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L ennui des l ves : retours sur l enqu te Lyc e 1998

Introduction : l

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L ennui des l ves : retours sur l enqu te Lyc e 1998

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Presentation Transcript


    1. L ’ennui des élèves : retours sur l ’enquête Lycée (1998) Philippe Meirieu 14 janvier 2003

    2. Introduction : l ’ennui, un phénomène ancien, des manifestations nouvelles « Qui n ’a été frappé, en pénétrant dans la cour d ’un de nos grands établissements d ’enseignement secondaire, de la mine maussade, éteinte, ennuyée, d ’un grand nombre de jeunes garçons ? Qui ne les a vu, dans la classe, subir les leçons comme une corvée monotone, sans que leur visage s’animât, sans que le moindre tressaillement vint annoncer que le cœur prenne part à l ’effort de l ’intelligence ?…

    3. … Qui ne sait que, l ’éducation terminée, un trop grand nombre d ’entre eux se hâtent d ’oublier une époque de leur vie qui, par leur faute ou par celle de leurs maîtres, ne leur apparaît que comme un temps de labeur ingrat et ennuyeux » ? E. Pécaut, 1882

    4. L ’ennui : un phénomène qui apparaît consubstantiel à la scolarisation mais qui prend aujourd’hui des formes nouvelles. De l ’ennui contenu dans les limites de la convenance scolaire (subordonné à l ’apprentissage social de comportements policés)... ...à l ’ennui qui s ’étale ostensiblement dans son arrogance qui interroge la légitimité des enseignants et menace l ’équilibre de l ’institution.

    5. La convenance scolaire est devenue, pour un grand nombre d ’élèves, une langue étrangère...

    6. Ces trois formules apparaissent, toutes les trois, comme des impasses… Aussi, plutôt que de chercher désespérément à refonder « l ’obligation scolaire » sur « la convenance scolaire », sans doute vaut-il mieux tenter de (re)penser l ’institution scolaire à partir du pari que « le projet d ’apprendre » peut encore, aujourd’hui, « s ’engrener », dans l ’École, sur « le projet d ’enseigner ».

    7. Retours sur la consultation Lycée de 1998 : 1) Retour sur un malentendu… 2) Retour sur les résultats… 3) Retour sur un débat : - Le sens d ’un déni - Le sens d ’une opposition - Assumer la contradiction...

    8. 1) Retour sur un malentendu... La « consultation Lycée » n ’était ni un sondage (qui aurait requis une méthode par échantillon), ni une enquête d ’opinion (censée faire émerger des points de vue déjà existants)… C ’était un moyen de faire réfléchir les lycéens et, au-delà, d ’engager une réflexion nationale sur les contenus et les méthodes d ’enseignement.

    9. Une polémique sur la question de « l ’ennui » : Deux questions posées : 1.2 Qu ’est-ce que vous jugez important d ’apprendre au lycée mais qui vous ennuie ? 1. 3 Pensez-vous qu ’il y ait un remède à cet ennui ? Si, oui, lequel ? Un objectif : faire réfléchir les lycéens sur le rapport entre « l ’importance » et « l ’intérêt ».

    10. Une méthode exigeante : « Nul ne peut critiquer sans devoir proposer » … méthode que nous voudrions voir appliquer plus systématiquement dans le système scolaire. Une précaution méthodologique : les établissements et les enseignants sont invités à accompagner la réflexion des élèves.

    11. De violentes réactions... « Une pseudo-consultation au contenu hautement critiquable ». Une enquête lancée « pour apprendre de ceux qui n ’ont pas encore appris ce qu ’il convient de leur enseigner. » (Régis Debray, Le Monde, 3 mars 1998) « Comment croire en la sincérité républicaine d ’un ministère qui demande, par le biais d ’un questionnaire adressé à tous les élèves, s ’ils « s ’ennuient » à l ’école » ? (Association des professeurs de philosophie, 17 janvier 1998)

    12. « Le professeur - au sens de l ’intellectuel - n ’aura plus sa place dans le lycée de demain…Sociolâtrie et puérolâtrie guident un projet destiné à mettre l ’intellectualité des professeurs au pas du conformisme social. L ’élève (peut-être, après la mort de l ’enfant Jésus, le dernier dieu apparu dans notre Occident) et la société civile (sa plus récente idole) deviendront les maîtres de celui dont Jules Simon, aux aurores de la République, avait pourtant dit : « Un professeur n ’est pas un employé. C ’est un Maître. »… Meirieu et Allègre, en alchimistes inversés, ont trouvé la recette pour changer l ’or professoral en plomb enseignant : moins de compétence disciplinaire couplée avec un surcroît de pseudo-compétences bigarrées dans le domaine de la communication. » Robert Redeker, « Adieu, Professeur », Libération, 4 mars 1999

    13. Deux conceptions de l ’École et de l ’enseignement apparemment opposées : D ’un côté, la volonté de ne pas rabattre le fonctionnement d ’une institution (fondée sur des principes et des valeurs) sur celui d ’un service (obéissant à une logique des besoins). D ’un autre côté, la volonté de mettre en adéquation les acteurs de l ’institution avec les principes de son fonctionnement en misant sur l ’exercice d ’une « intelligence collective ».

