1 / 151

PHILOSOPHIE DU XVIIIE SI CLE

brie
Download Presentation

PHILOSOPHIE DU XVIIIE SI CLE

An Image/Link below is provided (as is) to download presentation Download Policy: Content on the Website is provided to you AS IS for your information and personal use and may not be sold / licensed / shared on other websites without getting consent from its author. Content is provided to you AS IS for your information and personal use only. Download presentation by click this link. While downloading, if for some reason you are not able to download a presentation, the publisher may have deleted the file from their server. During download, if you can't get a presentation, the file might be deleted by the publisher.

E N D

Presentation Transcript


    1. PHILOSOPHIE DU XVIIIE SIÈCLE - Emmanuel Kant - - Jean-Jacques Rousseau -

    2. Les textes à l’étude Emmanuel Kant Introduction à la Critique de la raison pure Fondement de la métaphysique des mœurs La religion dans les limites de la raison Jean-Jacques Rousseau Discours sur les sciences et les arts Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes

    3. Contexte historique du XVIIIe siècle Le triomphe de la modernité: La naissance de la modernité fut marqué du sceau de la répression religieuse et politique. Qu’il s’agisse des développements de la science ou de ceux de la philosophie, les philosophes et scientifiques de la modernité – Descartes, Spinoza, Galilée, etc. – durent cacher, modifier ou renier leurs théories. Comme les efforts pour donner un fondement rationnel à la connaissance et libérer la philosophie des balises du dogme religieux se heurtaient aux pouvoirs en place, les penseurs du siècle suivant comprirent qu’ils devaient déplacer leur combat sur le terrain politique et à s’attaquer à ces pouvoirs s’ils espéraient faire triompher les idéaux modernes.

    4. Contexte historique du XVIIIe siècle Les trois nouvelles fondations que représentaient le fondement rationnel de la connaissance, le projet d’une société égalitaire fondée sur la liberté individuelle et l’ouverture au progrès connurent leur apogée au XVIIIe siècle. Les révolutions démocratiques assurèrent au sujet des droits inaliénables et contribuèrent à l’exclusion du sacré du domaine politique. La philosophie et la science empirique connurent des révolutions tout aussi importantes que la politique. Cette soif de connaissance se répandit dans toute l’Europe. La raison allait apporter un «éclairage» nouveau sur l’homme et la nature, et un progrès illimité. C’est ce combat que nous désignons de «triomphe de la modernité».

    5. Contexte historique du XVIIIe siècle Un siècle de révolutions démocratiques: La maturation du concept de sujet libre et rationnel comme fondement d’une nouvelle civilisation connut une évolution lente mais régulière en Europe. Si le XVIe siècle avait été celui de l’éclosion d’un concept de sujet encore assujetti à Dieu et si peu autonome qu’il devait compter sur l’intervention de Dieu pour assurer son salut, le XVIIe siècle fut celui du sujet qui pense, raisonne et désire son autonomie intérieure. Au XVIIIe siècle, on assista à l’émergence du concept de droits fondamentaux basés sur le concept de droit naturel. C’est donc à l’intérieur des processus révolutionnaires que l’on retrouva cette dignité nouvelle de la liberté humaine comme «source du droit».

    6. Contexte historique du XVIIIe siècle La révolution américaine (1775-1782): Les Américains proclament leur indépendance politique de l’Angleterre. Cette proclamation les plonge dans une longue guerre anticoloniale dont ils sortiront victorieux en 1783. Les états-uniens ajoutèrent dans leur déclaration d’indépendance une série de droits et libertés fondamentaux, dont l’égalité et la liberté naturelle. Bien que cette déclaration d’indépendance contienne l’affirmation du droit de tous à la liberté et à l’égalité, la constitution adopté en 1787 ne s’appliquait pas à tous et à toutes, puisqu’on niait le droit de vote et le droit d’être élu aux blancs pauvres, aux femmes, aux noirs et aux autochtones. En fait, seuls les blancs, disposant de propriétés importantes, avaient le droit…

    7. Contexte historique du XVIIIe siècle …de vote et étaient éligibles. Ayant aboli la monarchie et proclamé la liberté inaliénable des individus, la république des États-Unis d’Amérique avait donc contribué à la promotion des idéaux de la modernité, mais c’est à la France que revint le rôle d’en faire une véritable proclamation universelle. La révolution française de 1789: La France avait envoyé des régiments en Amérique pour aider les États-Uniens à battre leur vieil ennemi, l’Angleterre. La France vivait sous une monarchie absolue. À la suite de la convocation des États généraux par le roi, le peuple de Paris se souleva, prit la prison de la Bastille et les armes qu’elle contenait, forma une convention, qui deviendra l’assemblée nationale, et proclama la République.

    8. Contexte historique du XVIIIe siècle Cette convention adopta, le 26 août 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’on peut voir comme l’aboutissement de la modernité politique. Ses trois mots clés sont «Liberté, Égalité, Fraternité». Cette soif de liberté et d’égalité ne fut pas totalement assouvie. Durant la période qui suivit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les femmes eurent beau les revendiquer, elles n’obtinrent pas la pleine reconnaissance de leurs droits et libertés. C’est dans le climat de liberté relative que connaît l’Angleterre de la fin du XVIIe siècle que l’organisation de la pensée scientifique moderne va enfin pouvoir s’amorcer.

    9. Contexte historique du XVIIIe siècle Un siècle de révolutions scientifiques: La théorie physique de Newton offre d’une part l’explication d’un univers unifié et ordonné où s’applique partout les mêmes lois et principes. Sa découverte de la gravitation universelle pave la voie à une nouvelle représentation de Dieu, celle d’un horloger qui aurait créé le mécanisme de l’univers dont Newton aurait trouvé le fonctionnement. Avec la physique de Newton et sa formule de la gravitation universelle, c’est la possibilité d’une fondation rationnelle du monde par la mathématique qui triomphe. Comme l’avait dit Galilée: le livre de la nature est écrit en langage mathématique. C’est aussi sur la base d’expériences répétées et grâce à l’usage systématique de la balance que Lavoisier en arriva…

    10. Contexte historique du XVIIIe siècle …à des découvertes révolutionnaires en chimie. Depuis toujours on considérait que l’air était un élément. En effectuant la combustion des métaux, Lavoisier démontre qu’il n’en était rien et que l’air était fait d’éléments, dont l’oxygène. À la suite de cette expérience, il formula la loi de la thermodynamique selon laquelle «rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme». En plus de révolutionner la chimie, il élabora une nouvelle nomenclature des éléments. En Amérique, Benjamen Franklin fit de nouveaux progrès pour la science. Il fut le premier à domestiquer le courant électrique, grâce au paratonnerre, à cartographier le Gulf Stream, à monter dans une montgolfière et inventa le poêle à bois. Le botaniste suédois, Carl Von Linné, produisit une classification

    11. Contexte historique du XVIIIe siècle rationnelle des végétaux, des animaux et des minéraux dans son livre intitulé systema natura. Linné proposa un nouveau principe de classification des plantes: plutôt que de se servir des parfums et des couleurs, il proposa de se baser sur la structure de la fleur et plus précisément du nombre, de la disposition et de la proportion des organes de reproduction. Ainsi, en botanique comme en physique, en chimie, la raison triomphait comme mode de compréhension de la nature. La science entreprenait ainsi les relais des religions comme étalon du discours de vérité. La philosophie participa également à ce mouvement.

    12. Contexte historique du XVIIIe siècle L’idéologie des Lumières: L’idéologie prédominante du XVIIIe siècle est celle des Lumières. Une révolution culturelle enflamma l’Europe entière. Les philosophes, poussés par une curiosité intellectuelle sans précédent, tentaient de s’approprier les récentes avancées de la technique et de la science. Il fallait être éclairé en tout. Un homme éclairé est essentiellement un esprit critique, rationnel, mais pas au sens des rationalistes du XVIIe siècle. Il fait des hypothèses et des expériences plus qu’il n’élabore des systèmes dogmatiques. C’est quelqu’un qui au contraire remet en question les dogmes et les superstitions et fait bénéficier le plus grand nombre de ses découvertes. Cette idéologie est synonyme d’autonomie…

    13. Contexte historique du XVIIIe siècle …personnelle, d’attitude rationnelle, de détermination et de combativité. Il fallait se débarrasser de l’intolérance et du fanatisme religieux qui empêchaient de penser librement. La lumière de l’homme éclairé, c’est la raison qui se manifeste dans les discours scientifique et philosophique, souvent bloqués par la censure institutionnelle. L’Encyclopédie: En 1751, le philosophe Diderot désire présenter l’ensemble des connaissances humaines de l’époque. «L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonnée des sciences, des arts et des métiers» est un ouvrage publié entre 1751 et 1772. Elle réunit plus de 72 000 articles rédigés par plus de 140 collaborateurs.

    14. Contexte historique du XVIIIe siècle Se voulant la somme des connaissances de l’époque, elle influença la vie intellectuelle française durant tout le XVIIIe siècle. Un courant philosophique majeur: En parallèle avec le développement de la méthode scientifique s’amorce, en Angleterre, un nouveau courant philosophique qui domine la philosophie du XVIIIe siècle: l’empirisme. Pour ce courant, comme la réflexion se rapporte au monde matériel, il faut constamment vérifier les données des sens si l’on veut atteindre ses vérités. À notre naissance, écrit Locke, notre esprit est comme une tablette de cire vierge. En conséquence, il n’est rien dans notre entendement qui n’ait été d’abord dans nos sens. Les tenants de l’empirisme rejettent donc la

    15. Contexte historique du XVIIIe siècle présence en nous d’idées innées que Descartes disait pourtant être claires et distinctes. Au contraire, ils soutiennent que nos idées sont simplement des copies plus ou moins atténuées de nos sensations. Mais ces sensations, l’homme est capable de les organiser en les comparant l’un avec l’autre dans des expériences. Mais l’empiriste le plus radical fut sans doute le philosophe écossais David Hume. C’est lui qui développa les principes de ce courant philosophique et le mena jusqu’à un scepticisme modéré. Il accepte d’emblée l’idée que toute connaissance nous vient de l’expérience, mais il conteste que nos sensations produisent des idées de sensation, comme le voulait Locke. Ce que nos sensations produisent, affirme Hume, ce sont simplement des impressions.

    16. Contexte historique du XVIIIe siècle Considérons que le caractère essentiel d’une impression, c’est d’être passagère: aussitôt sentie aussitôt passée. Alors, si toute connaissance relève de ce phénomène, il faut admettre que nous ne connaissons rien du monde extérieur, mais seulement ce que nous en sentons, que le cogito cartésien est une pure fiction, car le moi-même ne se saisit que par une suite d’impressions de lui-même et n’est en rien une chose. Ainsi le monde ne nous est pas accessible tel qu’il est et nous sommes incapables de saisir notre identité, puisque notre conscience n’est rien d’autre que les impressions qui s’y succèdent. Pour Hume, les mathématiques et les faits expérimentaux demeurent les deux éléments sur lesquels il est possible de fonder les expériences humaines.

    17. Emmanuel KANT (1724-1804) Le système normatif de KANT 1. La vie et l'œuvre. Emmanuel KANT est né à Königsberg en 1724, ville de Prusse orientale (actuellement Kaliningrad en Russie) qu'il ne quittera jamais et dans laquelle il est décédé en 1804. Il est le quatrième d'une famille de onze enfants. Son père est artisan sellier. Son éducation morale est très rigoureuse, sa mère pratique le protestantisme piétiste. C'est grâce à un pasteur, professeur d'Université, qu'il fait ses études…

    18. Emmanuel KANT (1724-1804) …secondaires. Il entre à l'Université en 1740 où il fait ses études de théologie et de philosophie. Son père étant décédé en 1746 il doit pendant 10 ans devenir précepteur dans des familles des environs de Königsberg, notamment chez la comtesse de Keyserling. Il devient professeur stagiaire (privatdozent) à l'Université en 1755. Il enseigne, jusqu'à cinq heures par jour, les sciences, la logique, la métaphysique, la théologie et les droits naturels, l'anthropologie, la pédagogie, la géographie physique. Il est nommé professeur titulaire en 1770. Admirateur de David HUME (1711-1776) et de Jean-Jacques ROUSSEAU…

    19. Emmanuel KANT (1724-1804) …(1712-1778) il se passionne pour la Révolution française mais en condamne les excès, l'exécution de Louis XVI, la Terreur. Ses ouvrages les plus importants sont : - Kritik der reinen vernunft, Critique de la raison pure, 1781 ; - Kritik der praktischen vernunft, Critique de la raison pratique, 1788 ; - Kritik der urteilskraft, Critique de la faculté de juger, 1790 ; - Rechtslehre, Doctrine du droit, 1796. 2. La philosophie du Droit de KANT. Elle entend fonder le Droit sur la Morale, plus précisément sur la morale de la bourgeoisie, la morale libérale au sens politique du terme.

