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L'Orient dans nos littératures. _____________________ L'Espagne: à la croisée de deux mondes littéraires. O.- Introduction .
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L'Orient dans nos littératures._____________________L'Espagne: à la croisée de deux mondes littéraires.
O.- Introduction. Bien que située à l'extrême occidental de la Méditerranée, l'Andalousie a de tous temps été connectée avec l'Orient. Nombre de groupes humains en provenance du lointain Orient sont venus s'y installer, véhiculant avec eux idées et innovations diverses. Si l'on révise l'Histoire, on peut remarquer que tous les nouveaux habitants sont arrivés en Andalousie non pas pour être de passage, mais pour y rester.
Obéissant à cette règle, l'invasion des soldats de Takiq Ben Ziyyad et de son lieutenant Moussa au printemps de l'an 711 devait supposer le début d'une longue période qui signifia l'entrée de la Péninsule Ibérique dans le monde oriental. Comme nous le savons, pendant cette période, l'Espagne musulmane eut pour nom d'ensemble Al-Andalus. Très rapidement, Al-Andalus marqua son indépendance vis-à-vis du khalifat de Damas, ce qui supposa un rapide épanouissement d'un Islam purement espagnol qui engloba toutes les disciplines.
La littérature en est un des domaines les plus féconds. Al-Andalus devint très rapidement, avec la Sicile arabe, le point de jonction entre l'Occident chrétien et latin et l'Orient musulman.
1.- La littérature médiévale islamo-judaïque espagnole. La circulation des hommes a permis la circulation des idées et des traditions. De cette façon, les apports orientaux, qui venaient de bien au-delà du monde arabe, vinrent se superposer à l'impressionnant substrat gréco-latin de l'Antiquité, donnant lieu à une littérature authentiquement hispano-musulmane.
1.1.- "Jarchas" et "moasajas" musulmanes; "maqamat" hispano-juives.
Un premier exemple de manifestation littéraire hispano-musulmane furent, dès le VIIIe siècle, les "jarchas"et les "moasajas". Premier exemple de la poésie lyrique médiévale européenne, la "moasaja" est une composition poétique chantée en arabe, et la "jarcha" en est le refrain chanté en langue romane (dans ce cas, en mozarabe). Le sujet favori de ces compositions, plus tard repris dans la chanson populaire espagnole, c'est la lamentation d'une femme qui se trouve éloignée de son bienaimé.
Quant au genre littéraire en soi, il sera exporté vers l'Orient, notamment en Egypte, où il deviendra un genre particulièrement apprécié à partir du XIIIe sìecle.
Un premier grand apport juif à la littérature médiévale espagnole est constitué par les "maqamat", ou compositions en prose rimée qui consistent à un ensemble d'entretiens entre deux personnages, et où il est question d'amour, de picaresque, et parfois même de récits un tant soit peu "piquants". Originaires de Mésopotamie, les maqamat sont arrivées à AL-Andalus de la main du musicien Ziriab de Cordoue, né à Bagdad, et arrivé à Cordoue invité par le khalife Abderrahmane III.
Comme nous le verrons plus tard, la thématique et la structure de la maqamat sera reprise dans la littérature chrétienne castillane du Moyen-Âge.
Genre universalisé dans le monde arabe par les auteurs irakiens Al-Hamadhani et Al-Hariri, les maqamat hispanojuives atteindront leur niveau maximal avec Selomoh Ibn Sahl (ou Ibn Sabqel, XIIe s.) et surtout Yehuda AL-Harizi (1170-1230). De par la thématique traitée et la structure suivie, Selomoh Ibn-Sahl sera l'antécédent de l'auteur castillan Juan Ruiz, Archiprêtre d'Hita. Tout comme dans le récit de l'auteur castillan, chez Ibn-Sahl il sera surtout question d'amour, de farces et de picaresque.
1.2.- Les fables d'animaux: Calila e Dimna. Pensées pour faire réfléchir sur les bonnes et mauvaises conduites des hommes, les fables ayant pour protagonistes les animaux ont eu une importance capitale dans la littérature médiévale. La plupart des fables que nous connaissons proviennent de Perse ou de l'Inde, certaines même de Chine, et elles sont arrivées en Europe occidentale à travers le monde arabe. Les caractères présentés et les conduites à suivre ou à ne pas imiter sont symbolisées par les traits dominants de certains animaux.
Le premier grand recueil de fables composé et publié en Espagne c'est le célèbre "Calila e Dimna", composé au XIIe s. à partir de la tradition orale.
Un siècle plus tard, de nombreux contes de ce recueil seront repris dans "El Conde Lucanor", écrit en Castille par Don Juan Manuel, un seigneur castillan qui était un excellent connaisseur de la culture arabo-andalouse.
