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Les actes du 08/11/2011 Espèce(s) d’animateur Super héros ou superflus ?. Le projet « Espèce(s) d’animateur ».
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Les actes du 08/11/2011 Espèce(s) d’animateurSuper héros ou superflus ?
Le projet « Espèce(s) d’animateur » Le projet « Espèce(s) d’animateur » propose de réaliser rencontres et recherches sur la diversité du métier d'animateurs, sur ce qui les réunit et sur la plus-value sociale et culturelle de leurs actions. Chaque année la thématique varie. Au banc des questions pour cette édition : les animateurs prennent-ils soin de la démocratie ? La démocratie a-t-elle besoin des animateurs ? Onze interventions ont abordé ces questions sous différents angles. C’est ceci qu’il vous est proposé de (re)découvrir dans la présente publication, entre décembre 2011 et février 2012.
Les 11 interventions Les interventions présentées dans ce document sont signalées par * juste avant le titre.Les autres interventions sont à paraitre. • *L’animateur socioculturel, garant de l’application de la démocratie directe ? Par Emilie Jacquy et Antoine Thioux • L'expérience de la démocratie au Musée. Par Laurence Bouvin • Quelle(s) culture(s) pour quelle démocratie ? Par Roland de Bodt • *La question de la mixité et de l’intégration vécue par les scouts. Par Jérôme Ramacker • Animation: méthodes pédagogiques, mouvements de critique sociale ou création sociale et culturelle ?Par Jean-Pierre Nossent • *Quel est le rôle et l’impact d’un centre d’art dans une dynamique sociale locale ? Par Frédérique Versaen • *Autorité et éducation : mise en perspective. Par Bernard de Vos
*Qu’est-ce qui fait marcher l’autorité ? A propos d’une prétendue crise dans l’éducationPar Antoine Janvier et Florence Caeymaex • *Autorité institutionnelle : force ou contrainte ? Par Eugène Braet • L’éducation en IPPJ : tendre vers davantage de cohérence dans l’apprentissage des limites.Par Stéphane Magnien et Frédéric Miceli • *Pédagogie Nomade, une école de l'émancipation. Par Benoit Toussaint, Kevin Strijkman et Arnaud Baratto
L’animateur socioculturel, garant de l’application de la démocratie directepar Emilie Jacquy et Antoine Thioux(Centre de Jeunes Taboo)
LES INTERVENANTS : Antoine Thioux et Emilie Jacquy Antoine et Emilie sont animateurs socioculturels au ‘Centre Jeunes Taboo’, le centre jeunes des « Jeunes FGTB Charleroi ». Leur mission est d’informer, sensibiliser et de conscientiser les jeunes aux missions du syndicat, aux enjeux de société et à la citoyenneté participative, avec pour objectif principal de susciter le passage de la prise de conscience individuelle à l’action collective pour une société plus juste, plus solidaire et plus démocratique. Centre de Jeunes Taboo Rue Basslé 8 – 6000 Charleroi 071/641.307 – taboo@brutele.be LEUR INTERVENTION Un petit mot d’abord sur le Centre Jeunes Taboo. Il porte deux casquettes : la casquette « maison de jeunes » (non reconnue comme telle) et la casquette « syndicat pour jeunes ». Nous travaillons sur un axe collectif et un axe individuel. L’axe collectif met en avant des projets citoyens et des actions collectives qui visent la transformation sociale. L’axe individuel se définit comme un soutien au jeune en termes d’informations, de service social, de défense de ses droits en tant que jeune mais aussi travailleur…L’approche individuelle est souvent la porte d’entrée aux actions collectives : quand on parle avec un jeune, on se rend compte que souvent le problème présenté n’est pas nécessairement isolé et qu’il a souvent un rapport avec la structure de la société. Des pistes de solutions peuvent être trouvées et construites par l’engagement collectif.
Notre rôle en tant que animateur socioculturel est de former des CRACS et ainsi de favoriser la capacité des jeunes à s’interroger et critiquer le cas échéant la société et ses fonctionnements, ses mécanismes. Notre objectif est de permettre aux jeunes de se mettre en mouvement et d’agir sur la société. • Pour favoriser l’implication des jeunes dans la société, nous tentons d’appliquer la démocratie directe dans notre maison de jeunes dans tous les dimensions de nos projets. • On peut citer en guise d’exemples les projets suivants : • 1/ Réalisation d’un Fanzine de A à Z par les jeunes : l’idée est qu’ils s’y expriment sur la société et qu’ils s’approprient les outils d’expression qu’offre ce journal. • Les freins et blocages rencontrés : • - nous, les animateurs, nous voulions que les jeunes décident de tout : du fond et de la forme et qu’ils fassent • tout. Cela n’a pas été possible pour les premiers numéros. A cela plusieurs raisons. Il fallait concilier la volonté d’une qualité de production et de résultat ainsi que de processus à tous les niveaux alors que les jeunes n’étaient pas prêts pour l’assumer. Ils n’avaient pas tous les outils pour écrire, rechercher l’info, mettre en page, construire leur positionnement… Il a fallu un temps pour que les jeunes apprennent à écrire, mettent en forme et construisent leurs idées… • - A noter aussi que les animateurs ont été garants au début des règles (rappel des échéances, de la participation régulière…) et que cela a induit autre chose qu’un rapport égalitaire entre jeunes et personnel de la MJ • - la participation active des jeunes ne va pas de soi d’autant qu’ils n’ont pas spécialement l’habitude d’être sollicités pour donner leur avis • - c’est le type de projet qui nécessite de travailler sur le long terme, cela nécessite patience et un équilibre à trouver entre l’exigence de la tâche, compétences à développer par les jeunes, souplesse organisationnelle, gestion individuelle et collective.
2/Photographe dans la ville est un projet mené par la Maison Pour Associations de Marchienne-au-Pont, en partenariat avec les MJ de Mons, Tourcoing et de Roubaix. L’idée était que les jeunes donnent une représentation de leur ville et que cela soit débattu entre eux et qu’ils puissent décider ensemble de ce qu’ils veulent montrer et donc photographier. Découvrez ce projet en vidéo : http://telesambre.rtc.be/content/view/12333/166/
3/ Jeunes en lutte est un autre projet encore qui vise par le débat et l’organisation de manifestations à permettre aux jeunes de construire des revendications à formuler concernant l’emploi, les études… • Nos pistes de travail pour favoriser la participation de jeunes et le fonctionnement démocratique au sein de notre MJ : • - travail sur le long terme et la durée • - accompagnement des jeunes dans la construction de compétences • - volonté de valoriser et de tenir comptes de leurs talents • - instauration d’une relation égalitaire entre animateurs et jeunes • - travail au quotidien et prise en compte des jeunes dans leur globalité : les jeunes ne sont pas à réduire à des participants de projets, il nous semble fondamental de construire une relation de qualité et de tenir compte de ce qu’ils vivent, pensent et ressentent • - respect de l’identité des jeunes quelles que soient nos différences et nos valeurs d’animateurs • - évaluation des activités avec les jeunes • auto évaluation de l’animateur : il doit être en capacité d’apporter un regard critique sur son travail. • POUR POURSUIVRE LA REFLEXION… • Saul Alinsky « Le manuel de l’animateur social ».
