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Présentation de Monsieur BOURGEOIS. Colloque du 13 novembre 2008 ‘La médiation à Namur, 10 ans après, originalité et richesse’. Quelques réflexions : à propos de la Médiation [1]
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Présentation de MonsieurBOURGEOIS Colloque du 13 novembre 2008 ‘La médiation à Namur, 10 ans après, originalité et richesse’
Quelques réflexions : à propos de la Médiation [1] Dans notre pays où il n’existe aucune définition officielle de la fonction ou de la profession de médiation[2], ce concept est employé à tort et à travers tant par les autorités que par les médias. Il en résulte un gros problème de confusion. Des concepts aussi chargés de sens sont employés en dépit du bon sens, au mépris ou à l’oubli du premier mot du respect de l’homme : son langage. Comme l’écrit Paul Valadier[3], « le succès n’étonne guère, car moins ces concepts ont de compréhension, plus ils ont d’extension. On croit s’entendre, mais personne ne sait au juste ce que parler veut dire, à commencer par ceux qui écrivent. Babel, c’est la fausse unanimité sur les mots ». <><><><> Pour bien comprendre ce qui sous-tend, au plan philosophique, la démarche de la médiation, il nous faut d’abord voir ce qui est en train de se passer dans les contextes étatiques et judiciaires occidentaux, et les raisons pour lesquelles le dispositif de la médiation nous apparaît maintenant comme un dispositif salubre. [1] Cette réflexion sur le cadre philosophique de la médiation a été donnée en conférence lors de la célébration du dixième anniversaire des instances de médiation de la Ville de Namur, le 13 novembre 2008. [2] Les lois, tant celle de 2001 (restée lettre morte, faute d’arrêtés d’application), que celle du 21 février 2005 actuellement en usage, se sont soigneusement gardées de la définir. Sur le site du Service Public Fédéral Justice (http://www.mediation-justice.be), on trouve le « définition » suivante : « La médiation que nous visons est un processus volontaire et confidentiel de gestion des conflits par lequel les parties recourent à un tiers indépendant et impartial, le médiateur. Son rôle est d’aider les parties à élaborer elles-mêmes, en toute connaissance de cause, une entente équitable qui respecte les besoins de chacun des intervenants. » Cette vision de la médiation nous semble bien courte… [3] In L’Actualité Religieuse, Paris, n° 135, 15 mars 1997, p. 17.
La crise sociale, financière et démocratique que traverse l’Occident et le monde entier est autant culturelle qu’économique. • Si nous comparons notre situation actuelle à celle de la grande crise, qui, en 1929, a résolu ses problèmes en donnant naissance aux différents fascismes comme modes et voies de solution, puis à la seconde guerre mondiale, nous devons bien constater que nous sommes et restons globalement deux fois plus riches que nous ne l’étions dans les années soixante, et que ce processus d’enrichissement, même s’il tend à ralentir, se poursuit toujours. • Par contre, ce qui a changé, c’est que les conditions d’accroissement de la productivité sont telles que la crise de l’emploi va croissant, au bénéfice de l’investissement en machines et en moyens qui s’attaquent au travail et à l’emploi, tout en amplifiant l’accumulation du pouvoir et des moyens financiers dans un nombre de plus en plus restreint de mains. • Tout cela favorise le capital au détriment du travail.
La seconde crise est sous-jacente. C’est une crise des modèles de coordination et de coopération sociales. La façon dont les gens se rassemblent, s’ajustent les uns aux autres, font société dans des situations sociales diverses – qu’il s’agisse de la famille, du travail, de l’enseignement, des soins de santé, des relations internationales, etc. – ces mécanismes qui, en quelque sorte, assurent une cohésion sociale, sont aujourd’hui problématiques. • Si l’apparition de la médiation est ici importante, c’est parce qu’elle apporte un embryon de réponses à des mécanismes de coordination sociale qui ne fonctionnent plus comme avant et qu’il faut donc en quelque sorte réinventer. • Dans le champ de la résolution des conflits, on doit toujours garder à l’esprit que les choix opérés ont à voir avec l’ordre social concerné. La résolution des conflits est comme l’envers d’une conception de l’ordre, comme le négatif d’un modèle de l’ordre social, de la façon dont nous nous coordonnons et dont nous coopérons. • Si une instance, investie par une légitimité sociale, intervient dans la résolution des conflits, c’est qu’il y a, derrière elle, une certaine idée du fonctionnement de l’ordre social. • Une des questions à se poser est donc : quelle est l’idée qui commence à se dégager, dans l’ordre social, avec l’efflorescence des dispositifs nouveaux de résolution des conflits ?
