedipienne ” n’est pas susceptible de donner à l’enfant l’expérience de sa limite interne, l’expérience d’une nécessaire limite à imposer à son désir, l’expérience de la contrainte inhérente au respect du désir de l’autre. Dans ce climat de “ permissivité oedipienne ” quasi généralisée, l’enfant n’est plus protégé que par son impuissance orgasmique, par son immaturité sexuelle. Mais cette impuissance et cette immaturité ne représentent en aucun cas une limite : elles définissent un état. Quand cet état d’impuissance cessera, alors l’individu risque de ne supporter aucune entrave à l’expression de ce désir.

  31. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » Il le supportera d’autant moins que durant toute son enfance il a gardé intacte la conviction de la toute puissance de son désir, conviction mise au service de cette instance assertive [1][3]. Obtenir la satisfaction est alors d’autant plus urgent que désormais, avec la puberté, il ne s’agit plus d’un désir mais d’un besoin ; l’exigence de ce besoin est ressentie comme impérieuse et le souci de le combler passe avant le souci de l’autre, la prise en considération de son point de vue émotionnel, de la réciprocité des désirs, en un mot du “ désir de l’autre ”. Les débordements tant externes qu’internes deviennent menaçants. L’adolescence est précisément cette période où la sexualité envahit l’individu et au travers de la puberté engage le grand enfant dans un processus de transformation irréversible. Le jeune adolescent, mis en situation de passivité, est la proie de cette transformation physiologique. Son corps se transforme inéluctablement et à aucun moment l’adolescent n’a son mot à dire dans ce processus de transformation! Voilà qui peut être intolérable pour quelqu’un qui jusque là, dans un sentiment d’assertivité triomphante a toujours fait l’expérience de la toute puissance de l’affirmation de soi, de son désir, de ses caprices. Ce même jeune en est réduit à guetter chaque matin dans la glace de la salle de bain, les traces d’une transformation subie plus que maîtrisée. Cette pression est souvent ressentie comme une violence faite à soi-même, d’autant plus ressentie comme telle que jusqu’à présent on lui a toujours demandé son avis, on en a tenu compte et on lui a donné le sentiment qu’il était le propriétaire exclusif de son corps. [1][3] Marcelli D. L’enfant, chef de la famille. L’autorité de l’infantile, Albin Michel ed., Paris, 2003.

  32. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » La puberté réalise une sorte d’aliénation par le corps donnant le sentiment au jeune que d’une certaine façon il ne s’appartient plus lui-même. Véritable contradiction avec ce que la société occidentale ne cesse de raconter et de répéter : il y a de quoi ne pas croire les adultes. On peut concevoir que la colère puisse être décuplée surtout si le corps a le mauvais goût de choisir un modèle de transformation que le jeune récuse ! En voici un exemple : ce jeune adolescent ne supporte pas la transformation pubertaire de son nez, qui soudain prend les caractéristiques du nez paternel. Il se trouve que ce jeune a été largement “ couvé ”, comme on dit, par une mère qui lui portait une admiration narcissique sans borne tout en dévalorisant constamment son mari dont le nez était l’objet régulier de ses moqueries. Ce nez réalise une véritable persécution installée dans le corps lui-même et bien sûr ce jeune n’a de cesse d’obtenir une transformation chirurgicale de cet appendice détesté. La chirurgie n’apportera qu’une détente relative et temporaire car ce qui était détesté était en réalité la transformation masculine… Cette contradiction entre le discours social : “ ton corps t’appartient, tu en es le seul propriétaire et maître ”, d’un coté, et de l’autre le sentiment d’être soudain mis dans un état de passivité où on doit subir quelque chose, exacerbe la tension inhérente au processus pubertaire, le sentiment de dépossession, la confrontation à une intolérable limite et par conséquent le besoin réactionnel de retrouver la maîtrise en particulier sur son corps. Cette contradiction a de tout temps existé mais elle était jadis encadrée par les rituels sociaux d’un coté, en particulier les rituels de marquage du corps au sens large : nouvelle manière de s’habiller, nouvelle coiffure, marquage proprement dit du corps dans les sociétés dites traditionnelles, etc. Toutes ces marques avaient pour rôle de signifier que désormais ce jeune était intégré parmi les adultes et cette reconnaissanceprocédait d’un rite social partagé par la communauté. D’un autre coté cette contradiction était aussi contenue par l’idéologie communément partagée en particulier celle d’une autorité qui coiffait nécessairement les individus, que cette autorité s’incarne dans des valeurs religieuses ou laïques