    14. 2) Retour sur les résultats... 1, 2 million de questionnaires dépouillés émanant des lycées d ’enseignement général, technologique, professionnel et agricole. Une grille de dépouillement nationale élaborée à partir d ’une typologie des réponses aux questions ouvertes, sur un échantillon représentatif. Une adaptation de cette grille nationale selon les institutions impliquées dans le traitement des questionnaires. Une synthèse nationale.

    15. Premier constat : Les élèves font bien la distinction entre « l ’importance » et « l ’intérêt »… - par exemple, 38% des élèves des terminales générales et technologiques trouvent la philosophie très importante mais la considèrent comme ennuyeuse. - plus de 50% des élèves de BEP font la même remarque pour les « disciplines générales ». - à l ’inverse, 27% des élèves considèrent l ’EPS comme « intéressante » mais peu « importante ».

    16. Deuxième constat : Les élèves considèrent comme « importants », aussi bien pour leur enrichissement personnel que pour leur vie professionnelle future : - la culture générale, - les langues, - l ’apprentissage de l ’expression écrite et orale, - l ’explication des grands événements de l ’actualité (la guerre du Golfe), - l ’informatique et les nouvelles technologies.

    17. Troisième constat : Les élèves considèrent comme « importants » mais « ennuyeux » les enseignements... - qui font appel à la « simple » mémorisation (72%), - qui concernent des phénomènes trop éloignés, à leurs yeux, dans l ’espace et dans le temps (61%), - qui se rapportent à des matières « secondaires » dans la série choisie (58%), - qui sont trop spécialisés (52%), - qui sont trop abstraits (31%). N.B. Dans les lycées privés, « l ’enseignement religieux » est largement rejeté, alors que les élèves des lycées publics demandent fréquemment « un enseignement des religions ».

    18. Quatrième constat : Les élèves proposent comme « remèdes à l ’ennui » : - avoir des professeurs plus passionnés, - avoir des professeurs qui aident et encouragent, - introduire les technologies nouvelles, - articuler les enseignements aux problèmes de la vie pratique, - travailler davantage sur l ’actualité, - utiliser l ’interdisciplinarité, - faire des visites, des stages, des séjours à l ’étranger, - multiplier les travaux en groupes - réduire les effectifs et la durée des cours. N.B. De manière plus spécifique, les élèves des sections industrielles demandent plus de mixité et de disposer d ’un parc de machines et d ’instruments plus adapté.

    19. Quelques propositions rentrées depuis dans les faits : Les TPE et PPCP. Le suivi individualisé. L ’enseignement de l ’ECJS (l ’Éducation civique, juridique et sociale). Les Ateliers d ’expression artistique. Les Conseils de vie lycéenne. Le développement de l ’interdisciplinarité.

    20. 3) Retour sur un débat... A - Le sens d ’un déni : réflexions tardives sur la polémique de 1998. B - Le sens d ’une opposition : « pédagogie de l ’intérêt » et « pédagogie de l ’exercice » . C - Assumer la contradiction… par la formation des enseignants.

    21. A - Le sens d ’un déni : réflexions tardives sur une polémique... Nous avons sous-estimé la réaction des enseignants dès lors que des « tiers » viennent leur demander si leurs élèves s ’ennuient ( c ’est, sans doute, une irruption insupportable dans le « colloque pédagogique singulier » du professeur et de sa classe). Nous avons interprété ce phénomène comme un refus plus ou moins explicite d ’intégrer dans leur profession la question du sens des apprentissages. Nous avons pensé que les enseignants vivaient sur un déni de leur propre histoire scolaire, refusant d ’en considérer les difficultés et exaltant systématiquement leurs propres réussites.

    22. Même si ces considérations restent partiellement pertinentes, il apparaît aujourd’hui, avec le recul... que le déni de l ’ennui dans sa propre histoire scolaire est, sans doute, nécessaire comme moyen de réassurance personnelle : c ’est un moyen de résister à la fragilisation que produirait une trop grande lucidité sur le caractère dérisoire et insupportable de certaines situations pédagogiques… cf.. Ferdydurke de W. Gombrowitz… ?Il faut peut-être une dose de cécité minimale pour continuer à faire ce métier...

    23. De plus, la nostalgie et l ’exaltation de son propre rapport au savoir sont, sans doute, générateurs de dynamisme pédagogique... Le professeur idéalise « la scène primitive » où il a découvert, dans le bonheur d ’une rencontre fondatrice, les savoirs qui nourrissent son engagement professionnel. Il rêve toujours, plus ou moins, d ’installer la relation archétypale que présente, en ouverture, le Phèdre de Platon. Les pieds dans l’Illisos, maître et élève savourent ensemble le plaisir d ’apprendre : occasion assumée réciproquement sans aucune concession à la rigueur de la transmission.

