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Asile de l’ignorance ou terme nécessaire de l’explication ? La notion d’occulte dans la science scolastique. Nicolas Weill- Parot (Université Paris-Est Créteil / CRHEC) Poitiers, CESCM, 16 janvier 2016. I. Qu’est-ce que l’occulte naturel?. Forme spécifique et propriété occulte.
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Asile de l’ignorance ou terme nécessaire de l’explication ? La notion d’occulte dans la science scolastique Nicolas Weill-Parot (Université Paris-Est Créteil / CRHEC) Poitiers, CESCM, 16 janvier 2016
Forme spécifique et propriété occulte • 1. Médicaments agissant par ses qualités premières (chaud, froid, sec, humide) ou leur agencement. • Ex. Si le malade souffre d’un excès de chaud, on lui administre un médicament froid • 2. Médicaments agissant par une propriété occulte • Ex. rhubarbe: pouvoir attractif de la bile • Galien (IIe s. ap. J.-C.): la « toute substance » • Avicenne (v. 980-1037 ): « la forme spécifique » • Ex. non médical: pouvoir attractif de l’aimant sur le fer.
Avicenne, Canon, I.2.2.1.15 • Et, certes, la chose qui opère par sa propre substance est celle qui opère par la forme de son espèce – forme qu’elle a acquise après la complexion. […] Cette forme, donc, n’est pas les qualités premières qu’a la matière, ce n’est pas non plus la complexion qui est engendrée à partir de celles-ci, mais c’est la perfection qu’a acquise la matière selon l’aptitude qui lui a été acquise à partir de sa complexion, comme, dans l’aimant, la vertu attractive [...]. • Et sua quidemoperanssubstantia est illud quod forma sue specieioperaturquamacquisivit post complexionem […]. Hec ergo forma non est qualitates prime quashabetmateria, neque est complexio que generatur ex eis, sed est perfectioquamacquisivitmateriasecundumaptitudinem que fuit eiacquisita ex complexione, sicut in magnete virtus attractiva[…] (Avicenna, Canonis libri I, III et IV, in latinum translati a Gerardo Cremonensi, cum explanatione Jacobi de Partibus, Lyon, 1498, sign. q vi v).
Philosophie péripatéticienne: • Toute substance est composée de matière et de forme • Pour Avicenne, la « forme spécifique » est la forme substantielle. • Mais d’où provient-elle? • Recours à une thèse émanatiste (néo-platonisante)
Avicenne • Dieu • Première Intelligence • Deuxième IntelligenceÂme motrice premier ciel Âme motrice Deuxième ciel Troisième Intelligence
L’une des intelligences (la dixième?) = Donateur de formes (Datorformarum) • C’est elle qui donne toutes les formes, dont la forme spécifique responsable de la propriété occulte. • La propriété occulte est donc hors de portée de la connaissance rationnelle humaine, puisque sa cause est céleste.
Doctrine néo-platonisante. Non compatible avec l’aristotélisme qui sert de norme à la philosophie et à la science à partir du XIIIe siècle. • => Les auteurs latins comme Albert le Grand et Thomas d’Aquin retiennent la doctrine des propriétés occultes et de la forme spécifique. Mais ce qui la confère = le corps céleste (et non l’Intelligence céleste).
Thomas d’Aquin, Epistola de occultisoperationibusnaturae • Substances séparées intellectuelles • Corps célestes • Matière corporelle • Opérations et vertus des corps naturels causés par les formes spécifiques des corps naturels
Deux types de propriétés occultes: • spécifiques Provenant directement de la forme spécifique de la chose. Identique pour tous les individus d’une même espèce. • individuelles Ne touchent que certains individus d’une espèce
Le rejet des propriétés occultes individuelles par Thomas d’Aquin • Unicité de la forme substantielle (?) • Méfiance à l’égard de l’astrologie • Rejet de la magie astrale
Une critique des propriétés occultes (2e moitié du XIVe s.) • Nicole Oresme • Henri de Langenstein
Arnaud de Villeneuve († v.1311), Speculum medicinae • Mais pour autant [cette vertu] est dite occulte, parce que les <causes> par lesquelles une chose est connue sont ignorées de la raison humaine […]. Elle est dite aussi occulte, parce que celle-ci n’est pas en soi perceptible par les sens, comme la chaleur ou le froid ou l’odeur ou la saveur en acte et universellement toutes les qualités sensibles [trad. N.W.-P.]. • Sed pro tanto dicitur occulta, quoniam ea quibus res cognoscitur omnino sunt apud humanam rationem ignota. […] Dicituretiam occulta quoniamipsa in se non est sensu perceptibilis, sicutactualiscaliditasautfrigiditas, autcolor, autodor, autsapor, et universaliteromnessensibilesqualitates(cap. 18, dans, Arnaldi de Villanova Opera omnia, Lyon, 1532, f. 6vb)
Propriété occulte: • Hors de portée des sens • Cause hors de portée de la raison humaine
Henri de Langenstein (1325-1397), De reductioneeffectuum • Ainsi, je pense que les espèces de qualités sensibles des vertus actives et leurs combinaisons suffisent à sauver tous les effets à cause desquels certains ont pensé <qu’il y avait> des influences et des vertus occultes dans les choses inférieures et dans les étoiles supérieures. Et il n’est peut-être pas besoin de poser des qualités spéciales dans les choses qui ne tombent pas sous les sens des hommes, en plus des espèces de qualités sensibles • Henricus de Hassia, De reductione effectuum, cap. 19 : « Puto ergo species sensibilium qualitatum [P1 ; om P2] virtutum activarum sufficere et earum conbinaciones ad salvandum omnes effectus propter quos [P2 ; quas P1] quidam opinati [P1 ; oppinati] sunt [P2 ; om. P1] occultas influencias et virtutes in rebus inferioribus et stellissuperioribus. Et forte quod, propter [P2 ; om. P1] hoc, non est opus ponerealiquasspecialesqualitates in rebus que non caduntsubsensibushumanispreter [P1 ; propterP2] speciessensibiliumqualitatum […] » (P1, f. 80r ; P2, f. 111r). ms. Paris, BnF lat. 14887, f. 65v-88v (=ms. P1) ; ms. Paris, BnF lat. 2831, f. 103r-115v (=ms.P2).
