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Chapitre 3 LES ENJEUX GÉOPOLITIQUES.
E N D
Quelle notion est plus polysémique que celle d’enjeu ? Au sens initial, un enjeu est ce que l’on met en jeu, donc ce que l’on peut gagner ou perdre. En géopolitique, sachant que l’on a défini cette discipline comme étude de l’espace en tant qu’enjeu », on devra se demander à quel titre l’espace est-il un enjeu ? Pourquoi est-il disputé par des acteurs concurrents ? Ces questions en appellent une autre, en aval l’espace est-il encore un enjeu dans le monde contemporain • L’importance de l’espace géographique s’est dépréciée. On annonce de manière récurrente la «fin des territoires » (Badie, 1995). En fait, plus qu’une disparition des territoires, c’est d’une dépréciation dont il s’agit. L’évolution contemporaine « ne permet plus d’admettre le principe de territorialité comme fédérateur de notre ordre international » (Badie, p. 14). Les enjeux contemporains les plus importants semblent loin de cette dimension « horizontale » enjeux financiers, contrôle et maîtrise des flux d’informations, etc. Néanmoins, une fois ces réserves posées, on devra bien admettre que les crises de Palestine, du Kosovo, de Macédoine, d’Afghanistan et d’autres encore posent bien la question de la maîtrise des territoires. • Au XXIe siècle, la perception de l’espace évolue, mais celui-ci demeure le substrat, le support de toutes les activités fussent les plus virtuelles. Quelle que soit la perception que l’on a des enjeux, l’humanité ne peut pas faire abstraction de l’espace terrestre.
— L’enjeu une donnée relative Avant de développer ces thèmes fondamentaux, il est nécessaire de rappeler que « l’enjeu est à la mesure de son temps et de son espace » (Wackermann, 1997, p. 32). Il y a plusieurs siècles, des bras, c’est-à-dire une population nombreuse, et du minerai de fer étaient des enjeux fondamentaux qui pouvaient suffire pour se rendre maître de larges territoires. Ces données représentaient donc des enjeux considérables. Aujourd’hui, le minerai de fer compte moins que les microprocesseurs et les bras moins que les cerveaux... Dans un tout autre registre, si les littoraux forment un enjeu important, l’accès à un fleuve navigable est un enjeu vital pour deux États enclavés. L’enjeu est donc bien une donnée relative et non intangible. Par ailleurs, l’enjeu est non seulement ce qui motive l’acteur en tant qu’objectif à atteindre, ce peut être aussi une condition (ou un ensemble de conditions) lui permettant d’atteindre l’objectif fixé (les stratèges aiment rappeler dans ce cas que l’enjeu convoité doit être supérieur aux risques encourus). Ainsi, la « puissance » serait autant un objectif à atteindre, qu’une condition nécessaire permettant d’atteindre un (ou des) objectif(s).
I. L’ESPACE COMME SYMBOLE L’espace n’a pas nécessairement besoin d’être riche ou peuplé pour devenir un enjeu entre acteurs géopolitiques. N’aurait-il strictement aucune valeur, il pourrait être âprement disputé. En effet, dans une conception très classique, presque archaïque, de la géopolitique, céder un territoire ou une position, c’est faire acte de faiblesse. Ainsi, pour un Etat, renoncer à une parcelle de son territoire est en général non seulement douloureux mais impensable. On arguera que, dans ce cas-là aussi, tout change et que certains acteurs font le choix du « rétrécissement » territorial (cf. plus bas, La puissance sans territoire), mais cette position relève encore de l’exception. Considérer l’espace en tant que « symbole », c’est admettre que le territoire dispose d’une valeur intrinsèque, quelle que soit sa « capacité » en termes de ressources, de sécurité ou de puissance. C’est admettre qu’il importe en tant que tel. L’étendue du territoire sur la carte est ainsi une représentation classique (et fausse) de la puissance. On peut rappeler ici que le territoire au- delà de toute « valeur» fonde la légitimité du pouvoir de certains acteurs : un chef d’Etat ou de gouvernement, un président de région, ou un député, tirent leur pouvoir de la population du territoire qu’ils représentent. Le découpage du monde en territoires est donc très important puisque les territoires politiques légitiment les élites politiques.
