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Construire des compétences dès l’école. Synthèse de l’ouvrage de Philippe Perrenoud (ESF Editeur, 1997). Présentation synthétique de l’ouvrage.
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Construire des compétences dès l’école Synthèse de l’ouvrage de Philippe Perrenoud (ESF Editeur, 1997)
Présentation synthétique de l’ouvrage • L’auteur analyse, de manière serrée et approfondie, à la lumière de son expertise de sociologue comme de sa connaissance extrêmement solide du système éducatif, les implications majeures de l’introduction de la notion de compétence dans le champ de l’enseignement, soulignant le chemin qu’il reste à faire.
D’un malentendu… • Développer des compétences ne signifie pas renoncer à transmettre des connaissances. • En revanche, le temps nécessaire à la construction de compétences est soustrait à celui consacré à dispenser des connaissances.
La compétence • « Capacité d’agir efficacement dans un type défini de situation, capacité qui s’appuie sur des connaissances, mais ne s’y réduit pas. » • « L’appropriation de nombreuses connaissances ne permet pas, ipso facto, leur mobilisation dans des situations d’action. »
Connaissances - compétence • Même si l’on distingue connaissances déclaratives, procédurales et conditionnelles, l’action ne peut être ramenée uniquement à des connaissances puisqu’elle demande, à moment donné, qu’on juge de leur pertinence par rapport à la situation, qu’on les mobilise à bon escient. • Les schèmes de mobilisation de diverses ressources cognitives se développent et se stabilisent au gré de la pratique.
Tension de l’école • Parcourir le plus vaste champ possible de connaissances, et s’en remettre à la formation professionnelle ou à la vie pour leur mobilisation en situation ? • Limiter les connaissances pour exercer leur mobilisation en situation complexe ? • Une vraie question de priorité pour la scolarité obligatoire…
L’irrésistible ascension • Contagion du monde du travail (la compétence remplaçant la qualification) ? Pas seulement. • Le système éducatif est construit par le haut, et l’université met l’accent sur les savoirs savants, théoriques : de là ne vient pas la pression. • Le débat sur les compétences est un débat aussi ancien que l’école : c’est celui entre les partisans d’une culture gratuite et les tenants de l’utilitarisme. A noter que ces derniers ne sont pas que ceux qui se soucient de l’emploi et des forces productives, les mouvements d’école nouvelle et de pédagogie active les rejoignent : il s’agit dans les deux cas d’acquérir à l’école des moyens d’agir sur le monde (compétition et modernisation contre autonomie et démocratie).
Réponse à la crise de l’école ? • Le niveau monte, mais les espoirs de la démocratisation de l’enseignement sont déçus, et l’adhésion au projet de scolarisation recule. • Les routines, le cloisonnement, la segmentation du cursus, le poids de l’évaluation et de la sélection ont parfois conduit à ne construire que la compétence qui consiste à réussir aux examens.
Une prédiction… • Perrenoud explique (au moment de la rédaction du livre donc) que l’approche par compétence agite avant tout les concepteurs de programme, et que si les textes officiels l’imposent un jour elle risque d’être vigoureusement rejetée par une partie des enseignants, pour de bonnes et de mauvaises raisons…
Trois fausses pistes • Assimiler compétences et objectifs : une pédagogie par objectifs peut se centrer sur les connaissances, et ne pas s’occuper de leur transfert. • L’opposition compétence – performance : elle ne dit rien de la nature de la mobilisation. • La compétence comme faculté humaine générique à créer des réponses sans puiser dans un répertoire : les compétences sont des acquis, des apprentissages construits.
Schèmes et compétences • Conception piagétienne : le schème est une structure invariante d’une opération ou d’une action qui ne condamne pas à une répétition à l’identique. Il permet de faire face à des situations de même structure au prix d’accommodations mineures. • L’ensemble des schèmes forme ce que les sociologues (cf Bourdieu) nomment l’habitus (« petit lot de schèmes permettant d’engendrer une infinité de pratiques adaptées à des situations toujours renouvelées, sans jamais se constituer en principes explicites »).