LevinusLemnius (1505-1568) • [Les médecins] estiment quelque certaine vertu entrevenir en telles choses, ou par le cours des astres qui leur jettent leurs rayons, ou par la volonté divine, ou par amas des elemens, ou bien par la propre vertu et specifique forme de leur substance. Ce que nous ne pouvons comprendre par aucune raison ny jugement d’esprit, nous le renvoyons aux essences occultes et secrettesproprietez : et ainsi par tel eschapatoire nous sauvons et desmelons de ce labyrinthe. (Les occultes et merveilles secretz de la nature (1559) = trad. (1567) par Jacques Gohory du De miraculisoccultisnaturae)
Lettre de Descartes à Regius • Mais la raison d’aucune action naturelle ne peut être rendue par ces formes substantielles, puisque leurs avocats avouent qu’elles sont occultes et non comprises par eux ; car s’ils disent que quelque action procède de la forme substantielle, c’est comme s’ils disaient qu’elle procède d’une chose non comprise par eux, ce qui n’explique rien. Ainsi, ces formes ne peuvent en aucune manière être introduites pour exposer les causes des actions naturelles. • Sed nulliusactionisnaturalis ratio reddipotest per illas formas substantiales, cum earumassertoresfateantur esse occultas, et a se non intellectas ; nam si dicantaliquamactionemprocedere a forma substantiali, idem est ac si dicerent, illamprocedere a re a se non intellecta, quod nihil explicat. Ergo formaeillae ad causas actionumnaturaliumreddendasnullomodosuntinducendae.
Avicenne, De viribuscordis, I.10 • Et la réponse à la question que l’on pose au sujet de la propriété est assurément identique à la réponse qui est faite à la question posée sur la nature. En effet, de même que lorsqu’on demande la raison pour laquelle le feu brûle, personne ne peut dire ou répondre autrement que <ceci> : en raison de sa chaleur brûlante et cela certes n’est rien dire d’autre qu’elle a par nature une chaleur brûlante ; de la même manière, si on dit la raison pour laquelle l’aimant attire le fer, on ne peut répondre autrement qu’en disant qu’il a une vertu naturelle attractive de ce dernier. D’où il apparaît que, de même que celui qui sait que le feu brûle en raison de sa chaleur connaît selon la vérité et n’est pas ignorant, de même aussi, celui qui sait que l’aimant attire le fer parce qu’il a une vertu dont la nature est d’attirer le fer, comme la nature de la vertu que l’on nomme chaleur est brûlante dans le feu, a sans aucun doute une connaissance et n’est pas un ignorant. • Et eademquidemresponsio ad questionem de proprietatefactam, que est responsiofacta ad questionem de natura, sicutenimquandoqueriturpropter quod conburitignisnemopotest aliter dicerevelresponderequamproptercaliditatem et hoc quidem nihil aliuddicere est quamhabet per naturamcaliditatemcombustivam. Similiter si dicaturquare magnes attrahitferrum, non potest quidam aliter responderiquam quod dicatur quod naturalemhabetvirtutemattractivamipsius. Ex quo patetquoniamsicutsciens quod proptercaliditatemcomburitignis est scienssecundumveritatem et non est ignorans, similiter et qui scit quod magnes attrahitferrum quia virtutemhabetcuiusnatura est attrahereferrum, sicutnaturavirtutis que nominaturcaliditas est in ignecomburens, proculdubiosciens est, non ignorans. : de proprietate quid sit et quantum differat a naturalitate.
La propriété occulte, un concept scientifique • 1. Une certaine lecture du monde • 2. Une doctrine qui se décline selon plusieurs modèles • 3. Un terme dans un projet d’explication totale du monde => une démarche « rationaliste» • Réversibilité de la notion => réversibilité de son évaluation.