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Faut-il adapter l ’é cole aux é l è ves ? Un vieux d é bat … toujours d ’ actualit é !. Philippe Meirieu Universit é Lumi è re-Lyon 2. Introduction. Une amn é sie p é dagogique … pr é occupante et pr é judiciable à l ’ intelligence des questions d ’ aujourd ’ hui.
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Faut-il adapter l’école aux élèves ?Un vieux débat… toujours d’actualité ! Philippe Meirieu Université Lumière-Lyon 2
Introduction • Une amnésie pédagogique… préoccupante et préjudiciable à l’intelligence des questions d’aujourd’hui. • La nécessité d’une épistémologie de la pédagogie…
… vers une épistémologie de la pédagogie • Identifier les textes pédagogiques : des combinaisons étranges d’exhortations, de témoignages, de références à des modèles scientifiques… pour tenter de surmonter une contradiction constitutive de l’éducation : • Tous les enfants peuvent apprendre et se développer… • Mais nul ne peut contraindre un enfant à apprendre et à se développer… D’où la nécessité d’inventer des situations et des médiations qui permettent à l’autre de mobiliser sa liberté d’apprendre et de grandir.
… vers une épistémologie de la pédagogie • … qui s’efforce de comprendre comment les pédagogues ont inventé des moyens pour surmonter la contradiction éducative. • Qui identifie la démarche qu’ils ont utilisé et les moyens qu’ils ont utilisé pour surmonter les problèmes qu’ils rencontraient. • Qui repère les savoirs et les expériences qu’ils mobilisent et la manière dont ils les agencent. • Qui décrit les dispositifs (situations et médiations) qu’ils proposent. • Qui s’efforce de passer ces dispositif au crible d’une critique philosophique (en les interrogent sur leurs finalités) et praxéologique (en les interrogeant sur leur fécondité).
Quelques pistes de réflexions pédagogiques sur la question de l’adaptation de l’école aux élèves… • La tradition : s’adapter, surtout pas ! • L’Education nouvelle : « L’école sur mesure » • La gestion des différences : bricolages pédagogiques et institutionnels • Interroger la notion même d’adaptation: s’adapter à quoi et adapter quoi? • Quelques perspectives régulatrices pour dépasser les contradictions de « l’adaptation » aujourd’hui…
1) La tradition scolaire : « S’adapter : surtout pas! » • L’école a été créée « contre » le modèle de l’accompagnement individuel et du préceptorat… • Pour des raisons économiques… qui deviennent de plus en plus prégnantes avec la volonté de scolariser le plus grand nombre d’élèves le plus loin possible. • Pour des raisons d’efficacité intellectuelle (Comenius). • Pour des raisons philosophiques (Kant, Durkheim). • Pour des raisons pédagogiques (Alain).
Une exigence scolaire cohérente… « L’attention à la personne de l’élève est une atteinte à l’autorité de l’Etat », Brunetière (1893), faisant référence à Robespierre. L’Ecole a pour objectif de « décréter l’élève comme sujet rationnel », d’ignorer méthodologiquement toutes les formes de différences, sociologiques, « pathologiques » et idéologiques, pour permettre à chacun de s’exhausser au-dessus de toutes ses déterminations…
Mais… • Dès qu’elle privilégie la normalisation collective à l’adaptation individuelle, l’Ecole perd sa capacitéà réaliser la promesse républicaine… • Le phénomène pointé par Bourdieu (« l’indifférence aux différences ») avait été mis en avant, très tôt, par les penseurs de l’Ecole républicaine (Marion) et, à partir du XXe siècle, par tous les tenants de l’ « éducation nouvelle » et des « méthodes actives ».