    20. Emmanuel KANT (1724-1804) 2.1. De la philosophie générale à la philosophie du Droit. 2.1.1. La critique comme science. KANT se pose la question de savoir si la métaphysique peut être une science. Elle peut le devenir grâce à cette science nouvelle qu'est la critique. La critique c'est la connaissance que la raison prend d'elle-même. Aussi la critique est-elle la science qui se propose de justifier les connaissances et non pas de les accroître. La critique c'est la science de l'usage légitime des éléments a priori de la connaissance. Pour KANT c'est la critique qui permet de passer de la raison théorique, la…

    21. Emmanuel KANT (1724-1804) …raison pure, à la raison pratique, l'éthique, qui lui est supérieure puisqu'elle permet de déterminer la volonté et de donner sa loi à l'action. 2.1.2. De la raison pure à la raison pratique. Au niveau de la raison pure, théorique, KANT pense, comme PLATON, que la réalité absolue ne peut être l'objet de connaissances pour les hommes. Les choses telles qu'elles sont en soi (noumènes) ne sauraient, comme telles, être pour nous. Ce qui est pour nous c'est l'apparence sensible des noumènes, les phénomènes. C'est la raison pratique, l'éthique, qui permet de dépasser le monde des…

    22. Emmanuel KANT (1724-1804) …phénomènes pour atteindre le monde des Idées intelligibles, nécessaires à la Société, rationnelles et universelles, c'est-à-dire le monde des lois morales. 2.1.3. Les lois morales. La morale de KANT s'appuie sur la liberté et la volonté. L'homme est un être libre mais sa liberté est sans frein. L'égoïsme fait de l'homme un être insociable alors que la Société est nécessaire à la coexistence entre les hommes. C'est pourquoi l'homme doit se soumettre volontairement à la moralité, l'impératif catégorique, et à la légalité, l'impératif hypothétique.

    23. Emmanuel KANT (1724-1804) L'impératif hypothétique, la légalité, concerne les actions qui sont accomplies sous une pression extérieure, une peine ou un plaisir. L'impératif catégorique, la moralité, concerne les actions accomplies par respect d'une règle qu'il faut respecter parce qu'il le faut. La loi morale est un fait de la raison pure a priori, qui s'impose à l'homme catégoriquement. C'est un devoir qui peut s'exprimer selon la formule: "Agissez de telle sorte que la maxime de votre action pourrait servir de maxime à une action générale". Les lois morales s'imposent à l‘État comme aux individus, par la réalisation des droits naturels dans le droit positif.

    24. Emmanuel KANT (1724-1804) 2.2. Des droits naturels individuels au droit positif mondial. 2.2.1. Les droits naturels de l'individu relèvent de l'impératif catégorique. Les droits naturels de l'individu sont notamment : - le droit de propriété, qui résulterait d'un acte unilatéral originel : l'occupation ; - le droit personnel, qui découle du contrat, qui est la rencontre "idéale" de plusieurs volontés et qui donc est l'oeuvre libre des individus ; - le droit familial, qui permet la maîtrise du mari sur la femme, du père sur les enfants, du maître sur les domestiques - le contrat de mariage étant analysé par KANT comme étant le transfert réciproque de l'usage des organes sexuels.

    25. Emmanuel KANT (1724-1804) 2.2.2. Le droit positif. Le contrat est l'impératif catégorique du politique. Les droits naturels sont applicables dans l‘État de nature. Lorsque les individus, par le contrat social, passent de l'état de nature à l‘État de droit (Rechtstaat) ils passent de la moralité à la légalité, c'est à dire qu'ils sont désormais soumis aux sanctions du droit positif qui relève de l'impératif hypothétique. La contrainte juridique, qui s'exprime par la sanction de la non-observation des règles juridiques, n'est ni violence ni oppression. La contrainte juridique n'est que la condition de la liberté. La définition du

    26. Emmanuel KANT (1724-1804) droit, selon Kant, est la suivante : "Le droit c'est l'ensemble des conditions par lesquelles le libre-arbitre de l'un peut s'accorder avec celui de l'autre suivant une loi générale de liberté". C'est la définition de l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. La sanction juridique n'étant ni violence ni oppression la révolution est impossible. Seule une réforme du droit positif peut permettre à celui-ci de réaliser plus complètement la liberté des individus par un plus grand respect de leurs droits naturels, par une plus grande soumission du droit à la morale.

    27. Emmanuel KANT (1724-1804) 2.2.3. Le droit positif est soumis à la morale. Si les individus sont soumis à l'impératif hypothétique du droit positif le politique reste, lui, soumis à l'impératif catégorique de la morale. Le fondement de tout ordre politique légitime ne peut être que le respect des droits inaliénables de l'homme que sont ses droits naturels. L‘État de droit, par le gouvernement républicain, connaissant la séparation des pouvoirs et le système représentatif, doit conduire les hommes vers la moralité universelle, la constitution d'une république universelle, un État mondial, une Société des Nations (1784).

    28. Emmanuel KANT (1724-1804) 2.4. L‘État de droit universel. Les hommes étant des sujets moraux, et la morale étant universelle, les hommes sont tous égaux entre eux en dignité et donc ils méritent tous la liberté politique. En conséquence l‘État de droit, qui est la soumission du droit à la morale, a vocation à devenir universel. Source: http://www.denistouret.fr/ideologues/Kant.html

    29. Introduction à la critique de la raison pure «1. De la différence de la connaissance pure et de la connaissance empirique. Que toute notre connaissance commence avec l’expérience, cela ne soulève aucun doute. En effet, par quoi notre pouvoir de connaître pourrait-il être éveillé et mis en action, si ce n’est par des objets qui frappent nos sens et qui, d’une part, produisent par eux-mêmes des représentations et d’autre part, mettent en mouvement notre faculté intellectuelle, afin qu’elle compare, lie ou sépare des représentations, et travaille ainsi la matière brute des impressions sensibles pour en tirer une connaissance des objets, celle qu’on nomme l’expérience? Ainsi, chronologiquement, aucune connaissance ne précède en nous l’expérience et c’est avec elle que toutes commencent. Mais si toute notre connaissance…»

    30. Introduction à la critique de la raison pure «…débute avec l’expérience, cela ne prouve pas qu’elle dérive toute de l’expérience, car il se pourrait bien que même notre connaissance par l’expérience fût un composé de ce que nous recevons des impressions sensibles et de ce que notre propre pouvoir de connaître (simplement excité par des impressions sensibles) produit de lui-même: addition que nous ne distinguons pas de la matière première jusqu’à ce que notre attention y ait été portée par un long exercice qui nous ait appris à l’en séparer. C’est donc au moins une question qui exige encore un examen plus approfondi et que l’on ne saurait résoudre du premier coup d’oeil, que celle de savoir s’il y a une connaissance de ce genre, indépendante de l’expérience et même de toutes les…»

    31. Introduction à la critique de la raison pure «…impressions des sens. De telles connaissances sont appelées a priori et on les distingue des empiriques qui ont leur source a posteriori, à savoir dans l’expérience. Cette expression n’est pourtant pas encore suffisamment déterminée pour marquer tout le sens contenu dans la question proposée. Car on dit bien – et l’usage le veut – de maintes connaissances sorties de sources expérimentales, que nous sommes capables ou que nous les avons a priori, parce que ce n’est pas immédiatement de l’expérience que nous les dérivons, mais d’une règle générale, que nous avons toutefois elle-même empruntée à l’expérience. C’est ainsi qu’on dit de quelqu’un qui a sapé les fondements de sa maison, qu’il pouvait bien savoir a priori qu’elle s’écroulerait, c’est-à-dire…»

    32. Introduction à la critique de la raison pure «…qu’il n’avait pas besoin pour le savoir d’attendre cette expérience, l’écroulement réel. Il ne pouvait pourtant pas le savoir entièrement a priori. En effet, que les corps sont lourds et que, par suite, ils tombent quand on leur enlève ce qui les soutient, c’est ce qu’il fallait que l’expérience lui eût auparavant fait connaître. Aussi, par connaissances a priori nous entendons désormais non point celles qui ne dérivent pas de telle ou telle expérience, mais bien celles qui sont absolument indépendantes de toute expérience. A ces connaissances a priori sont opposées les connaissances empiriques ou celles qui ne sont possibles qu’a posteriori, c’est-à-dire par l’expérience. Mais, parmi les connaissances a priori, celles-là sont appelées pures auxquelles n’est mêlé…»

    33. Introduction à la critique de la raison pure «…absolument rien d’empirique. Par exemple, cette proposition: Tout changement a une cause, est bien a priori, mais n’est point pure cependant, puisque le changement est un concept que l’on ne peut tirer que de l’expérience. 2. Nous possédons certaines connaissances a priori et même le sens commun n’est jamais sans en avoir de telles. Il nous faut maintenant un critérium qui permette de distinguer sûrement une connaissance pure de la connaissance empirique. L’expérience nous apprend bien que quelque chose est de telle ou telle manière, mais non point que cela ne peut être autrement. Si donc, premièrement, on trouve une proposition dont la pensée implique la nécessité, on a un jugement a priori; si cette proposition…»

    34. Introduction à la critique de la raison pure «…n’est, en outre, dérivée d’aucune autre qui vaut elle-même, à son tour, à titre de proposition nécessaire, elle est absolument a priori. Secondement, l’expérience ne donne jamais à ses jugements une véritable et stricte universalité, mais seulement une universalité supposée et relative (par induction), qui n’a pas d’autre sens que celui-ci: nos observations, pour nombreuses qu’elles aient été jusqu’ici, n’ont jamais trouvé d’exception à telle ou telle règle. Par conséquent, un jugement pensé avec une stricte universalité, c’est-à-dire de telle sorte qu’aucune exception n’est admise comme possible, ne dérive point de l’expérience, mais est valable absolument a priori. L’universalité empirique n’est donc qu’une élévation arbitraire de la valeur; on fait d’une règle…»

    35. Introduction à la critique de la raison pure «…valable dans la plupart des cas une loi qui s’applique à tous, comme, par exemple, dans la proposition: Tous les corps sont pesants. Quand au contraire, un jugement possède essentiellement une stricte universalité, on connaît à cela qu’il provient d’une source particulière de la connaissance, d’un pouvoir de connaissance a priori. Nécessité et stricte universalité sont donc les marques sûres d’une connaissance a priori et elles sont indissolublement unies l’une à l’autre. Mais comme, dans l’application de ces critères, il est quelquefois plus facile de montrer la limitation empirique que la contingence des jugements, ou que parfois aussi il est plus convaincant de faire voir, d’un jugement, l’universalité illimitée que nous lui attribuons que d’en indiquer la nécessité…»

    36. Introduction à la critique de la raison pure «…, il convient d’employer séparément ces deux critères dont chacun par lui-même est infaillible. Or, que des jugements de cette espèce, nécessaires et universelles dans le sens strict et, par suite, purs, a priori, se trouvent réellement dans la connaissance humaine, il est facile de le montrer. Si l’on veut un exemple pris dans les sciences, on n’a qu’à parcourir des yeux toutes les propositions de la mathématique; si on en veut un tiré de l’usage le plus ordinaire de l’entendement, on peut prendre la proposition: Tout changement doit avoir une cause. Qui plus est, dans cette dernière, le concept même d’une cause renferme manifestement le concept d’une liaison nécessaire avec un effet et celui de la stricte universalité de la règle, si bien que ce concept de cause…»

    37. Introduction à la critique de la raison pure «…serait entièrement perdu, si on devait le dériver, comme le fait HUME, d’une association fréquente de ce qui arrive avec ce qui précède et d’une habitude qui en résulte (d’une nécessité, par conséquent, simplement subjective) de lier des représentations. On pourrait aussi, sans qu’il fût besoin de pareils exemples pour prouver la réalité des principes purs a priori dans notre connaissance, montrer que ces principes sont indispensables pour que l’expérience même soit possible, et en exposer, par suite, la nécessité a priori. D’où l’expérience, en effet, pourrait-elle tirer sa certitude, si toutes les règles, suivant lesquelles elle procède, n’étaient jamais qu’empiriques, et par la même contingentes? Il serait difficile à cause de cela de donner à ces règles la valeur de premiers…»

    38. Introduction à la critique de la raison pure «…principes. Mais nous pouvons nous contenter ici d’avoir exposé, à titre de fait et avec ses critères, l’usage pur de notre pouvoir de connaissance. Et ce n’est pas simplement dans les jugements, mais encore dans quelques concepts mêmes que se révèle une origine a priori. Enlevez peu à peu du concept expérimental que vous avez d’un corps tout ce qu’il y a d’empirique: la couleur, la dureté ou la mollesse, la pesanteur, l’impénétrabilité, il reste cependant l’espace qu’occupait ce corps (maintenant totalement évanoui) et que vous ne pouvez pas faire disparaître. Pareillement, si dans le concept empirique que vous avez d’un objet quel qu’il soit, corporel ou non corporel, vous laissez de côté toutes les propriétés que vous enseigne l’expérience, il en est une cependant que…»

