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Le féminin, ses représentations «naturelles» et l’image du corps social masculin. Guy Lanoue, Université de Montréal, 2010-14. http://img.dailymail.co.uk/i/pix/2008/02_03/pupilsSPLIT_468x662.jpg. Le corps protagoniste.
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Le féminin, ses représentations «naturelles» et l’image du corps social masculin Guy Lanoue, Université de Montréal, 2010-14 http://img.dailymail.co.uk/i/pix/2008/02_03/pupilsSPLIT_468x662.jpg
Le corps protagoniste Le corps, comme dit Jacques Le Goff (Une histoire du corps au Moyen Âge, 2003), a souvent été ignoré par les penseurs (de la tradition occidentale, il faut ajouter), qui le reléguaient au domaine naturel et donc «faible» et «passif» face aux forces hypernaturelles et souvent mal comprises de la nature (ou, on pourrait ajouté, des forces hyperpuissantes représentées par l’État). C’est Marcel Mauss, sociologue et anthropologue français, qui a souligné pour la première fois («Les techniques du corps», p.7, communication de 1934 publiée en 1936, souvent réimprimée dans des collections diverses) que s’assoir, s’étendre, dormir, et surtout marcher ne sont pas des conditions passives, qu’elles sont des actions-constructions, les technologies du corps: «Une sorte de révélation me vint à l’hôpital. J’étais malade à New York. Je me demandais où j’avais déjà vu des demoiselles marchant comme mes infirmières. … Je trouvai enfin que c’était au cinéma. Revenu en France, je remarquai, surtout à Paris, la fréquence de cette démarche; les jeunes filles étaient françaises et elles marchaient aussi de cette façon. En fait, les modes de marche américaine, grâce au cinéma, commençaient à arriver chez nous. … La position des bras, celle des mains pendant qu’on marche, forment une idiosyncrasie sociale, et non simplement un produit de je ne sais quels agencements et mécanismes purement individuels, presque entièrement psychiques.» Il m’est difficile d’illustrer ici les formes de marche, alors je vous présente des femmes debout: Américaines, années 1930, membres d’un club de golf Européenne, années 2000 Notez le placement des pieds, le degré de déhanchement signalé par la flexion du genou droit, et la position des épaules (partiellement cachés par la coiffure). http://www.style.com/blogs/stylefile/wp-content/uploads/plaid.jpg http://www.womenseastern.org/images/8%20women%20standing%20on%20course.jpg
Construire le féminin http://www.genders.org/g49/webertice2.jpg En 2004, la chaine FOX propose The Swan, téléréalité centrée sur la transformation (diète, chirurgie esthétique) en «cygnes» de ces femmes. De groupes féministes et d’autres protestent et l’émission est retirée après deux saisons. Quels sont les éléments qui définissent la beauté? Visiblement, le «bighair», les dents blanches, les courbes plantureuses, et le «déhanchement immobile».
Pourquoi les femmes ont-elles de cheveux longs?Le corps du Moi et le corps du Social Il n’est pas important si les cheveux féminins sont coiffés pour souligner leur longueur; même en chignon ou tressés, les cheveux longs ont plus de volume et donc font paraitre la tête plus large, et en conséquence les épaules paraissent plus petits. Réduire la musculature (qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme) est en fait féminiser le corps. L’image d’une tête trop grosse pour le corps est également une forme de synecdoque, où une partie du corps domine les autres parties, effectivement annulant leur importance; le féminin est relativement immobile. http://www.hairstyleslibrary.com/images/Long%20Curly%20Wedding%20Hair%20Styles%20005.jpg L’auriculaire soulevé est reconnu partout (en Occident) comme symbole de raffinement et donc comme métaphore de la classe supérieure, même dans cette parodie. Pourquoi? Parce que ce geste communique le message que la main à ce moment n’est qu’un instrument de socialité; les doigts ne sont pas déformés de façon permanente par des années de travail manuel, courbés parce qu’ils sont prêts à empoigner le manche d’un outil. Ce geste n’est pas spécifiquement limité aux femmes, mais il appartient néanmoins à l’univers féminin, car un homme qui l’adopte sera parfois jugé efféminé. http://fifty2resolutions.files.wordpress.com/2009/08/tea4.jpg?w=480&h=360 Le déhanchement stationnaire (car on peut également marcher ainsi, en raccourcissant la distance du pas, et donc obligeant les hanches à un mouvement exagéré pour compenser) est une pose typiquement féminine, où le poids du corps est posé sur une jambe. Le résultat est un positionnement décontracté, où la femme signale qu’elle n’est pas immédiatement sur le point de bouger, de sauter ou de marcher. Elle souligne l’immobilité et donc l’impuissance, à différence des hommes censés dégager l’image de la puissance explosive. http://www.outblush.com/women/images/2009/10/duke-duchess-hook-eye-pencil-skirt.jpg Bref, nos corps ne nous appartiennent pas; ils sont des champs de bataille où le Moi affronte le Nous. Pour les femmes, ce Nous, le corps social, est masculin.
Il y a deux raisons pour le déhanchement qui devient un stéréotype de la démarche féminin «sexy»*: a) quand une personne qui marche place ses pieds sur une ligne imaginaire étroite, l’un devant l’autre, les hanches (et donc les fesses) oscillent dans la direction opposée pour équilibrer le corps; b) quand une femme (normalement) fléchit sa jambe au genou pour signaler qu’elle n’a pas de hâte, cela limite sa vitesse. Inconsciemment, elle va déhancher pour augmenter la distance du pas sans augmenter le jet de la jambe. Les deux pas sont inconsciemment motivés par la même structure sémiotique – limiter l’impression qu’elle est «en mouvement». Bref, ce sont des métonymies du féminin qui se définit en limitant le nombre de signifiants (synecdoque) ou, dans ce cas, en boitillant les signes de l’agir; la femme devient donc plus passive, et le masculin devient la norme pour définir l’agir. http://i126.photobucket.com/albums/p83/cherijoli/Scenery/couple-on-beach.jpg *Je ne parle pas des motivations ou raisons pour cette allure, qui, comme le petit doigt soulevé signe du statut «raffiné», est un symbole tellement iconique qu’il peut être consciemment ironisé ou inconsciemment somatisé.