  33. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » Maintenant c’est un peu comme si devant ce corps qui lui échappe et face à l’absence de tout encadrement social, le jeune pubère n’avait d’autre solution pour proclamer la propriété sur son corps que de s’engager dans une escalade de marquages auto infligés. C’est le sens de toutes ces “ blessures ” que nombres de jeunes semblent vouloir s’administrer, retrouvant peut-être grâce à ces gestes une part d’activité et d’emprise sur un corps qui paraît leur échapper : tatouages, perçings en tout genre, auto mutilations, scarifications à répétition, tentative de suicide… Par ces actions volontaires de marquage corporel, le jeune tente de se réapproprier un sentiment de possession du corps, d’un corps qu’il pourrait choisir et qui ne lui serait pas imposé comme la puberté est en train de le faire d’une façon intolérable ! Cette violence est évidemment d’autant plus grande que la violence a depuis l’enfance représentée le mode relationnel habituel et que ce jeune éprouve un doute intense quant à son identité : se marquer ainsi renforce un sentiment d’auto création, d’auto engendrement. Certes cette dynamique a toujours existé mais elle prend de nos jours une intensité nouvelle par l’absence de limite socialement prescrite d’un coté et de l’autre par l’exacerbation du discours ambiant, du discours politiquement correct : chaque individu est le seul et exclusif propriétaire de son corps. Les adolescents, parce qu’ils font la douloureuse expérience de ne pas posséder ni maîtriser la transformation pubère de leur corps, sont les premières victimes de cette croyance ! Certaines tentatives de suicide peuvent apparaître à l’adolescence comme une volonté d’affirmer cette possession sur son corps propre[1][4]. [1][4] Marcelli D., Berthaut E. : Dépressions et tentatives de suicide à l’adolescence, Masson ed. , Paris, 2001, p. 149/150.

  34. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » Mais le résultat de la puberté, c’est essentiellement la transformation sexuée de ce corps : désormais, le jeune adolescent devient homme ou femme et doit assumer ce que signifie cette modification. La sexualité introduit le jeune dans un état nouveau car le fait d’être sexué le confronte à une coupure radicale : sexualité provient du latin secare qui signifie être coupé. L’irruption de la sexualité confronte l’individu à la coupure de soi-même, à son incomplétude donc à la dépendance : en effet, à partir du moment où le sujet est sexué, il ne se suffit plus à lui-même et la satisfaction de ses besoins dépendent désormais en partie du bon vouloir d’autrui ! Du temps de l’enfance, un individu n’a pas de désirs qui ne puissent être satisfaits pleinement : nourriture, chaleur et protection, amour parental, jeux et jouets, affection, tout cela rempli la vie d’un enfant et peut le “ combler ”. Certes il peut, comme on l’a vu, en vouloir toujours plus, “ demander la lune ”, avoir un caprice nouveau, mais en général sauf exception il finit par obtenir ce qu’il désire sans que cela empiète sur le désir de l’autre. L’adolescence, et avec elle la sexualisation du corps, placent l’individu dans un tout autre registre : la sexualité est nécessairement un partage et implique la reconnaissance du désir de l’autre. L’auto érotisme doit céder le pas à l’érotisme partagé. En même temps le jeune adolescent est envahi par une pulsion sexuelle qui ne connaît d’autre logique que celle de sa satisfaction propre ! La pulsion cherche son objet d’assouvissement. Habituellement ce jeune adolescent commence par se tourner vers ceux qu’il aime et qu’il connaît, ceux qui, jusqu’à ce moment, lui ont procuré plaisir et satisfaction : ses parents. Mais voilà que ceux-ci ne l’apaisent plus comme ils le faisaient auparavant