Une compétence orchestre un ensemble de schèmes. • Au stade de sa genèse, une compétence passe par des raisonnements explicites, des décisions conscientes, des tâtonnements et des hésitations, des essais et des erreurs. Ce fonctionnement peut graduellement s’automatiser et se constituer à son tour en schème complexe.
Lorsque cela prend du temps, et que plusieurs schèmes sont sollicités, combinés, décombinés et recombinés, il y a alors découverte. Quand l’habitus ne suffit pas à trouver une solution rapide, il y a prise de conscience de l’obstacle et des limites des connaissances et des schèmes disponibles donc basculement vers un fonctionnement réflexif.
Attention : on doit parler de compétences même lorsque cette démarche de recherche n’est pas nécessaire. Un expert peut résoudre rapidement certains problèmes sans réfléchir précisément parce qu’il est très compétent. Il ne faut pas que la compétence s’évanouisse lorsqu’elle atteint son efficacité maximale !
Compétences, savoir-faire, ressources • P. Perrenoud définit le savoir faire comme un « savoir y faire », c’est-à-dire un schème d’une certaine complexité qui procède en général d’un entrainement intensif, et non comme une connaissance procédurale (un « savoir comment faire »). • Du coup, tout savoir faire est une compétence, mais une compétence peut être plus complexe, ouverte, flexible et plus articulée à des savoirs théoriques.
L’auteur veut éviter le problème de la compétence en tant que « savoir mobiliser », puisque d’après lui il n’existe pas de « savoir mobiliser » universel à l’œuvre dans toute situation et qui s’appliquerait à n’importe quelles ressources cognitives.
Aucune ressource n’appartient exclusivement à une compétence. • Cet emboitement rend particulièrement difficile la construction de listes fermées ou socles de compétences.
Analogies – familles de situations • La vie humaine trouve un équilibre entre les réponses de routine à des situations similaires et des réponses à construire pour affronter des obstacles nouveaux (une compétence nouvelle peut être construite dans une situation extrême). • Les compétences professionnelles, dans la mesure où les situations de travail se reproduisent de jour en jour, se construisent vite. • L’expertise relève des capacités générales mais aussi de l’intégration de ressources spécifiques comme de façons spécifiques et entrainées de les mobiliser et de les mettre en synergie.
Dans les faits, l’identification d’une situation comme appartenant à une famille de situations peut soit se faire en même temps que le traitement s’il existe un schème constitué, soit se faire progressivement au cours du processus de résolution s’il n’y a pas de schème constitué. • L’analogie repérée enclenche un travail de transfert : il s’agit à la fois de répétition et de créativité (utiliser le connu pour inventer une solution originale).
Programmes scolaires et compétences • L’approche par compétences ne s’oppose à la culture générale que si on donne à cette dernière une orientation encyclopédique. (…) Pourquoi la culture générale ne préparerait-elle pas à faire face aux problèmes de la vie ?
Toute compétence est fondamentalement liée à une pratique sociale d’une certaine complexité, qui admet souvent une forme professionnalisée. • Dans le cadre des formations scolaires générales (qui ne conduisent pas à une profession particulière), on peut choisir de mettre l’accent sur les compétences transversales (contestées), ou choisir de faire « comme si » les disciplines formaient d’ores et déjà à des compétences dont l’exercice en classe préfigurerait la mise en œuvre dans la vie professionnelle ou extraprofessionnelle.
Pour « extraire » des compétences transversales, on élève le niveau d’abstraction, et on les définit indépendamment des contenus et des contextes (« argumenter », « analyser »…) • Le problème est que ces grandes catégories (conceptuelles) renvoient à des compétences variées selon l’objet et le contexte (l’analyse d’un tableau, d’un rêve, d’une radiographie ne semblent pas relever de la même compétence).