Mâle, 20 ans, américain: Longueur moyenne, jambe supérieure, cm. 42.2 * Taille moyenne, cm 176.3 Proportion jambe/taille 23.9% Femelle, 20 ans, Américaine: Longueur moyenne, jambe supérieure, cm 38.0 Taille moyenne 162.2 Proportion jambe/taille 23.4% ** Femelle, tous les âges, américaine: Longueur de l'enjambée, moyenne, cm 67.0 Proportion, enjambée/taille 41.3% Mâle, tous les âges, américain: Longueur de l'enjambée, moyenne, cm 76.2 *** Proportion, enjambée/taille 43.2% Les hommes et les femmes ont de proportions du corps presque identiques, tenant compte de la taille: la différence de la jambe supérieure est seulement de 0.5% en faveur des hommes. Cependant, les hommes mesurent en moyenne 14.1 cm de plus que les femmes avec une enjambée 9.2 cm de plus longs, qui se traduit dans une proportion de 41.3 (femmes) à 43.2 (hommes), tenant compte de la taille. Autrement dit, les femmes prennent des enjambées qui sont, en moyenne, 41.3% de leur taille, et les hommes 43.2%. Donc, comparé aux hommes, le pas féminin est plus petit par rapport à sa taille. Bien qu’il semble que les femmes aient les jambes plus longues comparées aux hommes, ceci est vrai uniquement pour les modèles et pour certaines actrices. Les deux gendres ont plus ou moins les mêmes proportions. http://www.bartcop.com/oscar-winning-legs.jpg * Le CDC (Center for Disease Control, l’organisme médical principal des États-Unis) n’a pas publié la longueur moyenne de la jambe entière, mais le fémur est considéré comme plus indicatif de la taille que le tibia. ** "Anthropometric Reference Data for Children and Adults: United States, 2003–2006", by Margaret A. McDowell, Ph.D., M.P.H., R.D.; Cheryl D. Fryar, M.S.P.H.; Cynthia L. Ogden, Ph.D.; and Katherine M. Flegal, Ph.D.; Center for Disease Control, National Health Statistics Reports Number 10, October 2008; Ref: http://www.cdc.gov/nchs/data/nhsr/nhsr010.pdf *** Ref: http://walking.about.com/cs/pedometers/a/pedometerset.htm
La femme sémiotique La métaphorisation pour les femmes a tendance à diminuer leur pouvoir sémiotique parce qu’elles sont souvent transformées en des signifiants partiels et affaiblis et donc incapables de «s’attacher» aux signifiés de la communauté: • - quand une femme utilise un parfum, elle se transforme en fleur ou en animal sauvage en chaleur (plusieurs parfums sont préparés à la base de glandes anales des animaux comme le castor). • - quand elle porte des vêtements intimes «sexy», elle érotise uniquement certaines parties de son corps, même des parties non érotisées par d’autres cultures; p.e., les seins, surtout en Occident, sont souvent considérés comme érotiques quand ils font partie de l’identité maternelle de la femme. • - quand elle porte des vêtements haut de gamme, c’est elle qui doit s’adapter aux vêtements, non l’inverse, car la moindre déviation d’un modèle standard (et non-naturel) du corps est soulignée par ces vêtements. • - le maquillage met l’accent sur la bouche et sur les yeux; il s’agit de la néoténie (limiter l’identité aux traits typiques d’un enfant). Bref: la métaphorisation de la catégorie «femme» à tendance à mettre l’accent sur ses parties composantes plutôt que sur l’ensemble. Normalement, la métaphorisation ajoute des dimensions de signification, en proposant de lier le concret à certains aspects du monde imaginaire auquel il n’y a pas normalement de liens dans la sémantique simple; par exemple, un homme devient plus masculin, plus «membré», grâce à sa voiture sport à gros cylindre. En contraste, pour devenir «plus féminine», une femme ne peut pas facilement invoquer les mêmes liens métaphoriques aux objets comme le font les hommes, sauf si ceux-ci établissent une synecdoque entre la femme et l’objet (p.e., la lingerie intime); autrement dit, la métaphorisation du féminin enlève de couches de signification pour la réduire à ses particules élémentaires – une odeur animale, une sexualité trop prometteuse, un vêtement coupé pour qu’il souligne certaines parties du corps, les lèvres charnues et les yeux grands qui annulent les autres éléments du visage.
Baby Faces / Le photographe Douglas Perrett a récemment (02-12) publié un livre Wild Things, qui réunit de photos polaroids de modèles renommés (2000-2010), à leur début et sans maquillage. Sans utiliser la photogrammétrie pour obtenir de résultats précis, on note immédiatement la grosseur des yeux (soulignée par la distance exagérée qui les sépare), de bouches relativement pulpeuses, et de petits nez: les traits classiques de la néoténie. Il y a beaucoup de variation dans la forme des visages, mais deux constants: elles ont un aspect enfantin pour leur âge, et contraire à l’idée répandue qu’elles sont engagées par les agences de publicité grâce à que leurs corps minces, ce sont les visages particuliers qui intéressent les directeurs artistiques: ce sont des photos de distribution.
Toutes les images sont tirées du site: http://trendland.net/wild-things-book-makeupless-models-from-casting-pola, consulté le 18-02-12)
Le « problème » de la catégorie « femme »: pas de « solution ». Pourquoi? http://i.4cdn.org/b/src/1397565185552.jpg
Le sexe du corps social Qui mieux protège l’Amérique, Captain America ou Wonder Woman? Voici quelques indices: 1) elle est d’origine amazonienne* et donc orientale; 2) son pouvoir vient de ses bracelets et de son lasso (il n’est pas inné; que fait-elle si quelqu’un lui chipe ses bracelets ou qu’elle oublie son lasso à la maison? On connait les femmes … ); 3) elle dévoile son corps plutôt le cacher comme les autres superhéros; 4) apparemment, elle souffre d’une scoliose et ne peut se tenir droite; séduisante, oui; athlète, non; 5) pire, elle porte le drapeau américain sur son sexe! Ne pas confondre le corps social tel qu’exposé ici (dans le sens inspiré par Hobbes) avec la dimension corporelle du Moi intime qui est hypersensible aux autres (voir The Body Social de Anthony Synnott, Londres, 1993). http://geeksofdoom.com/GoD/img/2008/11/2008-11-09-wonder_woman.jpg * Selon Hérodote (Histoires, t.4), une tribu située dans la zone des Sarmates (peuple d’origine iranienne) aujourd’hui en Ukraine http://www.mediabistro.com/fishbowlLA/original/captain%20america.JPG http://www.robertocampus.com/wp-content/uploads/post_photoshop-tutorial-wonder-woman-step-5-painting-darker-shadows.jpg
Matrilinéarité ou patrilinéarité? L’unique combinaison qui crée une représentation d’un univers social avec trois composantsIci, il s’agit d’une représentation de l’imaginaire tsimshian : mariage matrilatéral avec la cousine croisée (1), la filiation matrilinéaire (2), et résidence initiale patrilocale (3). Modifier n’importe de ces trois dimensions crée une représentation dyadique (avec deux composants, pas trois); la patrilinéarité crée uniquement des modèles dyadiques et donc relativement fermés, mais la matrilinéarité peut modeler un monde imaginaire ouvert et étanche.
Le pouvoir et le genre La couverture de Leviathan (1651) de Thomas Hobbes (qui précise l’idée du contrat social) évoque un monstre biblique (du même nom) avec un pouvoir absolu. Cette image est souvent considérée comme synonyme du corps social grâce au sujet de Hobbes (le contrat social et l’État) et par l’illustration: le corps du monstre (ici, pourvu de la couronne de la souveraineté) est composé de centaines d’individus. Le pouvoir du monstre-symbole de la souveraineté de l’État dérive du degré auquel l’individu réussit d’adhérer à la culture de l’État. Le pouvoir individuel est un trait complexe, mais la capacité d’agir de façon efficace dans le social («le pouvoir» tout court) dépend en partie de la confiance (ou de la peur) des autres, qui est accordée à une personne selon le nombre et l’importance des signes partagés qu’il maitrise (le capital culturel de Bourdieu). L’image du corps social est donc importante, car elle est un point de repère, une porte d’entrée à d’autres ensembles symboliques. En principe, il est infiniment partageable mais également infiniment divisible, car il est lié métaphoriquement à tous les autres symboles de la communauté. Il peut donc signaler un degré de métaphorisation – plus on peut s’identifier avec le corps social (c.-à-d., plus on peut métaphoriser le Soi et le projeter vers les signes de la communauté), plus grand est l’accès à d’autres métaphores de la communauté, qui devient de métonymies du Soi. Malheureusement pour les femmes, cette métaphore du corps social est mâle, et donc elles n’ont pas un accès facile aux autres symboles, soit de la communauté, soit du Soi social. http://www.listeningtocities.net/ltcarchive/ltcimages/leviathan.jpg
Le corps comme symbole de la société n’est pas nouveau (voir John O'Neill, Five Bodies: The Human Shape of Modern Society, Ithaca, 1985). Des philosophes romains tels que Sénèque et Cicéron l’utilisaient pour conceptualiser l’empire guidé par le «père» et par la «tête», l’empereur. L’idée du corps comme analogie émerge pour la première fois en Platon, pour lequel «corps» était substance. Par exemple, en Timée (écrit en forme de dialogues c.360 à J.C.), Platon se réfère au corps du cosmos (qui signifie «ordre» et harmonie pour les Grecs). Nous utilisons toujours cette expression pour parler des astres, les «corps célestes». La société devrait, selon lui, normalement ressembler à un corps humain sain qui n’a donc pas besoin d’intervention médicale. Le corps politique, donc, n’est pas uniquement un rapport de complémentarité entre les «organes» sociaux où l’un dépend de l’autre (comme l’utilisait Herbert Spencer 2000 ans plus tard), mais se réfère à un processus d’équilibre naturel dans le domaine politique qui dérive de la perfection incarnée par un Créateur. http://publishing.cdlib.org/ucpressebooks/data/13030/n4/ft4m3nb2n4/figures/ft4m3nb2n4_00082.jpg ; Sherman, Claire Richter. Imagining Aristotle: Verbal and Visual Representation in Fourteenth-Century France. Berkeley: University of California Press, c1995 1995. Ici, un manuscrit médiéval, Avis au Roys http://ark.cdlib.org/ark:/13030/ft4m3nb2n4/ photo: The Pierpont Morgan Library, New York) 89 24.