La question de la mixité et de l’intégration vécue par les scoutspar Jérôme Ramacker(Scouts et Guides Pluralistes)
L’INTERVENANT : Jérôme Ramacker Baigné dans le Scoutisme Pluraliste depuis son plus jeune âge, Jérôme fut animateur d’enfants puis de jeunes pendant sept ans. Après un projet en Roumanie et au Burkina, il participe à l’organisation du Centenaire du Mouvement avec les fédérations scouts et guides, francophones et flamandes, de Belgique. Passé de statut volontaire à salarié de l’association, il est aujourd’hui chargé de communication et de projets pédagogiques. Jérôme Ramacker est également maître-assistant dans une Haute Ecole de Communication sociale. Scouts et Guides Pluralistes asbl Avenue de la Porte de Hal, 38/39 – 1060 Bruxelles 02/539.23.19 – jerome@sgp.be SON INTERVENTION Le Scoutisme et le Guidisme représentent 160.000 membres dans notre pays. Les Scouts et Guides Pluralistes sont l’une des trois fédérations reconnues en Belgique francophone. Notre pratique de la mixité et de l’intégration n’est qu’un exemple parmi d’autres. Nous faisons en sorte que le jeune ait sa place, son identité dans le groupe et puis in fine dans la société.
Notre action repose sur différents principes : • Apprentissage par l’action : jeux, animations qui ont du sens tout en s’amusant ; • Co-éducation : mixité des groupes à tous les âges ; • Développement du cadre symbolique adapté à l’âge du jeune participant qui permet de lui donner des repères ; • Expérimentation de la vie collective par l’organisation en équipes ; • Education par les pairs, transmission des compétences entre jeunes ; • Développement des responsabilités et participation aux décisions (notre AG est composée de jeunes qui dirigent ainsi le Mouvement) ; • Pédagogie du projet ; • Importance de la promesse : engagement dans des attitudes tels que respecter les autres dans leurs convictions, son environnement, la Nature,… ; être acteur de paix ; • Intégration et épanouissement dans le groupe : rencontre des différences, pluralisme actif ; • Soutien adulte bénévole pour aider à développer les méthodes des animateurs, outiller les jeunes, transmettre les connaissances. • ECHANGE AVEC LA SALLE • Réaction de la salle • Est-ce que les scouts sont si mixtes que cela ? Touchent-ils autre chose que la population dite • aisée? Les jeunes précarisés et ceux issus de l’immigration participent-ils de manière notable à ce • Mouvement ?
Réaction de Jérôme : Le Scoutisme est organisé en groupes locaux dans de nombreuses communes. Ces groupes sont représentatifs des caractéristiques de la population de la commune d’implantation. POUR POURSUIVRE LA REFLEXION… •« Le Mag », notre magazine associatif qui permet finalement de mieux connaître notre Mouvement et les projets (notamment d’intégration et de mixité) portés par nos membres. •« Vivre les différences avec ta Section », des propositions concrètes d’animation et de réflexion avec les jeunes, par tranches d’âges. Nos publications sont téléchargeables sur notre site Internet : www.scoutspluralistes.be
Quel est le rôle et l’impact d’un centre d’art dans une dynamique sociale locale ? par Frédérique Versaen(Wiels – Centre d’Art Contemporain)
L’INTERVENANTE : Frédérique Versaen Frédérique est responsable du service éducation et médiation des publics au centre d'art contemporain « WIELS ». WIELS - Centre d’art contemporain Avenue Van Volxem, 354 – 1190 Bruxelles02/340.00.50 -frederique.versaen@wiels.org SON INTERVENTION Le bâtiment du WIELS construit en 1932, témoin de l'architecture moderniste à Bruxelles, fait partie du site des anciennes brasseries Wielmans-Ceuppens, fleuron de notre passé industriel. Il est situé à Forest, en bordure du quartier St Antoine, très populaire, multiculturel, douloureusement frappé par le chômage. Le WIELS se définit comme un laboratoire international pour la création et la diffusion de l'art contemporain. Mais à côté de cela, nous prenons à cœur notre mission éducative et voyons l’art comme un moyen d’émancipation à mettre au service de tous. Pour ce faire, il nous faut lutter avec les préjugés sur l’art contemporain, souvent considéré comme élitiste et incompréhensible. WIELS mène aussi différents projets et partenariats « hors les murs », pour aller à la rencontre des riverains. Il y a un vrai travail sur le terrain, beaucoup de sensibilisations, discussions avec les enfants... Il y a mille et une portes d’entrées pour aborder l’art contemporain et qui ne passent pas par la traditionnelle visite guidée.
Le WIELS mène aussi une réflexion sur son financement. En cette période de crise économique, WIELS essaye d’être inventif et de ne plus dépendre des seuls pouvoirs publics. Cf. récupération de mobilier et matériaux, soutiens « en nature », échanges de services, (mise à disposition de la salle pour des événements en échange de services etc.). On essaye d’imaginer des alternatives créatives. • Présentation de quelques projets concrets : • - Collecte de lustres auprès des habitants, installés ensuite dans l’espace public par l’artiste Anna Rispoli • - Camping WIELS : les enfants de 2 écoles du quartier viennent dormir au WIELS • « Jardin Mille-semences Ceuppens » : Terrain vague transformé en jardin partagé et potager collectif, avec la participation des voisins • Les différentes actions et orientations font du Centre d’art un véritable lieu de vie et de découverte ouvert à tous, et en priorité aux habitants du quartier invités à prendre part activement au projetWIELS. Cf. Volet insertion socio-professionnelle : WIELS emploie mensuellement une cinquantaine de jeunes du quartier. • ECHANGE AVEC LA SALLE • Réaction de la salle • «Je trouve cela très intéressant d’être créatif pour transformer certains coûts. Les lois sur le marché public risque de paralyser les projets créatifs». • Quelles sont les attentes des animateurs, de la direction du WIELS ? Et sur le long terme ?
