E N D
1. La pensée sans le
langage
3. Pourquoi la pensée serait-elle le propre de l’homme ?
Dans l’hypothèse explorée dans les sciences cognitives, les organismes s’orientent dans leur environnement à l’aide de représentations.
Avoir un esprit = (def) pouvoir former et utiliser des représentations:
“L’esprit est un organe de représentation”
(D. K. Lewis)
4. Qu’entend-on par “représentation” ?
Une notion qui est utilisée simplement pour interpréter des comportements ?
Une entité qui a un rôle causal dans les comportements ?
5. Qu’entend-on par “représentation” ?
Une notion qui est utilisée simplement pour interpréter des comportements ?
Une entité qui a un rôle causal dans les comportements ?
6. Par représentation, on entend Une structure matérielle (par ex. un ensemble de neurones)
qui porte une information utile à la vie de l’organisme.
Et qui a pour fonction de porter cette information
(voir F. Dretske: Knowledge and the flow of information, 1981 & Explaining behavior 1991
7. Qu'est-ce que l'"information"? L'information est définie comme la relation converse d'une relation causale: tout effet porte une information sur sa cause.
Ce sont les mécanismes de croissance et de réactivité neuronale qui assurent, par couplage entre l'environnement et les récepteurs sensoriels, la sélection et la rétention de l'information.
8. Qu’entend-on par “représentation”? Qu’est-ce qui fait qu’une représentation a tel ou tel contenu (fait référence à X plutôt qu’à Y) ?
C'est le couplage fonctionnel avec une "affordance" de l'environnement qui explique pourquoi le cerveau a spécialisé une structure pour représenter X.
9. Les protoreprésentations intensives le cas de l’APLYSIE
10. Co-variation neurones/environnement. L’aplysie est un mollusque qui vit entre autres en Baie d’Arcachon.
Elle a de gros neurones, ce qui en facilite l’étude
11. Aplysia dactylomela.
12. Aplysia californica
13. Cet invertébré possède des organes respiratoires (branchies) situées dans un manteau
A l’extrémité du manteau, le siphon est l’organe sensoriel
Quand le siphon reçoit une stimulation tactile, les organes respiratoires se retirent sous le manteau (réflexe de défense).
14. Hawkins et Kandel (1984) ont montré que ce réflexe pouvait être modifié par apprentissage.
Si un stimulus tactile de faible intensité est appliqué sur son siphon, elle finit par ignorer la stimulation (et laisser son siphon exposé au lieu de le rentrer sous son “manteau”) (“habituation”)
15. Hawkins et Kandel (1984) Si un stimulus tactile de forte intensité est appliqué sur son siphon, elle apprend à le replier pour des stimuli plus faibles (“sensibilisation”)
L’aplysie (un invertébré) est capable d’être conditionnée comme les vertébrés.
16. Hawkins et Kandel (1984) les mécanismes neuronaux qui permettent à l'aplysie de manifester une sensibilisation ou une habituation interviennent aussi dans les formes plus complexes d'apprentissage d'autres espèces
17. Hawkins et Kandel (1984) ce qui permet à l'animal de former "une protoreprésentation du monde" est un changement de neurotransmetteurs à un certain emplacement des neurones sensoriels (les canaux Ca++).
18. Qu’entend-on par “représentation”?
Une représentation a-t-elle nécessairement une structure langagière ?
Ambiguité de la question
19. Qu’entend-on par “représentation”?
Le langage "extérieur" n'est jamais requis.
Représenter suppose de catégoriser, et donc de distinguer et combiner des types d'information, tels que:
Indice / propriété ("contenus non conceptuels")
Objet / propriété ("contenus conceptuels")
20. Bref coup d’oeil sur les variétés de représentations
21. Le degré zéro : le réflexe Ensemble de dispositifs sélectionnés par l’évolution parce qu’ils maintiennent le couplage avec l’environnement sans nécessité de stockage de l’information
Équivalents du thermostat
22. exemple Les neurones olfactifs de l’escargot le “tirent” vers les végétaux comestibles
Ses neurones tactiles activent la rétraction des cornes en cas d’obstacle.
Le dispositif serait rigide si l’information ne jouait aucun rôle causal dans le comportement de l'animal
Mais les escargots peuvent apprendre par conditionnement à contrôler leurs réflexes.
23. Représentation et flexibilité Quand les réflexes deviennent modifiables, on a les premières formes de représentation: les protoreprésentations.
L’histoire des relations organisme-milieu est stockée dans les neurones
Des stratégies d'action flexibles sont alors disponibles selon l'indice contextuel associé.
