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Cultive-t-on encore les bébés ?. Patrick Ben Soussan Pédopsychiatre, Chef du Département de Psychologie Clinique, Institut Paoli-Calmettes, Marseille.
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Cultive-t-on encore les bébés ? Patrick Ben Soussan Pédopsychiatre, Chef du Département de Psychologie Clinique, Institut Paoli-Calmettes, Marseille
« Bébé. Créature difforme à l’âge, au sexe et à la condition indéterminés, hautement remarquable par la violence des sympathies et des antipathies qu’elle provoque chez les autres, sans exprimer elle-même de sentiment ni d’émotion. » Ambrose Bierce, écrivain et journaliste américain du XIXe siècle
Bon, précisons :Pas le bébé tube digestif « Un tube digestif inerte et végétatif dont les activités se bornent à ses besoins primaires » Métaphysique des tubes (Paris, Albin Michel, 2000, p.7)
Pas le bébé Pipicacadodo Le nouveau-né, perdu dans son sommeil fœtal est plus pauvre, plus humble que le plus archaïque des animaux. Ses seuls liens avec le monde extérieur c’est l’air qu’il respire, le lait qu’il boit. Quand il émerge de son sommeil, c’est seulement pour crier et téter. Il est essentiellement une bouchevagissante et goulue". René Zazzo, 1955
L’enfant merveilleux « Quelle mystérieuse ascension ! D'une lave en fusion, d'une pâle étoile, d'une cellule vivante germée par miracle nous sommes issus, et, peu à peu, nous nous sommes élevés jusqu'à écrire des cantates et à peser des voies lactées.» Saint-Exupéry
Glenn DomanThe Institutes for the Achievement of Human Potential How to Multiply Your Baby’s Intelligence Course ?
Le génie en germe « Il suffit pour l’instant de dire que chaque enfant, ... est, du moins en germe, un artiste, un visionnaire et un révolutionnaire. » David Cooper
Mais pourquoi les années de puériculture ne seraient que verts paradis?
L’enfant n’est qu’à aimerLa fable institue comme seule loi de l’enfance, l’amour, irréductible, des parents
Oublions donc Gavroche, Poil de Carotte, Bécassine ou le Petit Poucet
Pour nous aider, une histoire connue: « Il était une fois, trois petits cochons... »
Qui aimaient tant le chou, la boue, taper, roter et péter...
Le bébé « cultivé » a besoin d’histoire (s) • L’Histoire • Leur histoire • Les histoires • Il n’y a pas de premier jour, tout ce qui vit s’autorise d’un précédent et le passé a toujours de l’avenir. Toute naissance porte en elle l’empreinte déjà inscrite de la vie et si originale que soit cette entreprise, nous mettons nos pas dans des pas déjà tracés. • Tout enfant nait d’une histoire qui l’a porté au monde
« “Que veux-tu que je te lise, mon chéri ? Les Fées”… Cette histoire m’était familière : ma mère me la racontait souvent, quand elle me débarbouillait, en s’interrompant pour me frictionner à l’eau de Cologne, pour ramasser, sous la baignoire, le savon qui lui avait glissé des mains et j’écoutais distraitement le récit trop connu ; je n’avais d’yeux que pour Anne-Marie, cette jeune fille de tous mes matins ; je n’avais d’oreilles que pour sa voix troublée par la servitude ; je me plaisais à ses phrases inachevées, à ses mots toujours en retard, à sa brusque assurance, vivement défaite et qui se tournait en déroute pour disparaître dans un effilochement mélodieux et se recomposer après un silence. L’histoire, ça venait par-dessus le marché ; c’était le lien de ses soliloques. Tout le temps qu’elle parlait nous étions seuls et clandestins, loin des hommes, des dieux et des prêtres, deux biches au bois, avec ces autres biches, les Fées ; je n’arrivais pas à croire qu’on eût composé tout un livre pour y faire figurer cet épisode de notre vie profane qui sentait le savon et l’eau de Cologne. »
Le bébé « cultivé » a besoin d’être « touché » • Etre soumis à celle qui, par ses « charmes », ensorcelle, capture, s’approprie l’enfant : la féerie maternelle. • La présence toute sensuelle de l’autre, la rencontre passionnée et passionnelle entre mère et tout petit • L’histoire d’une rencontre, aile contre aile, corps contre corps, de deux êtres qui se découvrent « dans l’infini des sensations » de ce « pays singulier » des premiers mois.
