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La confiance - une analyse économique. Ejan Mackaay Professeur Faculté de droit, Université de Montréal ejan.mackaay@umontreal.ca. Introduction : La confiance - question centrale mais touffue. Depuis 35 ans, 7000 papiers analysant les effets économiques de la confiance
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La confiance- une analyse économique • Ejan Mackaay • Professeur • Faculté de droit, Université de Montréal • ejan.mackaay@umontreal.ca La confiance - Ejan Mackaay
Introduction : La confiance - question centrale mais touffue • Depuis 35 ans, 7000 papiers analysant les effets économiques de la confiance • Sapienza, Paola, Anna Toldra et Luigi Zingales, Understanding Trust, rapport, NBER Working Paper No. W13387; CRSP Working Paper No. 621; CEPR Discussion Paper No. DP6462, 2007, http://ssrn.com/abstract=1014335 p. 2 • Un point de ralliement pour les sciences sociales • Mais qui laisse perplexe : • « .. On se perd très rapidement dans sa complexité, ses contradictions, ses paradoxes » • Jean-Yves Monfort, Accueil des participants, dans : Bénabo, Valérie-Laure et Muriel Chagny (dir.), La confiance en droit privé des contrats, Paris, Dalloz, 2008, 1 La confiance - Ejan Mackaay
Introduction 2 : que faut-il entendre par confiance ? • Pour Valérie Bénabou, elle « relève de la croyance, et partant de l’irrationnel » • Bénabou, Valérie-Laure et Muriel Chagny (dir.), La confiance en droit privé des contrats, Paris, Dalloz, 2008, Préface, VII • Mais elle est aussi une « réponse providentielle [à laquelle] le législateur recourt volontiers » (ibidem) • Paraissant « en filigrane d’un certain nombre de règles entourant la conclusion et l’exécution du contrat: vice du consentement, bonne foi, intuitus personae .. (id, VIII) • Nadège Reboul-Maupin croit déceler dans le droit privé des situations où la confiance est imposée • Avant-propos, dans Bénabou et Chagny, Préface, X La confiance - Ejan Mackaay
Introduction 3 : La confiance et les notions voisines • « bonne foi, loyauté, devoir de coopération. Autant de synonymes, peut-être, de la confiance. » • Jean-Yves Monfort, Accueil des participants, dans : Bénabo, Valérie-Laure et Muriel Chagny (dir.), La confiance en droit privé des contrats, Paris, Dalloz, 2008, 2 • « La confiance s’étiole, le contrat se meurt. » • Nadège Reboul-Maupin, Avant-propos, dans Bénabou et Chagny, Préface, XI • « Reste que la confiance peut se manifester différemment si l’intérêt de l’un des partenaires venait à trop prendre le pas sur celui de l’autre. » • (ibid.) La confiance - Ejan Mackaay
Introduction 4 : La confiance - potion magique • La confiance est-elle une potion magique qui infuse le contrat de l’intérêt qu’il n’aurait pas autrement ? (Astérix et la confiance …) • Change-t-elle de couleur, tel le caméléon, selon le contexte ? • Le législateur peut-il créer la confiance et même l’imposer (à des contractants récalcitrants, faut-il sans doute entendre) ? • Ces questions ont de quoi laisser perplexe .. • Pour en traiter : • I Ce qu’est la confiance • II Comment se forme la confiance La confiance - Ejan Mackaay
I - Ce qu’est la confiance • Voici la définition d’Elster (2007) • « Faire confiance à quelqu’un signifie abaisser sa garde, s’abstenir de prendre des précautions contre son partenaire dans une interaction, lors même que l’autre, en raison d’opportunisme ou d’incompétence, pourrait agir d’une manière qui justifierait des précautions » • Elster, Jon, Explaining Social Behavior: More Nuts and Bolts for the Social Sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, 344 (traduction) • Dans le même sens : • Mackaay, Ejan et Stéphane Rousseau, Analyse éonomique du droit, Paris/Montréal, Dalloz-Sirey/Éditions Thémis, 2008, (2nded.), no 1377, p. 385 • La définition nous invite à préciser ce qu’est l’opportunisme et comment on décide combien de précautions prendre (calcul de l’auto-protection) La confiance - Ejan Mackaay
L’opportunisme • « Par "opportunisme", j’entends l’intérêt égoïste à courte vue ou ‘brut’, sans restrictions provenant de considérations éthiques ou de prudence » • Elster 2007, 344 (traduction) • Exemples : dire des mensonges, tricher à un examen, rompre une promesse, détourner de l’argent, commettre une infidélité à l’égard du conjoint ou choisir la stratégie non coopérative dans le Dilemme du prisonnier. (ibid.) La confiance - Ejan Mackaay
L’opportunisme (2) • « comportement qui consiste pour l’un des contractants à modifier, par la ruse ou par la force, à son avantage et au détriment de l’autre, la répartition des gains conjoints du contrat – les quasi-rentes, dans le vocabulaire de l’économiste – que chaque partie pouvait normalement envisager au moment de conclusion du contrat. • Mackaay-Rousseau 2008, (2nded.), no 1355, p. 379 La confiance - Ejan Mackaay