Avant l’empire: le corps troublé à ses origines En 491 a.J-C., 20 ans après qu’on a exilé le dernier roi de Rome, les Plèbes quittent la ville pour protester leur traitement de la part des Patriciens. Ils sont allés à Mons Sacer, aujourd’hui Monte Sacro, ou Remus avait voulu fonder sa ville Remuria (Tite-Live, vol. 1, Bk. II, chap. xxxii).* Voulant les convaincre de rentrer et d’assumer leurs fonctions, les Patriciens envoient un délégué, l’ex-Consul Agrippa Menenius, “un homme éloquent, acceptable au peuple parce qu’il était issu de leur rang” (Livy, Ibid.). Agrippa leur ait adressé avec une langue “dépassée” et “grossière” : “‘At a time when the members of the human body did not, as at present, all unite in one plan, but each member had its own scheme, and its own language; the other parts were provoked at seeing that the fruits of all their care, of all their toil and service, were applied to the use of the belly; and that the belly meanwhile remained at its ease, and did nothing but enjoy the pleasure provided for it: on this they conspired together, that the hand should not bring food to the mouth, nor the mouth receive it if offered, nor the teeth chew it. While they wished, by these angry measures, to subdue the belly through hunger, the members themselves, and the whole body, were, together with it, reduced to the last stage of decay: from thence it appeared that the office of the belly itself was not confined to a slothful indolence; that it not only received nourishment, but supplied it to the others, conveying to every part of the body, that blood, on which depend our life and vigour, by distributing it equally through the veins, after having brought it to perfection by digestion of the food.” Applying this to the present case, and showing what similitude there was between the dissension of the members, and the resentment of the commons against the patricians, he made a considerable impression on the people’s minds” (Livy, Ibid.; cette traduction anglaise normalisée de 1803 saute la dernière phrase du discours d’Agrippa: Sic senatus et populus quasi unum corpus discordia pereunt concordia valent: “Donc, le Sénat et le peuple, un corps seul, avec le discord périssent et avec l’harmonie survivent”). Il est clair que ce discours est fictif, mais cela veut dire que la métaphore du corps social était si bien établie à l’époque de Tite-Live qu’il pouvait l’invoquer pour décrire la naissance de la République. * The History of Rome by Titus Livius. Translated from the Original with Notes and Illustrations by George Baker, A.M., First American, from the Last London Edition, in Six Volumes, Peter A. Mesier, New York (Lat: Ab Urbe Condita), 1823; il y a plusieurs versions disponibles sur l’internet.
Parfois, le discours censé être intellectuel se réfère au patriarcat judéo-chrétien (p.e., voir G. Lerner, The Creation of Patriarchy, New York, 1986; S. Walby, Theorising Patriarchy, Oxford, 1990), mais l’idée d’un corps masculin comme symbole de la communauté n’est pas chrétienne, car les Grecs et les Romains l’utilisaient. Elle n’est pas non plus une simple justification pour la domination masculine (qui existe, mais, nous le savons empiriquement, qui n’a pas besoin d’un symbole si abstrait pour s’imposer). L’idée du corps social est une évolution du symbolisme totémique des peuples tribalisés sur le point de se transformer en chefferie ou en État (les Grecs et les Romains, respectivement). Par exemple, les Grecs mycéniens (de l’Âge de bronze) attribuaient à leurs dieux des fonctions sociales, représentées par diverses espèces: Apollon et l’abeille (et le corbeau), Déméter et le grain, Héra et la grenade, Aphrodite et la pomme, Zeus et l’aigle, Poséidon et le cheval, Dionysos et la vigne, Hermès et le serpent, Athéna et le hibou, Arès et le vautour, pour ne pas mentionner la polysémie complexe qui entoure les personnages mineurs (comme, p.e., Narcisse ou Hyacinthe). Autrement dit, chaque membre du panthéon représente une fonction ou qualité (p.e., la force, la communication, la passion, la sagesse), symbolisée par une ou plusieurs espèces naturelles; ces dernières deviennent des symboles polysémiques (p.e., le hibou est signe d’Athéna et métonymie de la sagesse). Quelque siècles plus tard, les philosophes « scientifiques » (p.e., Platon) ont simplement réuni toutes les diverses fonctions dans un seul symbole forcement très abstrait, le corps. À fur et à mesure que leurs communautés se diversifiaient avec la conquête et la colonisation de peuples étrangers, plus voulaient-ils remplacer le panthéon polymorphe avec un seul symbole capable d’exprimer l’unité dans la diversité, le corps. Les résidus de cette pensée totémique se trouvent dans l’idée que les organes individuels correspondant à des fonctions sociales se trouvent dans la pensée médiévale (voir diapo précédente) et dans l’œuvre de Herbert Spencer au 19e siècle (System of Synthetic Philosophy, 10 tomes, 1862-92), où il caractérise la société moderne comme un organisme, avec des composants hautement différenciés. Society and its Reflection, A. Campan, 2012
«Le roi est mort, vive le roi» À l’époque médiévale émerge la théorie des deux corps du souverain, dont les origines sont incertaines, car l’idée avait survécu dans les œuvres classiques. La souveraineté censée passer du peuple au roi au moment de son investiture, selon la même fiction, se transmettait automatiquement au corps souverain du successeur au moment précis de la mort du corps biologique de l’ancien roi. Le roi, donc, possédait deux corps, l’un corruptible et biologique, l’autre mystique et éternel qui était le siège de la souveraineté (voir Ernest Kantorowicz, The King's Two Bodies: A Study in Mediaeval Political Theology, Princeton, 1957). Inévitablement, les images du corps social et du corps politique fusionnent. Le corps social est donc une métaphore à double sens, de la société «souveraine» (évidemment, une fiction héritée des Romains, car il est difficile à imaginer que les élites médiévales y croyaient vraiment) et pour le corps mystique du roi qui était censé, littéralement, l’incarner. L’idée d’un corps incorruptible a probablement été alimentée par le désir de vaincre le chaos politique et économique qui a dominé l’Europe occidentale après la chute de l’Empire romain. Plus se dégradaient les conditions de vie, plus une telle théorie, parfaitement cohérente avec l’idée du Paradis éternel comme antidote du vécu imparfait, devait se présenter comme une alternative alléchante. L’idée a survécu la Réforme protestante du 16e siècle, car le rejet de Rome http://www.bl.uk/learning/images/bodies/illustrations/zodiac-man-lg.jpg L’influence des constellations sur diverses parties du corps, Europe, 1399 (British Library) lancé par Luther en 1517 n’était pas motivé par un refus de la théologie catholique, mais par de sentiments communautaires (et, plus tard, nationalistes) comme réponse à l’individualité qui trouve de l’appui avec des schémas humanistes qui émergent à la Renaissance. On dit que le Protestantisme favorise l’individualisme (comme ont noté Weber et Durkheim), mais en limitant le rôle de l’Église comme intermédiaire entre la personne et Dieu, la communauté nationale peut fleurir en même mesure qu’émerge le concept de l’individu autonome. (Il faut mentionner que les néo-bourgeois de l’Europe septentrionale protestante réagissaient à l’argent siphonné de leur économie par Rome, et donc voulaient leur propre église). Le nationalisme a simplement renforcé l’idée d’un «corps» populaire guidé par la «tête» souveraine; plus les différences de pouvoir se creusent, plus les idéologues sont-ils aptes à invoquer l’idée que la société est une construction «naturelle», comme le corps, et donc, inviolable et inchangeable.