2) L’Education nouvelle : « L’Ecole sur mesure » • 1905 : Plan Dalton de Miss Parkhust à Winnetka • 1921 : Edouard Claparède, L’Ecole sur mesure …« Lorsqu'un tailleur fait un vêtement, il l'ajuste à la taille de son client, et si celui-ci est gros ou petit, il ne lui impose pas un costume trop étroit sous prétexte que c'est la largeur correspondant dans la règle à sa hauteur... Au contraire, l’école habille, chausse, coiffe tous les esprits de la même façon. Il n'a que du tout fait et ses rayons ne contiennent pas le moindre choix... Pourquoi n'a-t-on pas pour l'esprit les égards dont on entoure le corps, la tête, les pieds ? » • 1933 : Henri Bouchet, L’individualisation de l’enseignement - L’individualité des enfants et son rôle dans l’éducation
Quelle individualisation ? DIAGNOSTIC A PRIORI INVENTIVITE REGULEE • Parkhust : identification des besoins et des rythmes individuels, travail par fiches. • Claparède : description des types généraux d’esprits et organisation de « groupes adaptés ». • Ferrière : mise en place d’activités « autonomes » permettant l’expression des personnalités « profondes ». • Bouchet : proposition d’un accompagnement adapté, mais récusation de toute pédagogie a priori. • Debesse : les classifications ne sont que des outils pour lutter contre l’éparpillement et doivent être sans cesse révisées. • De Peretti : multiplication et croisement des types de regroupements.
Quel modèle pour l’individualisation ? Modèle médical Modèle pédagogique Comprendre pour inventer. Décrire pour prescrire. Compréhension des enjeux, recherche des points d’appui, prospection dans la mémoire pédagogique et invention de méthodes révisables. Identification de la nature du dysfonctionnement et recherche du remède (de la remédiation) strictement adapté. Vers une biologisation de l’échec scolaire et une gestion technocratique des différences. Vers une prise en charge partagée de l’individualisation.
Quel modèle pour l’individualisation ? « Nous entrons dans des sociétés de contrôle qui fonctionnent moins par enfermement que par contrôle continu et communication instantanée. »Gilles Deleuze (Pourparlers, 1989) Dans ce cadre-là, l’éducation est envahie par le dépistage, le repérage, l’analyse et le traitement individualisé de tous les dysfonctionnements… au détriment d’approches éducatives permettant d’imaginer des situations et des médiations pédagogiques… Il faut revisiter, avec cette « alerte », les dispositifs existants ou proposés.
3) La gestion des différences : bricolages pédagogiques et institutionnels • L’oscillation infernale entre « groupes homogènes » et « groupes hétérogènes ». • L’effort pour garder la vertu du collectif tout en s’adaptant aux personnes. • La découverte progressive du blocage institutionnel majeur, la classe, et le verrouillage « finalités / modalités ».
Une multitude de bricolages… • Le travail individualisé (de la fiche au logiciel). • Le tutorat. • L’entraide entre élèves. • La pédagogie différenciée (successive ou simultanée). • Les groupes de niveaux ou de besoins provisoires. • Les « réseaux ». • Les classes dédiées.
4) Interroger la notion d’adaptation: s’adapter à quoi et adapter quoi ? S’ADAPTER A QUOI ? Pour obtenir « ce qu’il peut donner ». - au « niveau » de chaque élève ? Pour exiger « ce qu’il doit donner ». Pour rester dans ses habitudes et préférences. - au profil, au style cognitif, à la stratégie d’apprentissage de chaque élève ? Pour enrichir sa panoplie méthodologique. Pour lui donner un cadre adapté à ce qu’il est. - au(x) problème(s) de chaque élève ? Pour lui apprendre à s’adapter à d’autres cadres.
Dépasser ces apories à partir de quelques distinctions fortes… • Respecter un élève ne veut pas dire abdiquer l’exigence fondatrice de l’école : « l’inversion de la dispersion » (Gabriel Madinier)... Surtout à l’ère du « capitalisme pulsionnel » (Bernard Stiegler). • Se mettre à la portée d’un élève ne veut pas dire se mettre à son niveau. • Encourager le tâtonnement ne veut pas dire renoncer à l’exigence de perfection, à tous les niveaux taxonomiques. • Accompagner ne veut pas dire entretenir la dépendance.