A. Le symbole comme réalité géographique. Le symbole au sens géographique est relativement varié puisqu’il englobe des lieux fonctionnels de mémoire de toutes tailles ou échelles : monuments, maison natale, champ de bataille, village, ville, parfois région entière, etc. Pour les peuples, les lieux-clefs de l’ethnogenèse, ceux qui ont participé de la naissance de l’ethnie — ou du « peuple » — sont très importants.. De ce fait, le territoire désigné comme « originel » acquiert une valeur symbolique forte, nonobstant sa « valeur ». Les lieux des grandes batailles deviennent des symboles de l’appartenance du territoire à un « peuple ». Ces lieux deviennent les réceptacles de l’identité nationale, ethnique ou religieuse qu’ils soient des victoires comme Valmy en France, Yorktown aux USA ou des défaites comme Mohàcs en Hongrie. Le symbole comme réalité géographique est plus souvent un point, un lieu de mémoire, ou un réseau de points, il est plus rarement un territoire en tant que tel. Le symbole formerait ainsi une « oasis » dans un désert de sens. Les symboles participent de l’irréductibilité de l’espace à la théorisation. L’espace mondial n’est pas que capacité et valeur, il est sens et, à partir de là, il génère des conduites irrationnelles. Les enjeux symboliques sont apparemment illogiques. Ils révèlent l’homme dans la complexité de son rapport à la terre. Les religions sont très friandes de ces repères : les églises chrétiennes ont été orientées vers Jérusalem, les musulmans effectuent leur prière en se tournant vers La Mecque, etc.
B. Le symbole comme projet. On aurait cependant tort de considérer le symbole comme une simple réalité géographique. Si un acteur utilise tel symbole, ce n’est pas au hasard, sans raison.Le symbole est instrumentalisé dans un contexte précis. Des acteurs utilisent tel épisode, donc tel lieu, pour stimuler leur population, clientèle ou électorat, Il est peu de chose « naturelles », ou objectives surtout pas en ce qui concerne les symboles. Un symbole n’est jamais neutre, il correspond à un enjeu contemporain. Tout symbole est donc lié à un projet. A un symbole géographique correspond un projet géopolitique. De manière très éloquente, Vuk Draskovic, (président, au début des années 1990, du Mouvement serbe du renouveau) lançait le slogan ultranationaliste suivant « Il faut se battre pour toutes les terres de Yougoslavie où se trouve un cimetière serbe » (Grmek, Gjidara, & Simac, 1993, p. 316). Les territoires et les lieux symboliques sont donc convoqués par des acteurs (Etats, Eglises ou peuples) s’ils sont liés à l’histoire de ces acteurs et s’ils servent leurs projets.
II. L’ESPACE COMME RICHESSE. La notion de richesse est extrêmement vaste, elle se manie souvent au pluriel un acteur convoite un territoire pour e ses » richesses. Dans ce cas, cette notion peut être considérée comme plus ou moins synonyme de ressources. Une richesse est une source de revenus.., et donc de pouvoir. Le contrôle d’une richesse est une motivation aussi ancienne qu’importante pour les acteurs luttant pour le contrôle de l’espace. Les richesses sont nombreuses, elles se sont multipliées à mesure que les technologies ont évolué. On peut présenter les richesses en distinguant des richesses naturelles tirées du sous- sol, du sol ou de l’océan ; des richesses artificielles ou transformées; puis des richesses stratégiques — expression plus polysémique qu’elle ne le paraît de prime abord — qui désignent les produits les plus importants pour les acteurs, à toutes les échelles. On pourra clore ce développement en envisageant aussi la question de la pauvreté.