La grande déesse Depuis la publication Le droit maternel (Das Mutterrecht) de J.J. Bachofen en 1859, la question de la représentation du féminin intrigue les penseurs modernes. Il y a-t-il un «principe» féminin qui dominait les sociétés antiques (pré-Indo-européennes; voir, p.e., l’archéologue d’origine lituanienneMarija Gimbutas, Le langage de la déesse, Paris, 2005 [1991]), et la représentation du féminin est-elle l’expression du désir de symboliquement incarner la vie et la prospérité (surtout pour des peuples «primitifs» censés être sensibles aux vicissitudes de la nature)? Ces questions troublent la pensée de Freud, Jung, Bettelheim, et se concrétisent dans l’œuvre classique d’Erich Neumann, The Great Mother (Die Grosse Mutter, version anglaise, Princeton, 1955), qui s’inspire de la notion d’archétype de Jung. Pourquoi sommes-nous troublés par l’idée d’une «grande mère» prototype du féminin? Des approches non-académiques abondent: p.e., la première œuvre de la Blavatsky (fondatrice de la Théosophie) s’intitule Isis Unveiled (New York, 1877). http://eternalfeminine.wikispaces.com/file/view/woman_book.jpg http://www.psychanalyste-paris.com/local/cache-vignettes/L300xH300/I-2-2ed50.jpg Femme avec livre et stylus, fresque, Pompéi, 1er siècle a.J.-C. Marie-Madeleine ou Saint-Jean dans La Cène de Da Vinci, l’inspiration pour Dan Brown http://www.wilsonsalmanac.com/images1/great_mother_sm.jpg Artémis, dans sa forme de maitresse des animaux
Les « Venus » paléolithiques Venus est la déesse romaine de l’amour, du sexe et de la fertilité. Elle serait, selon le poète Virgile (qui écrit une version « officielle » de l’histoire de l’empire), la mère d’Énée, le père fondateur des peuples latins (grâce à sa femme, Lavinia fille de Latinus, un roi local) quand il arrive en Italie centrale après la chute de Troie. Ces statuettes (souvent mesurant moins de 10 cm) ont été retrouvées dans une zone s’étendant de l’Europe occidentale (sauf l’Espagne) jusqu’à la Sibérie. Elles ont de dates entre 35,000 to 11,000 a.p., mais la plupart sont gravettiennes (nom utilisé uniquement pour les exemples de l’Europe occidentale), entre 30 et 20k a.p. Dans l’ensemble, l’art portative de l’époque n’est pas homogène, avec des images abstraites, mâles, et même hermaphrodites, mais certains* estimaient que 60% représentent des femmes : hanches, cuisses et seins généreux, avec de petits mains et pieds; leurs visages n’ont pas de détails. Cette emphase semble souligner qu'elles sont liées à la fertilité et à l’abondance. * Margaret Beck, “Female Figurines in the European Upper Paleolithic: Politics and Bias in Archaeological Interpretation”, pp.202-14, A.E. Rautman (ed.), Reading the Body: Representations and Remains in the Archaeological Record, U. Pennsylvania Press, Philadelphia, 2000
Exemples divers de figures vénusiennes et de leur centre visuel http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/6b/Venus_of_Brassempouy.jpg Mais notez la Vénus de Brassempouy (« La dame à la capuche »), une image assez réaliste d’une femme (mais sans corps, et sans bouche) découverte en 1894. La statue d’ivoire a 25k ans. Cette image, et la conviction que les artistes étaient primitifs, ont convaincu l’archéologue qui les a découverts qu’ils s’agissaient d’images réalistes, et donc sans symbolisme (R. White, « The Women of Brassempouy…», Jour. Arch. Research and Theory 13(4), 2006, p.277). Elles invoquaient des images qui arrivaient en Europe à l’époque de certaines femmes africaines atteintes de stéatopygie. En fait, La Dame à la capuche a toujours été conçue et sculptée sans corps (selon White), et donc n’est pas une Vénus. Enfin, White note que les proportions ne correspondent pas à des populations humaines; elle vivait donc dans l’imaginaire paléolithique.
Les images «vénusiennes» et leur emplacement en Europe Dans certains reportages télévisés des dernières décennies, certaines interprétations prétendent que ces figures vénusiennes (il y en a de centaines, de l’Ukraine à la France) témoignent la présence d’une culture matriarcale antérieure à l’arrivée des Indo-européens patriarcaux, parce que ces statues soulignent des traits «féminins» - seins énormes, hanches généreuses et ventre «enceint». Cependant, pourquoi les artistes ont-ils ignoré les traits du visage? Les images de rois à la tête de peuples patriarcaux n’ignorent pas le visage pour souligner les signes classiques du pouvoir masculin: le sexe masculin, épaules larges, biceps gonflés, etc. L’absence de traits du visage semble signifier que les artistes ne voulaient pas souligner l’individualité mais la communauté.
Sans tête; Allemagne, 35,000 a.J.-C. La plus vieille représentation du corps humain (La Vénus de Hohle Fels, ou Vénus de Schelklingen) découverte en 2009. Les premières statues de ce genre datent de cette époque. (6 x 3,5 cm) La plus récente serait la venus de Hradok, 4,000 a.J.-C, découverte en Slovaquie actuelle. Cette photo est du monument érigé par le gouvernement pour encourager le tourisme, mais il est possiblement altéré: dans l’original, les seins semblent avoir été coupés ou transformés par une 2e main, détail ici minimalisé (malheureusement, cette statue est tellement commercialisée qu’il n’est pas possible à la reproduire même pour de fins pédagogiques; cependant, voir http://farm6.static.flickr.com/5220/5481846319_f505c32f3a.jpg). Cette figure est la plus «naturelle» des Vénus européennes, donc la moins «déformée» par l’obésité; cependant, elle est assise, une métaphore puissante de l’immobilité et donc de la continuité. http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/2d/V%C3%A1rad_V%C3%A9nusz2.jpg
La plus renommée, La Venus de WillendorfImage prototype parce qu’elle correspond à de notions assez « victoriennes » de la femme-objet sexuel et source de fertilité; la plupart des exemples de l’art portatif de cet époque ne sont pas si « abondantes » Les communautés qui ont produit ces symboles étaient plus fragiles et moins intrusives comparées aux sociétés d’aujourd’hui: les chasseurs vivent une grande partie de leur vie en petits groupes isolés; les personnes ne vivent pas si longtemps, ce qui mine l’idée de continuité sociale. Dans ce contexte, la survie est mieux représentée par un corps immuable. Le gras de ces femmes obèses, dans un contexte où les personnes sont normalement très maigres, est censé cacher les transformations physiologiques typiques des femmes; loin d’exaucer la fertilité, le gras la cache.