24. La protoreprésentation catégorisante Le cas de l’araignée
25. Araignée salticide Portia Labiata
Prédateur d'autres araignées
Peut travailler hors de sa toile
Vision haute résolution
26. Portia forme des représentations ("search images") de ses proies favorites.
Ces représentations ont des contenus non-conceptuels
Ce sont des indices d'affordances
27. Ce que peut Portia Imiter les vibrations d'un insecte pris dans une toile pour attirer sa proie (Jackson 2004)
Décider d'une attaque frontale ou rostrale selon la proie (Tarsitano 2006)
Préparer sa stratégie sur plusieurs heures sans contact visuel avec sa proie
28. Les araignées pensent-elles ? L’araignée peut catégoriser ses entrées perceptives afin d'agir conformément aux exigences de chaque catégorie.
capteurs de vibration + comparaison avec modèles internes mémorisés = action adaptée
Quand les prises sont multiples, les positions des proies sur sa toile sont mémorisées.
29. Mais la pensée demande davantage.. L’araignée catégorise et associe des “traits” (fréquences vibratoires, emplacement sur la toile, odeurs)
Elle ne forme pas de représentation d’objets indépendants
Elle ne fait pas référence à un monde perçu et pensé comme extérieur.
30. De la protoreprésentation à la représentation
31. proto-représentation représentation centrée sur la réactivité de l’organisme qui en est le porteur (besoins ressentis, émotions, programmes moteurs innés).
Son contenu est “immergé” centrée sur la référence à un objet, indépendamment des propriétés présentes du porteur.
Son contenu est “détaché”
32. La pensée passe par des représentations détachées Deux raisons (au moins) sont avancées:
1 - Penser suppose de pouvoir rectifier ses erreurs.
Or il n’y a accès à la vérité (et à la fausseté) que si l’on se représente un objet comme ayant objectivement telle ou telle propriété.
33. La pensée passe par des représentations détachées 2 - La pensée exige la généralisation:
Appliquer un concept suppose de classer des objets connus ou non relativement à ce concept.
Penser suppose de pouvoir combiner les concepts acquis de manière inédite.
34. Comment peut-on savoir si un animal accède à la représentation détachée ? Deux méthodes possibles :
1 - Analyser ses comportements pour voir s’ils manifestent une capacité de révision d’erreur et de généralisation
... Mais cette méthode n’est pas infaillible parce que l’évolution a sélectionné des mécanismes “aveugles” qui évoquent la révision et la généralisation.
35. Comment peut-on savoir si un animal accède à la représentation détachée ? 2 - Examiner les systèmes neuronaux
Pour qu’un animal puisse se représenter des objets indépendants, il faut qu’il puisse faire correspondre à une même région de l’espace plusieurs propriétés (de modalités différentes)
36. Le cas de la chouette effraie Tyto alba
38. Pour extraire les invariants spatiaux (la position d’un objet) Il faut qu’existe une communication de l’information spatiale entre les neurones de la vision et de l’audition (par exemple).
C’est la fonction des neurones de localisation intermodale.
39. Knudsen (1982) Bouche l’oreille de jeune chouette effraie
------ correspondance perturbée entre représentation d'un stimulus visuel et représentation d'un stimulus sonore équilocal
La congruence spatiale est restaurée
par réalignement de la carte auditive sur la carte visuelle (= recalibration).
40. LA RECALIBRATION S ’exerce sur un angle de 15-20°
Dans un espace temporel de 100 à 1500 msec
une source sensorielle « domine » les autres
La recalibration ne suppose pas l ’exercice de concepts.
41. Importance de la recalibration pour la pensée détachée Ce mécanisme de recalibration (incluant les neurones bimodaux) permet à l’animal de corriger ses entrées perceptives pour extraire des invariants spatiaux.
Ce mécanisme existe chez les oiseaux, les reptiles, et les mammifères.
42. La perception intermodale, condition de la pensée détachée Les animaux pourvus de ces mécanismes d’adaptation perceptive peuvent catégoriser le monde en objets et événements qui affectent ces objets.
Ceux qui en sont dépourvus catégorisent des propriétés étroitement circonscrites par leurs besoins présents.
(cet argument est longuement développé dans Proust (1997)
43. A QUOI PENSENT LES ANIMAUX ?
44. Pensée animale et pensée humaine Il n’y a pas le gouffre qu’imaginait Descartes, auteur de la théorie des animaux-machines, entre les primates humains et non-humains
Mais il y a des différences.
45. La communication animale tend à être véridique, mais elle ne l’est jamais tout à fait Il y a communication dès que l’information reçue tend à modifier le comportement du récepteur
Principe machiavellien : éviter d’être trop prévisible !