A. Les ressources naturelles Les ressources (ou richesses) naturelles sont un des objets d’étude les plus classiques de la géographie. — Une grande diversité de richesses naturelles Les richesses naturelles relèvent de plusieurs catégories. Les géographes les distinguent suivant leur localisation sur le globe ressources du sous-sol (métaux, minerais, sources d’énergie, nappes phréatiques), ressources du sol (productions agricoles, sylvicoles, ou liées à l’élevage) et ressources de la mer, ou pélagiques (du grec pélagos: ensemble des êtres vivants dans l’océan) qui incluent les ressources halieutiques (liées à la pêche), et les ressources liées à l’exploitation de la flore. Certaines ressources entrent dans plusieurs catégories. Tel est le cas de l’eau, un produit hautement stratégique dans les régions arides. — Une répartition très inégale La géographie des richesses naturelles se caractérise par l’inégale répartition, ainsi que la nature non-renouvelable d’une bonne partie d’entre elles. Cette inégale répartition détermine une hiérarchie des espaces naturels certains sont intéressants, et acquièrent une valeur, d’autres non. Les régions où se concentre une part significative des ressources sont les plus disputées. Dès lors, la localisation des frontières prend une importance énorme dans les secteurs les mieux dotés. La colonisation européenne s’explique largement par la volonté d’acquérir des ressources qui manquaient aux métropoles. On retrouve la même logique dans l’Empire nippon du début du XXe siècle. Dans cette logique spatiale, déplacer la frontière permet à un Etat ou une région d’augmenter ses ressources. L’enjeu de la position de la frontière franco-allemande en Lorraine et en Sarre, ou de la frontière germano-polonaise en 1918-19 tenait largement à la position des ressources du sous-sol et à l’exploitation des gisements de houille de ces régions. L’analyse de la répartition des richesses met en évidence de grandes régions économiques qui sont des enjeux géopolitiques majeurs et des régions qui, au contraire, sont dépourvues de richesses. Ces déséquilibres engendrent des flux. Les flux de matières premières (de richesses naturelles) relient souvent des régions richement dotées mais peu peuplées et des régions peuplées et mal dotées (Japon, Europe occidentale). Les régions peuplées ne sont cependant pas nécessairement mal dotées (Etats-Unis). La répartition des richesses du sous-sol découle de sa nature géologique. Les terrains sédimentaires sont les seuls susceptibles de renfermer des hydrocarbures, ils fournissent aussi du calcaire pour le ciment, des argiles, des sables et de la silice utilisés par de nombreuses industries. Les socles, ou boucliers, mais aussi les massifs anciens (régions de roches métamorphiques et cristallines) concentrent les richesses minérales. Les minerais proviennent de l’altération des roches de socle sous climat chaud et humide (paléoclimat). Tel est le cas entre autre du fer, de la bauxite ou du nickel. Le fer est plus abondant que la plupart des métaux, on le trouve aussi dans les terrains sédimentaires. Les placers sont des gîtes alluvionnaires riches en paillettes et en pépites d’or (Californie, Afrique du Sud, ex-Zaïre). En Angola, les richesses naturelles sont un des enjeux majeurs de la guerre civile. Le pouvoir (MPLA) tient les richesses pétrolières (off-shore), la rébellion (UNITA) tient les ressources diamantifères. Ces dernières auraient rapporté 1,2 milliard de francs à l’UNITA en 1998. L’UNITA a longtemps vécu des fonds secrets que lui versaient ses alliés de circonstance, Américains et Sud-Africains. La fin de la guerre froide et la disparition du régime d’apartheid ont mis un terme à ce soutien financier. La maîtrise de l’exploitation et la contrebande des diamants sont devenues une nécessité pour l’UNITA.
La répartition des ressources du sol (productions agricoles, sylvicoles) est étroitement liée à la topographie (favorisant les plaines littorales et alluviales et les plateaux) et à la diversité des milieux bioclimatiques. L’homme joue un rôle déterminant sur la répartition de celles-ci. L’extension des zones agricoles a été parallèle à la croissance de la population mondiale. L’amélioration des techniques a permis l’augmentation de la production mais aussi la mise en valeur de régions autrefois désertiques (déserts chauds mis en valeur par irrigation, régions polaires mises en valeur sous serres, culture hors-sol, etc.). Les ressources maritimes ont pris une ampleur croissante du fait de l’évolution des techniques et de l’épuisement de certaines réserves continentales. L’accaparement des espaces maritimes est devenu une donnée importante des dispositifs géopolitiques (cf. frontières maritimes). Ces ressources sont liées à la faune à la flore, ou aux sous-sols sous-marins. La localisation des richesses minérales et énergétiques est très inégale. À l’heure actuelle, seules les ressources du plateau continental sont exploitables de manière rentable. Ainsi, l’extraction off-shore (par les plates-formes pétrolières) s’est-elle généralisée. La mer du Nord offrant l’archétype d’un espace maritime entièrement découpé et mis en valeur. Potentiellement riches aussi sont les rifts médio-océaniques et les arcs volcaniques bordant les grandes fosses qui renferment de grandes quantités de métaux. Les plaines abyssales, enfin, sont riches en nodules polymétalliques (concrétions minérales de petite taille et d’une teneur en minerais variable). On les trouve essentiellement sous les 4 000 mètres de profondeur mais leur exploitation n’est pas encore rentable.