Malheureusement pour l’analyse scientifique, ces images du féminin ont souvent été utilisées pour appuyer l’idée de la «Vieille Europe» matrifocale, une idée popularisée par Gimbutas. Elle propose (The Goddesses and Gods of Old Europe, Berkeley, 1974) que l’Europe néolithique fût peuplée de tribus matrifocales et «gynocentriques», c’est-à-dire matrilinéaires et possiblement matriarcales, avant l’arrivée des Indo-Européens patriarcaux et androcentriques arrivés de l’Asie centrale, de l’Anatolie, ou du steppe pontique. Le problème est une de continuité et de l’interprétation des données. Les images du féminin ne constituent pas un lignage ininterrompu qui pourrait incarner un principe gynocentrique en Europe. Certainement, les idées de Gimbutas ont été manipulées pour appuyer des interprétations féministes et «new age» du passé, qu’il existe un «complot patriarcal» qui vise à supprimer le pouvoir féminin. Malheureusement, telles interprétations se basent sur l’idée que les figures vénusiennes représentent de femmes enceintes ou qui allaitent, et donc représentent la maternité et le pouvoir du féminin. Ces idées ont été mises en doute, mais souvent pour de raisons politiques ou même erronées; voir Cynthia Eller, The Myth of Matriarchal Prehistory, Boston, 2000. Selon Gimbutas (Civilisation of the Goddess, 1991), ceci ferait partie du système d’écriture de la Vieille Europe. La majorité des linguistes dispute que ces signes constituent un système d’écriture. http://www.earthfiles.com/images/news/B/Brazil16CherhillLuSymbol.jpg
Une autre, sans tête et sans piedsCelles-ci sont certainement de symboles de la communauté et non pas des représentations de femmes individuelles parce qu’elles n’ont rarement de visages ou même des têtes; elles sont les premiers symboles du corps social, en version féminine.
La femme réaliste, mésolithique La représentation de la femme corpulente est un choix artistique et non le résultat d’une incapacité de représenter les sujets selon une esthétique naturelle. Ici, on voit des formes féminines représentées de façon naturelle (les images de bas sont 1m60), avec l’accent sur le sexe féminin, datant de c.14,000 ans, l’Angles-sur-l’Anglin, Dep Vienne, France. Le site est mieux connu pour ses sculptures réalistes. Voir André Leroi-Gourhan, Préhistoire de l’art occidental, Paris 1971 [1965].
Une autre, en bas-relief En fait, ces artistes ne voulaient pas mettre l’accent uniquement sur les traits qui, selon une iconographie contemporaine, signalent la condition féminine (hanches, seins, etc.) ou l’abondance de nourriture. Elle représente la communauté et sa survie: le corps féminin est «naturellement» trop changeant (puberté, grossesse, ménopause) pour effectivement communiquer l’idée de la continuité et donc de la survie, comparé au corps masculin. En exagérant les hanches, le ventre et les seins, les artistes n’ont pas autant créé l’image de la femme fertile, mais du corps féminin dans sa version inchangeable – le corps ne montre pas ses conditions physiologiques. Autrement dit, ce n’est pas la grossesse qui signale la reproduction sociale; la continuité du groupe est mieux symbolisée par un corps inchangeable mais potentiellement « pénétrable », car féminin.
L’Europe est peut-être l’exemple le plus flagrant qui appuie cette hypothèse. Comme la légende romaine qui précise des origines orientales du lignage de Romulus, Europa, selon la mythologie grecque, est une Phénicienne noble (donc, étrangère et membre d’un groupe rival). Il y a plusieurs versions, mais la plus répandue et une des plus récentes (500 a.J.-C.) prétend que Zeus assume la forme d’un taureau qui séduit (ou viole)* Europa et l’amène à Crète (pays du taureau sacré) sur son dos, où il révèle sa vraie identité. Il lui donne des cadeaux, et elle est couronnée la Reine de Crète.** À gauche, Europa et Zeus, version «conventionnelle», d’après un portrait grec de l’époque classique. À droite, version plus érotique, de Félix Valloton, 1908. Voir M. Dumoulin (dir.), Europa. L’idée et l’identité européennes, de l’Antiquité grecque au XXIe siècle, 2001. http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/0c/Europa_auf_dem_Stier.jpg http://www.jahsonic.com/FelixVallotton.jpg * Dans la littérature antique, le viol, le rapt (comme dans le cas des Romains et de leurs voisins les femmes sabines) et la séduction sont souvent la même chose. La grande majorité des représentations d’Europe la montre comme assise délicatement sur le dos de Zeus, signalant son accord avec l’enlèvement, avec sa main qui tient une corne phallique du taureau. En fait, Europa femme phénicienne de Tyr, n’a jamais visité les terres qui portent son nom, sauf pour la Crète, qui est à la frontière extrême orientale et méridionale du continent. Selon Dumoulin, l’histoire du rapt serait une métaphore des efforts pour tracer la frontière avec l’Asie. ** Ce mythe devient la base des notions populaires de La Belle et la Bête. http://www.historyforkids.org/learn/greeks/religion/myths/europa.jpg
Mais il y a de plus: pourquoi une femme pour symboliser la frontière? Parce que, sur le plan de la matrilinéarité, dans l’imaginaire elle symbolise l’ouverture envers l’Autre, qui malgré sa porosité ne menace pas son intégrité. Sur le plan du symbolisme plus immédiat, la femme, surtout dans un contexte patriarcal comme l’était la Grèce antique et Rome, est «pénétrable», et la présence d’une séparation idéalisée entre Grecs et Phéniciens ne signifie pas qu’il n’y avait pas de contact ni d’échange commercial (voir Thucydide, Histoire de la Guerre du Péloponnèse, vers 420 a.J.-C.; et Hérodote, Les Histoires, vers 450 a.J.-C.). Les deux puissances existaient, pour une période, dans un équilibre précaire, ni l’un ni l’autre capable de dominer le commerce de la Méditerranée orientale; les deux se tournent vers la partie occidentale de «Notre Mer» (comme les Romains appelaient la Méditerranée), et les Phéniciens établissent des colonies à Carthage (fondé par une femme, Didon ou Elisha/Elissa/Alissar, qui, comme Europa, vient de Tyr), vers l’an 1000 a.J.-C (aujourd’hui, en Tunisie), et les Grecs en Italie méridionale (p.e., Parthénopè/Naples/Neopolis, «nouvelle ville», et les autres colonies de la Magna Graecia, la «Grandè-Grèce», telles que Messine, Syracuse et au moins une douzaine d’autres). Entre 250 et 150 a.J.-C., Rome va mettre payé aux deux empires. Rome va choisir une autre femme, Italia, pour symboliser son empire. http://www.peabodyopera.org/seasons/s0708/dido07/gbtiepolo480474.jpg Odysseus et ses hommes aveuglent le Cyclope Polyphème, en insérant une lance dans son œil unique; la race de Cyclops était sans doute un symbole de l’«homme féminin», guerrier masculin mais «pénétrable» (et n’oublions pas la réputation des Grecs comme «efféminés» et homosexuels). La reine Didon, Énée et Cupidon, un mythe qui lie la Phénicie, la Grèce, Carthage et Rome; œuvre de Giovanni Battista Tiepolo, 1757. http://i551.photobucket.com/albums/ii459/history_of_ macedonia/Sun%20of%20Vergin a/odysseus_cyclops.jpg
http://johnbatchelorshow.com/images/19%20fall%20of%20roman%20empire.jpghttp://johnbatchelorshow.com/images/19%20fall%20of%20roman%20empire.jpg Europe, donc, serait une femme étrangère douée d’une sexualité ambigüe (les légendes et les représentations – toutes non-contemporaines, bien entendu – suggèrent qu’elle est consentante à son viol), dont l’histoire offre de parallèles à Rhéa Silvia la mère de Romulus et Remus (n’oublions pas, une princesse involontairement cloitrée dans le temple des Vierges Vestales, qui a aussi un rapport illégitime avec un étranger errant venu de l’Orient; une est hyper-sensuelle, l’autre est cloitrée; une se déplace trop, l’autre se déplace trop peu, etc.). Les deux mythes d’origines présentent des ambigüités, ce qui aide à comprendre l’identité d’Italia et d’Europa, des lieux politisés très fragilisés au niveau de la communauté – Italia est entourée d’ennemis, et Europa est trop vaste pour défendre ou même pour se constituer en communauté. Elles doivent être continuellement renforcées par une intervention agressive et donc «masculine», car elles sont toutes les deux «pénétrables». En fait, à différence d’Italia, l’Europe devient un lieu politisé seulement après la chute de l’Empire romain occidental. Europe est donc un synonyme d’«Occident», après que la scission oriens – occidens. Bref, l’Occident réaffirme son caractère féminin au moment de sa plus grande faiblesse, après la chute des vestiges de l’Empire. C’est quasiment avec soulagement que l’historiographie standard soutient à maintes reprises que Rome a été conquis par les barbares venus du nord et non par les Orientaux. Heureusement, Hollywood était là pour documenter ces évènements, taisant les mauvaises langues qui attribuaient la chute de l’ouest à la vertu facile d’Italia.
