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De l’itération à l’aspect itératif. Laurent Gosselin Université de ROUEN LIDIFRA, EA 4305. De la notion commune de répétition à l’itération comme catégorie linguistique.
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De l’itération à l’aspect itératif Laurent Gosselin Université de ROUEN LIDIFRA, EA 4305
De la notion commune de répétition à l’itération comme catégorie linguistique • D’un point de vue phénoménologique général, la notion commune de répétition provient d’opérations de catégorisation et de construction d’entités dans le temps, dont résulte un découpage, dans le flux de nos expériences, d’entités à dimension temporelle, subsumées par une même catégorie.
L’aspect itératif • Itératif / semelfactif / singulatif • Deux types de distinctions: • sémantique : fréquentatif/répétitif B) énonciative: présuppositionnelle/non présuppositionnelle
Aspects fréquentatif / répétitif • Fréquentatif épisodique : (1) Il était souvent malade • Habituel (distribution régulière sur une longue période, Bonney et Doron 2008) : (2a) Jean fume la pipe (2b) Chaque soir, M. Cascabel avait l’habitude de vérifier si le coffre était bien à sa place (J. Verne) • Répétitif : (3) Je l’ai vu trois fois dans ma vie
Itération présuppositionnelle(Tovena et Donazzan 2008 : 87) • (4) Il est encore venu nous voir • (5) Comme d’habitude, il est arrivé en retard • (6) Il avait son chapeau habituel • (7) Il est arrivé en retard pour la troisième fois en huit jours
Nature de l’aspect itératif • « La question du statut de l’itérativité au sein du système aspectuo-temporel n’a jamais été véritablement débattue. Certains travaux effectuent des classements qui distinguent aspect lexical, aspect flexionnel et itération. (…). Elle est également parfois classifiée avec les valeurs inchoatives, résultatives, … qui sélectionnent une partie des procès. Enfin, dans d’autres classifications, il s’agit d’une valeur appartenant à l’aspect flexionnel, notamment en tant qu’effet de sens de l’IMP. » (Mascherin 2007)
Nécessité d’une définition sémantique et non morphologique • Des marqueurs très variés : lexèmes, préfixes, suffixes, adverbes, circonstanciels, adjectifs, etc. (Lim 2002) • Les temps verbaux ne sont pas intrinsèquement itératifs (Bres 2005, 2007) • De nombreux cas où l’itération n’est pas explicitement marquée : • (8) Longtemps, je me suis couché de bonne heure
Un aspect quantitatif • Deux options : • Quantitatif / semelfactif (Dik 1997, Tournadre 2004, Mascherin 2007) • Aspect (quantification sur les événements) : - Semelfactif (singulier) - Itératif (pluriel) (Asnes 2008)
Analogie avec les noms • Itération : quantification plurielle sur les événements (Asnes 2008): • Pluralité définie (aspect répétitif) : trois chiens / trois fois • Pluralité indéfinie (aspect fréquentatif) : des chiens / souvent
Limites de l’analogie • La quantification plurielle sur les événements (pluractionnalité) ne correspond pas nécessairement à l’itération : • Pluralité itérative / collective / distributive (Costachescu sous presse) • Itération : même procès (même sujet, même forme infinitive) + succession des bornes initiales : (9) Chaque année, il aimait une nouvelle femme
La construction de la pluralité dans le domaine aspectuel • Deux opérations constitutives de l’aspect : la catégorisation et la monstration (Gosselin 1996, 2005) • Deux catégories aspectuelles correspondantes : l’aspect conceptuel et la visée aspectuelle (Smith 1991, Gosselin 1996, Battistelli 2009)
L’aspect itératif comme aspect conceptuel • Quelles sont les entités qui sont construites par l’itération ? • Pas seulement une pluralité d’occurrences de procès, mais aussi : Un procès modèle Une série itérative
Arguments en faveur de l’existence de la série itérative comme entité à part entière • Compléments de durée sur la série / sur le procès modèle (10) Il a couru le marathon en trois heures pendant dix ans
Visées aspectuelles : (11) Depuis quelques temps, le capitaine Hatteras, suivi de son fidèle chien [...], se promenait chaque jour pendant de longues heures. (J. Verne) • Visée inaccomplie (imperfective) sur la série • Visée globale (perfective) sur le procès modèle
Visées aspectuelles : imparfait / passé composé;l’opposition ne porte pas sur le procès modèle (12a) (Cette année-là) il se promenait pendant deux heures avec Marie chaque lundi (12b) ?* (Cette année-là) il se promenait depuis deux heures avec Marie chaque lundi (13a) (Cette année-là) il s’est promené pendant deux heures avec Marie chaque lundi (13b) * (Cette année-là) il s’est promené depuis deux heures avec Marie chaque lundi
L’opposition IMP/PC affecte la série itérative (14a) Lorsque j’ai fait sa connaissance, il se promenait avec Marie, chaque lundi, depuis deux ans (14b) * Lorsque j’ai fait sa connaissance, il s’est promené avec Marie, chaque lundi, depuis deux ans (15a) ?*Pendant dix ans, il se promenait avec Marie chaque lundi (15b) Pendant dix ans, il s’est promené avec Marie chaque lundi
Sélection des phases de série / de procès (16a) Chaque soir, il se mettait à travailler vers huit heures (16b) C’est vers cette époque qu’il se mit à travailler plus régulièrement (16c) C’est à cette époque qu’il cessa de se mettre à travailler à huit heures du soir
Relations chronologiques entre procès / séries itératives (17a) Chaque matin, il prenait le métro, descendait à la station Concorde, puis il continuait à pied (17b) Avant qu’il n’aille à son travail en vélo, il prenait le métro chaque matin (17c) Avant qu’il n’aille à son travail en vélo, il prenait le métro, descendait à la station Concorde, puis il continuait à pied.
