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Serge TISSERON Psychiatre, psychanalyste, docteur en psychologie HDR à l’Université Paris VII http://www.sergetisseron.com. La honte: de la catastrophe à l’affiliation. Quatre raisons d’en parler. * Une émotion à la fois totalement sociale et totalement individuelle.
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Serge TISSERONPsychiatre, psychanalyste, docteur en psychologie HDR à l’Université Paris VII http://www.sergetisseron.com La honte: de la catastrophe à l’affiliation
Quatre raisons d’en parler * Une émotion à la fois totalement sociale et totalement individuelle. * une émotion qui fait encore peur * une émotion qui est à l’origine de beaucoup de comportements problématiques, comme la résignation devant les difficultés ou la violence exercée contre autrui. * une émotion qui se développe, sur Internet, à l’intérieur même de nos cultures régulée par la culpabilité,. (« pages de honte » )
1e partie Reconnaitre la honte
1. Honte, pudeur et culpabilité 1. La pudeur fait craindre de perdre l’estime de soi Elle est une protection contre le désir de se montrer, autrement dit ce que Freud appelait une formation réactionnelle. Comment s’apprend-t-elle ? Par imitation, en nous identifiant aux comportements pudiques d’un adulte dans la toute petite enfance. 2. La culpabilité fait craindre de perdre à la fois l’estime de soi et l’affection de ses proches. Mais celui qui se sent coupable est assuré de pouvoir faire réparation, de purger sa faute et puis d'être réintégré dans la communauté. (code civil et religion) Elle socialise Comment s’apprend-t-elle ? Par intériorisation du surmoi du parent, nous dit Freud. 3. La honte fait craindre de perdre à la fois l’estime de soi, l’affection de ses proches et l’insertion dans sa communauté
2. La honte menace les trois repères complémentaires de l’identité • l’estime de soi (narcissisme) • l’affection de ceux qu’on aime et la possibilité d’aimer et d’être aimé (relations d’objet), • la certitude d’appartenir à son groupe de rattachement (attachement) A l’extrême, c’est la crainte d’être exclu de l’humanité
3. Les phases de la honte Première phase : une expérience catastrophique, l'angoisse d'être littéralement retranché du monde. Seconde phase : la confusion. Le sujet n'est plus rien. Dans l'expérience de la confusion, il a au moins la confirmation qu'il existe. Il est celui qui ne sait pas où il est, qui il est, quand il est et avec qui il est. Mais elle fait disparaître toutes les autres émotions vécues dans la situation initiale (peur, colère, dégoût, etc.) Troisième phase, le sentiment de honte structurant pour deux raisons. * Se dire : « J'ai honte » permet de prendre de la distance par rapport à ses éprouvés. C'est les constituer en objets d'attention, et se sentir exister en tant que sujet capable d’identifier sa réalité psychique. * Avoir honte, c'est craindre que les autres me fassent honte. Donc c’est prêter aux autres la possibilité de faire attention à moi C’est pourquoi les thérapeutes doivent aider leurs patients à formuler le sentiment de honte, afin de la dépasser
4. Les masques de la honte 1. Les aménagements catastrophiques * La résignation. * Le pseudo masochisme * La culpabilité généralisée, sans pardon possible * L’indignation généralisée * La violence * Directe: celui qui se sent honteux tente d’imposer la honte à autrui jusqu’à l’agression. * Indirecte: Il ne s’agit pas d’imposer sa honte à l’autre mais d’accuser l’autre de vouloir me faire honte. « Ne me manque pas de respect ! » devient alors le point de départ d’une violence exercée contre autrui (l’honneur liée à une estime de soi considérablement fragilisée par des expériences de honte précoce).
4. Les masques de la honte 2. Les aménagements structurants * L'ambition * La culpabilité circonscrite * L'indignation circonscrite * L'humour « dans le même bain… »
4. Les masques de la honte 3. Les déplacements : quand une honte en cache une autre * On ne change rien à la honte, mais on lui donne une cause différente de celle qu’elle avait initialement. * Parfois, la personne qui éprouve la honte peut mettre en avant une fausse raison pour cacher la vraie, * Parfois elle se trompe elle même et pense sincèrement qu’une chose lui fait honte, alors que c’est une autre C'est d'autant plus important que beaucoup de gens ont honte sans savoir pourquoi parce qu'ils se sont imprégnés de la honte d'un autre, et ils vont donc essayer de trouver dans leur vie une cause de leur honte. Mais c'est une cause fabriquée. Il ne faut pas les croire et continuer à réfléchir avec eux.