    39. Introduction à la critique de la raison pure «…vous ne pouvez lui enlever, celle qui vous fait penser comme substance ou comme inhérent à une substance (bien qu’il y ait dans ce dernier concept plus de détermination que dans le concept d’un objet en général). Il faut donc que, poussés par la nécessité avec laquelle un concept s’impose à vous, vous reconnaissiez qu’il a son siège a priori dans votre pouvoir de connaissance. Les jugements d’expériences, comme tels, sont tous synthétiques. Et il serait absurde de fonder sur l’expérience un jugement analytique, car il ne fait pas sortir de mon concept pour former un jugement de cette espèce, ni recourir, par conséquent, au témoignage de l’expérience. Qu’un corps soit étendu, c’est cette proposition qui s’impose a priori et non un jugement d’expérience. Qu’un…»

    40. Introduction à la critique de la raison pure «…corps soit étendu, c’est une proposition qui s’impose a priori et non un jugement d’expérience. Car avant de passer à l’expérience, j’ai déjà toutes les conditions de mon jugement dans le concept d’où je peux n’extraire le prédicat qu’en vertu du principe de contradiction, et prendre ainsi conscience en même temps de la nécessité du jugement, nécessité que l’expérience ne saurait jamais m’enseigner. Au contraire, quoique je n’incluse pas déjà dans le concept d’un corps en général le prédicat de pesanteur, ce concept n’en désigne pas moins un objet de l’expérience par une partie de cette expérience, et à cette partie je peux donc ajouter encore d’autres parties de cette même expérience que celles appartenant au concept de l’objet. Je puis d’avance connaître le concept de…»

    41. Introduction à la critique de la raison pure «…corps analytiquement par les caractères d’étendue, d’impénétrabilité, de figure, etc., qui tous sont pensés dans ce concept. Mais si, maintenant, j’étends ma connaissance et que je reporte mes yeux sur l’expérience d’où j’ai tiré ce concept de corps, je trouve aussi la pesanteur toujours liée aux caractères précédents, et, par suite, je l’ajoute synthétiquement, en qualité de prédicat, à ce concept. C’est donc sur l’expérience que se fonde la possibilité de la synthèse du prédicat de la pesanteur avec le concept de corps, puisque ces deux concepts, bien que l’un ne soit pas contenu dans l’autre, appartient pourtant l’un à l’autre, mais, toutefois, d’une manière contingente, comme partie d’un tout, à savoir de l’expérience qui elle-même est une liaison synthétique des intuitions.»

    42. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «De tout ce qu'il est possible de concevoir dans le monde, et même en général hors du monde, il n’est rien qui puisse sans restriction être tenu pour bon, si ce n'est seulement une BONNE VOLONTÉ. L'intelligence, le don de saisir les ressemblances des choses, la faculté de discerner le particulier pour en juger, et les autres talents de l'esprit, de quelque nom qu'on les désigne, ou bien le courage, la décision, la persévérance dans les desseins, comme qualités du tempérament, sont sans doute à bien des égards choses bonnes et désirables ; mais ces dons de la nature peuvent devenir aussi extrêmement mauvais et funestes si la volonté qui doit en faire usage, et dont les dispositions propres s'appellent pour cela caractère, n'est point bonne. Il en est de même des dons…

    43. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…de la fortune. Le pouvoir, la richesse, la considération, même la santé ainsi que le bien-être complet et le contentement de son état, ce qu'on nomme le bonheur, engendrent une confiance en soi qui souvent aussi se convertit en présomption, dès qu'il n'y a pas une bonne volonté pour redresser et tourner vers des fins universelles l'influence que ces avantages ont sur 1'âme, et du même coup tout le principe de l'action ; sans compter qu'un spectateur raisonnable et impartial ne saurait jamais éprouver de satisfaction à voir que tout réussisse perpétuellement à un être que ne relève aucun trait de pure et bonne volonté, et qu'ainsi la bonne volonté paraît constituer la condition indispensable même de ce qui nous rend dignes d'être heureux.»

    44. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «Il y a, bien plus, des qualités qui sont favorables à cette bonne volonté même et qui peuvent rendre son oeuvre beaucoup plus aisée, mais qui malgré cela n'ont pas de valeur intrinsèque absolue, et qui au contraire supposent toujours encore une bonne volonté. C'est là une condition qui limite la haute estime qu'on leur témoigne du reste avec raison, et qui ne permet pas de les tenir pour bonnes absolument. La modération dans les affections et les passions, la maîtrise de soi, la puissance de calme réflexion ne sont pas seulement bonnes à beaucoup d'égards, mais elles paraissent constituer une partie même de la valeur intrinsèque de la personne; cependant il s'en faut de beaucoup qu’on puisse les considérer comme bonnes sans restriction (malgré la valeur inconditionnée…»

    45. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…que leur ont conférée les anciens). Car sans les principes d'une bonne volonté elles peuvent devenir extrêmement mauvaises; le sang-froid d'un scélérat ne le rend pas seulement beaucoup plus dangereux , il le rend aussi immédiatement à nos yeux plus détestable encore que nous ne l'eussions jugé sans cela. Ce qui fait que la bonne volonté est telle, ce ne sont pas ses oeuvres ou ses succès, ce n'est pas son aptitude à atteindre tel ou tel but proposé, c'est seulement le vouloir ; c’est-à-dire que c'est en soi qu'elle est bonne ; et, considérée en elle-même, elle doit sans comparaison être estimée bien supérieure à tout ce qui pourrait être accompli par elle uniquement en faveur de quelque inclination et même, si l'on veut, de la somme de toutes les inclinations. Alors même que, …»

    46. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…par une particulière défaveur du sort ou par l’avare dotation d'une nature marâtre, cette volonté serait complètement dépourvue du pouvoir de faire aboutir ses desseins; alors même que dans son plus grand effort elle ne réussirait à rien ; alors même qu'il ne resterait que la bonne volonté toute seule (je comprends par là, à vrai dire, non pas quelque chose comme un simple voeu, mais l'appel à tous les moyens dont nous pouvons disposer), elle n'en brillerait pas moins, ainsi qu'un joyau, de son éclat à elle, comme quelque chose qui a en soi sa valeur tout entière. L'utilité ou l'inutilité ne peut en rien accroître ou diminuer cette valeur. L'utilité ne serait en quelque sorte que la sertissure qui permet de mieux manier le joyau dans la circulation courante ou qui peut…»

    47. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…attirer sur lui l'attention de ceux qui ne s'y connaissent pas suffisamment, mais qui ne saurait avoir pour effet de le recommander aux connaisseurs ni d'en déterminer le prix. Il y a néanmoins dans cette idée de la valeur absolue de la simple volonté, dans cette façon de l’estimer sans faire entrer aucune utilité en ligne de compte, quelque chose de si étrange que, malgré même l'accord complet qu'il y a entre elle et la raison commune, un soupçon peut cependant s'éveiller : peut-être n'y a-t-il là au fond qu'une transcendante chimère, et peut-être est-ce comprendre à faux l'intention dans laquelle la nature a délégué la raison au gouvernement de notre volonté. Aussi allons-nous, de ce point de vue, mettre cette idée à l'épreuve.»

    48. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «Dans la constitution naturelle d'un être organisé, c’est-à-dire d'un être conformé en vue de la vie, nous posons en principe qu'il ne se trouve pas d'organe pour une fin quelconque, qui ne soit du même coup le plus propre et le plus accommodé à cette fin. Or, si dans un être doué de raison et de volonté la nature avait pour but spécial sa conservation, son bien-être, en un mot son bonheur, elle aurait bien mal pris ses mesures en choisissant la raison de la créature comme exécutrice de son intention. Car toutes les actions que cet être doit accomplir dans cette intention, ainsi que la règle complète de sa conduite, lui auraient été indiquées bien plus exactement par l'instinct, et cette fin aurait pu être bien plus sûrement atteinte de la sorte qu'elle ne peut jamais l'être par la…»

    49. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…raison ; et si à une telle créature la raison devait par surcroît échoir comme une faveur, elle n'aurait dû lui servir que pour faire des réflexions sur les heureuses dispositions de sa nature, pour les admirer, pour s'en réjouir et en rendre grâces à la Cause bienfaisante, mais non pour soumettre à cette faible et trompeuse direction sa faculté de désirer et pour se mêler gauchement de remplir les desseins de la nature; en un mot, la nature aurait empêché que la raison n'allât verser dans un usage pratique et n'eût la présomption, avec ses faibles lumières, de se figurer le plan du bonheur et des moyens d'y parvenir; la nature aurait pris sur elle le choix, non seulement des fins, mais encore des moyens mêmes, et avec une sage prévoyance elle les eût confiés ensemble simplement à l'instinct.

    50. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «Au fait, nous remarquons que plus une raison cultivée s'occupe de poursuivre la jouissance de la vie et du bonheur, plus l'homme s'éloigne du vrai contentement. Voilà pourquoi chez beaucoup, et chez ceux-là mêmes qui ont fait de l'usage de la raison la plus grande expérience, il se produit, pourvu qu'ils soient assez sincères pour l'avouer, un certain degré de misologie, c’est-à-dire de haine de la raison. En effet, après avoir fait le compte de tous les avantages qu'ils retirent, je ne dis pas de la découverte de tous les arts qui constituent le luxe ordinaire, mais même des sciences (qui finissent par leur apparaître aussi comme un luxe de l'entendement), toujours est-il qu'ils trouvent qu'en réalité ils se sont imposé plus de peine qu'ils n'ont recueilli de bonheur; aussi, …»

    51. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…à l'égard de cette catégorie plus commune d'hommes qui se laissent conduire de plus près par le simple instinct naturel et qui n'accordent à leur raison que peu d'influence sur leur conduite, éprouvent-ils finalement plus d’envie que de dédain, Et en ce sens il faut reconnaître que le jugement de ceux qui limitent fort et même réduisent à rien les pompeuses glorifications des avantages que la raison devrait nous procurer relativement au bonheur et au contentement de la vie, n'est en aucune façon le fait d'une humeur chagrine ou d'un manque de reconnaissance envers la bonté du gouvernement du monde, mais qu'au fond de ces jugements gît secrètement l'idée que la fin de leur existence est toute différente et beaucoup plus noble, que c'est à cette fin, non au bonheur, que…»

    52. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…la raison est spécialement destinée, que c'est à elle en conséquence, comme à la condition suprême, que les vues particulières de l'homme doivent le plus souvent se subordonner. Puisque, en effet, la raison n'est pas suffisamment capable de gouverner sûrement la volonté à l'égard de ses objets et de la satisfaction de tous nos besoins (qu'elle-même multiplie pour une part), et qu'à cette fin un instinct naturel inné l'aurait plus sûrement conduite ; puisque néanmoins la raison nous a été départie comme puissance pratique, c’est-à-dire comme puissance qui doit avoir de l'influence sur la volonté il faut que sa vraie destination soit de produire une volonté bonne, non pas comme moyen en vue de quelque autre fin, mais bonne en soi-même; c'est par là qu'une raison…»

    53. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…était absolument nécessaire, du moment que partout ailleurs la nature, dans la répartition de ses propriétés, a procédé suivant des fins. Il se peut ainsi que cette volonté ne soit pas l'unique bien, le bien tout entier; mais elle est néanmoins nécessairement le bien suprême, condition dont dépend tout autre bien, même toute aspiration au bonheur, Dans ce cas, il est parfaitement possible d'accorder avec la sagesse de la nature le fait que la culture de la raison, indispensable pour la première de ces fins qui est inconditionnée, quand il s'agit de la seconde, le bonheur, qui est toujours conditionnée, en limite de bien des manières et même peut en réduire à rien, au moins dans cette vie, la réalisation. En cela la nature n'agit pas contre toute finalité; car la raison qui reconnaît…»

    54. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…que sa plus haute destination pratique est de fonder une bonne volonté, ne peut trouver dans l'accomplissement de ce dessein qu'une satisfaction qui lui convienne, c'est-à-dire qui résulte de la réalisation d'une fin que seule encore une fois elle détermine, cela même ne dût-il pas aller sans quelque préjudice porté aux fins de l'inclination. Il faut donc développer le concept d'une volonté souverainement estimable en elle-même, d'une volonté bonne indépendamment de toute intention ultérieure, tel qu'il est inhérent déjà à l'intelligence naturelle saine, objet non pas tant d'un enseignement que d'une simple explication indispensable, ce concept qui tient toujours la plus haute place dans l'appréciation de la valeur complète de nos actions et qui constitue la …»

    55. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…condition de tout le reste : pour cela nous allons examiner le concept du DEVOIR, qui contient celui d'une bonne volonté, avec certaines restrictions, il est vrai, et certaines entraves subjectives, mais qui, bien loin de le dissimuler et de le rendre méconnaissable, le font plutôt ressortir par contraste et le rendent d'autant plus éclatant. Je laisse ici de côté toutes les actions qui sont au premier abord reconnues contraires au devoir, bien qu'à tel ou tel point de vue elles puissent être utiles : car pour ces actions jamais précisément la question ne se pose de savoir s'il est possible qu’elles aient eu lieu par devoir, puisqu’elles vont même contre le devoir. Je laisse également de côté les actions qui sont réellement conformes au devoir, pour lesquelles les hommes n'ont aucune…»