Réaction de Frédérique Quand on se plonge dans les projets temporaires, le processus est parfois plus important que le résultat. Ce qui compte, c’est aussi la dynamique sociale que l’on influe. Et oui pour le marché public c’est préoccupant. Le respect des procédures administratives oblige parfois à rester dans les rails, alors que des solutions créatives pourraient être trouvées. Mes attentes, j’ai dû les revoir pour ne plus être frustrée. On doit se contenter de petites victoires au quotidien et ne pas « mettre la barre trop haut » sous peine d’être déçus. Nous sommes dans un quartier qui a un passif (émeutes des années 90). Il nous faut trouver un juste équilibre entre des actions artistiquement pertinentes et la dimension sociale, et ne pas vouloir transformer chaque artiste en travailleur social. On travaille sur cette mince frontière entre deux mondes, et c’est passionnant. POUR POURSUIVRE LA REFLEXION http://www.wiels.org/page.php?node_id=53&
Autorité et éducation : mise en perspective Par Bernard de Vos (délégué général aux droits de l’enfant – Fédération Wallonie Bruxelles)
L’INTERVENANT : Bernard De Vos Bernard est délégué général aux droits de l'enfant. Organisation du Délégué général aux Droits de l’Enfant Rue des Poissonniers 11-13 bte 5 - 1000 Bruxelles 02/223.36.99 - dgde@cfwb.be SON INTERVENTION Le monde change très vite. La famille, par exemple, a fortement évolué depuis ces 20 dernières années. Le changement se situe même au niveau de la façon de concevoir un enfant. Par contre, l’école continue à fonctionner comme avant. Elle discrimine encore et toujours et produit une Autorité identique. A une autre époque, l’autorité était incarnée par le seul pater familias. De nos jours, trois autres éléments font aussi autorité et sont : 1/ la dette publique : les enfants et les jeunes en sont d’ailleurs victimes ; 2/ la consommation : les enfants sont incités à consommer et en sont, encore une fois, victimes ! Ils pensent même qu’on devient quelqu’un grâce aux achats effectués ;
3/ L’ «hypersexualité» : les stéréotypes s’en voient renforcés (l’homme fort et puissant,…). Par exemple, certains jeunes pensent que des pratiques sexuelles vues dans des films classés X sont de l’ordre de la normalité. Or, ces pratiques sont loin de constituer la norme et sont dégradants pour la femme. Il est ainsi important pour l’adulte d’expliquer aux jeunes ce qui est de l’ordre de la normalité pour ne pas se constituer des images erronées sur la sexualité. Souvent, on entend dire que les jeunes d’aujourd’hui sont « pires » qu’hier. Sachons toutefois que chaque génération estime que la génération qui suit est moins bonne que la précédente. Pourtant, les jeunes sont les mêmes qu’hier à quelques éléments près. Quand on parle du retour de l’autorité, on l’associe souvent à la répression. L’autorité pourtant fait partie de l’éducation. Et celle-ci s’applique dès le plus jeune âge. Environ 80-90% de cette éducation se base sur des « moyens » négociés (le dialogue, l’exemple, l’acceptation d’une vision différente du monde, etc.) pris sur un ordre relationnel égalitaire. Et puis, à côté de ces moyens négociés, une autre petite partie seulement des choses est imposée sur un ordre relationnel hiérarchique. L’élément qui doit guider l’éducateur (professionnel ou parent) est la question de savoir ce qui est bon pour le jeune, le petit, l’enfant. Dans certaines circonstances il faut veiller à ne pas se mettre en danger, ni soi, ni autrui et c’est dans ces conditions que l’autorité s’impose. Il est évident que c’est lorsqu’on se trouve dans le rapport égalitaire qu’on apprend davantage. On peut donc « reprendre quelqu’un », provoquer un « arrêt d’agir », mais il faut ensuite le relancer dans une logique de relations égalitaires. Et c’est la responsabilité de l’éducateur de
repositionner l’enfant ou le jeune dans une disposition où il peut « grandir », dans le cadre d’une relation mutuelle respectueuse avec l’adulte. Sans cela, le jeune risque bien de se perdre et de ne plus comprendre ce qu’on attend de lui. Pour certains jeunes, notamment dans les quartiers populaires, cette logique d’éducation semble compromise. Souvent, on se retrouve face au tandem « punition-répression » qui est « bon » pour la société mais ne rencontre que rarement l’intérêt du jeune. Car rencontrer l’intérêt du jeune ou celui de la société, c’est fort différent ! A force d’arrêter non-stop des jeunes dans leurs démarches, sans même expliquer le pourquoi, les jeunes s’enfoncent dans une spirale négative. ECHANGE AVEC LA SALLE A/ Demander à un ado de ranger sa chambre, même en négociant, relève parfois de l’impossible. Que faire ? B. De Vos : La chambre du jeune reste sa chambre. Est-ce que cela dérange vraiment si, par ailleurs, il respecte les autres pièces ? Prenons l’exemple des légumes : si un enfant refuse d’en manger après qu’on lui ait proposé trois fois, cela ne doit pas empêcher l’adulte d’en proposer encore et encore. Qui sait, peut-être qu’à la vingtième demande, le jeune acceptera d’en goûter à nouveau. Pourquoi ne pas attendre qu’un déclic se fasse ? B/ L’école devrait changer. Mais pourtant, elle ne le fait pas… Où est-ce que cela coince ? B. De Vos : Au niveau de l’enseignement, des choses ont été essayées. Beaucoup de responsables politiques savent qu’il faut faire évoluer de nombreux points (par exemple, il fut un
temps où on ne mettait plus les points). Mais cela reste difficile de faire changer les mentalités… Nombreuses personnes restent frileuses face au changement. Selon certains discours, nombreux éléments sont très difficiles à appliquer une fois sur le terrain. C/ On a l’impression que tout le monde se « refile » la patate chaude entre l’école, l’extrascolaire et la famille. Comment équilibrer ces trois sphères ? Selon B. De Vos, les familles qui vivent un plus grand décalage entre l’école et leur fonctionnement sont les familles qui ont un accès difficile au langage. Pour les familles plus aisées socialement, l’école amenait et continue à amener les enfants « loin ». Effectivement, pour ces familles, les autres aspects (artistiques, culturels,..) que certains recherchent pourtant à l’école sontrencontrés ailleurs. C’est pourquoi l’école semble plus convenir aux familles aisées qu’aux familles précarisées. D/ N’avez-vous pas cette impression négative que l’autorité ne vient plus des pères ? Qu’elle n’est plus transmise ? Mais qu’à l’inverse, ce serait davantage le jeune/l’enfant qui la gère lui-même ? De nombreux parents s’abstiennent de plus en plus de parler de certaines choses aux enfants, par exemple, de la sexualité. Pourtant, les plus âgés ont des choses à transmettre aux plus jeunes. B. De Vos n’apprécie pas le concept d’enfant-roi et remercie une participante de ne pas avoir parlé d’enfant roi.