En prenant comme date repère l’année 1973, et la première crise pétrolière, on constate que ce qui est en crise, c’est l’image de l’état social, de l’état providence, modèle dominant durant les années soixante. • Cet état traitait les conflits d’une manière experte. C’est le règne des assistantes sociales, des experts en droit, des expertises sociologiques, psychologiques, sociales, etc., qui visaient à rationaliser les relations sociales. Le problème posé est considéré comme objectivable et, une fois le diagnostic posé, on aboutissait à une réponse opérationnelle. • Dans ce modèle, l’examen comme la solution du problème échappe aux personnes concernées. • Tout problème, complexe et global, mêlant différents niveaux, y apparaît comme fragmenté ; il n’a plus beaucoup à voir avec la manière dont il a été vécu, et toute la charge émotionnelle en est évacuée. • Du point de vue de l’intégration sociale, ce type de traitement des problèmes apparaît de plus en plus irrationnel. • La médiation contextuelle s’est imposée ici comme une solution, car elle reglobalise, prend en compte les situations individuelles et la complexité ; elle évite l’expertise, la segmentation et rend aux parties et à leurs intuitions le moyen de se réapproprier l’exigence du sens. <><><><>
Mais attention : il ne faut pas que la médiation se laisse aller à certains risques de perversion. Première perversion : la médiation ne peut pas être traitée comme un dispositif isolé ou autosuffisant. Elle s’inscrit au contraire au sein d’un champ social plus large, où sont actifs d’autres acteurs professionnels, qui, comme l’explique Pierre Bourdieu, sont en lutte pour maximiser chacun leur capital symbolique, jusqu’à viser le monopole de la résolution d’un certain type de problème. De ce point de vue, l’irruption de la médiation constitue une perturbation interne du champ professionnel. Ainsi, la médiation apparaît quand les affaires à traiter sont soit trop grandes, soit trop petites, là où le recours au magistrat apparaît inadéquat (problèmes internationaux, par exemple), ou là où il mènera au simple classement. Face à ces situations interviennent des médiateurs, professionnels qui développent une idéologie de la Médiation en vue de maximiser leur capital symbolique. La médiation n’est ni se mettre d’accord lors d’un marchandage, ni de faire la paix ou de recourir à la non violence. Il s’agit d’une réaction face à la marginalisation d’un certain nombre d’affaires.
Elle n’est pas une intervention entre deux individus décontextualisés, séparés de leur milieu, sans extériorité. Il y a lors de la médiation création d’une scène qui fait le lien entre les parties en présence et ce qui leur est extérieur. La médiation ne réduit pas un problème à un seul univers de sens. • Ainsi, en Belgique, on a nommé des médiateurs pénaux, dans le cadre d’un champ global et d’une idéologie – le champ sécuritaire --, qui induisent des rapports asymétriques de pouvoir et un renforcement du contrôle social. Les ambiguïtés de la loi sur la médiation pénale sont évidentes. • Ce qui est catastrophique, c’est que le médiateur en arriver à agir, avec des œillères, sans rien savoir du rôle qu’on lui fait jouer ni de la place qu’on lui fait occuper. Les médiateurs doivent donc apprendre à se situer.
Deuxième perversion : faire de l’interactionnisme réciprocitaire, considérer que la vérité sociale est fondamentalement affaire d’interaction entre des individus face à face, comme s’il n’y avait pas, derrière eux, des ressources de capital symbolique ou matériel, qui leur donnent des capacités différentes d’agir sur le monde. • Cette illusion considère qu’il n’y a pas de structuration externe par un tiers instituant ; elle gomme les phénomènes de pouvoir, de rationalité, et les différences de ressources entre les parties. • C’est la même illusion qui se cache derrière l’appel aux « lois du marché [4]». N’y aurait-il que des individus qui discuteraient face à face et à armes égales ? • Pour contrer l’illusion de l’interactionnisme réciprocitaire, la médiation doit prendre en compte une extériorité qui la rend possible et la norme. Cette extériorité est fondatrice du monde social. 4 Qui privatisent les bénéfices et socialisent les pertes…
On ne peut parler valablement de la médiation sans prendre en compte un certain nombre de principes fondateurs du lien social, comme le sont notamment l’égalité et la liberté. • Le médiateur est médiateur non seulement entre les parties, mais aussi entre les parties et la situation extérieure, en tant qu’elle est déjà fondamentalement structurée. • Ce qui est essentiel pour tout médiateur, et qui demande beaucoup de savoir-faire, de compétence et de connaissances, c’est de se considérer comme médiateur entre des univers de sens différents (affectivité, politique, économie, etc.), dans lesquels baigne une seule situation. • C’est être capable de suggérer aux parties, coincées souvent dans leur unique univers de sens, de jouer sur la palette très ouverte des différents univers de sens. Dans un premier temps, cela complexifie le problème. • Mais il faut savoir que ce qui caractérise un conflit insoluble, c’est qu’il est trop simple. Quand ce travail est fait, il est possible de reconstruire une solution. L’enjeu, ici, c’est d’élargir le champ du regard des parties aux acteurs extérieurs au conflit, dont on entend le murmure. • Dans une médiation familiale, il y a, au-delà des seuls plaignants, un ensemble de personnes et de non personnes (le couple, les enfants, les belles-familles, les voisins, etc.).