Reprise anaphorique de la série itérative / du procès modèle (18a) Ils jouaient aux cartes tous les jeudis, et ça durait depuis dix ans (18b) Ils jouaient aux cartes tous les jeudis, et ça durait pendant deux heures.
Bilan : deux types d’entités • La série itérative comme macro procès • Le procès itéré qui peut être envisagé - d’un point de vue extensionnel comme une occurrence (ex. « la troisième fois … »); cela nécessite un marquage particulier - d’un point de vue intensionnel, comme un procès modèle
Grammaire de l’aspect conceptuel Caractéristique générale : la récursivité • Itération de phase de procès : (19) Souvent (quand nous arrivions), il commençait à pleuvoir • Itération de série itérative : (20) Souvent il éternuait plusieurs fois de suite
Catégories conceptuelles : • Entités construites : • P : Procès au sens large ; • p : procès au sens strict ; • SI : série itérative, macroprocès; • PH : phase, sous-procès; (Gosselin 2011)
Deux opérateurs • iter : opérateur d’itération, qui sert à constituer une série itérative (macroprocès) à partir d’un procès (P) modèle ; • ph : opérateur d’extraction de phase à partir d’un procès (P).
Règles • P → p SI PH • SI → iter P • PH → ph P
Structures (21) Il commença à venir le lundi • ph (iter p) (19) Souvent (quand nous arrivions), il commençait à pleuvoir • iter (ph p) (20) Souvent il éternuait plusieurs fois de suite • iter (iter p)
Les agglomérats de Procès • (22) Chaque matin, il se levait, avalait un café très fort, s’habillait et sortait. • Non pas une succession d’itérations, mais l’itération d’une succession de procès (cf. Haillet 2007: 70) • Il faut montrer qu’on a une seule série itérative, et que l’agglomérat constitue une entité
Une seule série itérative • Certains compléments de localisation temporelle affectent la série tout entière : (23) Jusqu’à l’année dernière / pendant ces trois derniers mois, chaque matin, il se levait, avalait un café très fort, s’habillait et sortait
La série itérative globale fait l’objet d’une même visée aspectuelle (ici une visée inaccomplie marquée par la combinaison de l’imparfait avec [depuis + durée]) : (24) Depuis deux ans, chaque matin, il se levait, avalait un café très fort, s’habillait et sortait
Une phase de la série itérative globale peut être sélectionnée au moyen d’un coverbe (ici la phase médiane) : (25) Même après avoir perdu son travail, chaque matin, il continuait de se lever, d’avaler un café, de s’habiller et de sortir
la série itérative globale peut être reprise anaphoriquement par les pronoms ça et cela : (26) Chaque matin, il se levait, avalait un café très fort, s’habillait et sortait ; ça durait depuis trois mois.
(27) « Elle sortait chaque jour vers deux heures (...) Elle sortait de chez elle en voiture, dans un fiacre la plupart du temps, remontait la rue de la Pépinière, prenait la rue Saint-Lazare, qu’elle suivait dans toute sa longueur, entrait dans l’église Notre-Dame-de-Lorette par la grande porte, y séjournait environ dix minutes, et sortait par la rue Fléchier. (...) Elle entrait dans une maison de la rue Fléchier, passait comme une ombre devant la loge du portier, montait lestement un escalier, son voile baissé ... Une porte s’ouvrait et se refermait (...). Quelquefois, une heure et même deux s’écoulaient avant qu’elle ressortit. La veuve traversait de nouveau l’église, regagnait son fiacre et rentrait furtivement rue de la Pépinière. Il y avait huit jours que cela durait, lorsqu’un soir (...) » (Ponson du Terrail, Le club des valets de cœur, Garnier 1978 : 142-143)
L’agglomérat comme entité conceptuelle • Un complément de durée peut porter sur l’agglomérat pris globalement : (28) Chaque matin, en un quart d’heure, il se levait, avalait un café très fort, s’habillait et sortait
L’agglomérat lui-même peut faire l’objet d’une reprise anaphorique au moyen des pronoms ça et cela : (29) Chaque matin, il se levait, avalait un café très fort, s’habillait et sortait ; ça lui prenait moins d’un quart d’heure.