5) Quelques perspectives régulatrices pour dépasser les contradictions de « l’adaptation » aujourd’hui 1. Réélaborer un « cadre » scolaire susceptible de permettre à chaque élève de s’inscrire dans un projet scolaire: s’adapter est un processus réciproque d’« assimilation / accommodation », de construction d’un collectif où chacun peut occuper une place et explorer d’autres places. PENSER « INSTITUTIONS » et « RITUELS ».
Quelques perspectives régulatrices… 2. Imaginer des formes scolaires originales : mettre en place des « unités fonctionnelles » permettant à des équipes d’enseignants d’encadrer des ensembles d’élèves, en mettant en place des dispositifs souples et en régulant le fonctionnement pour coller aux besoins des élèves. PENSER « CADRAGE NATIONAL FORT » ET AUTONOMIE DE FONCTIONNEMENT DES EQUIPES.
Quelques perspectives régulatrices… 3. Organiser le travail et non la discipline: les règles émanent des exigences du travail lui-même et non d’une « autorité » arbitraire. Les règles permettent de se mettre en jeu, « se mettre en je ». PENSER « PROJET » / ORGANISATION DU TRAVAIL / EXIGENCE DE QUALITE
Quelques perspectives régulatrices… 4. Articuler en permanence, pour chaque élève, le donné et le projet… s’appuyer sur les capacités acquises pour permettre l’acquisition de compétences et sur les compétences déjà maîtrisées pour permettre l’acquisition de capacités. PENSER « POINTS D’APPUI » ET « OBJECTIFS MOBILISATEURS ».
Quelques perspectives régulatrices… 5. Changer l’évaluation : penser celle-ci comme un ensemble de défis permettant à l’élève de s’engager dans des tâches permettant l’acquisition d’objectifs accessibles et ambitieux… • PENSER « PEDAGOGIE DU CHEF D’ŒUVRE » ET CERTIFICATION PAR LA FORMULE DES « BREVETS »…
Quelques perspectives régulatrices… 6. Inscrire les pratiques pédagogiques dans la volonté d’instituer « l’élève-sujet »… • En permettant l’émergence du désir dans la temporalité, contre la toute-puissance de la pulsion et de l’immédiateté. • En permettant à chaque élève de métaboliser ses pulsions archaïques par l’investissement dans une activité de création. • En inscrivant les savoirs scolaires dans une culture capable de leur donner sens, de « relier l’intime et l’universel ». • PENSER L’ECOLE COMME LIEU DE CULTURE…
Conclusion : deux citations et un horizon… Daniel Hameline qui définit l’attitude non-directive comme hygiène pédagogique : « Elle consiste à antécéder sans anticiper, à valoriser sans juger, à réguler sans régulariser. "Antécéder sans anticiper", c'est être là pour accueillir ce qui va se présenter sans le "prévenir" au point qu'il n'y ait plus rien à faire. "Valoriser sans juger", c'est suspendre le fonctionnement spontané des stéréotypes et des catégories, pour permettre à l'interlocuteur d'être entendu pour ce qu'il dit et non d'abord pour ce qu'il représente. "Réguler sans régulariser", c'est éviter d'engluer l'interlocution dans les pièges de la dépendance affective sans pour autant interdire aux affects de s'exprimer. »
Conclusion… Pestalozzi qui évoque la finalité de sa méthode : « Quiconque se l'approprie, celui-là se heurtera toujours dans ses exercices à un point qui sollicitera principalement son individualité, et par la reprise et le développement duquel se déploieront à coup sûr en lui des forces et des moyens qui l'élèveront bien au-delà du besoin d'aide et de formation, pour le mettre en état de parcourir et d'achever par lui-même et d'un pas assuré le reste du chemin de sa formation. S'il n'en était pas ainsi, ma maison ne tiendrait pas debout, mon entreprise aurait échoué… »
Conclusion… Dans une société où l’individualisme exacerbé risque d’entraîner l’éclatement de toute institution, l’Ecole a, plus que jamais besoin, de fabriquer du collectif et de résister aux pressions clientélistes: s’adapter aux élèves, oui, mais pour leur permettre de devenir tous des citoyens solidaires…