Troisième illusion, réductionniste, visant à donner des versions unilatérales de la médiation. • Cette-ci serait un deal : les parties se mettent d’accord sur un équivalent, sur une répartition entre les deux intérêts, et on détermine un type de répartition. • Ce type de pratique, fréquent aux États-Unis … • censure ou évacue certaines dimensions du champ, de la médiation : pas de dimension émotionnelle, par exemple, pas de politique, pas de référence à la justice, pas d’accord sur les effets externes de l’accord obtenu, etc. • On retrouve ici les experts, simplement un peu plus conviviaux. <><><><> 3 Qui privatisent les bénéfices et socialisent les pertes…
C’est au sein de la société civile, entendue comme l’ensemble des relations qui s’établissent du fait du consentement d’individus libres, que travaille la médiation. • Mais elle œuvre aussi à la frontière d’institutions étatiques, telles que la justice civile ou pénale. • En Belgique, la faiblesse traditionnelle de l’État, qui s’est fortement accentuée depuis la dernière réforme constitutionnelle, a engendré une situation unique en Europe. • Jusqu’il y a peu, notre système de droit reposait sur une hiérarchie de normes juridiques : normes réglementaires, légales, constitutionnelles, elles-mêmes fondées sur une norme fondamentale. • Dans la Belgique devenue fédérale, les normes de l’État central ne priment plus sur celles des pouvoirs fédérés. • Ce processus de dissolution du pouvoir étatique par le bas s’accompagne d’une dissolution par le haut, lié au mouvement d’internationalisation (normes européennes, mondialisation). • Tout cela aboutit à une conception du droit liée à la pluralité des ordres et non plus à la hiérarchie des normes juridiques.
D’où l’importance grandissante accordée à la jurisprudence, l’élaboration de normes juridiques dans l’activité même de juger. • Cette doctrine procédurale du droit en vient à mettre à mal la séparation des pouvoirs législatifs et judiciaire, et la subordination du seul pouvoir dont les membres sont élus – le pouvoir législatif – au pouvoir judiciaire. Il y a là un véritable danger pour la démocratie. • Dans un tel contexte, la neutralité de la médiation est moins menacée par l’État, et seule, la vigueur du projet médiation permet que soit garantie son indépendance. • Mais le risque existe que les médiateurs puissent vouloir se substituer à la justice étatique, à la faveur d’un mouvement qui privatiserait la justice. • La médiation ne peut servir de caution à une privatisation en douceur du droit et de la justice, parce qu'elle ne peut, sans renier sa neutralité, se mettre au service de la destruction de notre système juridique, où la loi protège le faible du fort, et notre régime démocratique de séparation des pouvoirs. • Pour la médiation, la loi élève les hommes jusqu’au point où ils peuvent comprendre que la loi n’est pas seulement une contrainte, mais aussi l’institutrice de leur propre liberté, ce en quoi consiste au sens fort l’autonomie.
Il faut donc abandonner l’idée que le conflit ne concerne que les parties. La position de tiers est essentielle, de même que la référence à la loi commune. • Ce n’est pas parce que notre société s’est fortement sécularisée et parce que l’individu en est devenu l’archétype que les médiateurs devraient affaiblir leur éthique. • La médiation, processus étalé dans le temps, ne vise pas sans plus à faire fonctionner les choses, dans notre société complexe, faite d’incertitudes sociales. • Elle porte en elle une exigence, pour le médiateur, d’une grande créativité. • Nous avons récemment écrit notre déception de constater que l’autorité légalement constituée, la Commission Fédérale de Médiation, avait décidé de n’élaborer qu’un code de bonne conduite plutôt qu’un code de déontologie [5] • – un peu comme si la médiation, pas vraiment reconnue comme une profession spécifique, pouvait s’en contenter. • Nous pensons, quant à nous, que cette référence déontologique est impérative et nécessaire. Et que, avant tout, il fallait, par une définition, sortir la médiation de la confusion langagière, qui mêle les médiateurs aux ombudsman, aux arbitres, aux négociateurs et aux conciliateurs. • En particulier en raison des enjeux développés ci-dessus. <><><><> [5] C’est ce que la loi de 2005 prévoyait.