Itération répétitive d’un agglomérat (30) « A deux reprises, on avait croisé des vaisseaux. La conversation s’était engagée avec eux par signaux, et les deux navires avaient déclaré qu’ils avaient rencontré, quelques heures plus tôt, un voilier marchant à grande allure (...). » (Souvestre et Allain, Fantômas : La série rouge, Laffont 1988 : 54)
Les agglomérats n’ont pas de structure a priori • Des réseaux de relations très complexes entre Procès (au sens large) et/ou (sous-) agglomérats, cf. Flaubert et Proust • Différents types de relations : succession, indétermination, alternative, encapsulation, simultanéité … • Les agglomérats sont construits par des structures discursives complexes (voir feuille jointe)
Enrichissement de la grammaire de l’aspect conceptuel • E : Entité (découpant sa forme dans le temps) • AG : agglomérat • E → P AG • P → p SI PH • AG → { E1 … En } • SI → iter E • PH → ph E
Conclusion : l’itération n’est pas l’analogue de la pluralité nominale • L’itération relève fondamentalement de l’aspect conceptuel (même s’il y a visée aspectuelle sur chaque Procès) • L’itération est un phénomène fractal : construction d’entités douées de la propriété d’autosimilitude (ce n’est pas le cas de la pluralité nominale)
Deux types d’entités constitutives de l’aspect conceptuel • Les Procès (entités basiques douées d’autosimilitude : décomposables en cinq phases) • Les agglomérats : entités complexes sans forme a priori
L’itération d’un agglomérat constitue un Procès (une entité découpant sa forme dans le temps selon un modèle a priori) (25) Même après avoir perdu son travail, chaque matin, il continuait de se lever, d’avaler un café, de s’habiller et de sortir
Les deux points que je n’ai pas évoqués : • Le calcul de l’itération : la compositionnalité holiste • Le calcul des visées aspectuelles sur les Procès modèles et sur les séries itératives.
(11) Depuis quelques temps, le capitaine Hatteras [...]se promenait chaque jour pendant de longues heures. (J. Verne) ct’2 Is IIs ct’1Bs1 ct1 I B1 ct2 II B2 Bs2 01 02 … … [B1,B2] : procès modèle [I,II] : intervalle de référence/monstration portant sur le procès modèle [Bs1,Bs2] : Série itérative [Is, IIs] : intervalle de référence portant sur la série itérative [ct1,ct’2] : pendant de longues heures [ct’1,ct2] : depuis quelques temps [01,02] : intervalle d’énonciation
Références Asnes, M. (2008) Quantification d’objets et d’événements: analyse contrastive des quantifieurs nominaux et des flexionx verbales, Langages 169, 82-91. Battistelli, D. (2009) La temporalité linguistique, dossier d’HDR, Université Paris X, Nanterre. Bres, J. (2005) L’imparfait dit narratif, Presses du CNRS. Bres, J. (2007) Fréquence narrative et temps verbal : une approche linguistique à partir de Un balcon en forêt, L’information grammaticale 115: 42-46. Boneh, N. et Doron, E. (2008) Deux concepts d’habitualité, Recherches linguistiques de Vincennes 37, 113-138. Costachescu, A. (sous presse) Quantification et prédication: les sources de la prédication multiple, Actes du colloque La quantification et ses domaines, Université Marc Bloch, Strasbourg 2006. Dik, S. (1997). The Theory of Functional Grammar I, Foris, Dordrecht. Enjalbert, P.(dir.) (2005) Sémantique et traitement automatique du langage naturel, Hermès-Lavoisier, Paris. Gosselin, L. (1996) Sémantique de la temporalité en français, Duculot, Louvain-la-Neuve.
Gosselin, L. (2005) Temporalité et modalité, Duculot-De Boeck, Bruxelles Gosselin, L. (2010) Les modalités en français, Rodopi, Amsterdam / New York Gosselin, L. (2011) L’aspect de phase en français: le rôle des périphrases verbales, Journal of French Language Studies, CUP, Cambridge. Haillet, P. (2007) Pour une linguistique des représentations discursives, De Boeck, Bruxelles Kleiber, G. (1987) Du côté de la référence verbale. Les phrases habituelles, Peter Lang, Berne. Klein, W. (1994) Time in Language, Routledge, Londres. Lim, J.-H. (2002) La fréquence et son expression en français, Champion, Paris. Mascherin, L. (2007) Analyse morphosémantique de l’aspecuo-temporalité en français. Le cas du préfixe RE-, thèse de l’Université de Nancy 2. Smith, C. (1991) The Parameter of Aspect, Kuwer, Dordrecht. Tournadre, N. (2004). Typologie des aspects verbaux et intégration à une théorie du TAM. Bulletin de la SLP: 7-68. Tovena, L. et Donazzan, M. (2008) On Ways of Repeating, Recherches linguistiques de Vincennes 37, 85-112.