POUR POURSUIVRE LA REFLEXION… • Le site « En ligne directe » : www.enlignedirecte.be • Interviews de Bernard De Vos pour le Ligueur : http://leligueur.citoyenparent.be/rubrique/en-images/interview-de-bernard-devos/
Qu’est-ce qui fait marcher l’autorité ? A propos d’une prétendue crise dans l’éducation Par Florence Caeymaex et Antoine Janvier(chercheurs du F.R.S – FNRS)
LES INTERVENANTS : Florence Caeymaex et Antoine Janvier L'unité de recherches en philosophie politique et philosophie critique des normes de l'Université de Liège (URPPCN – ULg) rassemble chercheurs et enseignants en philosophie politique. On y conjugue des travaux d'histoire de la philosophie pratique (philosophie morale, philosophie politique, philosophie sociale, philosophie du droit, bioéthique, etc.) et l’analyse des transformations, événementielles ou plus profondes, des normes en jeu dans le monde social. Unité de recherches en philosophie politique et philosophie critique des normes (ULg) Département de philosophie, Place du 20 Aout, 7 – 4000 Liège antoine.janvier@ulg.ac.be LEUR INTERVENTION Les discours et les réflexions contemporaines sur l’autorité, souvent teintés de nostalgie, nous parlent d’une « crise de l’autorité ». A cette crise, il s’agirait de répondre par la restauration de l’autorité ; non pas l’autorité autoritaire, évidemment, mais une autorité compatible avec le type de régime politique propre à nos sociétés, la démocratie. Il faudrait, nous dit-on, restaurer l’autorité des règles collectives que la société se donne à elle-même, une autorité fondée, donc, sur la participation de tous à la construction des règles en question : une autorité dé-personnalisée, portée par certains dans la seule et unique mesure où ils représentent les décisions et les choix de la collectivité. On peut néanmoins douter de la valeur de cette proposition. Ne donne-t-elle pas une vision réductrice de la démocratie, à certains égards contradictoire avec l’idée même de démocratie telle que les Modernes l’ont réinventée aux 18ème et 19ème siècles ?
La démocratie n’est pas d’abord un régime politique consistant à fonder l’autorité des règles dans la possibilité pour tous de participer à leur constitution. Elle tient, plus fondamentalement, à la manière dont une collectivité se rapporte à elle-même et se réfléchit : c’est une collectivité qui accepte que la division, le conflit au sujet de ce qu’elle est et de ce qu’elle doit être soit constitutif d’elle-même (voir, sur ce sujet : Claude Lefort, Essais sur le politique, Paris, Seuil, Points, 1986). Dès lors, ce n’est pas l’assentiment plein et entier de la totalité du dèmos (le peuple comme « majorité ») qui fait le caractère démocratique d’une décision collective mais bien le fait qu’elle ait pu passer par le conflit, le débat, le dissensus qui empêche, par nature, qu’elle soit définitive. On préférera donc parler de la légitimité de telles décisions, plutôt que de leur autorité, dans la mesure où leur acceptation, en régime démocratique, repose sur la possibilité, toujours ouverte, de leur propre contestation, c’est-à-dire : mise en question, critique, amendement, etc. La légitimité des décisions collectives (et pour le collectif) est, pour cette raison, éminemment précaire. Sans fondement ni certitude première, le fonctionnement démocratique comporte, en lui-même une part constitutive d’instabilité. On doit donc s’interroger sur le désir, souvent formulé, de retour ou de restauration de l’autorité, même sous la forme paradoxale d’une autorité « démocratique » : soit l’expression ne veut rien dire ; soit elle recouvre une volonté d’en finir avec une dimension essentielle à la démocratie moderne : la conflictualité constitutive de sa légitimité – mais alors, au profit de quoi ? Hannah Arendt, à laquelle on se réfère souvent pour parler de la « crise de l’autorité », n’entendait pourtant pas proposer le retour de l’autorité. Elle avait au moins l’honnêteté d’inscrire la perte du sens de l’autorité dans le long processus historique de la Modernité et reconnaissait que,
« en pratique aussi bien qu’en théorie, nous ne sommes plus en mesure de savoir ce que l’autorité est réellement » (« Qu’est-ce que l’autorité ? », dans La crise de la culture, 1961, Gallimard, Folio, Paris, 1972, p. 122). L’autorité se définit comme une action entraînant l’obéissance sans l’exercice de moyens de coercition ou de violence, ni la persuasion qui suppose des sujets égaux en raison ; et l’autorité appartient aux régimes politiques fondés sur la référence à un fondement indiscutable et indiscuté, extérieur aux régimes eux-mêmes — que ce fondement s’appelle Dieu ou les Anciens, qu’il soit d’ordre religieux ou qu’il s’ancre dans la tradition. Pour cette raison, Arendt attirait l’attention sur le fait que, à l’époque moderne, la volonté de re-fondation de la politique, qu’elle soit révolutionnaire ou conservatrice, s’expose à l’usage démesuré de la violence, à une violence autodestructrice, précisément parce qu’elle entend s’opposer à un mouvement historique irréversible, à la perte irrémédiable de l’évidence du fondement traditionnel ou religieux. On peut évidemment se plaindre de cette situation. On peut convoquer le « constat » d’une société devenue anomique, sans règles fondatrices et donc sans repères symboliques. On peut y voir un péril pour les institutions, et pour les individus qui doivent s’y inscrire positivement. On peut enfin dénoncer la contradiction interne de la démocratie qui se retournerait contre elle-même au profit d’un individualisme consumériste rampant. Mais une relecture attentive du texte d’Hannah Arendt peut pourtant nous inviter au contraire à y voir, in fine, une chance. Elle conclut en effet son texte sur l’autorité par la détermination d’un enjeu, l’enjeu de la démocratie elle-même comme mise en œuvre de l’égalité et de la liberté : « vivre dans un domaine politique sans l’autorité ni le savoir concomitant que la source de l’autorité transcende le pouvoir et ceux qui sont au pouvoir, veut dire se trouver à nouveau confronté, sans la confiance religieuse en un début sacré ni la protection de normes de conduite