Un symbole du territoire politiséItalia porte la couronne à remparts comme symbole de l’apprivoisement politique du territoire; ceci s’inspire de la déesse Cybèle («la grande mère», la Mater magna) qui est un symbole ancien (possiblement du néolithique) de la fertilité de la terre. Son pouvoir est considéré universel possiblement parce qu’elle est liée aux montagnes (le «haut») et les cavernes (le «bas»), les abeilles (le «haut») et les lions (le «bas»); dans le contexte du Père Zeus hyper masculin et symbole du ciel (et de la survie du groupe, car il voit « loin »), Italia et ses cousines retiennent l’association avec le haut masculin et donc métonymisent la survie toujours en incarnant la faiblesse féminine.
Gaule (3e siècle) Dacia (3e siècle) Germania (19e) Gaule et Dacia ne portent pas de couronnes, car ce sont des terres conquises; ce sont les Allemands en phase d’expansion impérialiste du 19e siècle à placer une couronne sur la tête de Germania pour symboliser leur nouveau pouvoir.
Je crois que ce qui est considéré une simple parenthèse dans la légende d’Europa est en fait d’une importance capitale pour définir l’orientalisme contemporain. Après l’enlèvement, le père d’Europa envoie son fils Cadmos à la recherche de sa sœur. Il n’arrivera jamais à la trouver, mais ses errances en Grèce l’amènent à fonder une ville qui va devenir un des symboles clés de la Grèce antique, Thèbes (bien qu’il ne l’a pas baptisé avec ce nom). Thèbes est la ville principale de la région de Béotie, qui est aussi la région des Grecs, la tribu qui a donné son nom aux peuples de la péninsule. Thèbes devient célèbre au 19e siècle quand un certain médecin autrichien devenu psychanalyste base ses théories de la psyché sur la mythologie de la ville, la légende du Sphinx (une femelle, ne l’oublions pas, qui était gardienne de la ville), d’Œdipe et de Jocaste sa mère qu’Œdipe épousera après avoir tué son père Laïos. L’orientalisme, qui nait 20 siècles a.J.-C. avec la légende d’Europa (situé par les Grecs 1000 ans avant les évènements de l’Iliade), signale deux grandes dynamiques: 1) l’interpénétration de deux mondes et les tentatives de définir une frontière «pénétrable», et 2) la féminisation de la «chose publique», la res pubblica, la république, la communauté imaginée (pour reprendre les mots de Benedict Anderson, Imagined Communities, Londres, 1983), pour souligner sa faiblesse et pour autoriser l’idée de l’intervention «masculine». Ces deux thèmes deviennent inséparables avec la modernité psychanalytique. Au 19e siècle, le colonialisme va «masculiniser» le Nous et féminiser l’Autre qui, jadis, était une entité masculine qui menaçait de pénétrer l’Europe depuis l’époque de la chute de l’Empire. Œdipe et le sphinx, Gustave Moreau, 1864, capte bien le courant sexuel entre les deux, qui anticipe les évènements à venir, le mariage d’Œdipe avec sa mère. http://jssgallery.org/other_artists/gustave_moreau/Oedipus_and_the_Sphinx.jpg
Pourquoi le ciel est-il homme et la terre est-elle femme? Selon leur vocabulaire reconstruit, les Indo-européens de l’Asie centrale qui ont peuplé l’Europe 2-3,000 ans a.J.-C. étaient de grands éleveurs de bétail et de chevaux (voir J.P. Mallory, In Search of the Indo-Europeans, 1989). Un régime économique pastoral exige beaucoup de territoire. Il est donc fort probable que les proto-indo-européens avaient de problèmes à définir ou à contrôler leurs frontières, ce qui souvent mène à la militarisation de la société (p.e., les Huns). Il n’est pas impossible que ceci ait encouragé, selon Georges Dumézil (Mythe et épopée, 3 vols., 1968-1973), l’émergence d’une conception tripartite de l’univers et de la mythologie: a) le sacré, lié au désir de l’ordre dans un univers potentiellement instable, symbolisé par d’archidieux masculins tels que Zeus ou Jupiter, dont le point de vue surélevé dans les cieux les permet de voir des tentatives étrangères de pénétrer les frontières; b) le guerrier, qui défend le peuple sur la dimension terrestre; c) les travailleurs (fermiers, éleveurs), qui incarnent la fertilité et la reproduction. À souligner qu’un problème essentiellement «horizontal» et sans solution parfaite, la défense du territoire et des frontières, est projeté, dans l’imaginaire, sur une dimension «verticale»: le ciel devient la métonymie de la défense « masculine », jumelée à la terre lieu métaphorique de la pénétration étrangère et donc « féminine ». Conceptualiser le problème ainsi permet de proposer de solutions idéalisées: p.e., un dieu omnipuissant et surtout omniprésent (voir, p.e., les aventures multiples de Zeus); par contre, plus est puissant le dieu protecteur, plus devient faible la terre féminine et « pénétrable ». Voir PPT La Civilisation Romaine. http://www.crystalinks.com/worldtree.jpg Dans ces mythologies, les aigles (qui volent très haut et voient très loin), des abeilles (qui ruchent dans le creux des arbres), et même les écureuils (qui courent sur les troncs) sont considérés comme sacrés, car ils font le lien entre le haut souvent masculin et sacré, et le bas féminin et profane. L’Arbre Monde (arbor mundi) est une conception ancienne de l’univers sous forme d’arbre (un chêne ou un frêne; voir le PPT La civilisation romaine) qui survit dans quelques mythologies indoeuropéennes, surtout germaniques. Voir E. Meletinsky, The Poetics of Myth, 1998, esp Part Two. Les Thriae (ou Melissae) sont des prêtresses-prophétesses liées à Apollon et aux abeilles (dont le nom); meli,le miel, est aussi la manne du frêne. http://nbba.files.wordpress.com/2011/06/ancientbeegod.jpg
L’image de la terre féminine et du ciel masculin n’est pas universelle (mais elle se trouve parmi les Phéniciens et d’autres peuples sémites, et parmi les Étrusques). Pour les Égyptiens pharaoniques, le ciel est Nout, sœur et épouse de Geb la terre; après qu’elle tombe enceinte, ils sont séparés par leur père Shou (fils d’Atoum, la lumière primordiale; Nout serait donc la petite-fille et la nièce du soleil Ra, car parfois Atoum est fusionné avec le soleil [Atoum-Ra], parfois il le crée). Elle devient la voute céleste parsemée d’étoiles (les ka, les âmes qui montent au ciel après la mort). Nout peut assumer la forme d’une vache, mais le rôle bovin est normalement joué par Apis le taureau; cependant, Apis est un animal vénéré pour ses qualités de force et pour sa sexualité; Nout est surtout une déesse créatrice. http://eden-saga.com/img/images/gebNout543po.jpg Par contre, les premiers Sumériens d’Erech croyaient (selon les témoignages arrivés 1000 ans plus tard; leur civilisation a produit plusieurs mythologies) que les dieux ont été créés par l’union d’An (le père céleste) et de Ki, la terre, qui sont nés de l’océan primordial Nammu (à droite). Indissociable, leur fils ainé Enlil (qui devient dieu principal du panthéon) réussit à les séparer. An s’envole et devient la voute céleste. La mythologie de Sumer laisse des traces parmi les autres peuples de la région, surtout les Akkadiens et Babyloniens sémites: l’histoire biblique du déluge semble être sumérienne à l’origine (l’agriculture sumérienne dépendait de deux fleuves, la pluie étant insuffisante). Cependant, l’association mâle = ciel parmi les Sémites qui est à la base de la pensée politique judéo-chrétienne n’est pas génétiquement liée à la cosmologie indo-européenne dominée par les patriarches Dyaus, Zeus et Jupiter. http://a1.ec-images.myspacecdn.com/images02/151/999e738116d64a868dbb7195121daec4/l.jpg
