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L’enfant échangé de Pirandello . du mythe à la rupture : la problématique mère, handicap et société. Elisabeth Kertesz-Vial et Claude Hamonet.
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L’enfant échangé de Pirandello du mythe à la rupture : la problématique mère, handicap et société. Elisabeth Kertesz-Vial et Claude Hamonet.
CommentairesCe texte met en valeur toutes les interprétations anthropologiques que génère la présence d’un enfant différent. Il est perçu à travers l’infirmité, la monstruosité, l’impureté. Il est présenté sous l’angle de la compassion et de l’espoir qui vont jusqu’au déni d’une réalité cruelle alors que survient un dénouement inattendu et merveilleux dans lequel infirmité et pouvoirs spéciaux font alliance et où l’amour maternel triomphe.
Dans la description de « l’enlèvement », transparaît le déni, c’est-à-dire le refus d’avoir mis au monde un monstre.
Les contrastes des descriptions physiques sont saisissants : d’un côté, le blanc de la pureté, la blondeur de l’innocence (« unEnfant Jésus »), on nepeut rêver mieux : un Enfant-Dieu, rempli de toutes les qualités. De l’autre, la noirceur de la méchanceté (la comparaison avec le foie est surprenante, mais probablement cet organe, dont on se plaint souvent, il faut dire, est chargé de vertus maléfiques).
Il n’y a pas que la couleur, il y a aussi la laideur qui frôle la bestialité (plus proche du singe que de l’homme).
La mère se culpabilise de ne pas avoir su protéger son enfant puisqu’elle s’est endormie et était inattentive à ce qui pouvait se produire : il est tombé. Toutes les mères d’enfants handicapés sont horriblement culpabilisées et pensent qu’elles ont commis une faute ou n’ont passu être assez vigilantes.
De plus, on a la sensation que des forces obscures sont intervenues avec un rebondissement suspect après la chute et une position inversée (les pieds vers la tête du lit, au lieu du contraire comme cela aurait dû être). Bref, des forces du mal ont changé l’ordre des choses, et exercé une force surnaturelle. Il y a eu malfaisance et maléfice.
mauvaises, elles jouent à Sara Longo un « vilain tour » en changeant son « joli » enfant en « vilain ». Ailleurs, ce sont les stigmates de l’infirmité qui apparaissent par ces mauvaises actions : l’enfant devient « boiteux», ou « bigleux » (on retrouve la symbolique de l’aveugle et du paralytique).
Il y a un rejet et un dégoût de la mère qui ne veut pas voir ce qui sera maintenant son enfant : un « paralytique ». Là aussi, se confirme la stigmatisation par une maladie porteuse de mauvaises choses, une « paralysie infantile ».
Elle ne veut pas de cet enfant. Elle désire même s’enfuir,horrifiée et déstabilisée. Cependant, l’instinct maternel des voisines est plus fort que leur dégoût, mais aussi leur peur, et des tentatives d’alimentation avec des adaptations techniques particulières sont réalisées et elles improvisent une tétine
Une surveillance, à tour de rôle, est établie, ce qui « répare », en quelque sorte, la « négligence dela mère » qui s’est fait voler son enfant. Cette dernière, trop traumatisée par l’altérité de son enfant handicapé, était dans l’incapacité de le faire pendant quelques jours.
Il s’agit aussi de prévenir une tentative meurtrière de la part de la mère : « mais elle neva tout de même pas le laisser mourir de faim ? ». On pense même prévenir la police
C’est alors que la mère va tenter d’entrer en relation avec les détenteurs des pouvoirs occultes qui ont provoqué cette situation. Elle a un espoir fou de retrouver l’enfant qu’elle aimait. Ce comportement est fréquent et le recours aux charlatans, voire à la sorcellerie, n’est pas exceptionnel de la part de mères désespérées, à la recherche de soutiens pour sortir du drame affreux où elles sont plongées.
Un espoir est entretenu : l’enfant (la guérison) est entrevu (e). Astucieusement, la « sorcière » propose un marché : s’occuper de l’enfant monstrueux, c’est faire du bien à « l’autre », celui qui est fantasmé et lointain.
La balance entre ce qu’on dénomme cruauté (qui pourrait aussi être un « devoir ») et la compassion face à une souffrance intolérable est bien décrite. Elle donne de l’espoir (c’est la Réadaptation) qui permet de vaincre une répugnance pour les tâches sordides (donner le sein à une bouche d’enfant hideuse).
On perçoit ici le rejet,par l’apparence, de personnes handicapées et qui fut bien mis en évidence dans « Elephant man ». Au-delà de l’exemple du sein, il y a évocation de la confrontation de ce qui est doux et chaud, intime pour une femme, avec une monstruosité bestiale qui n’est pas sans évoquer les impressions ambivalentes de « La belle et la bête ».
L’intérêt matériel que suscite de telles situations n’est pas exclu, à l’instar du profit que tirent, un bon nombre de personnes, de la souffrance et de la « déchéance » des autres (au sens large de Georges Canguilhem ).
Les profiteurs du handicap sont nombreux. Sara Longo sait se faire payer en se rendant nécessaire. Astucieusement, quand il ne se passe rien (elle n’a pas de vision de l’enfant blond), c’est plus cher, pour encourager, par une surenchère, la « sorcière bienfaisante » et trouble.