    56. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…inclination immédiate, qu'ils n'en accomplissent pas moins cependant, parce qu'une autre inclination les y pousse. Car, dans ce cas, il est facile de distinguer si l'action conforme au devoir a eu lieu par devoir ou par vue intéressée. Il est bien plus malaisé de marquer cette distinction dès que l'action est conforme au devoir, et que par surcroît encore le sujet a pour elle une inclination immédiate. Par exemple, il est sans doute conforme au devoir que le débitant n'aille pas surfaire le client inexpérimenté, et même c'est ce que ne fait jamais dans tout grand commerce le marchand avisé; il établit au contraire un prix fixe, le même pour tout le monde, si bien qu'un enfant achète chez lui à tout aussi bon compte que n'importe qui. On est donc loyalement servi : mais ce n'est pas à…»

    57. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…beaucoup près suffisant pour qu'on en retire cette conviction que le marchand s'est ainsi conduit par devoir et par des principes de probité; son intérêt l’exigeait, et l’on ne peut pas supposer ici qu’il dût avoir encore par surcroît pour ses clients une inclination immédiate de façon à ne faire, par affection pour eux en quelque sorte, de prix plus avantageux à l'un qu'à l'autre. Voilà donc une action qui était accomplie, non par devoir, ni par inclination immédiate, mais seulement dans une intention intéressée. Au contraire, conserver sa vie est un devoir, et c'est en outre une chose pour laquelle chacun a encore une inclination immédiate. Or c'est pour cela que la sollicitude souvent inquiète que la plupart des hommes y apportent n'en est pas moins…»

    58. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…dépourvue de toute valeur intrinsèque et que leur maxime n'a aucun prix moral. Ils conservent la vie conformément au devoir sans doute, mais non par devoir. En revanche, que des contrariétés et un chagrin sans espoir aient enlevé à un homme tout goût de vivre, si le malheureux, à l'âme forte, est plus indigné de son sort qu'il n'est découragé ou abattu, s'il désire la mort et cependant conserve la vie sans l'aimer, non par inclination ni par crainte, mais par devoir, alors sa maxime a une valeur morale. Être bienfaisant, quand on le peut, est un devoir, et de plus il y a de certaines âmes si portées à la sympathie, que même sans aucun autre motif de vanité ou d'intérêt elles éprouvent une satisfaction intime à répandre la joie autour d'elles et qu'elles peuvent jouir du contentement …»

    59. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…d'autrui, en tant qu'il est leur oeuvre. Mais je prétends que dans ce cas une telle action, si conforme au devoir, si aimable qu'elle soit, n'a pas cependant de valeur morale véritable, qu'elle va de pair avec d'autres inclinations, avec 1'ambition par exemple qui, lorsqu'elle tombe heureusement sur ce qui est réellement en accord avec l'intérêt public et le devoir, sur ce qui par conséquent est honorable, mérite louange et encouragement, mais non respect; car il manque à la maxime la valeur morale. c'est-à-dire que ces actions soient faites, non par inclination, mais par devoir. Supposez donc que l'âme de ce philanthrope soit assombrie par un de ces chagrins personnels qui étouffent toute sympathie pour le sort d'autrui, qu'il ait toujours encore le pouvoir de…»

    60. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…faire du bien à d'autres malheureux, mais qu'il ne soit pas touché de l'infortune des autres, étant trop absorbé par la sienne propre, et que, dans ces conditions, tandis qu'aucune inclination ne l'y pousse plus, il s'arrache néanmoins à cette insensibilité mortelle, et qu'il agisse, sans que ce soit sous l'influence d'une inclination, uniquement par devoir alors seulement son action a une véritable valeur morale. Je dis plus : si la nature avait mis au coeur de tel ou tel peu de sympathie, si tel homme (honnête du reste) était froid par tempérament et indifférent aux souffrances d'autrui, peut-être parce qu'ayant lui-même en partage contre les siennes propres un don spécial d'endurance et d'énergie patiente, il suppose aussi chez les autres ou exige d'eux les mêmes qualités; …»

    61. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…si la nature n'avait pas formé particulièrement cet homme (qui vraiment ne serait pas son plus mauvais ouvrage) pour en faire un philanthrope, ne trouverait-il donc pas encore en lui de quoi se donner à lui-même une valeur bien supérieure à celle que peut avoir un tempérament naturellement bienveillant? A coup sûr! Et c'est ici précisément qu'apparaît la valeur du caractère, valeur morale et incomparablement la plus haute, qui vient de ce qu'il fait le bien, non par inclination, mais par devoir. Assurer son propre bonheur est un devoir (au moins indirect) ; car le fait de ne pas être content de son état, de vivre pressé de nombreux soucis et au milieu de besoins non satisfaits pourrait devenir aisément une grande tentation d'enfreindre ses devoirs.»

    62. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «Mais ici encore, sans regarder au devoir, tous les hommes ont déjà d'eux-mêmes l'inclination au bonheur la plus puissante et la plus intime, parce que précisément dans cette idée du bonheur toutes les inclinations s'unissent en un total. Seulement le précepte qui commande de se rendre heureux a souvent un tel caractère qu'il porte un grand préjudice à quelques inclinations, et que pourtant l'homme ne peut se faire un concept défini et sûr de cette somme de satisfaction à donner à toutes qu'il nomme le bonheur; aussi n'y a-t-il pas lieu d'être surpris qu'une inclination unique, déterminée quant à ce qu'elle promet et quant à l'époque où elle peut être satisfaite, puisse l'emporter sur une idée flottante, qu'un goutteux, par exemple, puisse mieux aimer savourer ce …»

    63. FONDEMENT DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MOEURS «…qui est de son goût, quitte à souffrir ensuite, parce que, selon son calcul, au moins dans cette circonstance, il ne s'est pas, par l'espérance peut-être trompeuse d'un bonheur qui doit se trouver dans la santé, privé de la jouissance du moment présent. Mais dans ce cas également, si la tendance universelle au bonheur ne déterminait pas sa volonté, si la santé pour lui du moins n'était pas une chose qu'il fût si nécessaire de faire entrer dans ses calculs, ce qui resterait encore ici, comme dans tous les autres cas, c'est une loi, une loi qui lui commande de travailler à son bonheur, non par inclination, mais par devoir, et c'est par là seulement que sa conduite possède une véritable valeur morale.»

    64. La religion dans les limites de la raison «Cette proposition : l'homme est mauvais, ne peut, d'après ce qui précède, vouloir dire autre chose que ceci : l'homme a conscience de la loi morale, et il a cependant adopté pour maxime de s'écarter (occasionnellement) de cette loi. Dire qu'il est mauvais par nature, c'est regarder ce qui vient d'être dit comme s'appliquant à toute l'espèce humaine : ce qui ne veut pas dire que la méchanceté soit une qualité qui puisse être déduite du concept de l'espèce humaine (du concept d'homme en général), car elle serait alors nécessaire, mais que, tel qu'on le connaît par l'expérience, l'homme ne peut pas être jugé différemment, ou qu'on peut supposer le penchant au mal chez tout homme, même chez le meilleur, comme subjectivement nécessaire.»

    65. La religion dans les limites de la raison «Or, comme ce penchant doit être lui-même considéré comme moralement mauvais et que, par suite, on doit y voir non pas une disposition physique, mais quelque chose qui puisse être imputé à l'homme ; comme il doit consister conséquemment dans des maximes du libre arbitre contraires à la loi, et que, d'autre part, ces maximes, en raison de la liberté, doivent être tenues pour contingentes en elles-mêmes - ce qui, de son côté, ne saurait s'accorder avec l'universalité de ce mal, à moins que le principe suprême subjectif de toutes les maximes ne soit, peu importe comment, étroitement uni avec l'humanité et comme enraciné dans elle - nous pourrons nommer ce penchant un penchant naturel au mal, et puisque il faut toujours pourtant que ce penchant …»

    66. La religion dans les limites de la raison «…lui-même soit coupable, nous pourrons l'appeler dans la nature humaine un mal radical et inné (dont nous sommes nous-mêmes la cause néanmoins). […] Le principe de ce mal ne peut pas : 1° se trouver, comme on le prétend communément, dans la sensibilité de l'homme, ni dans les inclinations naturelles qui ont la sensibilité pour base. Ces inclinations, en effet, n'ont pas de rapport immédiat avec le mal (elles donnent plutôt à la vertu, manifestation de la force particulière à l'intention morale, l'occasion de se produire) ; nous ne sommes pas non plus responsables de leur existence (nous ne pouvons même pas l'être, parce qu'elles existent en nous naturellement et sans nous avoir pour auteurs), tandis que le penchant au mal engage notre responsabilité,…»

    67. La religion dans les limites de la raison «…puisque, affectant la moralité du sujet et se trouvant par suite en lui comme en un être libre dans ses actes, il doit pouvoir lui être imputé comme une faute dont il s'est lui-même rendu coupable, et cela nonobstant les profondes racines qu'a ce mal dans le libre arbitre, où il est tellement ancré que l'on est obligé de le dire inhérent par nature à l'homme. – Le principe de ce mal ne peut pas non plus : 2° consister dans une perversion de la raison moralement législatrice ; ce qui supposerait que la raison pourrait elle-même détruire en soi l'autorité de la loi et renier l'obligation qui en découle : chose absolument impossible. Se considérer comme un être libre dans ses actes et se figurer cependant que l'on est affranchi de la loi qui régit les êtres de ce genre (de la loi morale) … »

    68. La religion dans les limites de la raison «…reviendrait à vouloir concevoir une cause agissant sans aucune loi (car la détermination résultant de lois physiques ne peut pas avoir lieu à cause de la liberté) : ce qui est contradictoire. - Conséquemment, pour fournir le principe du mal moral dans l'homme, la sensibilité contient trop peu ; car elle fait de l'homme, en éliminant les mobiles qui peuvent sortir de la liberté, un être purement animal (bloss thierischen) ; une raison affranchie de la loi morale et pour ainsi dire perverse (une volonté absolument mauvaise) contient trop au contraire, parce qu'elle érige en mobile l'opposition contre la loi même (le libre arbitre ne pouvant se déterminer sans mobiles) et qu'elle ferait ainsi du sujet un être diabolique. - Or, l'homme n'est ni bête, ni démon.»

    69. La religion dans les limites de la raison «Mais, quoique l'existence de ce penchant au mal dans la nature humaine puisse être mise sous les yeux par des preuves d'expérience montrant l'opposition réelle que fait, dans le temps, à la loi le libre arbitre humain, ces preuves cependant ne nous apprennent pas le vrai caractère de ce penchant, ni le principe de cette opposition; puisque ce caractère concerne une relation du libre arbitre (arbitre dont, par conséquent, le concept n'est pas empirique) à la loi morale considérée comme un mobile (ce dont le concept est de même purement intellectuel), il faut au contraire qu'il puisse être connu a priori, comme découlant du concept du mal, en tant que ce mal est possible en vertu des lois de la liberté (de l'obligation et de l'imputabilité).»

    70. La religion dans les limites de la raison «Ce qui suit est le développement de ce concept. Nul homme, même le plus pervers, et quelles que soient ses maximes, ne viole la loi morale dans un pur esprit de révolte (en lui apposant un refus d'obéissance). Elle s'impose à nous irrésistiblement, au contraire, en vertu de notre disposition morale ; et si d'autres mobiles ne venaient la combattre en lui, l'homme l'accepterait dans sa maxime suprême, comme principe suffisant de détermination du libre arbitre, c'est-à-dire qu'il serait moralement bon. Mais il dépend encore, en vertu de sa disposition naturelle, également innocente, des mobiles de la sensibilité, et il les adopte aussi dans sa maxime (selon le principe subjectif de l'amour de soi). Et s'il les adoptait dans sa maxime comme suffisants par eux seuls à la …»

    71. La religion dans les limites de la raison «…détermination du libre arbitre, sans se soucier de la loi morale (que cependant il porte en lui), l'homme serait moralement mauvais. Mais comme, naturellement, il accepte dans sa maxime ces deux mobiles différents, et comme, d'autre part, il trouverait chacun d'eux, pris tout seul, suffisant à déterminer sa volonté; si la différence des maximes ne dépendait que de la différence des mobiles (qui sont la matière des maximes), c'est-à-dire si la loi ou l'impulsion sensible constituaient une maxime, il serait à la fois moralement bon et moralement mauvais ; ce qui (d'après notre Introduction) est contradictoire. Il faut donc que la différence entre un homme bon et un homme mauvais ne consiste pas dans la différence des mobiles qu'il accepte dans ses maximes (ou dans la matière…»

    72. La religion dans les limites de la raison «…de ces maximes), mais dans la subordination de ces mobiles (dans la forme des maximes) : il s'agit de savoir quel est celui des deux mobiles dont l'homme fait la condition de l’autre. Par conséquent, chez l'homme (même chez le meilleur), le mal ne vient que du renversement, dans la maxime, de l'ordre moral des mobiles ; nous adoptons dans notre maxime et la loi morale et l'amour de soi, mais remarquant qu'ils ne sauraient subsister côte à côte et que l'un des deux au contraire doit être subordonné à l'autre comme à sa condition suprême, nous faisons du mobile de l'amour de soi et des inclinations qui en découlent la condition de l'accomplissement de la loi morale, quand au contraire celle-ci, en qualité de condition suprême de la satisfaction de nos inclinations sensibles,…»

