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Colloque international sur La traduction dans des contextes de plurilinguisme officielTranslation in Contexts of Official MultilingualismUniversité de Moncton1-3 novembre 2012Communicationprésentée parJean-Claude Gémar(Université de Montréal)De la traductionjuridiqueà la jurilinguistique: la quêtede l’équivalence
“Si l‘on se tient au pied de la lettre pour en exprimer l’esprit, les victimes des préjudices seront nécessairement innombrables.” Liu Yin
Plan de l’exposé 1. Aux sources de la jurilinguistique • La traduction, un « mal nécessaire » ? • Traduire le langage du droit : enjeux et méthodes • L’équivalence et ses mythes : une « tétralogie » ? 5. Corédiger les lois comme méthode de « traduction » • Interpréter la loi traduite ou corédigée 7. La traduction ou « l’imparfait du fugitif »
Les lois éclairent l’histoire d’un pays (Montesquieu) En trois siècles (de 1763 à nos jours), le Canada est passé de la traduction servile, lourde et maladroite, de ses textes de droit, à « l’équivalence fonctionnelle » (L.-P. Pigeon) des années 1960-70.
Et, dans le dernier quart de siècle, à l’étape ultime qu’est la « corédaction» des lois de l’État fédéral canadien qui marque l’avènement de la « jurilinguistique ».
Fille du droit et de la linguistique, la jurilinguistique est une tentative de réponse aux difficultés que pose le traitement des textes juridiques en situation de bilinguisme et, facteur aggravant s’agissant “d’un Etat juridiquement, institutionnellement et linguistiquement complexe” (Cadiet),
Au terme de cette longue épopée, on est en droit de se poser plusieurs questions: - La traduction a-t-elle échoué au point de se voir supplantée par la corédaction ? - Celle-ci est-elle la panacée que certains croient y voir ?
- Laquelle des deux permet-elle le mieux de réaliser la mythique “équivalence” - ou plutôt: LES équivalences ? - Peut-on dégager une valeur sûre des mots, une Vérité unique, alors que la sémantique, leur foisonnement et leur réalité sont multiples?
Finalement, l’interprétation du message juridique, traduit ou corédigé, en vue d’en fixer le sens ne serait-elle pas le seul critère valable du sens objectif à donner au texte de droit ?
2. La traduction, un “mal nécessaire”? “Comment faut-il traduire?” La question reste posée, en dépit des efforts de savants esprits (philosophes, philologues, linguistes, traductologues, …) pour y apporter une réponse.
Tout traducteur sait bien que la traduction est un art d’exécution, et non une science exacte. On ne traduit pas à coups d’équations, de formules ou de grille qu’il suffirait d’appliquer pour obtenir automatiquement la bonne réponse…
En droit, les notions et les concepts atteignent parfois un tel degré d’abstraction que certains juristes – et non des moindres ! – mettent en doute la possibilité de produire une équivalence lorsqu’on passe d’un système juridique à un autre.
Le problème que pose le texte juridique au traducteur ne se résume pas au vocabulaire et aux notions qu’il véhicule. Le styledes textes juridiques varie, parfois considérablement, d’une langue à l’autre. Mais aussi au sein du droit même: loi, jugement, contrat, traité de droit, etc. C’est le cas de l’anglais et du français.
L’anglais juxtapose, place souvent les conditions en tête de phrase, d’article, disposition ou clause. Alors que le français pose un principe général, qui sous-entend des choses connues. Pensez à Stendhal: « A qui sait comprendre, peu de mots suffisent. »
S’il fallait résumer d’un mot ces deux styles, ces deux « esprits des lois », je dirais, avec Michael Edwards, quel’anglais est “centrifuge”, alorsque le françaisest “centripète” !
3. Traduire le langage du droit: enjeux et méthodes On sait que la traduction juridique, particulièrement entre l’anglais et le français, présente des difficultés singulières: le traducteur doit passer non seulement d’une langue à une autre, d’un système à un autre (rien de plus banal…), mais, en plus, il lui faut passer d’une famille juridique à une autre.
Schémas de pensée et méthodes opposés Induction particulier jurisprudence droit non écrit, coutumier situés aux deux extrémités du spectre juridique - déduction - général - loi - droit écrit, codifié Common law vs système civiliste: deux familles germaines et opposées !
Aussi, avant de commencer à traduire et de rechercher des équivalents, doit-on se demander comment réaliser l’équivalence.
Depuis que l’on traduit, on s’interroge sur la façon de produire un texte reflétant au mieuxle message du TD. Tous les grands traducteurs, puis les traductologues, y ont réfléchi et apporté des éléments de réponse (Horguelin 1981, p. 11)
Entre autres: • la fidélité • la transparence • la modulation • la surtraduction • les variantes stylistiques • la stylistique interne • les lacunes • les niveaux stylistiques • l’adaptation • les limites de la traduction • etc.
Les juristes ne sont pas en reste. Eux aussi y ont réfléchi (Cicéron!) et trouvé des réponsespour traduire des textes juridiques et appliquer les “principes de l’art de traduire” (Diderot: L’Encyclopédie)
Le regard averti des juristes sur les difficultés (notionnelles, terminologiques, etc.) du texte juridique est éclairant pour les traducteurs. Car traduire un texte de nature juridique = accomplir un acte de droit comparé mais Couplé à une opération traduisante!
Or, juristes et traducteurs (juridiques) ont beaucoup en commun: ils “interprètent” des textes (quoique à des fins et selon des méthodes différentes !).
