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20 Roman de Léo Beaulieu. Chapitre 20 La fuite en moto Première partie. Chapitre 20 La fuite en moto
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20 Roman de Léo Beaulieu Chapitre 20 La fuite en moto Première partie
Chapitre 20 La fuite en moto – Jason ! Pour l’amour du ciel, pas si vite ! Ralentis un peu ! J’ai peur… c’est ma première expérience en moto…, crie Édith à l’oreille de son sauveteur, les bras agrippés à la taille du jeune homme et l’étreignant de toutes ses forces. Ils foncent à toute vitesse depuis plus d’une heure à travers les boulevards et les rues de Manhattan. Ils zigzaguent entre les autos et se fraient un chemin hors de la ville. Face au vent sur un chemin désert, Édith commence à avoir un peu froid et craint de ne plus être en mesure de s’accrocher à Jason. Au début de la randonnée, elle s’y plaisait, bien sûr… Il faisait bon de sentir la chaleur du jeune homme. Jamais auparavant, n’avait-elle été aussi intimement proche d’une personne, autre que Billy. Ce n’était rien à comparer avec ce jeune adonis ! Son visage enfoui dans les cheveux ondulés et flottant au vent débordant du casque protecteur de son conducteur, Édith hume l’odeur virile qui s’en dégage. Une poussée d’adrénaline l’envahit. Surexcitée sans aucun doute par ces moments palpitants qui, malgré l’urgence de la situation et l’euphorie de la proximité du corps d’un homme l’avaient, à coup sûr, envoûtée.
Toutefois, le vrombissement de l’échappement modifié de la fringante motocyclette du jeune serveur assourdit les cris de frayeur de la fragile passagère. Ayant enfourché pour la première fois de sa vie l’étroite selle d’une moto et dans une position plus que précaire, elle panique ! – Jason… ! relance-t-elle à pleins poumons… – Je te le répète : Ralentis, je t’en prie, Jason… ! Vite… ! Je sens que je vais lâcher prise… ! Soudainement, comme si le hasard s’était mis de la partie, le bolide perd de la vitesse… Le moteur tousse… hésite…, puis arrête de tourner. Les phares et les lumières des cadrans indicateurs, synchronisés avec le roulement de la moto, diminuent d’intensité et s’éteignent graduellement. Énormément déçu de cette imprévoyance, le motocycliste pourtant chevronné doit ranger son bolide sur le côté de la route et l’immobiliser. Pendant quelques moments, c’est la désillusion et le silence ! Seuls le son des criquets et celui des animaux nocturnes procurent un faible fond de scène sur cette route rurale. À vrai dire, ce n’est pas rassurant, mais pas du tout !
À l’aide de son pied, Jason déclenche le support de la moto et laisse doucement appuyer son engin sur l’accotement de la route. Exhibant une adresse hors du commun, il se glisse de sa monture sans déstabiliser le véhicule et se hâte d’assister Édith à faire de même. Au début, Édith a peur et choisit de se blottir dans ses bras. Instant sublime, mais trop court, hélas ! On le devinera sans difficultés… Il réussit à s’en dégager quand même avec douceur. Les mains sur les hanches, d’un air accablé : – Ouais… ! Je crois que nous sommes en panne d’essence, Édith ! – Vraiment ? Ah non ! T’es pas sérieux, Jason… en pleine campagne et isolés de toute civilisation ! Qu’allons-nous faire maintenant ? Malgré le désenchantement qu’il éprouve, il tâche de son mieux de trouver les mots pour convaincre Édith : – Tu sais, en réalité, on n’est pas si loin des limites de la ville… faut pas s’inquiéter outre mesure… Articulant avec l’énergie du désespoir et haussant le ton : - « Faut pas s’inquiéter », tu dis ? Franchement, il est deux heures du matin, Jason Smith !
La jeune fille a le cœur gros et ne peut retenir ses larmes … Il faut dire qu’elle a emmagasiné beaucoup de stress depuis les dernières heures et cette déception vient lui enlever tout le courage qui lui restait. Se faisant rassurant, il s’approche d’elle et la prend doucement dans ses bras. Tendrement, il tente de la réconforter d’une voix douce : – Ne crains pas, Édith ! Nous avons à peine franchi les limites de la ville et de plus j’ai aperçu une station de service et un resto-motel tout près d’ici ! Je comprends que tu sois très fatiguée, mais t’en fais pas…, nous marcherons à ton rythme jusqu’à la station de service, c’est tout ! On n’a pas l’choix ! Instinctivement, Jason pose ses lèvres sur sa joue pour la consoler… Cependant, croyant avoir fait un geste inapproprié, il dégage ses mains de sa taille pour se tourner alors vers sa moto. Habilement, mais non sans efforts, il la déplace plus loin dans le champ dans l’herbe haute, bien à l’abri, hors de la route. – Maintenant, viens Édith, dirigeons-nous vers cet endroit dont je t’ai parlé. Nous prendrons une chambre pour la nuit et demain, au lever du jour, dès que la station de service ouvrira ses portes, je me procurerai de l’essence et je retournerai récupérer la moto ! Pas plus compliqué que ça ! Viens… ! Suis-moi ! et d’un geste vif, le jeune homme empoigne le sac qui contient les effets personnels de sa compagne et l’accroche à son épaule.