traditionnelles et par conséquent évidentes, aux problèmes élémentaires du vivre-ensemble des hommes » (« Qu’est-ce que l’autorité ? », dans La crise de la culture, op. cit., p. 185). Assumer que le vivre-ensemble des hommes est quelque chose qui pose problème, ne pas se satisfaire des évidences quant à ce qu’il est et à ce qu’il doit être : c’est peut-être la définition la plus élémentaire de l’exercice d’une égale liberté (d’une égaliberté, pour parler comme Etienne Balibar) qui refuse de laisser à quelques-uns – gouvernants ou intellectuels, pouvoirs économiques ou pouvoirs idéologiques, c’est-à-dire aux « autorités » – la capacité de penser et de décider de l’existence collective et des devoirs moraux et sociaux des individus. Soit, dira-t-on, pour la politique qui concerne le monde des adultes, citoyens responsables et autonomes. Mais pour les enfants et les adolescents ? Ne faut-il pas, dans l’éducation, mettre en œuvre cela même qui est banni de la sphère politique, un rapport d’autorité justement ? L’autorité n’est-elle pas constitutive du rapport pédagogique ? Mieux, l’autorité n’est-elle pas la condition de possibilité de sa propre suppression, c’est-à-dire de l’accession des individus à la responsabilité et à l’autonomie ? Dès lors, la crise de l’autorité qui contamine la totalité des rapports sociaux n’est-elle pas réellement menaçante pour la démocratie elle-même lorsqu’elle atteint le champ éducatif ? Commençons par deux remarques. La première, c’est qu’on a peut-être ici l’une des réponses à la question posée tout à l’heure : que veut-on, en réalité, lorsque l’on parle de restaurer l’autorité dans la sphère publique et politique ? N’est-ce pas une manière de considérer la hiérarchie pédagogique comme condition et définition du lien social ? N’est-ce pas présupposer que le dèmos, ou une partie, ou certaines catégories de la population, ne sont pas capables de participer aux décisions et à l’exercice du pouvoir ? N’est-ce pas dès lors en réserver la possibilité aux personnes
autorisées parce que seules véritablement adultes, libres, responsables, autonomes ? N’est-ce pas procéder à l’infantilisation des autres – pour les meilleures raisons du monde : leur manque d’éducation, leur manque de culture, leur assujettissement à des intérêts immédiats et à des passions, leur incapacité à faire usage de leur propre raison ? La seconde remarque, c’est qu’il serait peut-être temps de se demander de quoi l’on parle au juste lorsqu’on se plaint de la crise de l’autorité en éducation. Ou plutôt : quelle réalité on vise. Car enfin, l’autorité du professeur, quand fut-elle assurée et garantie ? On relèvera que le texte d’Hannah Arendt sur la « perte du sens de l’autorité » fut écrit … dans les années 1950 ; que déjà le philosophe et professeur Alain, dans les années 1930, s’évertue à en justifier la restauration —dénonçant la confusion du rapport parental fondé sur le sentiment affectif avec le rapport enseignant fondé sur une indifférence affective du maître à l’égard des élèves (voir ses Propos sur l’éducation (1932), chapitre IX, Paris, PUF, Quadrige, 1986, p. 26-28). Que, plus largement, des historiens ont montré que les chahuts d’élèves et les révoltes lycéennes ne sont pas sorties de Mai 68 ou d’un oubli progressif du sens civique, mais sont aussi anciens que l’institution scolaire elle-même — il apparaissent dès le 19ème siècle, c’est-à-dire dès la mise en place de l’école au sens où nous l’entendons aujourd’hui (voir par exemple « L’invention de l’adolescence », entretien avec Agnès Thiercé, Vacarme, n°33, Éditions Amsterdam, automne 2005, en ligne à l’adresse suivante : http://www.vacarme.org/article633.html). Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’autorité du professeur n’en finit pas d’être en crise, qu’elle l’a peut-être toujours été. Il convient donc d’être prudent quand on parle de « perte » ou de « crise » de l’autorité dans l’école, comme s’il y avait eu un âge d’or de l’exercice de l’autorité. Mais enfin, dira-t-on, ce n’est pas seulement une question de fait. L’éducation peut bien avoir été, historiquement, difficile, l’autorité peut bien avoir été, dans les faits, toujours contestée ou
problématique, l’éducation n’est-elle pas, justement, un devoir-être à réaliser, qui doit justement s’opposer à la réalité telle qu’elle est donnée ? Que l’autorité soit en crise, ou même qu’elle l’ait toujours été ne disqualifie pas l’exigence qu’elle soit mise en œuvre. Et c’est bien à titre d’exigence ou de devoir plutôt que comme fait qu’il y a de l’autorité, et qu’il y en a eu. D’où vient l’autorité ? Une autorité, dit-on souvent, c’est un pouvoir légitime – et en ce sens, ce n’est pas, comme le soulignait Arendt, un simple pouvoir, un rapport de forces brut. L’autorité suppose un supplément, celui d’une conscience qui la reconnaît et qui l’accepte comme autorité. Pas d’autorité sans reconnaissance de l’autorité ; cela veut dire à l’inverse qu’il suffit de ne pas la reconnaître pour qu’elle ne fasse plus autorité. On en conclura logiquement que l’autorité ne marche pas sans ceux qui la subissent, sans ceux qui y sont soumis, sans des sujets qui s’y soumettent non seulement volontairement, mais comme à un pouvoir qui doit être ce qu’il est. La question à poser est alors de savoir comment, à l’école, les élèves peuvent être amenés à considérer que le pouvoir des professeurs doit être ce qu’il est. Il est possible de dire que l’autorité pédagogique n’est rien d’autre qu’un pouvoir légitimé par le savoir du savoir : le savoir du savoir à transmettre, des modalités de sa transmission, des manières d’y faire accéder celui qu’on appelle justement l’élève (c’est par exemple la thèse de Bernard Rey, dans Discipline en classe et autorité de l’enseignant, Bruxelles, De Boeck, 2009, p. 116-141). Mais c’est aller un peu vite. Pour deux raisons : d’une part la légitimité du pouvoir du professeur n’est au fond rien d’autre que … ce pouvoir lui-même, le savoir du savoir s’identifiant à la capacité ou la puissance du professeur à élever l’élève ; d’autre part ce savoir du savoir doit être lui-même reconnu comme tel. La reconnaissance du pouvoir pédagogique suppose la reconnaissance d’un savoir qui n’est que le pouvoir pédagogique lui-même dont on cherche à fonder la reconnaissance… En termes simples : on tourne en rond. C’est que l’autorité pédagogique ne fonde