La femme, la mère est seule, comme souvent. Le mari est parti au loin, ici il revient de Tunis. Il se sent peu concerné, c’est un « coureur des mers ». Il passe à côté du drame, en se satisfaisant de vagues explications pour expliquer la déchéance (aux sens physique et médical, cette fois) dans laquelle il retrouve sa femme et son fils. Il repart.
La femme est encore seule, sans soutien, la sorcière lui fait aussi défaut et elle doit affronter, à nouveau, sa condition de femme qui « subit » une grossesse qui, pour elle, est très pénible. Ce dernier point pourrait être lié et introduire un élément de congénitalité malheureuse et douloureuse dans une affaire où le sort est, jusqu’à présent, contraire à cette malheureuse
De plus, ce nouveau bébé soustrait le lait de sa mère à « l’autre », celui qui est paralysé, semblable à une « poupée de chiffon ». La tête ne tient pas, est ballante, les membres sont déformés et tordus. Ceci évoque une poliomyélite antérieure aigue, précisément appelée « paralysie infantile », qui se manifeste dans la petite enfance par un syndrome paralytique plus ou moins diffus. Ce peut être aussi une maladie de Werdnig-Hoffman, syndrome paralytique évolutif redoutable apparaissant dès la naissance.
Arrive, ce qui est fréquent, le rejet et le déni par le mari qui, soupçonneux, est certain que, lui, n’a pu procréer un « monstre » et imagine (l’éloignement facilité les phantasmes) que son fils est mort, que ceci lui a été caché et que c’est un enfant « maudit », sorti d’un lieu infamant, l’hospice, qui lui a été substitué. Il ne veut pas de « bâtard », exprimant bien qu’un enfant infirme est aussi impur à ses yeux.
On note aussi que Sara Longo s’est attachée au petit qui n’est plus un monstre pour elle, mais un enfant qu’elle protège contre la violence de son époux de qui elle obtient la tolérance, notion importante, essentielle même, face à la différence pour ce qui est de la personne handicapée, victime habituelle de toutes les discriminations.
Son vrai motif, à elle Sara, est l’espoir, l’immense espoir que le bien qu’elle prodigue à « l’affreux » profitera « au beau ». Ceci subira des aléas. L’arrivée d’un deuxième bébé va la distraire de « l’enfant échangé », qualifié de « pauvre loque de gamin ». « Loque » fait bien référence à la paralysie. D’autant que cet enfant est, non seulement, « étrange », mais « étranger » et, cela, tout le monde le savait : il « n’était pas à elle ». C’est ambigu, car elle n’est pas responsable, en tant que mère, de son état pitoyable, d’autant plus qu’elle vient de mettre au monde un bébé « normal ».
La description de l’enfant handicapé est poignante et exprime parfaitement toute la misère, encore actuellement, qui entoure le statut d’enfant sévèrement handicapé.
Son corps fantoche ne lui permet que de se tenir assis dans une chaise spéciale (à bascule, en toile cirée), ses membres inférieurs sont visiblement déformés (« tordus »). Il existe une expression américaine pour cela : « crippled » ; il tient mal sa « caboche » ; il a du mal (c’est le cas dans le Werdnig-Hoffman), à ouvrir ses paupières ; il ne parle pas, ou peu ; il est passif, il subit les outrages physiques : on lui jette du sable, et les outrages moraux : il est accusé d’être un fils de sorcière, il est exclu par les adultes : on ne veut le voir « ni dans lamaison, ni dans la rue, ni sur le seuil de la porte ».
Ceci rappelle l’expression de Murphy, lui-même atteint d’une maladie paralysante : « ni mort, ni vivant, ni en dehors de la société, ni àl’intérieur ». Il décrit les personnes handicapées dans une situation de « liminarity », sur les « limes », sur le « seuil ». C’est le cas de l’enfant échangé qui reste, ainsi, sans nom, anomique comme le sont, aujourd’hui, de fait, les personnes handicapées.
La question de la subjectivité est également abordée : personne faible, vulnérable, l’enfant handicapé à un sourire « triste », voire « hideux », avec des rides aux yeux et à la bouche. Le sourire est « lointain », comme la personne d’ailleurs, puisqu’elle n’est pas dans notre monde. Elle est sale (les cheveux, surtout), elle est pauvre (un quignon de pain, une « mauvaise » pomme, pour se nourrir).
Tout ceci exhale la misère, la pauvreté, la saleté, l’impureté et l’étrange, tout le contraire du beau bébé qui apparaît sur le seuil, tendrement tenu par les bras de sa mère. On sent que, lui, il va le franchir le seuil…. de la vie. Et puis, il y a « l’autre », le vrai, le premier, qui, en contraste avec ce survivant à l’allure dramatique, grandit, « tout beau et florissant », il est « heureux »…
En effet, le message est que d’être handicapé, c’est être « mal-heureux » ; c’est faux, « heureusement » ! • Reste le dénouement final et un renversement espéré pour passer d’une situation de son handicap à celle de « bien-être » et de gueux à celui de prince puis de roi.