Main dans la main, à la lueur d’une pleine lune, les deux fugitifs se dirigent vivement, en direction de la ville, à la recherche de ce repaire. Tout comme Jason l’avait prédit, ce refuge moins que modeste n’était pas si loin. À vue d’œil, accrochée à un poteau que par deux vieilles chaînes rouillées, une vétuste enseigne lumineuse clignote sporadiquement et leur apporte une lueur d’espoir et de satisfaction. Déjà, la joie se lit dans les yeux de la fille très fatiguée des événements qu’elle vient de vivre : – Bon ! Enfin, nous y sommes… ! Évidemment, je vais dire comme toi, c’est pas le grand luxe ! lance Édith, un tantinet désappointée, mais quand même très heureuse de trouver un gîte pour la nuit. Tellement d’années à vivre la misère au refuge, puis une nuit à dormir sur le banc du terminus d’autobus, versus l’immense confort de la maison Goldberg, ce sont toutes des expériences qui, sans le savoir, l’avaient préparée à s’accommoder à tous genres de situations. Ils entrent et se dirigent vers la réception. De sa main, Jason sonne la minuscule cloche qui sur le comptoir, repose devant lui. Brutalement tiré de son sommeil par le son aigu de la clochette, un vieux bonhomme se lève lourdement de son confortable fauteuil placé derrière le comptoir d’admission et s’approche pour accueillir les nouveaux clients.
– Bonsoir monsieur… ! Une chambre pour deux, s’il vous plaît ! demande poliment Jason… – Une chambre pour deux, vous dites ? Mais, ma foi… quel âge a la petite ? questionne pertinemment le préposé, bâillant exagérément en écarquillant les yeux d’étonnement à la vue de la fille… – Elle me semble pas mal jeune pour courir dans la nuit avec un jeune homme ? Vous avez vos papiers ? – Écoutez, monsieur… ! C’est ma petite sœur. Nous faisions une balade en moto depuis quelques heures, puis… tout à coup… une panne d’essence… ! Nous nous sommes aventurés un peu trop loin de la ville pour y retourner à pied… et de plus, la station d’essence est fermée ! Nous n’avons pas le choix que de trouver un endroit pour dormir. Et ici, ça nous paraissait correct ! Timidement, pour amadouer l’homme, l’air ennuyé d’avoir été dérangé dans son sommeil, il ose ajouter : - Mais, si ça ne vous convient pas, bien… nous pourrions peut-être utiliser deux fauteuils de votre salle d’attente, si vous nous le permettez ? Ça ne nous obligerait pas à chercher encore ou, dans le cas extrême, dormir à la belle étoile. Vous savez, c’est surtout pour ma sœur que ce ne serait pas évident. Moi, je pourrais à la rigueur me contenter de moins…
Le vieil employé avait écouté attentivement le plaidoyer très bien rendu par Jason. Il lui semblait honnête. Après quelques secondes de réflexion, se tournant vers un tableau numéroté muni de crochets auxquels plusieurs clés pendaient, il en remet une à Jason… – Chambre 23… au bout du couloir ! Il faut me payer d’avance… vingt-cinq dollars ! dit-il laconiquement. – Voilà, monsieur… vingt-cinq dollars… et merci beaucoup pour votre compréhension ! – Minute là… ! Faut signer le registre… ici… sous cette ligne ! en pointant de son doigt l’endroit où la signature doit apparaître… – Et il me faut celle de votre « p’tite sœur » également ! commande le vieux monsieur, avec un sourire narquois. Sur ces routes désertiques des États-Unis, il est fréquent d’y découvrir de petits restos adjacents à des motels malfamés où on ne pose pas trop de questions. On s’assure quand même de vérifier l’identité des gens qui désirent y héberger pour une nuit… mais, peu d’importance est attribuée à l’authenticité du nom écrit au registre. Raison pour laquelle, figure dans ces registres postiches, une foule de pseudonymes tels que : Smith, Brown, Jones, etc.
Enfin, une fois ce détail réglé, les deux voyageurs déambulent dans le sombre corridor à la recherche de la chambre 23. – Tiens ! La voici ! lance le jeune homme avant de tourner la clé dans la serrure. Tâtonnant aveuglément le long du mur de chaque côté de la porte, il trouve enfin le commutateur et le bascule de haut en bas sans résultat. – Peine perdue ! Il ne fonctionne pas ou bien l’ampoule du plafond est grillée, avance-t-il candidement. Réprimant difficilement un léger sourire en tentant de désamorcer la tension qui se distingue nettement dans les yeux de la jeune fille, il ajoute : - La « p’tite sœur » a peur ? se permet-il de dire. Cependant Édith ne le trouve pas drôle du tout. – Dis-moi donc, Jason ! Qu’est-ce qui t’a pris de me faire passer pour ta petite sœur tout à l’heure, devant le réceptionniste ? Cette courte phrase confirmait la naïveté de la jeune fille. Jason s’aperçoit que sa compagne est beaucoup plus crédule qu’il ne le pensait. Convaincu qu’Édith n’avait jamais connu les aboutissements des soirées organisées par le monstre Goldberg, il en ressent une profonde satisfaction.
20 Tous droits réservés 2006 Photos : Pierrette Beaulieu Pièce musicale : Pachelbel Interprété par ‘Classical Guitar’