Alors, l’équivalence, une cause « commune » ? Le hic: de nombreux juristes et traductologues doutent de la possibilité de traduire le droit. Il est vain de chercher une équivalence parfaite entre notions. Par ex.: le contract de la common law n’est pas le « contrat » du droit civiliste.
« On voit pourquoi il est tout simplement impossible de traduire en français avec une précision parfaite les termes techniques du vocabulaire de la Common law. » (Pigeon, 1982)
Mais, nous dit Rodolfo SACCO (2002), la règle est la même, ce sont les concepts qui diffèrent.
Les « effets juridiques » de l’équivalent Sont-ils les mêmes que ceux du TD ? D’où les enjeux – réels ou supposés – de l’équivalence.
Traduire ou rédiger ? L’idée s’est alors imposée que rédiger, et non plus traduire, la loi en parallèle dans chacune des langues officielles allait permettre de produire un texte idiomatique et « lisible ».
Dans cette quête de l’équivalence, c’est celle de « l’esprit des lois » plus que de leur lettre que l’on cherche à rendre.Au Canada,« la traduction par équivalence est le procédé dominant ».(Pigeon 1982)
Équivalence ? Selon le Robert historique, ce n’est qu’au XIXe siècle (1864) que ce mot prend le sens qu’on lui connaît en linguistique et en traductologie. « Procédé » (Vinay et Darbelnet) de traduction , il est assimilé à une méthode.
Selon les écoles de pensée et les théoriciens, ce terme est généralement assorti d’un qualificatif: Équivalence • connotative • dynamique • fonctionnelle • formelle • naturelle • référentielle • sémantique • textuelle • etc.
En droit, le principe de l’équivalence paraît relativementsimple: on assume que, quel que soit le système juridique, des problèmes identiques se présentent partout qui appellent des solutions identiques. Ces problèmes sont toutefois résolus par des moyens différents, dont une procédure judiciaire singulière.
Et comme on ne trouve pas toujours uneinstitution ou une technique équivalente, l’équivalence « fonctionnelle » passe, en droit comparé, pour la solution privilégiée en présence de systèmes comparables, tels que la common law et le système romano-germanique.
Le texte, toujours recommencé, est néanmoins unique. Le message qu’il porte repose sur le principe, le concept ou la notion juridique que véhicule le langage du droit, dont le fondement est constitué des termes du vocabulaire juridique.
Selon le regard que l’on portera sur ce vocabulaire (par ex., celui d’un historien, d’un comparatiste, d’un philologue, d’un philosophe, d’un juriste, d’un traductologue, d’un sociologue, etc.), sa typologie variera. Selon les buts visés (par ex., élaborer un dictionnaire, un lexique, rédiger une loi) le classement de ce vocabulaire sera effectué en catégories différentes.
Aux fins de la traduction, ces termes peuvent être classés en trois catégories principales (Kerby 1979): • ceux qui ont un équivalent sémantique • ceux qui n’ont pas d’équivalent exact • ceux qui sont carrément intraduisibles
Je reprends cette classification tripartite classique en la précisant et la développant. Je lui ajoute une introduction (ou « ouverture »), « acte » préalable qui, suivi des trois autres, en fait une « tétralogie de l’équivalence ».
4.1 La mise en scène de l’équivalence
Avant de se lancer dans l’opération traduisante, il importe que le traducteur effectue un parcours qui s’apparente à la visite des tableaux d’une exposition. Chaque terme, comme chaque tableau, est un concentré d’histoire, celle d’une notion, d’une institution ou d’un concept juridiques, que le traducteur doit retracer et parcourir, en diachronie,
afin d’en saisir le sens dans toutes ses nuances et d’en comprendre la portée avant de les reproduire, en synchronie, dans son texte d’arrivée. Muni de cette information, on passera plus aisément à l’étape suivante de la comparaison de ces données avec celles du terme potentiellement équivalent dans l’autre langue et dans l’autre système.
La principale difficulté réside dans la notion que porte le terme. Pour expliquer ce que je veux dire par là, je prends l’exemple du terme anglais property Comparons-le avec son prétendu équivalent « bien » (ou « propriété »), clairement défini en droit civiliste.
En common law, contrairement au droit civiliste, la notion de « bien » (ou de « propriété ») n’a pas de définition précise. Nous avons, d’un côté (la common law, droit « non-écrit »), un droit féodal marqué par ses origines coutumières; de l’autre, un « droit savant » (écrit). La comparaison s’en ressent.
Mais que dire de la comparaison des notions de trust et de « fiducie » (son équivalent au Canada) ? L’idée que la propriété puisse être multiple et divisible est, pour un juriste français, inconcevable au regard du caractère unique et indivisible de la propriété.
Ces quelques exemples montrent l’importance de l’analyse comparative minimale à laquelle devrait procéder toute personne désirant traduire un texte juridique, quels que soient les systèmes de droit et les langues en cause.
Ces termes peuvent être classés en trois groupes principaux -- au moins 1. Termes dont l’équivalence est évidente, établie ou reconnue; • termes pour lesquels l’équivalence n’est que (plus ou moins) partielle; • termes dont la traduction est ‘impossible’, pour diverses raisons (nom propre; pas de correspondance de la notion/institution dans l’autre système; etc.).
Les deux premiers groupes entrent dans la définition de ce qu’il est convenu d’appeler « l’équivalence fonctionnelle ». Le troisième correspond dans la plupart des cas à ce que l’on qualifie d’« emprunt » ou de« calque », ce qui équivaut à un renoncement de la part du traducteur, incapable de trouver un terme équivalent dans sa langue. La langue prime alors le langage et nous rappelle la malédiction de Babel !