D’autre part, des problèmes d’éthique poussent les référentiels scolaires à s’en tenir à des compétences transversales « éthérées » : on peut en effet argumenter pour servir de nobles causes, mais aussi pour tromper, détourner l’attention… • Du coup, la responsabilité de l’enseignant est importante dans le choix des pratiques sociales de référence. • Le problème est de savoir quel type d’êtres humains l’école veut former.
Compétences et disciplines • Les compétences mobilisent des connaissances dont une grande partie sont et resteront d’ordre disciplinaire, aussi longtemps que l’organisation des savoirs savants distinguera des disciplines, chacune prenant en charge un niveau ou une composante de la réalité. • Il s’agit de construire des compétences de haut niveau aussi bien à l’intérieur des disciplines qu’à leur intersection, en travaillant le transfert et la mobilisation des connaissances dans des situations complexes, bien au-delà des exercices classiques de consolidation et d’application.
Il y a des situations dont la maitrise puise essentiellement ses ressources dans une seule discipline : écrire un conte, expliquer une révolution, disséquer une souris… • Il y a des situations dont la maitrise puise dans les ressources de plusieurs disciplines identifiables, en particulier hors de l’école : situations professionnelles auxquelles sont confrontés un architecte, un médecin… ; situations de la vie : organiser ses vacances, régler une succession, rédiger un tract…
L’honnêteté consiste à dire, aujourd’hui, que nous ne savons pas exactement à quoi servent les disciplines scolaires – au-delà de lire, écrire et compter – dans la vie quotidienne des gens qui n’ont pas fait d’études supérieures. La raison est bien simple : la scolarité a été historiquement construite pour préparer aux études longues. • La réflexion sur les compétences interdit de libérer les disciplines scolaires de la question de leur utilité, et de les laisser s’enfermer dans une logique de densification, de modernisation et de complexification.
Implications pour le métier d’enseignant • Considérer les savoirs comme des ressources à mobiliser • Travailler régulièrement par problèmes • Créer ou utiliser d’autres moyens d’enseignement • Négocier et conduire des projets avec ses élèves • Adopter une planification souple et indicative, improviser • Mettre en place et expliciter un nouveau contrat didactique • Pratiquer une évaluation formatrice, en situation de travail
Considérer les savoirs comme des ressources à mobiliser • Les professeurs sont habitués à une approche disciplinaire qui conduit à autonomiser l’exposé des savoirs et à concevoir les situations de mise en œuvre comme de simples exercices de compréhension ou de mémorisation des savoirs préalablement enseignés dans un ordre « logique ». • Les compétences se construisent en s’exerçant face à des situations d’emblée complexes.
Il ne s’agit pas de renoncer à tout enseignement « organisé » : les deux logiques doivent coexister. • Les enseignants doivent reconstruire un rapport au savoir moins enfermé dans une hiérarchie qui va du savoir savant désincarné aux savoirs sans noms issus de l’expérience, comprendre que les savoirs s’ancrent toujours, en dernière analyse, dans l’action.
Les enseignants doivent accepter le désordre, l’incomplétude, l’approximation des savoirs mobilisés, comme des caractéristiques inhérentes à la logique de l’action : il ne faut pas transformer la réponse à un besoin en un cours qui anticipe toutes les autres questions possibles. • Les enseignants doivent faire le deuil de la maitrise de l’organisation des connaissances dans l’esprit de l’apprenant (qu’ils veulent semblable à la leur). Dans un travail axé sur les compétences, c’est le problème qui organise les connaissances, non le discours.