46. Les animaux mentent-ils en émettant leurs signaux ? Le coq peut pousser un cri de nourriture pour attirer une femelle (Marler, 1986)
Le singe vervet peut produire un cri d’alarme pour écarter un rival
Le pinson peut ne pas informer son groupe de la présence de nourriture abondante.
47. Les animaux mentent-ils ? La communication n’est pas altruiste: sans quoi elle tendrait à desservir l’émetteur.
Dawkins et Krebs, 1978 : les signaux ont pour fonction d’infiltrer et de subvertir la chaîne de commande sensori-motrice du récepteur !
48. Pas de mensonge “cognitif” chez l’animal ou le jeune enfant L’animal qui communique n’a pas conscience de son intention de communiquer.
Il ne se représente pas qu’en mentant, il peut contrôler les états mentaux du récepteur.
Il manipule autrui sans raisonner en termes mentalisateurs.
49. Quelques données expérimentales surprenantes Comment l'animal manipule autrui sans avoir de concepts mentalisateurs
50. BSHARY & GRUTTER, Nature, (2006) Nettoyeur: Labroides dimidiatus (labre nettoyeur)
Client: Scolopsis bilineatus (Brême à monocle).
51. R. Bshary: mutualisme et effet d’auditoire chez le labre nettoyeur Les labres se souviennent de leurs clients (brême à monocle), et « traitent mieux » le client de passage que l’habitué.
Les clients choisissent les nettoyeurs les plus coopératifs (ectoparasites/mucus).
Les clients pratiquent l’« Espionnage » (Eavesdropping) pour choisir le nettoyeur, qui fait du zèle quand il est observé.
52. Bshary: coopération chez le labre nettoyeur comme les labres préfèrent le mucus aux exoparasites, ils doivent modifier leurs préférences en nettoyant un client s’ils sont observés, pour avoir accès aux autres clients.
Une expérience décrite dans Nature 2006 montre qu’ils apprennent effectivement rapidement à choisir une nourriture contre leurs préférences si et ssi ils ont une seconde nourriture en vue.
53. CLAYTON, EMERY & DICKINSON 2006
Usage flexible de la mémoire épisodique chez le geai de Californie.
Aphelocoma californica
54. CLAYTON, EMERY & DICKINSON 2006 les geais se souviennent s’ils ont été observés en cachant un gland et ils gardent en mémoire le moment du cachage, et l’emplacement précis de la cache concernée.
55. CLAYTON, EMERY & DICKINSON 2006 Les geais qui se sont livrés au pillage des caches d’autrui recachent leurs prises quand ils ont été observés, tandis que les geais « honnêtes » ne le font pas.
56. Les singes rhésus et les dauphins évaluent leurs capacités mentales comme les humains:
ils sont capables de métacognition
57. La métacognition Est la capacité de prédire et évaluer ses propres dispositions cognitives, par exemple:
discriminer deux stimuli visuels ou auditifs
se rappeler un nom dans une situation donnée
Moduler le temps d'apprentissage nécessaire pour un matériel donné
58. Tâche de discrimination perceptive: Smith et al., 2003
60. Hypothèse: double source de l'auto-évaluation (Koriat, 2010) Ces animaux prédisent leur succès sur la base d'indices émotionnels, appelés "sentiments épistémiques", auxquels les hommes ont également accès.
Les humains peuvent également s'auto-évaluer sur la base de leurs connaissances mentalisatrices
61. Ce qui est proprement humain: la coopération (Vygotsky, 1978, Tomasello, 2005)
La théorisation sur l'esprit et sur le monde
Les capacités récursives (langage, planification, calculs, etc.) (Hauser et al., 2003)
63. Conditions de la coopération (Bratman, 1992, Tomasello et al., 2005) Les participants partagent un but conjoint qui les concerne tous (but partagé).
Les participants adoptent des rôles complémentaires ou coordonnés pour atteindre ce but. (complémentarité)
Les participants sont motivés pour atteindre ce but et prêts à s’entraider si nécessaire (soutien mutuel)
64. Les conditions de la coopération sont présentes chez l’enfant de 18 mois: Wahrneken et Tomasello (2006) but partagé: Les enfants de 18 mois ouvrent spontanément une porte d’armoire pour ranger des livres avec l’adulte
Complémentarité: Les participants adoptent des rôles complémentaires ou coordonnés pour atteindre ce but. (dès 12 mois: Carpenter , Tomasello & Striano, 2005)
soutien mutuel: Les participants sont motivés pour atteindre ce but et prêts à s’entraider si nécessaire
les enfants tentent de ré-engager la coopération quand elle s’interrompt.