  35. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » Au contraire ses parents soudain l’excitent, l’énervent[1][5] ! Cette excitation trouve sa source dans les pulsions sexuelles qui envahissent désormais le corps et le psychisme de ce jeune : il n’est plus protégé comme du temps de l’enfance par son immaturité sexuelle. Il doit donc trouver une solution, d’autant que le climat de permissivité œdipienne dans lequel il a été élevé ne lui donne pas les limites, les barrières naturelles sur lesquelles il puisse s’appuyer. La menace de l’inceste cogne dans sa tête… Mais l’horreur de l’inceste continue de frapper son regard ! Même l’auto érotisme perd soudain la relative innocence qu’il avait dans l’enfance car la représentation d’un parent au cours d’une scène de masturbation ou d’une rêverie érotique devient soudain traumatique[2][6] ! En même temps quand cet adolescent se tourne vers l’extérieur, il fait alors connaissance avec une dimension nouvelle celle de l’altérité : l’autre est différent de soi et l’on ne sait jamais exactement quelles pensées l’habitent, quels désirs le mobilisent. Notre jeune adolescent doit donc accepter de renoncer au lien infantile qui l’unissait à ses parents et chercher à l’extérieur de la famille un nouvel objet d’amour. Mais il est rare que celui-ci se présente aussitôt. En général, cet adolescent devra faire l’épreuve d’un temps d’attente, d’un temps de frustration. [1][5] Là où jadis du temps de l’enfance la proximité parentale procurait l’apaisement et le calme, avec la puberté et l’adolescence, la proximité parentale devient, en deçà d’une certaine distance, motif d’excitation et de tension : “ tu m’énerves ! ” dit le jeune adolescent à son parent qui tente de le calmer en s’approchant de lui. La pulsionnalité nouvelle qui habite l’adolescent prend le parent pour cible… [2][6] Il n’est pas exceptionnel qu’un adolescent fasse au moins une fois un rêve d’inceste. Ce rêve est toujours hautement traumatique, prend des allures de cauchemars et surtout aboutit au fait que désormais ce jeune a peur de ses pensées, de ce qu’il peut avoir dans la tête ! Situation éminemment douloureuse où le sujet doit se méfier d’une partie de ses propres pensées…

  36. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » • C’est à ce point précis que l’intériorisation d’une limite, d’une loi est précieuse et indispensable. • Lorsque l’enfant a pu faire l’expérience de cette triple limite : • celle d’une autorité qui contient et protège le jeune, • celle d’une puissance parentale qui s’est interposée face au besoin tout puissant d’affirmation de soi de l’enfant en période d’opposition, • celle enfin de l’interdit œdipien clairement énoncé pour l’enfant de 4-5 ans, alors le jeune adolescent pourra d’autant plus facilement contenir son excitation, accepter d’attendre, et espérer trouver un jour un objet de comblement. • Cette capacité de contenir à l’intérieur de soi une tension, une insatisfaction temporaire, de différer pour un temps le moment de la décharge pulsionnelle repose nécessairement sur ces expériences de la petite enfance et de l’enfance où une assertivité de soi a pu s’élaborer sans que la rencontre de l’autre ne constitue une menace, une entrave ou un empiétement. • Dans le cas contraire, la non satisfaction pulsionnelle conduit tout droit ce jeune à éprouver cette frustration comme une menace à son omnipotence ou même simplement à son besoin assertif : c’est mon besoin, mon désir et rien d’autre ne compte…

  37. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » En témoigne cette affaire de “ tournante ” abondamment relatée par la presse au moment des faits [1][7] : huit adolescents de 14 à 16 ans décrits par le parquet comme de “ braves garçons sans casier judiciaire, non déstabilisés socialement et totalement inconscient de la gravité de leur acte ” ont violé une jeune fille de 15 ans décrite comme timide, réservée et plutôt fragile, après que deux d’entre eux l’aient entraînée dans un hall d’immeuble et appelé les autres avec leur portable ! Ces jeunes “ étaient jusqu’ici connus pour s’être montrés un peu agités, voire arrogants ou insolents mais jamais violents ” selon l’inspecteur d’académie. Quant à l’établissement lyonnais fréquenté par ces jeunes comme par la victime, sa “ réputation est loin d’être sulfureuse dans un quartier aisé de la rive gauche du Rhône. Certes il a connu, comme bien d’autres, des actes d’incivilité, quelques petits délits, mais ce Collége n’est en aucun cas considéré comme sensible voire difficile ”. Au delà de toutes les explications sociologiques, lesquelles ne manquent pas, il reste dans cette situation le constat suivant : des jeunes habités par une pulsionnalité dont ils ne savent que faire, à la recherche d’un “ objet ” de décharge, inconscients de la place de l’autre et de la violence qu’ils lui font subir. Iln’est pas sans intérêt de noter “ qu’une cellule d’écoute a été mise en place pour expliquer la situation et éviter les rumeurs, mais que la solidarité envers la victime n’a pas été spontanée. Selon l’assistante sociale, les collégiens marqués par une violence d’élimination du plus fragile, comme dans le Loft, ont du mal à accepter l’implication de leurs camarades. Certains évoqueraient volontiers la légèreté de la victime pour expliquer l’acte!” Laissons à l’assistante sociale ses commentaires non dénués de pertinence sur la violence de l’élimination des plus fragiles, et remarquons que les collégiens, les garçons surtout, semblent presque solidaires des agresseurs, solidarité qui n’est pas sans surprendre et même stupéfier les intervenants de la cellule d’écoute comme les journalistes [1][7] Le Figaro du 24/05/02, p. 10, Le Monde du 25/05/02, p. 9 : les citations en ithalique proviennent de ces deux articles de presse.