En partie, la mythologie « royale » distincte d’Égypte, où le bas/la terre est masculin et le ciel féminin, est attribuable au fait que le Pharaon était le commandant en chef des forces militaires, mais, plus important, il était le « gérant en chef » de l’économie. N’ayant pas développé une vraie forme d’argent (il existait cependant une unité de poids, le deben,en pierre, cuivre ou or, selon le poids), pour faciliter la comptabilité normalement exprimée avec des sacs de grain), l’économie et surtout la production et redistribution de surplus étaient organisées par le pharaon et ses prêtres. La religion d’État n’était pas simplement une théologie censée « coller » ensemble les composants de la société égyptienne par la manipulation de symboles (comme un système tribale-totémique), mais plutôt un système économique sur lequel s’érige la communauté incarnée par ses constructions monumentales (p.e., les temples entreposaient le grain). Cette interprétation (assez standard) est appuyée par le fait que les prêtres et scribes ne faisaient aucune tentative de normaliser les incohérences parmi les divers mythes de création, les croyances eschatologiques et le panthéon dont la composition variait selon la ville et selon les exigences politiques des pharaons. Autrement dit, le pharaon terrestre ni incarne ni symbolise la communauté, mais la crée par ses actions. À gauche, Den/Hor-Den, 1re dynastie, en bataille; plaque d’ivoire, 2985 a.J.-C., British Museum; à droite, Ramses II, La bataille de Qadesh contre les Hittites, 1274 a.J.-C., Temple de Abu Simbel. http://www.kingtutone.com/pharaohs/ramses2/battles/Ramses-II-War.jpg http://www.britishmuseum.org/images/ps345241_m.jpg
1) L’équation hauteur=masculin=puissance n’est pas universel, même si elle est répandue parmi les peuples indo-européens. La masculinisation de la hauteur n’est pas directement liée à un «complexe» patriarcal. 2) Un régime patriarcal/patrilinéaire est une tentative de créer un modèle de l’univers rangé, avec un Eux et Nous clairement délimité sur le plan topographique, c.-à-d., «horizontale». La référence à ce modèle est une frontière, la séparation. Le degré de masculinisation du complexe indique le degré de «pénétrabilité» souhaitée. 3) Par contre, le ciel puissant et masculin projette symboliquement la volonté de l’ordre et de la protection du statuquo quand les frontières ne sont pas surveillées ou sont continuellement menacées. Un dieu masculin «en-haut» met l’accent sur le Nous qui tente de «voir», symboliquement, au cœur des intentions ennemies. Les cieux et leurs dieux masculins deviennent de métaphores «verticales» pour l’hiérarchie politico-sociale puissante. 4) Quand il existe de solutions intermédiaires (p.e., occupation intermittente; potlatch ou rituel équivalent) pour aviser les voisins que le groupe est néanmoins vigilant même si les frontières ne sont pas totalement sécurisées (p.e., les Sekani, les peuples de la Côte Ouest du Canada, les anciens peuples scandinaves, les Yanomami), les personnes peuvent adopter le chamanisme comme compromis, où le chaman humain voit loin, mais uniquement en brisant avec la quotidienneté (ingérer de psychotropes, s’hypnotiser au son de tambours, fixer des miroirs où se «voit» une autre dimension, comme Alice au pays des Merveilles; voir E. Meletinsky, The Poetics of Myth, New York, 1998). 5) Au 19e siècle, plusieurs théories proposent que la fertilité féminine dominât la pensée de tribus agricoles. Par contre, les nomades étaient censés avoir de dieux célestes masculins voués à combattre leurs ennemis; ceci est une projection de la gouvernance militarisée des victoriens et ignore que toutes les civilisations dépendent de la fertilité de la terre, mais que seulement une petite minorité de ces régimes placent la terre féminine au premier rang dans le panthéon (voir J.G. Frazer, The Golden Bough, 1890, qui propose que le sacrifice du roi soit une forme d’union avec la terre, qui, au printemps, renouvèle la nature). Bref, ce n’est pas la présence ou l’absence d’une hiérarchie politique, mais son efficacité à régler les problèmes d’accès aux ressources qui pousse les personnes à développer de mythologies qui implicitement favorisent la hauteur. http://farm1.static.flickr.com/31/65823820_d5480a454e.jpg Le Rameau d’or se réfère à une cérémonie qui se tenait près de Ariccia, une petite communauté 30km au sud de Rome, où un vieux roi-prêtre romain incarnait les faiblesses et les malheurs de la communauté, pour être tué par son successeur; ceci est la base de la théorie de Fraser sur la mort et la résurrection des rois-dieux qui renouvèlent la fertilité de la Terre.
La féminisation de la nation pour souligner la nécessité de l’interventionnisme n’est qu’une première étape. Si la féminisation de la communauté signale sa faiblesse métaphorique pour autoriser l’intervention masculine, les signes du féminin peuvent devenir, par métonymie, un signe de la puissance masculine. Par exemple, le signe italien traditionnel pour signaler un mari trompé, cornuto, est les cornes, censées, dans la mythologie populaire italienne, signaler les cornes du chèvre. Sont-elles les cornes de Zeus-taureau? Quand les doigts pointent vers le bas, au contraire, ce geste indique une tentative de bloquer le malocchio, le mauvais œil, la malédiction. Il y a plusieurs théories qui prétendent expliquer ce symbole. http://www.luckymojo.com/manocornuto.gif Certains, surtout des adeptes du mouvement néo-païen qui émerge en Angleterre au 19e siècle, disent que les cornes (symbolisées par les doigts) représentent le Dieu Cornu, l’époux de la Grande Déesse de la Vieille Europe néolithique, un demi-dieu qui pourrait être le Maitre des Animaux dans plusieurs mythologies tribales.* D’autres le lie au chèvre, qui est symbole de Pan, un dieu grec de la nature qui est donc aussi symbole de fécondité et gardien des bergers. http://famiglia.messisbugo.it/wp-content/uploads/2008/04/abi-cornuto.jpg * Le concept du Maitre des Animaux est évolué avant les recherches plus détaillées du 20e siècle sur les le concept du pouvoir parmi les chasseurs du Canada septentrional. Voir les leçons sur les Sekani.