    73. La religion dans les limites de la raison «…devrait être acceptée comme unique mobile dans la maxime universelle du libre arbitre. Malgré ce renversement des mobiles, contraire à l'ordre moral, dans la maxime adoptée par un homme, il peut se faire néanmoins que les actions soient extérieurement aussi conformes à la loi que si elles avaient leur source dans les principes les plus purs; c'est ce qui se produit quand la raison recourt à l'unité des maximes en général, qui est propre à la loi morale, simplement en vue d'introduire dans les mobiles de l'inclination, sous le nom de bonheur, une unité des maximes qu'ils ne pourraient pas obtenir autrement (la véracité, par exemple, si nous la prenons pour principe, nous affranchit de l'anxiété à laquelle donnent naissance l'obligation où l'on est de mettre…»

    74. La religion dans les limites de la raison «…d'accord ses mensonges et la crainte que l'on éprouve de se perdre dans leurs replis sinueux) ; en pareil cas, le caractère empirique est bon, mais le caractère intelligible demeure toujours mauvais. Or, s'il y a, dans la nature humaine, un penchant qui la pousse à procéder ainsi, c'est qu'il y a dans l'homme un penchant naturel au mal; et ce penchant lui-même est moralement mauvais, puisque, en définitive, c'est dans un libre arbitre qu'il doit être cherché, puisque, par suite, il peut être imputé. C'est un mal radical, parce qu'il pervertit le principe de toutes les maximes et que, d'autre part, en tant que penchant naturel, il ne peut pas être détruit par les forces humaines, pour cette raison que sa destruction ne pourrait qu'être l'oeuvre de bonnes maximes et qu'elle est…»

    75. La religion dans les limites de la raison «…impossible si le principe subjectif suprême de toutes les maximes est présupposé corrompu; et néanmoins il faut que ce penchant puisse être surmonté, puisque l'homme, en qui il se trouve, est un être libre dans ses actions. La méchanceté (Bösartigkeit) de la nature humaine n'est donc pas une véritable méchanceté (Bosheit), si l'on prend ce mot dans sa signification rigoureuse où il désigne une intention (principe subjectif des maximes) d'accepter le mal comme tel pour mobile dans sa maxime (car cette intention est diabolique) ; on doit plutôt dire qu'elle est une perversité du coeur, et ce coeur est aussi, par voie de conséquence, nommé un mauvais coeur. Cette perversité peut coexister avec une volonté généralement bonne ; elle provient de la…»

    76. La religion dans les limites de la raison «…fragilité de la nature humaine, qui n'est pas assez forte pour mettre en pratique les principes qu'elle a faits siens, jointe à l'impureté qui l'empêche de séparer les uns d'avec les autres, d'après une règle morale, les mobiles (même des actes où la fin que l'on vise est bonne), et qui, par suite, tout au plus, lui fait seulement regarder si ces actions sont conformes à la loi, et non si elles en découlent, c'est-à-dire si elles l'ont pour unique mobile. Sans doute, il n'en résulte pas toujours d'action contraire à la loi, ni de penchant à en commettre, penchant que l'on nomme le vice; mais c'est à tort que l'on verrait dans la seule absence du vice la preuve de la conformité de l'intention avec la loi du devoir (l'équivalent de la vertu), (puisque, en pareil cas, l'attention ne se porte pas sur les mobiles …»

    77. La religion dans les limites de la raison «…dans la maxime, mais seulement sur l'accomplissement littéral de la loi); cette manière de penser doit déjà elle-même être appelée une perversité radicale du coeur humain. Cette faute (reatus) innée, - ainsi appelée parce qu'elle se fait remarquer à l'instant même où l'usage de la liberté se manifeste dans l'homme, ce qui cependant ne l'empêche pas de découler nécessairement de la liberté et de pouvoir, conséquemment, être imputée, - peut être estimée non-préméditée (culpa) dans ses deux premiers degrés (qui sont la fragilité et l'impureté), tandis que, dans son troisième degré, ou doit la qualifier de faute préméditée (dolus); et elle a pour caractère une certaine perfidie du coeur humain (dolus malus), qui porte l'homme à se tromper soi-même relativement à ses bonnes ou à ses…»

    78. La religion dans les limites de la raison «…mauvaises intentions, et, pourvu que ses actes n'aient pas le mal pour conséquence, - ce qui pourrait fort bien se faire d'après les maximes qu'ils suivent, - à ne pas se mettre en peine au sujet de son intention, mais à se tenir plutôt pour justifié aux yeux de la loi. De là vient que tant d'hommes (qui se croient consciencieux) ont la conscience tranquille, pourvu que, au milieu d'actions pour lesquelles la loi n'a pas été consultée, ou du moins dans lesquelles son avis n'a pas eu la part prépondérante, ils échappent heureusement aux mauvaises conséquences, et vont même jusqu'à se faire un mérite de ne pas se sentir coupables des fautes dont ils voient les autres chargés, et cela sans examiner si le mérite n'en revient pas simplement au hasard, ni si la façon…»

    79. La religion dans les limites de la raison «…de penser qu'ils pourraient bien, s'ils le voulaient, découvrir en eux-mêmes, ne les aurait pas fait tomber dans des vices égaux, au cas où l'impuissance, le tempérament, l'éducation, les circonstances de temps et de lieu qui induisent en tentation (toutes choses qui ne peuvent pas nous être imputées), ne les en auraient pas tenus éloignés. Cette déloyauté avec laquelle on s'aveugle soi-même, et qui fait obstacle à l'établissement de la véritable intention morale en nous, se traduit en outre extérieurement en hypocrisie et en tromperie à l'égard d'autrui ; et si ce n'est pas là ce que l'on doit nommer méchanceté, elle n'en mérite pas moins d'être appelée indignité; elle a son fondement dans le mal radical de la nature humaine, qui (empêchant le jugement moral de savoir…»

    80. La religion dans les limites de la raison «…au juste quelle opinion on doit avoir d'un homme et rendant l'imputation tout à fait incertaine intérieurement et extérieurement), est la tache impure de notre espèce, dont la présence, aussi longtemps que nous restons sans nous en défaire, empêche le germe du bien de se développer comme il ne manquerait pas de le faire sans elle. […] Quelle que soit d'ailleurs l'origine du mal moral dans l'homme, on peut cependant soutenir que parmi les façons d'envisager la diffusion du mal et sa propagation à travers tous les membres de notre espèce et dans toutes les générations, la plus maladroite consiste à se représenter le mal comme une chose qui nous vient par héritage de nos premiers parents […]»

    81. Jean-jacques rousseau (1712-1778) Considéré en France comme étant le père spirituel de la Révolution de 1789, le calviniste Jean-Jacques Rousseau est né huit ans après la mort de l'anglican John Locke, le père du libéralisme politique. Mais le célèbre Jean-Jacques était-il un libéral "à l'anglaise"? Ni sa vie ni sa doctrine (La philosophie du droit de Rousseau) ne permettent de le dire totalement. 1. La vie et l'œuvre. Jean-Jacques Rousseau est né en 1712 à Genève d'une famille française huguenote émigrée en 1540. Son aïeul Didier Rousseau était un libraire parisien. Ses descendants…

    82. Jean-jacques rousseau (1712-1778) devinrent à Genève des fabricants de montres et accumulèrent une fortune non négligeable. Cependant celle-ci fut partagée entre dix enfants et le père de Jean-Jacques Rousseau, qui est lui-même horloger, gaspille presque tout son héritage. Jean-Jacques Rousseau n'est donc pas, comme on le dit encore assez souvent, un fils du peuple mais le fils d'un bourgeois déclassé et aigri. Sa mère est morte en le mettant au monde. Son père, qui doit quitter Genève après une rixe, le laisse confié, à 10 ans, aux soins d'un pasteur, qui le met en apprentissage chez un greffier puis chez un graveur. En 1728, il s'enfuit de Genève et est recueilli à Annecy par Mme de Warens

    83. Jean-jacques rousseau (1712-1778) qui aurait été un agent secret du Roi de Sardaigne, et qui, après quelques péripéties, en fait son amant. En 1741, Jean-Jacques Rousseau vient à Paris où Denis Diderot le fera collaborer à l'Encyclopédie. En 1746, il "rencontre" une servante illettrée, Thérèse Levasseur, dont il aura cinq enfants naturels, qu'il met à l'assistance publique ... En 1749, il écrit son Discours sur les sciences et les arts qui parut en janvier 1751. Après la représentation de son opéra Le Devin du Village (1752) et son Discours sur l‘Origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes…

    84. Jean-jacques rousseau (1712-1778) (1755) il se retire à l'Ermitage (1756) puis à Montmorency (1758) où il écrit la Lettre à d'Alembert sur les spectacles (1758), la Nouvelle Héloïse (1761) et deux de ses oeuvres les plus importantes : - Le Contrat social, Principes du droit public (1762) - Emile (1762), sur l'éducation des enfants ... Les Confessions paraîtront après la mort de Rousseau qui survient, en 1778, à Ermenonville. 2. La philosophie du droit de Rousseau : la loi résulte de la volonté générale, de la souveraineté populaire. Rousseau, comme beaucoup d'autres théoriciens bourgeois protestants avant

    85. Jean-jacques rousseau (1712-1778) lui (Hugo Grotius (1583-1645), Samuel Pufendorf (1632-1694), Christian Wolff (1679-1754), notamment) est un théoricien du droit naturel moderne. Contrairement à leurs oeuvres, difficilement accessibles, sa théorie de l'état de nature et du contrat social a surtout le mérite d'être très "lisible", ainsi d'ailleurs que sa théorie de la souveraineté populaire. A - L'état de nature et le contrat social "L'homme est né libre, et partout il est dans les fers... . Comment ce changement s'est-il fait ? Je l'ignore. Qu'est-ce qui peut le rendre légitime ? Je crois pouvoir résoudre cette question". (Préambule au Contrat social). Donc, selon Rousseau, comme pour Locke, l'homme est né libre et bon. C'est

    86. Jean-jacques rousseau (1712-1778) la société qui l'a corrompu. Les sciences et les arts, dans le Discours sur les sciences et les arts, l'inégalité, dans le Discours sur l'inégalité ont dénaturé l'homme. Toujours selon notre théoricien calviniste, dans l'état de nature l'homme était parfaitement heureux : "Je vois l'homme se rassasiant sous un chêne, se désaltérant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni son repas. Les seuls biens qu'il connaisse dans l'univers sont la nourriture, une femelle et le repos. Les seuls maux qu'il craigne sont la douleur et la faim, il n'a nul besoin de ses semblables et n'en reconnaît aucun individuellement". L'être humain est alors un "heureux sauvage".

    87. Jean-jacques rousseau (1712-1778) Puis l'homme qui vivait donc isolé et heureux, par des circonstances fortuites, noue des relations avec ses semblables, mais tout en continuant à être indépendant, donc libre. Cette seconde période de l'état de nature est encore plus heureuse que la première. C'est par un malheureux "hasard" que l'homme sort de cette seconde période pour entrer dans une période de désordres causés par l'inégalité, la richesse et la misère, les rivalités et les passions. Ce "hasard" c'est l'invention de la métallurgie et de l'agriculture, qui engendrent la propriété privée.

    88. Jean-jacques rousseau (1712-1778) Pour sortir de cette période de malheurs les hommes doivent alors s'associer pour créer la société civile, l‘État, de façon à sauvegarder leur liberté primitive et naturelle, tout en assurant leur sécurité. C'est le contrat social qui permet de passer de la période malheureuse de l'état de nature à la société civile. Mais comment concevoir une société civile qui assure la sécurité tout en sauvegardant la liberté ? La conciliation sécurité - liberté résultera du règne de la volonté générale. B - La loi résulte de la volonté générale La souveraineté n'appartient pas au plus fort ou à quelques-uns en vertu de…

    89. Jean-jacques rousseau (1712-1778) …quelques privilèges prétendument naturels. La souveraineté appartient au peuple et est inaliénable et indivisible. La souveraineté c'est la Volonté générale, qui est dégagée par la majorité et qui est la source de la loi. Le fondement de la théorie est simple, il repose sur un postulat, à savoir que les hommes sont égaux. Les hommes étant égaux aucun d'entre eux ne peut se prévaloir de quelque supériorité que ce soit. La souveraineté ne saurait donc appartenir à aucun d'entre eux en particulier, elle appartient à tous à la fois.