65. Les Chimpanzés sont des rivaux , pas des coopérateurs Call & al., 1998 : les chimpanzés n’utilisent pas la direction du regard ou le pointage par autrui pour trouver la nourriture
Hare et al. 2000, 2001:
Les chimpanzés sont capables d’exploiter la perspective seulement dans un contexte de compétition pour la nourriture, et de se rappeler si le dominant a vu l’emplacement de la nourriture.
66. Des primates non-humains à l'homme
67. Spécificités humaines Seul l'homme coopère et communique systématiquement, ce qui a modifié son organisation mentale et cérébrale.
Le langage pourrait avoir constitué un facteur de démodularisation.
Un second facteur tient à l’hétérochronie développementale
Seul l'homme peut théoriser sur le monde et sur son esprit
68. Modularité Un module est un mécanisme hyper-spécialisé et automatique de traitement de l’information:
Détection de serpent
Reconnaissance de visage
Acquisition du langage
Il est encapsulé : il ne traite qu’un seul type d’information.
La cognition humaine comporte moins de "modules innés" et plus de "modules acquis"
69. Modules innés & acquis Les modules d'apprentissage sont innés: ce sont des adaptations biologiques, qui, sur la base des entrées, peuvent engendrer des modules acquis (par ex. la lecture).
Les modules acquis ont une base innée et des fonctions culturelles (Origgi & Sperber 2000).
70. Hétérochronie : exemple modification de la durée et de la vitesse du développement de l'organisme au cours de l'évolution
Chez le singe, les apprentissages se font successivement et ne s’influencent pas entre eux
71. Hétérochronie : exemple Chez l’homme, les apprentissages se recouvrent en partie et s’influencent entre eux (Langer, 1996)
72. Fonction du langage ? Hauser, Chomsky et Fitch (Science, 2003) La complexité du langage provient de celle de ses éléments périphériques, présents dans d’autres espèces
la partie proprement humaine du langage – sa “ productivité ” c’est-à-dire la capacité de combiner ses éléments de manière créative et ouverte – , se limite à un noyau computationnel récursif nécessaire à la syntaxe.
73. Hauser, Chomsky et Fitch (Science, 2003) La récursivité aurait pu être sélectionnée pour résoudre d’autres problèmes, tels que la représentation des hiérarchies sociales.
74. Hypothèse alternative: Donald, 1991 La syntaxe aurait pu être sélectionnée pour faciliter les gestes communicationnels, qui selon Donald, ont été la première forme de langage.
75. La théorisation sur l'esprit Les non-humains sont capables de prédire les buts et les motivations des congénères par leurs comportements.
Ils ne représentent pas les croyances ou les états mentaux "invisibles".
76. Données éthologiques Une série d’observations menées sur des animaux en liberté ont semblé montrer que les primates non-humains sont capables
d’identifier le statut social de leurs congénères (Seafarth et Cheney, 1990)
d’organiser des coalitions, d’utiliser des signaux de réconciliation (de Waal, 1982)
de tromperie tactique (Byrne et Whiten, 1985)
De comprendre la perspective visuelle en situation de compétition (Hare et al., 2000, 2001)
77. Seul l'homme peut "théoriser" sur son esprit L'enfant humain apprend dès 2 ans à "découpler" la réalité de sa représentation mentale dans le jeu de "faire semblant". (Leslie, 1987)
A partir de 4 ans et demie, il comprend qu'autrui, comme lui-même, peut former des croyances fausses. (Wimmer & Perner, 1983, Gopnik, 1993)
78. Seul l'homme peut "théoriser" Tous les êtres humains forment des catégories naïves concernant:
Le monde psychologique ("psychologie populaire")
Le monde physique ("physique naïve")
Le vivant ("biologie naïve")
La société ("sociologie naïve")
Ces catégories leur permettent d'expliquer, de généraliser, de prédire les propriétés et les événements les concernant.
79. Conclusion Les grands primates excellent à manipuler les croyances d’autrui .. Mais sans avoir accès à une interprétation psychologique de la manipulation.
Ils mettent au point des procédures de contrôle fondées sur des indices comportementaux
80. Conclusion Les non-humains sont capables de communication honnête ou trompeuse
Ils sont capables de pensée "détachée" (mammifères, oiseaux, serpents).
Certains peuvent évaluer leurs capacités à exécuter une tâche (primates, dauphins, corvidés ?) sur la base d'indices émotionnels.
Les non-humains n'ont pas de théorie naïve sur le monde social, psychologique, ou physique.
81. Nombreux articles en libre accès:http://joelleproust.hautetfort.com Cette présentation reprend des argumentés présentés dans un ouvrage philosophique:
Comment l'esprit vient aux bêtes, Paris, Gallimard, 1997, et un ouvrage de synthèse:
Les animaux pensent-ils? Paris, Fayard, 2003, et à paraître fin 2010 (2ème édition révisée et étendue).