Le grand chef-d'œuvre de la littérature arabe-andalouse, c'est le "Collar de la Paloma" (Le Collier de la Colombe), composé par le grand poète de Cordoue Ibn Hazm au XIe s.
Il s'agit d'un recueil de poèmes amoureux, dans la ligne de la philosophie néo-platonicienne, et rédigés en arabe. Dans ces poèmes, l'auteur tente de dévoiler les aspects immuables et universels de l'amour à travers les siècles et les civilisations.
1.4.- Les livres moralisateurs. Les livres de morale et de réflexion sur la condition humaine et le droit chemin à suivre occupent une place importante dans le Moyen Âge espagnol, aussi bien dans les royaumes chrétiens que dans les royaumes musulmans, toutes religions confondues. Pour ne citer que quelques exemples, les ouvrages des érudits Juifs Rabí Sem Tob et Judá Ha-Leví furent très lus par tous les hommes de culture de l'époque.
Les "Proverbes Moraux" (Proverbios Morales) de Rabí Sem Tob sont rédigés en "aljamiado" (espagnol ancien écrit en caractères arabes ou hébreux; dans ce cas-ci, en caractères hébreux).
Cet ouvrage est un recueil de conseils donnés au roi Pierre Ier de Castille concernant le gouvernement de son royaume et la bonne conduite à suivre. Nous retrouvons ici un précurseur du "Prince", de Nicolas Machiavel.
Nombreux sont les auteurs de grande renommée en Espagne musulmane. La plupart d'entre eux travaillèrent plusieurs disciplines, notamment la poésie, la médecine, la philosophie et les mathématiques. Cependant, chacun d'entre eux explora un chemin différent, cherchant à combiner tradition religieuse et raison.
Ainsi, par exemple, Aben Tofail, poète, philosophe et médecin né à Guadix (prov. de Grenade), fut le précurseur d'Averroes. Averroes, né à Cordoue, grand médecin, explora les voies pour combiner Islam et raison, Islam et pensée scientifique.
"Le Philosophe Autodidacte" d'Aben Tofail constitue l'essence même de son œuvre, où il pose les fondements de sa pensée, ainsi que sa méthode épistémologique.
Parallèlement, Maïmonide, né également à Cordoue, essaya de combiner Judaïsme et raison, s'attirant l'hostilité de sa propre communauté religieuse.
D'autres auteurs d'Al-Andalus travaillèrent d'autres sciences et d'autres savoirs. Ibn Al-Jatib se spécialisa dans l'étude et la divulgation de l'histoire et de la géographie, reprenant à son compte l'héritage du grec Hérodote et le complétant avec de nouveaux savoirs acquis. Son "Histoire des rois de l'Alhambra" est un magnifique traité d'histoire politique du Royaume Nasride de Grenade.
Le grand voyageur marocain Ibn Battuta, qui séjourna temporairement en Espagne, nous a légué, entre autres, une admirable collection de récits de voyages. Son livre "Voyages" est une description magistrale des nombreux pays parcourus par cet homme d'Etat à l'esprit aventurier.
Les écrits de ces deux auteurs ont été synchrétisés au milieu du XIVe s. par Ibn Jaldún, dans son célèbre ouvrage intitulé en arabe "Al Muqaddima", ou "Introduction à l'Histoire Universelle".
Dans le domaine judaïque, Ben Gabirol, né à Málaga au XIe s., fut un poète qui essaya de synchrétiser les croyances traditionnelles juives et la philosophie néo-platonicienne dans son ouvrage intitulé "Keter Malkut" ("La Couronne du Royaume").
Au XIe. s., Abraham ben Meir Ibn Ezra, plus connu sous le nom de Ben Ezra, travailla à peu près toutes les disciplines scientifiques et philosphiques de l'époque. Il fut, entre autres, le précurseur de la critique textuelle moderne. Pour essayer de discerner le sens secret des Ecritures, il pratiquait une exégèse avec des méthodes grammaticales.
3.- L'Orient dans la littérature chrétienne castillane du Moyen Âge à l'Âge d'Or. Etant donné la remarquable diversité ethnique et religieuse de l'Espagne médiévale, il n'est pas étonnant que l'élément oriental soit si présent dans la littérature castillane du moment.
3.1.- Les personnages dans la littérature médiévale castillane: Chrétiens, Maures et Juifs.
Les communautés religieuses se côtoyaient dans la rue, mais vivaient dans des quartiers séparés. En outre, l'antagonisme entre les royaumes chrétiens et musulmans justifiait une Reconquête chrétienne qui dura près de huit siècles. Cet antagonisme se trouve également en littérature. Dans la plupart des écrits chrétiens, les personnages sont typifiés selon leur appartenance confessionnelle, et les antagonismes tournent toujours à l'avantage des Chrétiens.