Le troisième « L'Appréhension de la beauté. Le rôle du conflit esthétique dans le développement psychique, la violence, l'art. » Avec Martha Harris Paris, Ed. Hublot, 2000 Donald Meltzer (1922-2004)
Le conflit esthétique • C'est ce questionnement qui met en action la pulsion épistémophilique qui est à l'origine de la soif de savoir, de la curiosité, ce moteur qui anime la croissance psychique de l'enfant. • Est-ce aussi beau dedans que dehors ? Impact esthétique direct de l’extérieur de l’objet, accessible aux organes des sens, face à l’intérieur énigmatique de l’objet, qui doit être interprété et élaboré par l’imagination créative.
Déjà connu des poètes • Pour Baudelaire, en ces « années profondes » de l’enfance, tout n’est qu’ « expérience des sens, impressions heureuses et affection profonde. »
« Les parfums, les couleurs et les sons se répondent » • Il écoute les sons, les couleurs, les odeurs, dégage des formes confuses de son environnement la carte de sa géographie intime et cherche dans les harmoniques du monde les lignes et les accents de sa petite musique.
Pour Baudelaire • Le poète est un alchimiste des perceptions qui recompose la musique des émotions, de toutes les données sensibles de la vie. Dès lors, l’enfant en son développement n’est rien d’autre qu’un poète. • Extraordinairement expérimentateur, explorateur, une graine de Colomb, un Neil Armstrong en puissance, un Galilée, un Darwin, un Rimbaud, un Freud !
L’enfant explorateur ou philosophe L’enfant procède par correspondance, association, affiliation, comparaison, mathématicien en herbe, statisticien, évaluateur et accréditeur de toutes choses. Dans cet incessant travail sur le monde et sur lui-même, il est ce « philosophe » qu’évoque J-D Vincent, avant même de savoir parler, un philosophe doué d’une bien piètre objectivité, tant il est pris dans les rets affectifs de son lien à l’autre, si peu autre au début. Baudelaire en 1852, dans son essai L’école païenne, rappelle ainsi que cet enfant vit ses sens « journellement caressés, irrités, effrayés, allumés et satisfaits par des objets d’art », au premier rang desquels Donald Meltzer placerait cet « objet esthétique » maternel.
Le bébé « cultivé » a besoin de sentir, ressentir • Nul « je » au début • Un « nous » se compose • Le premier vocabulaire des émotions « Je suis parce que je suis ému et parce que tu le sais » J-D. Vincent (La chair et le diable, 1996) • L’Homo sentiens (M. Lacroix, 2001) • Les vivances émotionnelles (W. Bion)
Le bébé « cultivé » a de l’esprit : la théorie de l’Esprit • La capacité du bébé à comprendre, expliquer et prédire les représentations mentales : la position intentionnelle du bébé (Dennett) • L’instauration précoce d’anticipations sociales et de compréhension de l’intentionnalité des comportements humains • Toute distinction entre cognitif et social n’a plus de sens
Le bébé « cultivé »va besoin d’un TOI (T) « Un nourrisson, ça n’existe pas » DW Winnicott
La Théorie de l'attachement Blaise Pierrehumbert - éd. Odile Jacob, 2003
« Qu’est-ce qu’un enfant ? » A cette question, en écho, le Talmud répond par une autre énigmatique question : Il est un « quoi ? », un « qu’est-ce que c’est ? » Mais il dit plus. Il interroge : « A quoi ressemble un enfant dans le ventre de sa mère ? » Et voilà la réponse qu’il donne : « A un livre plié »
Du livre à la cire • La Tabula rasa d’Aristote : « Une cire vierge, une matière à façonner » A la naissance, l'individu est dans un état d'imperfection absolue
Empirique, l’enfant ! • Locke (1632-1702) : Rien n'est antérieur à l'expérience et, partant, rien n'est inné. • Helvétius (1715-1771) : L’inégalité des esprits ne tire pas son origine de l’organisation biologique des individus mais de leur éducation
« Les aventures de Pinocchio, histoire d’un pantin » Carlo Collodi, 1883 Que nous conte donc Pinocchio ? L’histoire d’un ridicule petit pantin de bois, issu tout droit d’une fiction parentale, qui devra affronter tout un périlleux cheminement pour advenir au statut de personne humaine, de sujet inscrit dans une filiation et une histoire.