sa reconnaissance que sur elle-même. Il y a de l’autorité pédagogique parce qu’elle est reconnue ; et elle est reconnue parce que c’est l’autorité pédagogique. Est-ce à dire que l’autorité à l’école se résume à un phénomène magique ? En est-on réduit à en faire un attribut psychologique – le don gracieusement offert à certaines personnes « naturellement dotées » d’autorité ? Ou, ce qui revient au même, à la nature raisonnable et obéissante d’élèves tout aussi gracieusement dotés d’un « respect » miraculeux envers les professeurs ? Nous devons reformuler la question. A vouloir fonder l’autorité pédagogique — c’est-à-dire établir en raison d’où elle vient —, on ne découvre que l’autorité elle-même. Peut-être s’agit-il plutôt de demander comment elle fonctionne et à quelles conditions sa reconnaissance est possible. Disons-le simplement. Il faut croire à l’autorité pour qu’il y ait de l’autorité. Mais dans quelles conditions croit-on à l’autorité ? Spécifions : dans quelles conditions les élèves acceptent-ils de reconnaître l’autorité du professeur — d’y croire ? On peut faire deux hypothèses non-exclusives. La première touche aux conditions matérielles du rapport pédagogique moderne. L’école comme institution séparée du monde socio-économique qui l’entoure n’a jamais existé que dans la tête de ceux qui avaient intérêt à se la représenter en ces termes. Plusieurs travaux ont montré que l’école pour les masses — d’abord l’école élémentaire obligatoire, ensuite la démocratisation du parcours secondaire puis supérieur — qui s’élabore à la fin du 19ème siècle et au cours du 20ème siècle trouvait son sens et sa fonction dans l’expansion du système capitaliste (voir aussi bien Christian Baudelot et Roger Establet, L’école capitaliste en France, Maspero, Paris, 1971 que Anne Querrien, L’école mutuelle, Les Empêcheurs de penser en rond/Seuil, Paris, 2005). Cela veut dire que dans la mesure même où elle se donnait pour objectif les « savoirs purs », non-utilitaires, l’éducation morale et l’instruction civique des enfants, l’école remplissait une fonction nécessaire au
mode de production capitaliste. La reconnaissance de l’autorité du professeur, ainsi que les échecs de cette autorité, doivent être compris à partir de ce que l’école permettait de devenir et de faire à ceux qu’elle accueillait : à partir de ce que les élèves éprouvaient quant à leur destin, quant aux possibilités qu’elle leur offrait mais aussi quant aux limites et aux obstacles qu’elle leur opposait. Ce type de questionnement doit être mis en œuvre aussi aujourd’hui. La seconde hypothèse touche aux conditions symboliques du rapport pédagogique. S’il faut éduquer, c’est parce qu’il y a de l’éducable, mais plus encore du « devant-être-éduqué », à savoir : l’enfant. En ce sens, l’autorité pédagogique tire sa justification du fait qu’elle s’exerce sur un enfant (ou un jeune) qui en a besoin. Il est utile ici de se rappeler que l’enfance n’est pas une donnée anthropologique fondamentale qui traverse les âges de l’histoire, mais une invention récente, qui remonte aux 18ème et 19ème siècles – soit corrélative au développement de l’institution scolaire (voir Philippe Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Seuil, Points, Paris, 1973). Bien sûr, il y eut toujours des enfants. Mais l’idée ou l’image d’un être qui a besoin d’être protégé non seulement des puissances extérieures en raison de sa faiblesse naturelle, mais de lui-même et de ses propres désirs, autrement dit d’un être qui a besoin d’un tiers entre soi et soi-même pour se constituer est une image propre aux sociétés modernes. Peu importe ici la question historique ; retenons que le terme d’« enfant » ne désigne pas une réalité naturelle, mais renvoie à une image qui combine deux aspects : un être sans défenses auquel des soins sont nécessaires et l’exigence d’une contrainte pour que cet être se contrôle lui-même. Cette image est ce qu’en psychanalyse certains appellent un fantasme : une certaine façon de découper et de mettre en ordre le réel, de lui donner du relief et donc du sens, et surtout d’y définir certaines possibilités d’existence, d’y réaliser et d’y construire certains désirs. Maud Mannoni insistait sur la
pertinence d’une interrogation de « la représentation que l’adulte se donne de l’enfance » préalable au travail mené sur les représentations des enfants eux-mêmes (voir Maud Mannoni, L’enfant, sa « maladie » et les autres, Seuil, Paris, 1967). C’était dire que l’« enfance » est d’abord une projection de l’adulte, et que les questions pédagogiques dépendent de cette projection première. Il ne s’agit pas là d’une simple illusion, d’un simple voile qui nous cache le réel. Il ne s’agit pas de dire que les traits caractéristiques que nous prêtons à l’enfance sont « faux » ou tellement « construits » qu’il suffirait d’en décréter d’autres pour changer la réalité. « Re-présentation » signifie : une nouvelle présentation du réel pour s’y donner une prise ; ce qu’on appelle « réalité », en ce sens, est d’abord une certaine représentation du réel. Parler d’une « représentation de l’enfance » au sens du génitif objectif (l’enfance comme objet de la représentation), c’est donc parler d’une certaine réalité de l’enfance qu’il convient d’analyser : quelles possibilités d’existence recèle cette « réalité », tant pour les adultes que pour les enfants ? Mais aussi : quelles impossibilités ? Quand on s’autorise de l’enfance pour en appeler à la nécessité d’une autorité pédagogique sur les enfants, il serait bon de s’interroger sur les désirs et sur les possibilités d’existence que cet appel autorise, pour ceux qu’on appelle « enfants » comme pour ceux qu’on appelle « adultes ». L’autorité d’un professeur ne fonctionne pas magiquement, mais par le biais des désirs de celui qui l’exerce et des désirs de ceux qui la reconnaissent et par les possibilités d’existence qu’elle ouvre pour les uns et pour les autres. En somme, nous proposons, plutôt que de tourner en rond dans la question de ce qui fonde et autorise l’autorité, de demander comment ça marche, à quoi ça fonctionne, l’autorité. Dans la langue des philosophes, cela se dit : à quelles conditions l’autorité est-elle possible ? Et il apparaît alors que les conditions d’une autorité pédagogique se trouvent moins dans une fondation rationnelle que dans le réel, c’est-à-dire dans les puissances qui passent à travers elles, que ces puissances soient matérielles (socio-économiques) ou symboliques (affectives et désirantes).