La médiation est tout d’abord à nos yeux un travail. • Travail sur la relation : il est frappant de constater que non seulement, les motifs allégués pour venir en médiation s’avèrent souvent être l’arbre qui cache la forêt, mais qu’en outre c’est de relation entre les personnes qu’il est le plus souvent question, quel que soit par ailleurs le champ d’intervention concerné. • C’est donc de la relation qu’il nous faut partir, plutôt que du conflit[6], et la compétence du médiateur porte sur cette relation, sans qu’il doive nécessairement faire preuve de connaissances relatives au milieu sur lequel il travaille. • Le médiateur a pour tâche de travailler à restaurer un lien social minimal en mobilisant les ressources propres des médiants, et la médiation répond surtout au lent effritement des conditions de la vie quotidienne. • Le médiateur est un tiers indépendant. • Dans sa fonction, il veille à demeurer dans une relation triangularisée, quel que soit le secteur au sein duquel il officie. [6] Le conflit n’étant en définitive qu’une forme particulière de relation.
Le monde contemporain fonctionne de manière binaire, à la façon des ordinateurs, en opposition oui / non. • Dans un tel contexte, meurent la diversité et la culture. Par nature, l’homme est trinitaire : Je, tu et il représente le lien social minimal, une archisocialité. Ce processus permet de sortir l’être humain de l’indifférenciation, lui donne la capacité de se reconnaître différent, tout en participant à la même nature humaine. • C’est au travers de la différentiation que naît le Moi. • Le troisième terme est celui qui fait tout basculer. C’est l’irruption, dans mon psychisme, de la tierce personne étrangère, qui n’est pas la « mère », et qui agit comme un signal révélateur et comme signe médiateur, pour signifier qu’il ne peut pas être par lui-même. • Le père rompt le cercle fermé de l’immédiateté, permettant ainsi à la mère et à) l’enfant de s’ouvrir à la différence, au monde et à la culture – tandis que la fusion, souvent comprise comme image de l’amour, est en fait image du conflit. Le médiateur tiers n’est pas un apporteur de solutions. Il n’est pas dans une relation d’aide, et pour pouvoir être tiers, médiation et médiateur doivent être rigoureusement indépendants. • D’où la difficulté que rencontrent souvent les médiateurs institutionnels. .
Le médiateur est aussi responsable. • Encore faut-il savoir jusqu’où s’étend cette responsabilité. Il a en principe une obligation de moyens et non de résultat – celle-ci dépend des médiants. • Et une obligation de respecter les articles de sa déontologie et des règles posées par la loi, en particulier en ce qui concerne le respect du strict secret professionnel. • Le médiateur travaille dans un espace intermédiaire, un espace du possible, au sein duquel des choses vont pouvoir se jouer comme par une catalyse. • Son rôle n’est ni passif, ni évanescent : le médiateur, adulte, libre, dynamique, formé solidement et conscient de ses limites doit vraiment être là ; il n’a pas à mettre son client sous tutelle, mais à l’amener à prendre distance et à éveiller sa créativité. Le médiateur est sans pouvoir – si ce n’est sur son cadre de travail : il travaille en homme de passion à l’émergence du sujet et de sa liberté, à la façon d’un accoucheur ; il le renvoie à ses compétences et à ses propres responsabilités. Son rôle est provisoire : il ne peut travailler qu’en envisageant sa propre disparition[7]. <><><><> [7] Le conflit n’étant en définitive qu’une forme particulière de relation
La médiation a au cours des années pris différentes formes et s’est insérée dans différents milieux. • Au-delà de la médiation familiale, qui a joué le rôle d’archétype, on peut citer la médiation scolaire, la médiation pénale, la médiation de dettes, la médiation de voisinage, la médiation sociale, la médiation du logement, la médiation en milieu hospitalier, la médiation interculturelle, la médiation pénitentiaire, la médiation internationale, et la dernière née, la médiation des minorités. Paul Bourgeois Intervenant