Implications de l’opportunisme • 1. L’opportunisme affecte la viabilité des contrats • Un contrat ne sera conclu que s’il promet, prospectivement, un gain pour chacune des parties (le gain pour chacun étant mesuré à l’aune de ses valeurs subjectives) (« gain de Pareto ») • L’opportunisme tend à modifier la répartition des gains conjoints résultant du contrat et • Ouvre la possibilité qu’un contrat cause une perte à au moins l’une des parties. La confiance - Ejan Mackaay
Implications de l’opportunisme (2) • 2. Devant la perspective de « perdre à l’échange », de « tomber dans la trappe », chacun peut envisager des précautions pour damer le pion à l’opportunisme de l’autre • Ex. prendre des renseignements sur le partenaire, sur les conditions et l’objet du contrat; sur les recours en cas d’inexécution; préciser davantage le contrat; à la limite, ne pas contracter avec tel partenaire du tout • Les précautions sont coûteuses, en temps ou ennuis personnels, en argent etc. • D’où la question combien de précautions se justifient • C’est poser la question du « calcul d’auto-protection » La confiance - Ejan Mackaay
Le calcul d’auto-protection • Une précaution (ou autre mesure de protection) est justifiée si son coût est inférieur à la perte qu’elle permet d’éviter ou le gain additionnel qu’elle permet de réaliser • L’acteur rationnel prend toutes les précautions ainsi justifiées • Il peut rester des risques dont l’incidence de la perte (probabilité multipliée par l’ampleur de la perte si elle se réalise) est inférieure à toute précaution envisageable par l’acteur. • Ces risques ne peuvent être prévenus utilement; il faut donc en absorber le coût (« risque résiduel ») La confiance - Ejan Mackaay
Le calcul d’auto-protection (2) • La somme du coût des précautions justifiées et des risques qu’il faut absorber constitue les coûts de transaction associés au contrat envisagé. • Les coûts de transaction viennent diminuer le gain que promet le contrat • l’acteur n’accepte de contracter que si ce gain net, déduction faite des coûts de transaction, donne un produit positif suffisant • Bien entendu, chaque acteur essaie de réduire les coûts de transaction au maximum; en négociation, deux contractants peuvent parfois, en déplaçant des fardeaux entre eux vers celui qui peut les absorber au meilleur coût, réduire les coûts de transaction en deçà de ce que chacun pouvait envisager isolément La confiance - Ejan Mackaay
II - Comment se forme la confiance La confiance - Ejan Mackaay
L’évaluation du risque d’opportunisme • Dans le calcul d’autoprotection, les éléments clé sont • la probabilité que l’acteur attache (même tout à fait intuitivement) à la possibilité de « tomber dans la trappe » (d’être victime d’un acte opportuniste), et • la perte subie si l’on est effectivement victime • Comment l’acteur les évalue-t-il ? • Les êtres humains varient dans leur façon de les évaluer (certains étant plus « crédules » que d’autres) • Néanmoins, on peut présumer que pour tous l’évaluation sera ajustée en fonction des informations dont l’acteur peut disposer; une meilleure information permet de mieux circonscrire le risque • Le problème du niveau de confiance s’avère alors lié à la circulation de l’information La confiance - Ejan Mackaay
La circulation de l’information • Celui qui envisage un contrat voudrait être renseigné sur le co-contractant éventuel, sur l’objet ou le service et sur les conditions proposées • Cette information peut lui parvenir de différentes sources et, souvent, dans des déguisements subtils, qu’il vaut la peine de clarifier • Sources : sa propre recherche; le cocontractant; les tiers de différents plumages La confiance - Ejan Mackaay
La recherche de l’information par l’intéressé • Inspection • Examen ponctuel détaillé • Expérience du bien pendant un certain temps • Interactions répétées avec le partenaire • L’alignement des intérêts dans le cas d’un rapport dit « d’agence » • « Screening » (Spence) La confiance - Ejan Mackaay
Information fournie par l’interlocuteur • « Signalling » (Spence) • Garanties • Information sur le produit; mode d’emploi etc. • Code de conduite; le « contrat de confiance » • Publicité • Marque de commerce (visant à rendre visibles des traits qui ne le sont pas) • Réputation • Difficulté : information biaisée; conflit d’intérêt La confiance - Ejan Mackaay