Un mot pour conclure. Dans « La crise de l’éducation », Hannah Arendt semble déplorer la dissolution du rapport pédagogique dans une vaste confusion nivelant la différence entre enfants et adultes. Pour que le monde reste un monde commun, selon Arendt, il faut bien y conduire les nouveaux arrivants, leur apprendre les contours et la nature de ce monde ; pour que ceux-ci puissent y prendre part – et donc aussi le changer –, il faut bien qu’ils y soient donc initiés, guidés, c’est-à-dire éduqués. Tenir d’emblée les enfants pour des habitants du monde des adultes, c’est, selon elle, empêcher leur participation à un même monde. En ce sens, l’analyse d’Arendt faisait fonctionner à plein le fantasme moderne de l’enfance. Mais elle ajoutait une clause qu’on a trop souvent tendance à oublier. Les adultes ne transmettent le monde commun que s’ils s’en estiment responsables, autrement dit si ce monde est bien leur monde, celui dans lequel ils agissent, dans lequel ils peuvent exister parce qu’ils le font en se faisant. Si les adultes « refusent d’assumer la responsabilité du monde dans lequel ils ont placé les enfants » de sorte que leur autorité s’en trouve abolie, la première chose à faire est peut-être de trouver les moyens pour qu’ils puissent en répondre à nouveau, et considérer que ce monde est leur monde (« La crise de l’éducation », dans La crise de la culture, op. cit., p. 244). Avant d’exiger des futurs citoyens le « sens des responsabilités », il faut peut-être veiller à ce que les citoyens actuels puissent les prendre. Au minimum, les plaintes et les inquiétudes au sujet de la crise de l’éducation ou de la crise de l’autorité à l’école méritent d’être soustraites aux évidences qui les soutiennent, et retournées contre leurs auteurs pour être questionnées comme telles. En 1967, Maud Mannoni écrivait déjà : « La société confère à l’enfant un statut puisqu’elle le charge, à son insu, de réaliser l’avenir de l’adulte : l’enfant a pour mission de réparer l’échec des parents, voire de faire aboutir leurs rêves perdus. Les plaintes des parents au sujet de leur descendance nous renvoient ainsi d’abord à la problématique des adultes. » (L’enfant, sa « maladie » et les autres, op. cit., p. 7). Et donc de leur monde.
Autorité institutionnelle : force ou contrainte ? Par Eugène Braet(Service Général d’Inspection de la Culture – Fédération Wallonie-Bruxelles)
L’INTERVENANT : Eugène Braet Eugène est inspecteur-directeur au Service général de l'Inspection de la Culture. Fédération Wallonie Bruxelles – Direction générale de la Culture Rue des Reines-Marguerites, 4 – Parc industriel – 5100 naninne081/40.81.62 - eugene.braet@cfwb.be SON INTERVENTION Textes de référence Le plan opérationnel du Service Général de l’inspection 2009-2014 >téléchargeable sur http://www.c-paje.net/documents_site/eugenebraet-charteassociative.pdf La Charte associative >téléchargeable sur http://www.c-paje.net/documents_site/eugenebraet-planoperationnelserviceinspection.doc De l’exercice de l’autorité institutionnelle exercée par le pouvoir. Dans le temps L’origine se situe dans les droits régaliens qui levaient l’impôt, les armées, promulguaient le Droit, la Justice.Et la Culture, alors ? Le Pouvoir s’est régulièrement doté d’un droit de regard et d’intervention sur la Culture à des fins personnelles ou d’instrumentalisation, pour son propre profit.
Dans l’espace L’autorité culturelle publique, en tant que telle, en tant que politique de développement culturel est cependant un concept plus récent, présent chez nous, mais pas dans les pays anglo-saxons, en l’occurrence, où cette autorité sera plutôt exercée par des mécénats privés ou des pouvoirs locaux. En Belgique, c’est la représentation populaire qui se traduira en actions culturelles au sein du Ministère des Arts et des Lettres (Jules Destrée, en 1921 : loi sur la lecture publique, loi sur les œuvres complémentaires à l’école …). Dans les années 1970 se développera toute une législation sur le développement culturel (apparition des Centres Culturels, des Maisons de Jeunes). Cette législation sera fondée sur le principe de la contractualisation, dictant des conditions à remplir pour être agrée, des modes de subventionnement. Adoption du pacte culturel en juillet 1973 Objectifs : assurer par une loi sur la protection des minorités (politiques, mais pas explicitement écrit dans le texte). Cette loi impose des modalités de participation des usagers à la définition des politiques culturelles qui les concernent, par exemple au travers des instances d’avis.
Echange avec la salle Question de la salle Quel est le rôle de l’inspection dans le soutien aux structures ? Réponse d’Eugène Braet L’inspection n’est que le bras qui applique et vérifie la conformité aux normes émanant du Parlement, des décrets, des arrêtés. Nous avons néanmoins une attitude de compréhension sans tomber dans la complaisance ; on peut accepter des écarts tout en recommandant le retour à la norme. Nous voulons être des facilitateurs, mais si nous sommes appelés à établir des critères, ils doivent rester sur le champ du formel et non interférer sur les contenus (respect de l’autonomie associative).