Les enseignants doivent renoncer aussi bien au bonheur de la démonstration éblouissante que de la parole ex cathedra, que rien n’empêche de se développer souverainement, de prendre son temps et ses aises, hors de toute contradiction, voire de tout dialogue. • Les enseignants doivent avoir une pratique personnelle de l’usage des savoirs en action : un professeur de français qui n’entretient aucune correspondance, n’écrit et ne publie rien, ne participe à aucun débat, n’intervient nulle part en dehors de sa classe, a-t-il une image réaliste de « ce que parler veut dire » ou de ce qu’écrire signifie ? • Pour enseigner des savoirs, il suffit d’être un peu savant, pour former à des compétences, mieux vaudrait qu’une partie des formateurs les possèdent…
Travailler régulièrement par problèmes • Des situations problèmes (terminologie qui insiste sur la situation, qui donne du sens au problème sans que pragmatique ne signifie utilitariste : on peut se donner comme projet de comprendre l’origine de la vie autant que de lancer une fusée) pour confronter les élèves à des obstacles cognitifs.
Inventivité didactique pour varier les situations problèmes. • Détachement par rapport à la lettre des programmes, donc maitrise accrue de la discipline. • Gestion de classe dans un environnement complexe (travail en groupes, durée difficile à prévoir…)
Créer ou utiliser d’autres moyens d’enseignement • Il faut des situations intéressantes et pertinentes plus que de livrets d’exercices ou de fiches à perte de vue. • Pas de véritable offre sur le marché (résistance de l’édition scolaire). • Les activités complexes existent néanmoins à l’école. • Les exercices les plus intéressants et les plus ouverts des manuels classiques peuvent être utilisés dans le sens d’une approche par compétences.
Négocier et conduire des projets avec ses élèves • Le professeur propose les situations problèmes mais en les négociant suffisamment pour qu’elles deviennent significatives et mobilisatrices pour beaucoup d’élèves. • Il ne s’agit pas d’insérer chaque situation problème dans un projet.
Adopter une planification souple et indicative, improviser • Travailler sur des projets et des problèmes implique qu’on ne puisse tout planifier à l’avance, et qu’on ne connaisse pas de manière certaine le temps que nécessitera ce travail (ce qui n’empêche pas une planification indicative).
Mettre en place et expliciter un nouveau contrat didactique • Dans une pédagogie de situations problèmes, le rôle de l’élève est de s’impliquer, de participer à un effort collectif pour réaliser un projet et construire, par la même occasion, de nouvelles compétences. Pas de compétition ni d’individualisme donc. • L’enseignant doit encourager, guider, accepter les erreurs, valoriser la coopération, parfois s’impliquer dans le travail (sans devenir un égal).
Pratiquer une évaluation formatrice, en situation de travail • L’évaluation à travers des situations de résolution de problèmes ne peut passer que par l’observation individualisée d’une pratique, dans le cadre d’une tâche. • L’évaluation ne peut être un moyen de pression. • L’enseignant doit aider l’élève à apprendre plus qu’à réussir. • Il faut accepter les compétences et les performances collectives (ce qui n’exclut pas d’identifier les difficultés individuelles). • Les élèves doivent être impliqués dans leur évaluation.
Aller vers un moindre cloisonnement disciplinaire • L’enseignant doit se sentir responsable de la formation globale de chaque élève plutôt qu’exclusivement comptable de ses connaissances dans sa propre discipline. • Les enseignants doivent saisir les occasions de sortir de leur champ de spécialisation, ils doivent multiplier les situations problèmes mobilisant plus d’une discipline.
Effet de mode ou réponse décisive à l’échec scolaire ? • Il est vain de fonder de grands espoirs sur une approche par compétences si, dans le même temps : • On ne reconstruit pas la transposition didactique • On ne touche pas aux disciplines et aux grilles horaires • On conforme un cycle d’études aux attentes du suivant • On n’invente pas de nouvelles façons d’évaluer • On nie l’échec pour construire sur du sable • On ne différencie pas l’enseignement • On n’infléchit pas la formation des enseignants
Ni les pratiques, ni les systèmes n’évoluent très vite, il faut prendre le temps nécessaire au changement des attitudes, des représentations, des identités. • On change rarement tout seul, il est plus fécond de participer à une démarche collective dans le cadre d’une équipe, d’un établissement, d’un réseau. • On ne change pas dans la peur ou la souffrance, pas plus que dans l’indifférence.