    90. Jean-jacques rousseau (1712-1778) Pour Rousseau le peuple étant souverain chaque citoyen possède une fraction de la souveraineté. Si le peuple est composé de 10.000 citoyens, chaque citoyen possède la 10.000ème partie de la souveraineté. La conséquence est que chaque citoyen doit participer au choix des gouvernants et que la démocratie doit reposer sur le suffrage universel. Cependant cette démocratie ne sera pas représentative mais directe. Si le peuple ne peut intervenir lui-même pour délibérer et discuter l'élaboration des lois il doit y avoir au moins un référendum d'acceptation. Quant aux gouvernants, aux ministres, ils ne sont que les commis (mandat…

    91. Jean-jacques rousseau (1712-1778) …impératif) du peuple, de "simples officiers exerçant en son nom le pouvoir ..." (Contrat social, Livre III~ Chap. 7). Dans un tel système de démocratie directe, Rousseau ne pense pas que le meilleur gouvernement soit le gouvernement démocratique, c'est-à-dire un gouvernement dans lequel le peuple soit à la fois législatif et exécutif. La monarchie républicaine, c'est-à-dire le pouvoir exécutif d'un homme dépendant de la souveraineté du peuple (système présidentiel américain), serait un gouvernement possible mais dangereux. En effet l'exécutif étant aux mains d'un seul homme, de commis qu'il doit être par rapport à la volonté générale peut devenir maître et tyrannique.

    92. Jean-jacques rousseau (1712-1778) Voilà pourquoi Rousseau préfère le gouvernement oligarchique, c'est-à-dire le gouvernement de quelques-uns soumis à la volonté générale, à la souveraineté populaire, pour la raison que le peuple aura moins à craindre du gouvernement de plusieurs que du gouvernement d'un seul (par exemple le gouvernement de la Convention avec Robespierre ... ?). Si le système de Rousseau eut un succès théoriquement certain, la bourgeoisie française de 1789 n'entendait pas, cependant, aliéner son pouvoir de fait aux mains du peuple et c'est pourquoi l'abbé défroqué Sieyès élabora une théorie voisine de celle de Rousseau mais jugée beaucoup moins politiquement dangereuse.

    93. Jean-jacques rousseau (1712-1778) La théorie de la souveraineté nationale fut préférée à la théorie de la souveraineté populaire. En vertu de la théorie de la souveraineté nationale c'est bien le peuple qui est souverain mais le peuple dans son ensemble, pris globalement, ce peuple c'est la Nation, une entité considérée comme étant un être réel distinct des individus la composant. La Nation étant souveraine a évidemment un droit à l' exercice de cette souveraineté mais étant une entité ne peut l'exercer directement elle-même. Le gouvernement sera donc un gouvernement représentatif (pas de mandat impératif). Et les représentants ne seront pas nécessairement élus au…

    94. Jean-jacques rousseau (1712-1778) …suffrage universel qui ne s'impose pas logiquement dans ce système. C'est ainsi que les membres de l'Assemblée nationale constituante de 1789, non élus eux-mêmes au suffrage universel, introduisirent dans la Constitution de 1791 (décret du 22 décembre 1789) le suffrage restreint et censitaire. Source: http://www.denistouret.fr/ideologues/Rousseau.html

    95. PHILOSOPHIE DE j.-j. rousseau Gagnant du prix de l’Académie de Dijon, Rousseau va s’employer à démontrer comment les sciences et les arts ont corrompu les mœurs et concouru à l’inégalité et à l’immoralité des hommes de son temps. Désormais, pour Rousseau, le progrès véritable n’est plus celui des connaissances, mais celui des valeurs morales, de la vertu, de l’authenticité et de la liberté. Il est convaincu que sans l’égalité, la liberté n’est qu’une abstraction. Rejetant l’état de nature et l’état de société de Hobbes, Rousseau décida de reprendre de façon radicale, à la racine, toute la problématique de la liberté humaine en traçant un portrait tout à fait original de l’être humain à l’état de nature. Au siècle des Lumières, la vision de la nature est fortement influencée par les conceptions de Galilée…

    96. PHILOSOPHIE DE j.-j. rousseau …et de Newton, soit celle d’un immense mécanisme descriptible par les lois de la science. La conception de la nature: Rousseau rejette cette vision, la trouvant trop réductrice. Il la remplace par celle d’une nature généreuse, faisant figure de mère nourricière et bonne, inspirant le calme, le bonheur et la vertu. Pour lui, l’ordre de l’univers, loin d’être mécanique, est une sorte de providence qui donne au cœur humain les élans qui en font un être bon. Rousseau, avec sa vision du monde, apparaît comme le premier romantique. Aux constructions humaines qui sont artificielles et ne procurent jamais le bonheur, mais dénaturent plutôt l’être humain, il oppose…

    97. PHILOSOPHIE DE j.-j. rousseau …ce sentiment d’authenticité, de calme et d’exaltation que procure le contact direct de la nature. Les villes sont pour lui de véritables lieux de corruption et de violence où les humains se livrent aux pires dépravations. Rousseau sent que l’âme humaine est altérée au sein de la société. Plus l’être humain s’éloigne de la nature, plus il se corrompt. La conception de l’être humain: Remontant plus loin que Hobbes, Rousseau fait l’hypothèse que, à l’origine, l’homme était semblable à un singe bipède doté de sensibilité et d’instinct plutôt que de raison. Cet être primitif est pourvu de l’amour de soi, sentiment qui vise à assurer sa survie et sa défense se limitant aux besoins primaires: …

    98. PHILOSOPHIE DE j.-j. rousseau …manger, boire, dormir et se vêtir. Comme il a déjà souffert, l’être humain peut s’imaginer ce que ressent l’autre qui souffre. La pitié est issue de l’amour de soi, car elle vise d’abord le propre bien de l’individu, mais qu’elle peut prendre en compte la souffrance d’autrui. De façon opposée à Locke, Rousseau fait l’hypothèse que les hommes à l’état de nature étaient des animaux solitaires, vivant épars sur la surface de la terre. Mis à part les brefs moment de la reproduction, ils ne rencontrent que rarement leurs semblables et n’ont aucunement besoin du langage, invention issue des besoins sociaux. L’être humain, dans cet état de nature, est tellement en équilibre avec ses besoins qu’il ne connaît pas le sens du mot «besoin». Par contre, les humains vivant en…

    99. PHILOSOPHIE DE j.-j. rousseau ….société se comparent, se jalousent, se détestent, se trompent, se font la guerre, et vont même jusqu’à s’enlever la vie. Ils sont donc beaucoup moins heureux que l’homme à l’état de nature. À l’état de nature, les hommes sont libres. Par liberté, il entend que l’être humain ne dépend de personne. L’homme est un être perfectible, il peut se perfectionner dans un sens ou dans l’autre: devenir meilleur, renaturalisé, ou pire, dénaturé. À l’état de nature, la perfectibilité est dormante. Si l’homme possède une dimension radicalement différente des animaux, c’est bien par cette conscience morale, qui fait la différence entre le bien et le mal. C’est la liberté qui fait la morale et la spécificité humaine. Ce principe inné de justice et de bonté est inscrit dans le tréfonds de l’âme humaine.

    100. PHILOSOPHIE DE j.-j. rousseau La conception de la liberté: La situation de l’homme naturel est qu’il n’a pas à compter sur les autres pour sa subsistance. Il est un être errant bien organisé pour assurer sa survie pour se procurer ce dont il a besoin. En société, l’homme est incapable de subvenir seul à ses besoins, puisque l’organisation même du travail et la proximité constante des autres l’en empêchent. Pour Rousseau, le véritable fondement du contrat social est que tous acceptent d’aliéner leur volonté individuelle au profit d’une volonté commune que Rousseau nomme «volonté générale». Cette volonté générale n’est pas la somme des volontés individuelles, mais l’expression de leur volonté de vivre ensemble. Chacun doit considérer le bien public comme…

    101. PHILOSOPHIE DE j.-j. rousseau …son propre bien et faire de cette volonté générale le véritable souverain. La liberté devient une responsabilité morale que chacun doit respecter dans sa personne et dans celle des autres. Comme les dispositions deviennent obligatoires pour tous, on peut parler d’égalité. La souveraineté est totale, elle n’appartient pas à une personne ou à un groupe de personnes, comme chez Hobbes, mais à la volonté générale comme expression du peuple.

    102. Discours sur les sciences et les ARTS «C'est un grand et beau spectacle de voir l'homme sortir en quelque manière du néant par ses propres efforts ; dissiper, par les lumières de sa raison les ténèbres dans lesquelles la nature l'avait enveloppé ; s'élever au-dessus de lui-même, s'élancer par l'esprit jusque dans les régions célestes ; parcourir à pas de géant, ainsi que le soleil, la veste étendue de l'univers ; et, ce qui est encore plus grand et plus difficile, rentrer en soi pour y étudier l'homme et connaître sa nature, ses devoirs et sa fin. Toutes ces merveilles se sont renouvelées depuis peu de générations. L'Europe était retombée dans la barbarie des premiers âges. Les peuples de cette partie du monde aujourd'hui si éclairée vivaient, il y a quelques siècles, dans un état pire que l'ignorance. Je ne sais quel jargon scientifique,…»

    103. Discours sur les sciences et les ARTS «…encore plus méprisable que l'ignorance, avait usurpé le nom du savoir, et opposait à son retour un obstacle presque invincible. Il fallait une révolution pour ramener les hommes au sens commun ; elle vint enfin du côté d'où on l'aurait le moins attendue. Ce fut le stupide Musulman, ce fut l'éternel fléau des lettres qui les fit renaître parmi nous. La chute du trône de Constantin porta dans l'Italie les débris de l'ancienne Grèce. La France s'enrichit à son tour de ces précieuses dépouilles. Bientôt les sciences suivirent les lettres ; à l'art d'écrire se joignit l'art de penser ; gradation qui paraît étrange et qui n'est peut-être que trop naturelle ; et l'on commença à sentir le principal avantage du commerce des Muses, celui de rendre les hommes plus sociables en leur inspirant…»

    104. Discours sur les sciences et les ARTS «…le désir de se plaire les uns aux autres par des ouvrages dignes de leur approbation mutuelle. L'esprit a ses besoins, ainsi que le corps. Ceux-ci sont les fondements de la société, les autres en sont l'agrément. Tandis que le gouvernement et les lois pourvoient à la sûreté et au bien-être des hommes assemblés, les sciences, les lettres et les arts, moins despotiques et plus puissants peut-être, étendent des guirlandes de fleurs sur les chaînes de fer dont ils sont chargés, étouffent en eux le sentiment de cette liberté originelle pour laquelle ils semblaient être nés, leur font aimer leur esclavage et en forment ce qu'on appelle des peuples policés. Le besoin éleva les trônes ; les sciences et les arts les ont affermis. Puissances de la terre, aimez les talents, et protégez…»

    105. Discours sur les sciences et les ARTS «…ceux qui les cultivent. Peuples policés, cultivez-les : heureux esclaves, vous leur devez ce goût délicat et fin dont vous vous piquez ; cette douceur de caractère et cette urbanité de moeurs qui rendent parmi vous le commerce si liant et si facile ; en un mot, les apparences de toutes les vertus sans en avoir aucune. C'est par cette sorte de politesse, d'autant plus aimable qu'elle affecte moins de se montrer, que se distinguèrent autrefois Athènes et Rome dans les jours si vantés de leur magnificence et de leur éclat : c'est par elle, sans doute, que notre siècle et notre nation l'emporteront sur tous les temps et sur tous les peuples. Un ton philosophe sans pédanterie, des manières naturelles et pourtant prévenantes, également éloignées de la rusticité tudesque et de la…»

    106. Discours sur les sciences et les ARTS «…pantomime ultramontaine : voilà les fruits du goût acquis par de bonnes études et perfectionné dans le commerce du monde. Qu'il serait doux de vivre parmi nous, si la contenance extérieure était toujours l'image des dispositions du coeur ; si la décence était la vertu ; si nos maximes nous servaient de règles ; si la véritable philosophie était inséparable du titre de philosophe! Mais tant de qualités vont trop rarement ensemble, et la vertu ne marche guère en si grande pompe. La richesse de la parure peut annoncer un homme opulent, et son élégance un homme de goût ; l'homme sain et robuste se reconnaît à d'autres marques: c'est sous l'habit rustique d'un laboureur, et non sous la dorure d'un courtisan, qu'on trouvera la force et la vigueur du corps.»