2e partie Aucune honte ne prouve rien
1. Aucune honte ne prouve rien On peut avoir honte 1. d’un acte accompli: honte de comportement 2. d’un acte dont on a été victime ou témoin: honte de contagion 3. par proximité affective et émotionnelle avec quelqu’un qui l’éprouve : honte de proximité 4. d’un acte accompli par un proche, et dont il a honte: honte de solidarité 5. d’un acte accompli par un proche qui n’en a pas honte : honte d’expiation. 6. d’un acte qu’on imagine qu’un autre a commis, même s’il n’a rien fait de semblable: honte d’imagination 7. sans savoir pourquoi : honte d’avoir honte
2. La honte est contagieuse Cette contagion est liée à l'activité fantasmatique et imaginative qui se développe face à la honte de l’autre * D’un côté, nous avons le désir de le secourir, de lui permettre de reprendre pied, de dépasser sa honte. * D’un autre côté, imaginer secourir quelqu'un de honteux, c'est toujours craindre d'être à son tour rejeté comme lui par ses persécuteurs. Alors, pour justifier à nos propres yeux de ne rien faire, nous nous disons : « Peut-être la honte de cette personne est-elle justifiée ? Peut-être devrais-je moi aussi la mettre à l'écart, voire l'enfoncer un peu plus, parce qu’elle doit bien le mériter d’une manière ou d’une autre. On n’est pas honteux ou rejeté sans raison ! » Mais en même temps, nous avons honte de ces pensées que nous pressentons n’être que le reflet de notre lâcheté.
3. La honte comme conséquence des secrets de famille * La plupart des secrets de famille sont liés à des traumatismes * Le parent porteur d’une blessure secrète éprouve la honte ou non. * Mais quand un enfant pressent qu'on lui cache quelque chose, il imagine que ses parents ont pu faire quelque chose de honteux. * Il devient honteux de ce qu’il imagine. * Le problème est qu’il est difficile d’éprouver la honte en pensant qu’on a repris à son compte celle de ses parents, et plus difficile encore de l’éprouver sans savoir pourquoi: l'enfant dans une telle situation développe une tendance à se construire "de bonnes raisons" d'avoir honte, c'est-à-dire des raisons personnelles. Il va alors par exemple développer une toxicomanie et…finir par déclarer à ses parents qu'ils ont honte à cause de lui alors que c'est la honte de ses parents dont il ignorait la cause qui aura été déterminante dans son destin de toxicomane !
4. Une honte personnelle peut cacher la honte d’un autre en soi Les hontes qui ne peuvent pas être dépassées ont souvent une composante personnelle, mais aussi une composante familiale. En effet,les aménagements catastrophiques de la honte peuvent être mis en sommeil pendant longtemps, puis réactivés par des revers sociaux, mais il ne faut pas prendre les revers sociaux pour la seule cause de la déchéance qui suit. La cause réelle se trouve souvent dans la réactivation de problématiques familiales qui ont marqué le développement. C’est souvent dans ces situations qu’on trouve des adaptations à la honte d’apparence masochiste. Ce sont des patients qui s’arrangent toujours pour que tout tourne mal, et du coup, ils sont confrontés à des expériences de honte permanente. Exemple: la nouvelle de Dostoïevski intitulée Le sous sol.
3e partie Positiver la honte: de la honte destructrice à la honte structurante
1. Faire la différence entre « bonne honte » et « mauvaise honte » * La bonne honte est rapportée à la situation qui l’a produite. Au contraire, la mauvaise honte est non reconnue et/ou non rapportée à la situation qui l’a produite. * La bonne honte est guérie comme une cicatrice. Au contraire, la mauvaise honte est une blessure ouverte gardée secrète, mais agissante.
2. Passer de la mauvaise honte à la bonne honte 1. la reconnaître et la nommer. Sinon, on s’en fait le complice. 2. travailler à retrouver les sentiments que la honte a étouffés : notamment l’angoisse et la colère. Ces sentiments sont la base à partir de laquelle la personnalité peut se reconstruire 3. envisager les aspects générationnels de la honte 4. faire la part de la réalité sociale dans la genèse de la honte. 5. S’appuyer sur une ré-affiliation: inséparable du fait de rejoindre un groupe. (alcooliques anonymes, toxicomanes anonymes, anonymous gamblers…)
3. Valoriser la honte comme signal d’alarme: un « clignotant rouge » La honte est le « clignotant rouge » qui s’allume à chaque fois que nous franchissons la ligne qui sépare l’humain du non-humain. Ce passage peut se faire dans les deux sens. * Nous ressentons la honte quand nous courons le risque de nous déshumaniser. * Mais le clignotant rouge de la honte s’allume aussi lorsque nous nous sommes éloignés, sans même nous en apercevoir, du pacte qui fonde l’humain et que nous y revenons. ( Primo Levi ) Elle est le signe que le divorce d’avec l’humain n’est pas encore consommé La honte vécue sans le projet de s’en dégager rend passif et résigné, Au contraire, la honte vécue comme un signal d’alarme permet de la nommer et d’y réagir par diverses stratégies De signal d’alarme, la honte devient signal de résistance.
En conclusion Deux problèmes éclairés par la honte * La résilience, c’est-à-dire la capacité de se reconstruire après un traumatisme. La honte a le pouvoir de bloquer la capacité de résilience après un traumatisme Il peut s’agir d’une honte associée à ce traumatisme lui-même, mais aussi d’une honte associée à un traumatisme ancien et jamais dépassée. * L’empathie, c’est à dire la capacité de se mettre à la place d’autrui. La honte empêche le développement d’émotions socialisantes et nuancées qui sont au fondement de l’empathie. Elle bloque la capacité de se mettre à la place de l’autre et d’accepter que l’autre se mette à ma place ( L’empathie au cœur du jeu social)