Ainsi, les Chrétiens sont en général de grands guerriers, courageux, honnêtes, loyaux, et garants de la justice et de la Vérité. Lors des combats, les Chrétiens sont toujours les vainqueurs. Les Musulmans en revanche, ce sont de bons combattants, mais, croyants en une foi "erronée". Ils sont toujours vaincus par les Chrétiens et, s'ils ne meurent pas toujours, ils sont gagnés à la "vraie" foi. Quant aux Juifs, ce sont d'habiles commerçants avides d'argent, rusés et malhonnêtes. Finalement, ils sont toujours "roulés" par les Chrétiens.
Le "Poema de Mio Cid", transcrit au XIIIe s. à partir de la tradition orale, raconte les exploits du grand guerrier castillan Rodrigo Díaz de Vivar, alias El Cid Campeador, qui vécut dans la seconde moitié du XIe siècle.
Bien que suivant la structure des chants épiques européens, l'élément oriental est onmiprésent sur fond de Reconquista, à travers les luttes incessantes entre les Chrétiens et les Maures, et à travers les négociations financières entre les Chrétiens et les usuriers Juifs. Il n'est que dire que les Chrétiens sont toujours les vainqueurs, et que le Cid, héros qui combat au nom de la justice et de la loyauté sans faille envers son roi, triomphe de tous les périls.
3.3.- Alphonse X le Sage et l'Ecole des Traducteurs de Tolède.
Tout ne fut pas guerre et conquête pendant le Moyen Âge espagnol. Alphonse X le Sage eut certes sa part dans la Reconquista au XIIe s. Mais ce fut surtout un homme cultivé et éclairé qui prétendait englober tous les hommes et toutes les croyances sous son manteau protecteur.
Epris de culture, il entreprit de convertir sa Cour en refuge de tous les hommes de savoir, quelle que fut leur religion. Grand compilateur, il entreprit la composition d'une Chronique Universelle pensée pour regrouper l'ensemble de l'Histoire Universelle et du savoir humain.
Etant donné le volume de documentation à traiter, il dut créer une institution spécifique pour analyser ce nombre croissant de documents: l'Ecole des Traducteurs de Tolède.
Une grande partie des documents d'origine étaient rédigés en arabe ou en hébreu, d'autres l'étaient en latin. La méthode de travail était la suivante: un érudit musulman ou juif traduisait oralement en espagnol les documents arabes ou hébreux à un collègue chrétien, et celui-ci le transcrivait imédiatement en latin.
Il a été fait référence plus haut à Don Juan Manuel, noble castillan et homme d'armes du XIVe s. épris de culture orientale. Cet auteur eut une grand vocation politique. C'est pourquoi, il composa deux recueils de "conseils", le "Libro de los Estados" ("Livre des Etats") et le "Conde Lucanor" ("Le Comte Lucanor").
Dans le "Livre des Etats", Don Juan Manuel veut définir la voie pour atteindre les objectifs dans la vie, une voie marquée par la volonté d'accomplir pleinement les commandements de Dieu. Dans ce sens, un lien peut être établi entre lui et Rabi Sem Tob et ses Proverbes Moraux.
Dans le "Comte Lucanor", nous avons affaire à un véritable recueil de politique. Les conseils de bonne attitude et de bon gouvernement que donne le conseiller Patronio à son seigneur le Comte Lucanor sont illustrés de fables d'animaux tirées le plus souvent du "Calila e Dimna". Ces fables résument point par point les questions posées par le Comte, et les solutions proposées par son conseiller particulier.
Quant à Juan Ruiz, Arhciprêtre d'Hita, lui aussi du XIVe s., il ne reprend pas une thématique orientale à proprement parler, si bien il en utilise les aspects formels. Dans son ouvrage le plus connu, le "Libro de Buen Amor" ("Livre du Bon Amour"), il reprend les formes des maqamat hispano-juives. Cet ouvrage est un recueil de poésies où il prétend donner de bons conseils aux jeunes gens de l'époque afin de parvenir au parfait amour et éviter les pièges des amours superficiels et frivoles.
En fait, dans ce livre il raconte ses propres expériences amoureuses, dont quelques-unes particulièrement "épicées", en combinant à merveille ironie, esprit mordant, un brin de provocation, et surtout un humour à toute épreuve.
4.- L'Âge d'Or (XVIe-XVIIe s.): Don Quichotte de la Manche, symbiose des espaces, des temps et des idées.