    107. Discours sur les sciences et les ARTS «La parure n'est pas moins étrangère à la vertu qui est la force et la vigueur de l'âme. L'homme de bien est un athlète qui se plaît à combattre nu : il méprise tous ces vils ornements qui gêneraient l'usage de ses forces, et dont la plupart n'ont été inventés que pour cacher quelque difformité. Avant que l'art eût façonné nos manières et appris à nos passions à parler un langage apprêté, nos moeurs - et la différence des étaient rustiques, mais naturelles ; procédés annonçait au premier coup d'oeil celle des caractères. La nature humaine, au fond, n'était pas meilleure ; mais les hommes trouvaient leur sécurité dans la facilité de se pénétrer réciproquement, et cet avantage, dont nous ne sentons plus le prix, leur épargnait bien des vices. Aujourd'hui que…»

    108. Discours sur les sciences et les ARTS «…des recherches plus subtiles et un goût plus fin ont réduit l'art de plaire en principes, il règne dans nos moeurs une vile et trompeuse uniformité, et tous les esprits semblent avoir été jetés dans un même moule : sans cesse la politesse exige, la bienséance ordonne : sans cesse on suit des usages, jamais son propre génie. On n'ose plus paraître ce qu'on est ; et dans cette contrainte perpétuelle, les hommes qui forment ce troupeau qu'on appelle société, placés dans les mêmes circonstances, feront tous les mêmes choses si des motifs plus puissants ne les en détournent. On ne saura donc jamais bien à qui l'on a affaire : il faudra donc, pour connaître son ami, attendre les grandes occasions, c'est-à-dire attendre qu'il n'en soit plus temps, puisque c'est pour ces occasions mêmes…»

    109. Discours sur les sciences et les ARTS «…qu'il eût été essentiel de le connaître. Quel cortège de vices n'accompagnera point cette incertitude ? Plus d'amitiés sincères ; plus d'estime réelle ; plus de confiance fondée. Les soupçons, les ombrages, les craintes, la froideur, la réserve, la haine, la trahison se cacheront sans cesse sous ce voile uniforme et perfide de politesse, sous cette urbanité si vantée que nous devons aux lumières de notre siècle. On ne profanera plus par des jurements le nom du maître de l'univers, mais on l'insultera par des blasphèmes, sans que nos oreilles scrupuleuses en soient offensées. On ne vantera pas son propre mérite, mais on rabaissera celui d'autrui. On n'outragera point grossièrement son ennemi, mais on le calomniera avec adresse. Les haines nationales s'éteindront, mais…»

    110. Discours sur les sciences et les ARTS «…ce sera avec l'amour de la patrie. A l'ignorance méprisée, on substituera un dangereux pyrrhonisme. Il y aura des excès proscrits, des vices déshonorés, mais d'autres seront décorés du nom de vertus ; il faudra ou les avoir ou les affecter. Vantera qui voudra la sobriété des sages du temps, je n'y vois, pour moi, qu'un raffinement d'intempérance autant indigne de mon éloge que leur artificieuse simplicité. Telle est la pureté que nos moeurs ont acquise. C'est ainsi que nous sommes devenus gens de bien. C'est aux lettres, aux sciences et aux arts à revendiquer ce qui leur appartient dans un si salutaire ouvrage. J'ajouterai seulement une réflexion ; c'est qu'un habitant de quelque contrée éloignée qui chercherait à se former une idée des moeurs européennes…»

    111. Discours sur les sciences et les ARTS «…sur l'état des sciences parmi nous, sur la perfection de nos arts, sur la bienséance de nos spectacles, sur la politesse de nos manières, sur l'affabilité de nos discours, sur nos démonstrations perpétuelles de bienveillance, et sur ce concours tumultueux d'hommes de tout âge et de tout état qui semblent empressés depuis le lever de l'aurore jusqu'au coucher du soleil à s'obliger réciproquement ; c'est que cet étranger, dis-je, devinerait exactement de nos moeurs le contraire de ce qu'elles sont. Où il n'y a nul effet, il n'y a point de cause à chercher : mais ici l'effet est certain, la dépravation réelle, et nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection. Dira-t-on que c'est un malheur particulier à notre âge ? Non, …»

    112. Discours sur les sciences et les ARTS «…messieurs ; les maux causés par notre vaine curiosité sont aussi vieux que le monde. L'élévation et l'abaissement journalier des eaux de l'océan n'ont pas été plus régulièrement assujettis au cours de l'astre qui nous éclaire durant la nuit que le sort des moeurs et de la probité au progrès des sciences et des arts. On a vu la vertu s'enfuir à mesure que leur lumière s'élevait sur notre horizon, et le même phénomène s'est observé dans tous les temps et dans tous les lieux. Voyez l'Égypte, cette première école de l'univers, ce climat si fertile sous un ciel d'airain, cette contrée célèbre, d'où Sésostris partit autrefois pour conquérir le monde. Elle devient la mère de la philosophie et des beaux-arts, et bientôt après, la conquête de Cambise, puis celle des Grecs, des Romains, …»

    113. Discours sur les sciences et les ARTS «…des Arabes, et enfin des Turcs. Voyez la Grèce, jadis peuplée de héros qui vainquirent deux fois l'Asie, l'une devant Troie et l'autre dans leurs propres foyers. Les lettres naissantes n'avaient point porté encore la corruption dans les coeurs de ses habitants ; mais le progrès des arts, la dissolution des moeurs et le joug du Macédonien se suivirent de près ; et la Grèce, toujours savante, toujours voluptueuse, et toujours esclave, n'éprouva plus dans ses révolutions que des changements de maîtres. Toute l'éloquence de Démosthène ne put jamais ranimer un corps que le luxe et les arts avaient énervé. C'est au temps des Ennius et de Térence que Rome, fondée par un pâtre, et illustrée par des laboureurs, commence à dégénérer. Mais après les Ovide, les Catulle, les…»

    114. Discours sur les sciences et les ARTS «…Martial, et cette foule d'auteurs obscènes, dont les noms seuls alarment la pudeur, Rome, jadis le temple de la vertu, devient le théâtre du crime, l'opprobre des nations et le jouet des barbares. Cette capitale du monde tombe enfin sous le joug qu'elle avait imposé à tant de peuples, et le jour de sa chute fut la veille de celui où l'on donna à l'un de ses citoyens le titre d'arbitre du bon goût. Que dirai-je de cette métropole de l'empire d'Orient, qui par sa position semblait devoir l'être du monde entier, de cet asile des sciences et des arts proscrits du reste de l'Europe, plus peut-être par sagesse que par barbarie. Tout ce que la débauche et la corruption ont de plus honteux les trahisons, les assassinats et les poisons de plus noir ; le concours de tous les crimes…»

    115. Discours sur les sciences et les ARTS «…de plus atroce ; voilà ce qui forme le tissu de l'histoire de Constantinople ; voilà la source pure d'où nous sont émanées les lumières dont notre siècle se glorifie. Mais pourquoi chercher dans des temps reculés des preuves d'une vérité dont nous avons sous nos yeux des témoignages subsistants. Il est en Asie une contrée immense où les lettres honorées conduisent aux premières dignités de l'État. Si les sciences épuraient les moeurs, si elles apprenaient aux hommes à verser leur sang pour la patrie, si elles animaient le courage, les peuples de la Chine devraient être sages, libres et invincibles. Mais s'il n'y a point de vice qui ne les domine, point de crime qui ne leur soit familier ; si les lumières des ministres, ni la prétendue sagesse des lois, ni la multitude …»

    116. Discours sur les sciences et les ARTS «…des habitants de ce vaste empire n'ont pu le garantir du joug du Tartare ignorant et grossier, de quoi lui ont servi tous ses savants ? Quel fruit a-t-il retiré des honneurs dont ils sont comblés ? Serait-ce d'être peuplé d'esclaves et de méchants ? Opposons à ces tableaux celui des moeurs du petit nombre des peuples qui, préservés de cette contagion des vaines connaissances ont par leurs vertus fait leur propre bonheur et l'exemple des autres nations. Tels furent les premiers Perses, nation singulière chez laquelle on apprenait la vertu comme chez nous on apprend la science; qui subjugua l'Asie avec tant de facilité, et qui seule a eu cette gloire que l'histoire de ses institutions ait passé pour un roman de philosophie. Tels furent les Scythes, dont on nous a laissé de si …»

    117. Discours sur les sciences et les ARTS «…magnifiques éloges. Tels les Germains, dont une plume, lasse de tracer les crimes et les noirceurs d'un peuple instruit, opulent et voluptueux, se soulageait à peindre la simplicité, l'innocence et les vertus. Telle avait été Rome même dans les temps de sa pauvreté et de son ignorance. Telle enfin s'est montrée jusqu'à nos jours cette nation rustique si vantée pour son courage que l'adversité n'a pu abattre, et pour sa fidélité que l'exemple n'a pu corrompre. Ce n'est point par stupidité que ceux-ci ont préféré d'autres exercices à ceux de l'esprit. Ils n'ignoraient pas que dans d'autres contrées des hommes oisifs passaient leur vie à disputer sur le souverain bien, sur le vice et sur la vertu, et que d'orgueilleux raisonneurs, se donnant à eux-mêmes les plus grands éloges, confondaient…»

    118. Discours sur les sciences et les ARTS «…les autres peuples sous le nom méprisant de barbares ; mais ils ont considéré leurs moeurs et appris à dédaigner leur doctrine. Oublierais-je que ce fut dans le sein même de la Grèce qu'on vit s'élever cette cité aussi célèbre par son heureuse ignorance que par la sagesse de ses lois, cette République de demi-dieux plutôt que d'hommes ? tant leurs vertus semblaient supérieures à l'humanité. O Sparte! opprobre éternel d'une vaine doctrine! Tandis que les vices conduits par les beaux-arts s'introduisaient ensemble dans Athènes, tandis qu'un tyran y rassemblait avec tant de soin les ouvrages du prince des poètes, tu chassais de tes murs les arts et les artistes, les sciences et les savants. L'événement marqua cette différence. Athènes devint le séjour de la…»

    119. Discours sur les sciences et les ARTS «…politesse et du bon goût, le pays des orateurs et des philosophes. L'élégance des bâtiments y répondait à celle du langage. On y voyait de toutes parts le marbre et la toile animés par les mains des maîtres les plus habiles. C'est d'Athènes que sont sortis ces ouvrages surprenants qui serviront de modèles dans tous les âges corrompus. Le tableau de Lacédémone est moins brillant. Là, disaient les autres peuples, les hommes naissent vertueux, et Fair même du pays semble inspirer la vertu. Il ne nous reste de ses habitants que la mémoire de leurs actions héroïques. De tels monuments vaudraient-ils moins pour nous que les marbres curieux qu'Athènes nous a laissés ? Quelques sages, il est vrai, ont résisté au torrent général et se sont garantis du vice dans le séjour des Muses.»

    120. Discours sur les sciences et les ARTS «Mais qu'on écoute le jugement que le premier et le plus malheureux d'entre eux portait des savants et des artistes de son temps. « J'ai examiné, dit-il, les poètes, et je les regarde comme des gens dont le talent en impose à eux-mêmes et aux autres, qui se donnent pour sages, qu'on prend pour tels et qui ne sont rien moins. « Des poètes, continue Socrate, J'ai passé aux artistes. Personne n'ignorait plus les arts que moi ; personne n'était plus convaincu que les artistes possédaient de fort beaux secrets. Cependant, je me suis aperçu que leur condition n'est pas meilleure que celle des poètes et qu'ils sont, les uns et les autres, dans le même préjugé. Parce que les plus habiles d'entre eux excellent dans leur partie, ils se regardent comme les plus sages des hommes.»

    121. Discours sur les sciences et les ARTS «Cette présomption a terni tout à fait leur savoir à mes yeux. De sorte que me mettant à la place de l'oracle et me demandant ce que j'aimerais le mieux être, ce que je suis ou ce qu'ils sont, savoir ce qu'ils ont appris ou savoir que je ne sais rien ; j'ai répondu à moi-même et au dieu : je veux rester ce que je suis. « Nous ne savons, ni les sophistes, ni les poètes, ni les orateurs, ni les artistes, ni moi, ce que c'est que le vrai, le bon et le beau. Mais il y a entre nous cette différence, que, quoique ces gens ne sachent rien, tous croient savoir quelque chose. Au lieu que moi, si je ne sais rien, au moins je n'en suis pas en doute. De sorte que toute cette supériorité de sagesse qui m'est accordée par l'oracle, se réduit seulement à être bien convaincu que j'ignore ce que je ne sais pas. »

    122. Discours sur les sciences et les ARTS «Voilà donc le plus sage des hommes au jugement des dieux, et le plus savant des Athéniens au sentiment de la Grèce entière, Socrate, faisant l'éloge de l'ignorance! Croit-on que s'il ressuscitait parmi nous, nos savants et nos artistes lui feraient changer d'avis ? Non, messieurs, cet homme juste continuerait de mépriser nos vaines sciences ; il n'aiderait point à grossir cette foule de livres dont on nous inonde de toutes parts, et ne laisserait, comme il a fait, pour tout précepte à ses disciples et à nos neveux, que l'exemple et la mémoire de sa vertu. C'est ainsi qu'il est beau d'instruire les hommes! Socrate avait commencé dans Athènes ; le vieux Caton continua dans Rome de se déchaîner contre ces Grecs artificieux et subtils qui séduisaient la vertu et amollissaient le…»

    123. Discours sur les sciences et les ARTS «…courage de ses concitoyens. Mais les sciences, les arts et la dialectique prévalurent encore : Rome se remplit de philosophes et d'orateurs ; on négligea la discipline militaire, on méprisa l'agriculture, on embrassa des sectes et l'on oublia la patrie. Aux noms sacrés de liberté, de désintéressement, d'obéissance aux lois, succédèrent les noms d'Épicure, de Zénon, d'Arcésilas. Depuis que les savants ont commencé à paraître parmi nous, disaient leurs propres philosophes, les gens de bien se sont éclipsés. Jusqu'alors les Romains s'étaient contentés de pratiquer la vertu, tout fut perdu quand ils commencèrent à l'étudier. O Fabricius ! qu'eût pensé votre grande âme, si pour votre malheur rappelé à la vie, vous eussiez vu la face pompeuse de cette Rome sauvée…»