    24. Mais le monde grec lui-même, dès lors qu ’il convient d ’instituer l ’enseignement, construit « le gymnase », champ de manœuvre où l ’élève se forme pour la guerre, sous le coup d ’une obligation de résultat que résume l ’alternative utilitariste la plus radicale : « Tuer ou être tué. » Depuis, l’Illissos ne passe guère au pied de l ’estrade et la classe est plus affaire d ’obligations, de contraintes, d ’encadrement... que de rencontres occasionnelles et heureuses entre des personnes consentantes.

    25. « Dans des centaines d ’établissements, à des milliers de reprises, conformément à des horaires inscrits dans un emploi du temps annuel invariable, regroupés dans des classes à effectifs fixes, assignés à leur pupitre dans des locaux qu ’ils n ’auront pas choisis, sous la conduite de maîtres mandatés par l ’institution, des élèves, identifiés comme tels par leur statut social, auront pour devoir obligé de faire le commentaire de cette mise en scène de la liberté d ’apprendre dont leur propre situation est exactement l ’antithèse caricaturale… » Daniel Hameline, « Le lieu des choses et le temps des mots : apprendre la présence et l ’absence », Lisbonne, 2001.

    26. Une leçon importante... Ne jamais sous-estimer le caractère irréductiblement aléatoire de la rencontre avec les savoirs… Ne jamais croire que l ’amélioration - pourtant absolument nécessaire - des conditions de l ’enseignement peut produire mécaniquement de l ’apprentissage… Accepter « l ’impouvoir » du maître sur le désir de l ’autre… « impouvoir » qui n ’est pas, pour autant, une « impuissance ».

    27. L’impouvoir du maître sur le désir de l ’autre... Le maître ne peut pas être l ’objet du désir de l ’autre… Le maître ne peut commander au désir de l ’autre... Le maître est médiateur entre l ’autre et le savoir, générateur de greffes et de transferts de toutes sortes...

    28. Le maître crée des situations par lesquelles des liens se nouent entre...

    29. B - Le sens d ’une opposition : « pédagogie de l ’intérêt » et « pédagogie de l ’exercice » .

    30. « Créer la demande de savoir » En s ’appuyant sur les « intérêts spontanés » de l ’élève. En faisant émerger son intérêt à partir d ’objets culturels.

    31. Mais, « créer la demande de savoir » engage, bien souvent, le maître dans une « logique de la production » : L ’accent mis sur « l ’intérêt » se fait obsession de « l ’activité ». L ’activité, pour favoriser la finalisation et le coopération, devient « activité collective ». La « réussite » immédiate et matérielle surdétermine alors le fonctionnement du groupe, produisant « division du travail » et exclusion. L ’apprentissage est ainsi évacué, avec la spécificité de l ’École : le primat du « comprendre » sur le « réussir », de l ’objectif sur la tâche, de l ’acquisition mentale à long terme sur le produit à court terme.

    32. D ’où les paradoxes de « la pédagogie de l ’intérêt » :

    34. « Il faut que l ’enfant se sente grandir, lorsqu ’il passe du jeu au travail. Ce beau passage, loin de le rendre insensible, je le voudrais marqué et solennel. L ’enfant vous sera reconnaissant de l ’avoir forcé ; il vous méprisera de l ’avoir flatté. (…) Le travail a des exigences étonnantes, et que l ’on ne comprend jamais assez. Il ne souffre point que l ’esprit considère les fins lointaines; il veut toute l ’attention. Le faucheur ne regarde pas au bout du champ. Et tout cet ennui, là autour, et ce vide sans profondeur, sont comme une leçon bien parlante; car il n ’y a qu ’une chose qui compte pour toi, petit garçon, c ’est ce que tu fais. Fais ce que tu fais. » Alain, Propos sur l ’éducation

    35. L ’apprentissage scolaire est d ’abord apprentissage de la « densité du geste ». Il requiert, selon Alain : une « action dénudée », que « le travail montre son froid visage, insensible à la peine et même au plaisir », « de répéter et de faire répéter, de corriger et de faire corriger », d ’ « essayer, faire, refaire, jusqu ’à ce que le métier entre, comme on dit… » , une « simplicité monastique » et une « patience d ’atelier ».

    39. ?Agir, au cœur des contradictions, et tenir ensemble, dans le même acte, - l ’exigence du sens, sans laquelle le bénéfice de l ’activité scolaire est réservé à ceux qui savent l ’instrumenter... - l ’exigence de la densité, sans laquelle le sujet ne peut naître à lui-même et au monde...

    40. Cela implique de penser la professionnalité enseignante autrement que comme une somme de compétences techniques… Cela implique de revenir sans cesse au « projet d ’enseigner » dans sa signification fondatrice et de chercher en permanence comment l ’incarner...

    42. CONCLUSION Plutôt que de cultiver la nostalgie d ’un temps où la convenance scolaire permettait de tolérer « l ’ennui »… Inventer des situations : où « le sens » fait de « l ’ennui » la temporalité nécessaire de la formation de l ’intelligence, et où « l ’ennui » fait du « sens » autre chose qu ’un appel à la satisfaction immédiate.

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