  38. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » Cela témoigne indirectement de ce désir assertif, ce besoin d’évacuer une insupportable tension interne sans prendre en considération le désir de l’autre. Incontestablement la pulsion sexuelle fait “ violence ” au psychisme de l’adolescent et si celui-ci ne peut s’adosser à des règles, des limites, des interdits intériorisés alors la logique de la satisfaction pulsionnelle risque d’être la seule qui s’impose au(x) jeune(s). Il n’est d’ailleurs pas sans intérêt de constater qu’il soit nécessaire qu’une cellule de crise se déplace pour “ expliquer la situation et éviter les rumeurs ” ! Expliquer quoi, éviter quelles rumeurs ? A travers la nécessité de cette intervention sociale se lit en creux le défaut majeur de contenants d’autorité sociale partagés avec pour conséquence la seule règle du plus fort : mais n’est-ce pas la seule idéologie que notre société semble promouvoir auprès de nombreux jeunes ? S’interdire quelque chose, accepter le sens de la frustration, attendre un peu, ne sont plus les valeurs de cette société : il n’est pas étonnant que les individus parvenant à l’adolescence avec le moins de barrières intériorisées possibles, immergés ensuite dans un bain social qui vante les mérites de tout, tout de suite, aient quelques difficultés à soudain être capables de différer leurs plaisirs, leurs besoins quand ils ne peuvent se soutenir d’aucune règle, aucune morale, aucune éthique, appelons cela comme on veut. Ainsi la sexualité qui envahit l’adolescent confronte celui-ci à une chose douloureuse pour l’être humain : un sentiment d’incomplétude et la nécessaire reconnaissance de sa dépendance à autrui. Cela survient au moment précis où ce même jeune a pour principal souci d’affirmer son indépendance, de refuser toute marque de dépendance ! Paradoxe central de l’adolescence, qui pour être surmonté doit faire l’épreuve d’une relative frustration, d’un temps d’attente.

  39. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » Prenons un exemple : “ Aubade, leçon n° 39. Tester sa résistance ”. Cette publicité fait preuve d’une incontestable esthétique, les affiches sont plutôt belles, l’humour y est très présent et par rapport à l’image, le texte prend un contre-pied non dénué de subtilité.Mais, il n’en reste pas moins que les jeunes femmes ainsi offertes à la concupiscence du regard ne sont pas sans éveiller une promesse d’excitation sexuelle. Comment résister ?Et où sont ces affiches ? Partout dans la ville, souvent dans les abris bus, là où les jeunes attendent leur bus pour partir en classe ! Bien sûr quand ces mêmes jeunes ont intériorisés des limites, des interdits, un code moral, ils peuvent éventuellement en rire, prendre la distance nécessaire pour ne pas en être envahis… Mais quand ces mêmes limites, interdits, codes n’ont pas été proposés, ni a fortiori intériorisés pendant l’enfance, alors ces jeunes risquent d’être soumis à une excitation qui les débordent. Mettre en relief les nombreux paradoxes auxquels les adolescents de cette époque sont désormais confrontés : disparition sinon totale du moins assez importante des limites et des interdits familiaux traditionnellement transmis par les parents, discours social basé sur le triomphe et l’admiration du plus fort, disqualification de tout discours véhiculant la valeur de l’attente et de la frustration, enfin exposition généralisée à la sexualité dans ses aspects les plus visuels : l’image d’une femme offerte ou qui s’offre couvre littéralement murs, écrans, hebdomadaires… Plus que jamais les adolescents ont besoin d’un code de lecture que plus personne ne semble soucieux de leur procurer !

  40. COURS de JEAN-PIERRE VOUCHE « Les adolescents difficiles » Conclusion: Encore une fois on peut souligner que si l’adolescent est trop souvent l’incontestable acteur de violences inacceptables, il n’est tout aussi souvent que le vecteur et la victime d’une violence généralisée dans laquelle il a toujours vécu et qu’enfin l’adolescence est un puissant révélateur de violence tant au plan psychique individuel au travers d’une pulsionnalité qui devient envahissante, qu’au plan collectif, au milieu d’une société dont l’urgence à satisfaire le moindre des besoins, la moindre des envies devient la plus violente des valeurs. On pourra trouver les références et des développements plus complets dans : Marcelli D., L’enfant chef de la famille, l’autorité de l’infantile, Albin Michel, Paris, 2003.

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