Information fournie par des tiers • Normalisation et standardisation • Pratiques de notation (rating) par des pairs ou des experts • Possibilité de « sanction communautaire » en cas de notation défavorable • Marques collectives • Certification • Accréditation (Ex. Amazon accrédite des fournisseurs tiers, en les admettant sur son site) • Difficulté : indépendance/crédibilité de celui qui fournit l’information et qui doit se faire payer pour le produire; caractère de bien collectif de l’information une fois produite La confiance - Ejan Mackaay
Information fournie ou imposée par l’État • Certification obligatoire • Permis obligatoire • Informations obligatoires accompagnent le produit ou le service • Obligation de renseignement ou de divulgation • Possibilité de faire sanctionner les obligations à bon compte La confiance - Ejan Mackaay
L’intervention correctrice : le test de Wittman • L’intervention correctrice de l’État se justifie si son coût est inférieur aux économies réalisées dans l’auto-protection (précautions et risque résiduel assumé) par l’ensemble des participants dans le marché visé • Wittman, Donald A., Economic Foundations of Law and Organization, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, 194 • Cette situation heureuse pourrait se produire lorsque l’État a accès à d’importantes économies d’échelle La confiance - Ejan Mackaay
Le coût de l’intervention • Coût de distorsion dans le processus politique par suite de la recherche de privilèges par des groupes d’intérêt • Coût équivalent aux gains qu’aurait pu procurer la structuration du contrat désormais interdite (droit impératif) ou écartée au profit du modèle étatique proposé, qui s’avère moins adapté aux circonstances particulières (droit supplétif) La confiance - Ejan Mackaay
La confiance - revisitée • En considération de ce qui précède, reprenons la définition de la confiance : • Une personne fait confiance à une autre lorsque, à la lumière des informations qu’elle a pu glaner sur celle-ci, elle révise à la baisse son niveau de précautions à son égard et son estimé du risque résiduel d’opportunisme, de manière à lui permettre d’accepter de faire affaire (ou de nouer un autre lien) avec elle. La confiance - Ejan Mackaay
Bonne foi • Comme le risque de « tomber dans la trappe » augmente les coûts de transaction et réduit les contrats effectivement conclus, on a dû de tout temps y prêter une attention sérieuse • La personne qui s’abstient d’agir de manière opportuniste (et donne des signaux à cet effet) dans des circonstances qui s’y prêteraient est dite de bonne foi. • On retrouve l’idée dans une foule d’expressions françaises : ‘loyauté’ , ‘honnêteté’, ‘intégrité’, ‘fidélité’, ‘droiture’, ‘véracité’ , ‘comportement loyal’, ‘souci de coopération’, ‘absence de mauvaise volonté’, ‘absence d’intention malveillante’; ne pas ‘tromper la bonne foi • La confiance consiste en la croyance à la bonne foi de l’interlocuteur La confiance - Ejan Mackaay
Bonne foi dans le droit • La bonne foi est employée dans le droit comme une notion ouverte, permettant de sanctionner l’opportunisme • Dans les cas où elle est employée, on devrait • Une asymétrie dans le rapport • Exploitée au profit d’une des parties et au détriment de l’autre • D’une manière importante (l’auto-protection des victimes potentielles coûte moins cher pour des cas mineurs - le bon dol) La confiance - Ejan Mackaay
Bonne foi (suite) • La notion ouverte de bonne foi cède la place aux concepts particularisés comme les vices cachés, obligation de loyauté dans plusieurs contrats nommés, obligation de confidentialité; obligation de coopérer etc. • Ces concepts ont acquis leur propres critères d’application dont l’usage est plus prévisible • La bonne foi reste disponible pour les cas inédits d’opportunisme La confiance - Ejan Mackaay
Conclusion • La question de la confiance touche la mesure dans laquelle une personne s’estime à l’abri d’actes opportunistes de la part de son interlocuteur • Chacun prend des précautions dont le coût se justifie au regard des pertes évitées ou des gains rendus possibles; il doit assumer comme risque résiduel ce qui ne peut ainsi être évité (coûts de transaction - on cherche à les minimiser) • Les informations dont l’individu peut disposer et la mesure dans laquelle il peut faire sanctionner son droit lui permettent de réduire l’étendue de l’auto-protection • L’intervention correctrice de l’État se justifie lorsque son coût est inférieur aux économies réalisées par les individus dans le coût d’auto-protection • La confiance en une personne signifie que l’individu peut baisser suffisamment sa garde (auto-protection) à l’égard de celle-ci pour nouer une relation avec elle La confiance - Ejan Mackaay
Pensée finale • « La confiance ne se commande pas, elle se donne et se reprend. » • Chassigneux, Cynthia, « La confiance, instrument de régulation des environnements électroniques », (2007) 37 Revue de droit de l'Université de Sherbrooke 441-472, p. 472 La confiance - Ejan Mackaay