Pédagogie Nomade, une école de l'émancipation. Par Benoit Toussaint, Kevin Strijkman et Arnaud Baratto (École de Pédagogie Nomade)
LES INTERVENANTS : Benoit Toussaint, Kevin Strijkman et Arnaud Baratto Benoit Toussaint est professeur de français à Pédagogie Nomade, micro-école secondaire de la Communauté française, à la création de laquelle il a activement participé. Kevin et Arnaud sont élèves à Pédagogie Nomade. Périple en la Demeure scfs/asbl – Pédagogie Nomade Rue Verte, 1 – 6670 Limerlée 080/51.10.13 – www.peripleenlademeure.be INTERVENTION de Benoit La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme a placé en première position l’affirmation que les êtres humains naissent libres et égaux en droits. Jusqu’à nouvel ordre, les élèves, soumis à l’obligation scolaire, sont des êtres humains. Pédagogie Nomade a relevé le défi, et proposé au Ministre de l’Enseignement Christian Dupont d’oser penser l’école sur ce fondement. Cette école secondaire a ouvert ses portes en septembre 2008, et la Ministre Simonet vient de décider, de façon autoritaire et expéditive, sa fermeture brutale, en cours d’année scolaire. Une quarantaine d’élèves, réputés en différend avec l’institution qui a pour mission de les émanciper, ont donc été déplacés, et huit enseignants, passablement dégoûtés par le procédé, ont choisi de démissionner de l’enseignement de la Communauté Française, ou en ont été éjectés. Les motifs de cette décision sont pourtant inscrits dans le fonctionnement même de Pédagogie Nomade : donner aux élèves le droit à la parole, sans tabou, sans ménagement parfois, et surtout sans facilité ni confort. Dans le cadre de cette pédagogie autogestionnaire, les élèves ont été
estimés en danger, parce que les sujets sur lesquels les AG butaient, c’était tout simplement desmenaces de fermeture de cette école qui réussissait son pari : réintroduire le désir dans le cadre de l’obligation scolaire, ce désir sans lequel on n’apprend finalement pas grand-chose de durable. Au cours de ces débats, ils introduisaient du « je veux » au cœur même du « tu dois » de l’obligation. Deux données sont nécessaires pour éclairer la suite de la réflexion. La première a fait peu de bruit, et pourtant elle est lourde de sens : un sondage a établi, dans le courant d’octobre, que plus de quarante pour cents des Belges, toutes classes et origines confondues, estiment qu’il y a, tout de même, du bon dans les idées nazies. La seconde est la publication récente d’une réécriture, actualisée, et surtout documentée, de la Guerre des Boutons de Louis Pergaud. Des juristes, des travailleurs sociaux, des policiers, des psychiatres, ont été consultés sur les pittoresques impertinences des gamins de Longerverne et Velran, au début du vingtième siècle, narrées dans le très subversif roman, volontiers lu à l’école par ailleurs. Le titre est sans équivoque : Lebrac, trois mois de prison. Cela dit à souhait le progrès de notre société en termes de criminalisation ou de médicalisation des comportements dérangeants. Les élèves inscrits à Pédagogie Nomade se retrouvaient donc tous dans la catégorie du différend, lié à l’autorité de l’institution scolaire. Cette notion d’autorité est double, et contient son contraire, l’obéissance, sans laquelle elle est inopérante. La Boétie l’a établi, de façon encore inégalée, il y a bientôt cinq siècles. Si tu n’obéis pas, donc, tu es disqualifié, même si l’ordre donné est injuste ou vide de sens. Des élèves le vivent tous les jours en classe, mais aussi des adultes dans le cadre de leur travail, par exemple. Assez logiquement, une école qui refuse ce mécanisme va en vivre les effets avec son autorité de tutelle. Avoir dit à la Ministre : « vous faites une erreur d’appréciation » a mis le collectif « Pédagogie Nomade » dans la situation de l’impertinent, irrémédiablement en faute,
et inaudible. Puisque l’impertinent est resté constant, la fermeture autoritaire et immédiate était donc écrite. La proposition des organisateurs de cette rencontre prévoyait des questions à poser au public, la voici, déclinée sur deux niveaux. Sommes-nous toujours au Moyen-âge, ou le Prince, infaillible, décide de la survie de ses sujets, ou transforme un groupe humain en objet dont il dispose à sa guise ? Et dans ce cas, l’expression d’un désaccord est-elle une faute coupable ? Autrement dit, si à un groupe d’enseignants une Ministre peut dire, sans argumentation légale, « vous commettez une faute », et que ces mêmes enseignants, libres et égaux en droits, rappelons-le, ne peuvent, argumentation juridique à l’appui, dire à la Ministre « vous commettez une faute », ne devient-il pas évident que le Prince n’est pas traité comme le peuple ? En attendant, les centaines de témoignages de confiance et de respect, émanant des élèves, de leurs parents, des chercheurs en éducation, de Belgique ou de l’étranger, pèsent peu de poids face au caprice, ou plus précisément, à la décision de normaliser, de recadrer, une école dont la vocation était, justement, de construire, par le questionnement, le sens dont tout le monde, et donc entre autres les élèves, a besoin pour vivre et apprendre.
Victor Hugo s’indignait : « construisez des écoles, vous fermerez des prisons ». Voici qu’une école, pensée pour et avec des jeunes révoltés ou dégoûtés, est fermée manu militari. C’est donc judicieux que les intervenants suivants nous racontent comment fonctionne l’IPPJ de Braine le Château. On reste dans la logique du poète en colère.
INTERVENTION de Kevin Autogestion ou gestion de l’autorité. En s’inscrivant dans le schéma égalitaire de la démocratie directe, PN nie l’autorité d’un tiers sur masse, un groupe ignorant ainsi que sur l’ignorant isolé : pas de maître explicateur, pas d’autorité punitive donnant fruit à une illusion de respect partagé via la sanction omniprésente. Ce n’est pas pour autant qu’elle rejette le principe d’autorité, celui-là même incluant les termes de légitimité, pouvoir et obéissance… En effet, dans les grandes lignes de PN figurent les termes d’autonomie, d’autogestion, d’émancipation. Les trois relèvent du principe d’autorité, celle de soi envers soi. La seule qui vaille d’être appliquée à tout à chacun, avec la même détermination que suggère Sénèque dans son invitation à la vie philosophique : elle n’est pas affaire d’instant, d’une heure par jour, trois fois par semaine. Non, c’est une ligne ondulée qui doit nourrir chaque instant, afin que chaque instant puisse être le dernier, il s’agit de vivre. L’autorité introspective est la philosophie, donc l’acte de vivre. Celle-là est défendue par tous les principes de PN. Seulement pour l’appréciée et la commandée en orientant les voiles comme on le souhaite, il faut s’émancipé du principe d’autorité extérieure, celle qui touche de près ou de loin à une autrepersonne. La confiance en l’égalité des intelligences implique la confiance en chacun à pouvoir vivre selon cette autorité personnelle, ou tout du moins savoir qu’elle existe dans le possible. Cette autorité là n’est possible que dissociée de celle qui s’adresse et ordonne les masses. Elle suggère la désobéissance, pas celle donnant lieu à des révoltes aveugles, mais plutôt l’idée défendue par Thoreau, à savoir que la meilleur des désobéissance c’est celle qui se passe en nous
contre ce qui tente d’exercer son autorité sur nous, faisant de notre être l’objet d’une volonté de diriger, l’instrument de l’ordre ainsi que sa conclusion. L’émancipation politique ne peut être que le fruit de l’autorité introspective, ordonnée selon ses propres principes. Un groupe d’émancipés ne sera jamais une masse distincte, mais un groupe parfaitement dissociable et momentanément uni, telle sera sa fragilité ainsi que sa force. Voilà comment prennent sens les termes d’autogestion( du grec « autos » : soi même, « gestio » : gérer ), d’autonomie ( du grec « autos » : soi même, « nomos » : loi, règle. ), d’émancipation et de volonté, celle sans qui rien de tout cela ne serait possible. Ainsi se colle le puzzle qui, une fois composé, fait office de miroir. A la question « Comment fais-tu pour visser avec tant de facilité autant de vis en si peu de temps ? », un ami m’a répondu « J’ai vissé toute une vie ».
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