Je pensais avoir faite une grande découverte en théorisant que la mano cornuto est féminin, mais plusieurs personnes mentionnent que ce signe représente parfaitement les organes sexuels féminins, sans pourtant dire le pourquoi. Donc, je ne trouve pas une source savante fiable. Pour une vision comparative du phénomène, voir Alan Dundes (dir.), The Evil Eye: A Folklore Casebook, 1981. http://farm1.static.flickr.com37/117719344_595e87dece.jpg http://3.bp.blogspot.com/_f3SZ5Tu916o/S8nSDtCdwEI/AAAAAAAAQeg/jWBdEAd5Ptk/s400/170px-Gesture_raised_fist_with_index_and_pinky_lifted.jpg Reste l’hypothèse que, dans un contexte politique où la faiblesse est projetée sur le féminin pour véhiculer l’idée que l’État a besoin un appui actif et continuel (donc, l’État est masculin, tandis que la nation, la ville, et la société sont féminines), l’appropriation du sexe féminin par l’homme est une preuve de puissance masculine. Autrement dit, le féminin incarne la faiblesse, oui, mais ce sont les hommes à dicter ce symbolisme. La mano cornuto est en fait une appropriation métaphorique qui masculinise l’ensemble sémiotique «faible» du genre féminin. C’est l’équivalent de la subincision, pratiquée par certaines tribus d’Aborigènes d’Australie centrale (surtout les Aranda/Arunta/Arrernte) qui veulent communiquer la supercherie que, dans le contexte d’une idéologie patrilinéaire, les hommes sont des femmes symboliques et contrôlent totalement la procréation, car ils portent le sexe féminin sur le pénis. Voir Bruno Bettelheim, Symbolic Wounds: Puberty Rites and the Envious Male, 1954. Plusieurs rituels parmi ces peuples incorporent pour de fins symboliques le sang menstruel, l’ocre rouge, ou le sang de cette blessure; l’incision est continuellement «travaillée» pour produire de nouveau sang. http://tribes.tribe.net/surgicalbodymods/photos/803aa427-6613-47c1-a2ff-0a94fc085cab
Homme rejetant les avances de son épouse (médiévale, France)Ceci suggère que les femmes pouvaient prendre l’initiative dans les rapports sexuels, donc qu’elles n’étaient pas nécessairement soumises comme prétend certaines interprétations contemporaines
Le sexe masculinL’attention guidée vers le sexe suggère que le pouvoir masculin n’était pas si fort ni si bien développé, sinon pourquoi le souligner?
Allégorie, fin de l’époque médiévaleL’unicorne et le lion ne peuvent être domptés que par une vierge; l’unicorne est symbole de pureté; le lion, de la puissance (ici, symbole du pouvoir de la femme, et de l’importance du rôle qu’elle interprète en cimentant les rapports par le mariage) En Europe occidentale, la femme était le véhicule qui établissait par le mariage les liens entre les maisonnées, mais elle ne transmettait pas elle-même l’identité sociale et politique. Son rôle est important, mais pas marqué (dans le sens linguistique). Avec la centralisation du pouvoir étatique, un processus qui commence à l’époque médiévale et qui atteint son sommet à la 2e moitié du 19e siècle, les femmes sont toujours plus dévalorisées, car les maisonnées cessent d’être l’unité de production principale avec la révolution industrielle. Elles deviennent une catégorie vide, dans le sens d’Umberto Eco. On peut donc projeter de valeurs secondaires sur le féminin. L’État élimine les catégories sociales traditionnelles qui bloquent sa politique de réaménager le contrat social. Dorénavant, il n’aurait que l’État absolutiste et l’individu affaibli par les forces du marché capitaliste.
La nouvelle banlieue idéalisée et féminisée, 1950s Notez le «picture window», style qui n’a pas été adopté pour toutes les cuisines, mais qui est cohérent avec les nouveaux salons; cependant, la cuisine comme espace habitable pour la famille (et non-lieu caché et «secret» uniquement conçu pour la préparation du repas) est effectivement soulignée. La madame est maigre et a une coiffure «moderne»
Le «pouvoir» féminin dans les banlieues d’Amérique, années 1960s L’image stéréotypique de la femme fâchée (armée quasi toujours avec le rouleau de pâtes, symbole de son identité comme patronne de la cuisine) qui attend la rentrée de son mari est iconique dans les années 1960s. Apparemment, la femme semble incapable de manifester le pouvoir sans utiliser la force ou sans invoquer son destin de pâtissière. http://www.clipartguide.com/_named_clipart_images/0511-0809-0313- http://www.cartoonstock.com/newscartoons/cartoonists/jcr/lowres/jcrn12l.jpg L’image est si bien établie qu’elle alimente des parodies; ici, tirée du poème renommé de William Blake, même si l’artiste s’est trompé (ce n’est pas «immortal symmetry» mais «fearful symmetry»).«What Immortal hand or eye could frame thy fearful symmetry?" http://www.cartoonstock.com/newscartoons/cartoonists/dpa/lowres/dpan2729l.jpg
Le pouvoir féminin et la cuisine Enfin, voilà des images qui mettent le point sur le paradoxe: l’homme apparemment «libre» de se déplacer, la femme «prisonnière» de sa cuisine et de ses outils de cuisson, mais qui en réalité domine la maison. http://www.cartoonstock.com/lowres/twl0273l.jpg http://www.cartoonstock.com/newscartoons/cartoonists/dpa/lowres/dpan1566l.jpg http://hollywoodrealitycheck.com/wp-content/uploads/mad-wife-late-husband-fc.jpg
Déjà en 1942 l’auteur et humoriste américain James Thurber avait conçu la maison de banlieue comme féminine. À gauche, l’originale; à droite, dessin inspiré du livre servant à introduire la série télévisée du même nom de la fin des années 1960s. http://img.freebase.com/api/trans/image_thumb/en/my_world_and_welcome_to_it?errorid=%2Ffreebase%2Fno_image_png&maxheight=110&mode=fillcropmid&maxwidth=110 http://img76.imageshack.us/img76/1968/myworld6kr.gif Voir Susan Saegert, « Masculine Cities and Feminine Suburbs: Polarized Ideas, Contradictory Realities », Signs 5(3):96-111, 1980 (http://www.jstor.org/stable/3173809). Telles analyses sont possiblement inspirées par un concept assez répandu à l’époque, celui de «Man de Hunter»(une icône qui s’est concrétisée avec la publication en 1968 d’un livre renommé portant ce titre, sous la direction de Richard Lee et Irwin Devore); la femme serait donc liée à la sphère domestique et l’homme à l’espace du «travail» (une définition de l’espace public qui implicitement renforce l’idée que les tâches domestiques réalisées par les femmes de l’époque ne seraient-ce pas du travail «vrai»). Les formes arrondies des électroménagers de l’époque seraient-elles liées à cette féminisation de la banlieue?
La féminisation de la banlieue (avec les hommes en navette et les femmes qui restaient à la maison) a-t-elle contribué à construire la « tradition » des femmes opprimées qui est aujourd’hui attribuée à toute l’époque après la 2e Guerre mondiale, où émergeait cette nouvelle classe moyenne? À noter que certains chercheurs soulignent que cette soi-disant oppression est véhiculée par la domination masculine de la sexualité féminine, quand il est assez évident que c’était également l’époque où on soulignait certains attributs sexuels. http://images.4chan.org/b/src/1328691410963.jpg À gauche, une autre tentative de contrôler la sexualité des femmes pour appuyer le statu quo patriarcal, celle-ci plus réussie que l’exemple des années 1950s.
L’évolution de l’image corporelle Après des siècles où l’obésité était considérée signe du pouvoir et du bienêtre, nous avons fait un pas en arrière. Aujourd’hui, l’obésité est signe de faiblesse. Peut-être un indice pour mieux comprendre ce changement est la réaction d’une activiste américaine qui œuvre pour l’acceptation de l’obésité: 1. Behavior modification does not work. Weight lost on a diet will be regained even with lifestyle changes. 2. No known weight loss system works, which has been proven in scientific studies. 3. The diet obsession is part of a conspiracy to keep women feeling bad about themselves. The fashion industry, the diet industry, the movie industry, and the food industry all benefit from women's obsession with thinness. 4. We must rise and stand against the oppressor and proclaim that all women, of all sizes, are beautiful. http://www.cswd.org/docs/mcafee.html, consulté le 2-05-2010 http://www.sportcrumbs.com/wp-content/uploads/2009/12/fat-miss-america.jpg Selon ces déclarations (assez répandues parmi les personnes impliquées dans le mouvement pour l’acceptation du surpoids), il semble que les personnes obèses se voient comme victimes, incapables d’assumer la responsabilité pour la gestion du Moi placé dans un contexte social. L’obésité est donc une forme d’auto-marginalisation. Pourquoi?