    124. Discours sur les sciences et les ARTS «…par votre bras et que votre nom respectable avait plus illustrée que toutes ses conquêtes ? « Dieux! Eussiez-vous dit, que sont devenus ces toits de chaume et ces foyers rustiques qu'habitaient jadis la modération et la vertu ? Quelle splendeur funeste a succédé à la simplicité romaine ? Quel est ce langage étranger ? Quelles sont ces moeurs efféminées ? Que signifient ces statues, ces tableaux, ces édifices ? Insensés, qu'avez-vous fait ? Vous les maîtres des nations, vous vous êtes rendus les esclaves des hommes frivoles que vous avez vaincus ? Ce sont des rhéteurs qui vous gouvernent ? C'est pour enrichir des architectes, des peintres, des statuaires, et des histrions, que vous avez arrosé de votre sang la Grèce et l'Asie ? Les dépouilles de Carthage sont la proie…»

    125. Discours sur les sciences et les ARTS «…d'un joueur de flûte ? Romains, hâtez-vous de renverser ces amphithéâtres ; brisez ces marbres ; brûlez ces tableaux ; chassez ces esclaves qui vous subjuguent, et dont les funestes arts vous corrompent. Que d'autres mains s'illustrent par de vains talents ; le seul talent digne de Rome est celui de conquérir le monde et d'y faire régner la vertu. Quand Cynéas prit notre Sénat pour une assemblée de rois, il ne fut ébloui ni par une pompe vaine, ni par une élégance recherchée. Il n'y entendit point cette éloquence frivole, l'étude et le charme des hommes futiles. Que vit donc Cynéas de si majestueux? O citoyens! Il vit un spectacle que ne donneront jamais vos richesses ni tous vos arts ; le plus beau spectacle qui ait jamais paru sous le ciel, l'assemblée de…»

    126. Discours sur les sciences et les ARTS «…deux cents hommes vertueux, dignes de commander à Rome et de gouverner la terre. » Niais franchissons la distance des lieux et des temps, et voyons ce qui s'est passé dans nos contrées et sous nos yeux ; ou plutôt, écartons des peintures odieuses qui blesseraient notre délicatesse, et épargnons-nous la peine de répéter les mêmes choses sous d'autres noms. Ce n'est point en vain que j'évoquais les mânes de Fabricius ; et qu'ai-je fait dire à ce grand homme, que je n'eusse pu mettre dans la bouche de Louis XII ou de Henri IV ? Parmi nous, il est vrai, Socrate n'eût point bu la ciguë ; mais il eût bu, dans une coupe encore plus amère, la raillerie insultante, et le mépris pire cent fois que la mort. Voilà comment le luxe, la dissolution et l'esclavage ont été de tout temps le…»

    127. Discours sur les sciences et les ARTS «…châtiment des efforts orgueilleux que nous avons faits pour sortir de l'heureuse ignorance où la sagesse éternelle nous avait placés. Le voile épais dont elle a couvert toutes ses opérations semblait nous avertir assez qu'elle ne nous a point destinés à de vaines recherches. Mais est-il quelqu'une de ses leçons dont nous ayons su profiter, ou que nous ayons négligée impunément ? Peuples, sachez donc une fois que la nature a voulu vous préserver de la science, comme une mère arrache une arme dangereuse des mains de son enfant ; que tous les secrets qu'elle vous cache sont autant de maux dont elle vous garantit, et que la peine que vous trouvez à vous instruire n'est pas le moindre de ses bienfaits. Les hommes sont pervers ; ils seraient pires encore, s'ils avaient eu…»

    128. Discours sur les sciences et les ARTS «…le malheur de naître savants. Que ces réflexions sont humiliantes pour l'humanité! que notre orgueil en doit être mortifié! Quoi! la probité serait fille de l'ignorance ? La science et la vertu seraient incompatibles ? Quelles conséquences ne tirerait-on point de ces préjugés ? Mais pour concilier ces contrariétés apparentes, il ne faut qu'examiner de près la vanité et le néant de ces titres orgueilleux qui nous éblouissent, et que nous donnons si gratuitement aux connaissances humaines. Considérons donc les sciences et les arts en eux-mêmes. Voyons ce qui doit résulter de leur progrès ; et ne balançons plus à convenir de tous les points où nos raisonnements se trouveront d'accord avec les inductions historiques.»

    129. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «Quelque important qu'il soit, pour bien juger de l'état naturel de l'homme, de le considérer dès son origine, et de l'examiner, pour ainsi dire, dans le premier embryon de l'espèce ; je ne suivrai point son organisation à travers ses développements successifs. Je ne m'arrêterai pas à rechercher dans le système animal ce qu'il put être au commencement, pour devenir enfin ce qu'il est ; je n'examinerai pas si, comme le pense Aristote, ses ongles allongés ne furent point d'abord des griffes crochues ; s'il n'était point velu comme un ours, et si marchant à quatre pieds, ses regards dirigés vers la terre, et bornés à un horizon de quelques pas, ne marquaient point à la fois le caractère, et les limites de ses idées. Je ne pourrais former sur ce sujet que des conjectures vagues, et…»

    130. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…presque imaginaires. L'anatomie comparée a fait encore trop peu de progrès, les observations des naturalistes sont encore trop incertaines, pour qu'on puisse établir sur des pareils fondements la base d'un raisonnement solide ; ainsi, sans avoir recours aux connaissances surnaturelles que nous avons sur ce point, et sans avoir égard aux changements qui ont dû survenir dans la conformation, tant intérieure qu'extérieure, de l'homme, à mesure qu'il appliquait ses membres à de nouveaux usages, et qu'il se nourrissait de nouveaux aliments, je le supposerai conforme de tous temps, comme je le vois aujourd'hui, marchant à deux pieds, se servant de ses mains comme nous faisons des nôtres, portant ses regards sur toute la nature, et mesurant des yeux la vaste étendue du ciel.»

    131. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «En dépouillant cet être, ainsi constitué, de tous les dons surnaturels qu'il a pu recevoir, et de toutes les facultés artificielles qu'il n'a pu acquérir que par de longs progrès, en le considérant, en un mot, tel qu'il a dû sortir des mains de la nature, je vois un animal moins fort que les uns, moins agile que les autres, mais, à tout prendre, organisé le plus avantageusement de tous. je le vois se rassasiant sous un chêne, se désaltérant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni son repas, et voilà ses besoins satisfaits. La terre abandonnée à sa fertilité naturelle, et couverte de forêts immenses que la cognée ne mutila jamais, offre à chaque pas des magasins et des retraites aux animaux de toute espèce. Les hommes dispersés parmi eux observent, …»

    132. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…imitent leur industrie, et s'élèvent ainsi jusqu'à l'instinct des bêtes, avec cet avantage que chaque espèce n'a que le sien propre, et que l'homme n'en ayant peut-être aucun qui lui appartienne, se les approprie tous, se nourrit également de la plupart des aliments divers que les autres animaux se partagent, et trouve par conséquent sa subsistance plus aisément que ne peut faire aucun d'eux. Accoutumés dès l'enfance aux intempéries de l'air, et à la rigueur des saisons, exercés à la fatigue, et forcés de défendre nus et sans armes leur vie et leur proie contre les autres bêtes féroces, ou de leur échapper à la course, les hommes se forment un tempérament robuste et presque inaltérable. Les enfants, apportant au monde l'excellente constitution de leurs pères, et la fortifiant…»

    133. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…par les mêmes exercices qui l'ont produite, acquièrent ainsi toute la vigueur dont l'espèce humaine est capable. La nature en use précisément avec eux comme la loi de Sparte avec les enfants des citoyens ; elle rend forts et robustes ceux qui sont bien constitués et fait périr tous les autres ; différente en cela de nos sociétés, où l'État, en rendant les enfants onéreux aux pères, les tue indistinctement avant leur naissance. Le corps de l'homme sauvage étant le seul instrument qu'il connaisse, il l'emploie à divers usages, dont, par le défaut d'exercice, les nôtres sont incapables, et c'est notre industrie qui nous ôte la force et l'agilité que la nécessité l'oblige d'acquérir. S'il avait eu une hache, son poignet romprait-il de si fortes branches ? S'il avait eu une fronde, …»

    134. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…lancerait-il de la main une pierre avec tant de raideur ? S'il avait eu une échelle, grimperait-il si légèrement sur un arbre ? S'il avait eu un cheval, serait-il si vite à la course ? Laissez à l'homme civilisé le temps de rassembler toutes ses machines autour de lui, on ne peut douter qu'il ne surmonte facilement l'homme sauvage ; mais si vous voulez voir un combat plus inégal encore, mettez-les nus et désarmés vis-à-vis l'un de l'autre, et vous reconnaîtrez bientôt quel est l'avantage d'avoir sans cesse toutes ses forces à sa disposition, d'être toujours prêt à tout événement, et de se porter, pour ainsi dire, toujours tout entier avec soi. Hobbes prétend que l'homme est naturellement intrépide, et ne cherche qu'à attaquer, et combattre. Un philosophe illustre pense au contraire, …»

    135. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…et Cumberland et Pufendorff l'assurent aussi, que rien n'est si timide que l'homme dans l'état de nature, et qu'il est toujours tremblant, et prêt à fuir au moindre bruit qui le frappe, au moindre mouvement qu'il aperçoit. Cela peut être ainsi pour les objets qu'il ne connaît pas, et je ne doute point qu'il ne soit effrayé par tous les nouveaux spectacles qui s'offrent à lui, toutes les fois qu'il ne peut distinguer le bien et le mal physiques qu'il en doit attendre, ni comparer ses forces avec les dangers qu'il a à courir ; circonstances rares dans l'état de nature, où toutes choses marchent d'une manière si uniforme, et où la face de la terre n'est point sujette à ces changements brusques et continuels, qu'y causent les passions et l'inconstance des peuples réunis. Mais l'homme sauvage…»

    136. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…vivant dispersé parmi les animaux, et se trouvant de bonne heure dans le cas de se mesurer avec eux, il en fait bientôt la comparaison, et sentant qu'il les surpasse plus en adresse qu'ils ne le surpassent en force, il apprend à ne les plus craindre. Mettez un ours, ou un loup aux prises avec un sauvage robuste ; agile, courageux comme ils sont tous, armé de pierres, et d'un bon bâton, et vous verrez que le péril sera tout au moins réciproque, et qu'après plusieurs expériences pareilles, les bêtes féroces, qui n'aiment point à s'attaquer l'une à l'autre, s'attaqueront peu volontiers à l'homme, qu'elles auront trouvé tout aussi féroce qu'elles. A l'égard des animaux qui ont réellement plus de force qu'il n'a d'adresse, il est vis-à-vis d'eux dans le cas des autres espèces…»

    137. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…plus faibles, qui ne laissent pas de subsister ; avec cet avantage pour l'homme, que non moins dispos qu'eux à la course, et trouvant sur les arbres un refuge presque assuré, il a partout le prendre et le laisser dans la rencontre, et le choix de la fuite ou du combat. Ajoutons qu'il ne paraît pas qu'aucun animal fasse naturellement la guerre à l'homme, hors le cas de sa propre défense ou d'une extrême faim, ni témoigne contre lui de ces violentes antipathies qui semblent annoncer qu'une espèce est destinée par la nature à servir de pâture à l'autre. D'autres ennemis plus redoutables, et dont l'homme n'a pas les mêmes moyens de se défendre, sont les infirmités naturelles, l'enfance, la vieillesse, et les maladies de toute espèce ; tristes signes de notre faiblesse, dont les deux …»

    138. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…premiers sont communs à tous les animaux, et dont le dernier appartient principalement à l'homme vivant en société. J'observe même, au sujet de l'enfance, que la mère, portant partout son enfant avec elle, a beaucoup plus de facilité à le nourrir que n'ont les femelles de plusieurs animaux, qui sont forcées d'aller et venir sans cesse avec beaucoup de fatigue, d'un côté pour chercher leur pâture, et de l'autre pour allaiter ou nourrir leurs petits. Il est vrai que si la femme vient à périr l'enfant risque fort de périr avec elle ; mais ce danger est commun à cent autres espèces, dont les petits ne sont de longtemps en état d'aller chercher eux-mêmes leur nourriture ; et si l'enfance est plus longue parmi nous, la vie étant plus longue aussi, tout est encore à peu près…»

    139. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…égal en ce point, quoiqu'il y ait sur la durée du premier âge, et sur le nombre des petits, d'autres règles, qui ne sont pas de mon sujet. Chez les vieillards, qui agissent et transpirent peu, le besoin d'aliments diminue avec la faculté d'y pourvoir ; et comme la vie sauvage éloigne d'eux la goutte et les rhumatismes, et que la vieillesse est de tous les maux celui que les secours humains peuvent le moins soulager, ils s'éteignent enfin, sans qu'on s'aperçoive qu'ils cessent d'être, et presque sans s'en apercevoir eux-mêmes. A l'égard des maladies, je ne répéterai point les vaines et fausses déclamations, que font contre la médecine la plupart des gens en santé ; mais je demanderai s'il y a quelque observation solide de laquelle on puisse conclure que dans les pays, où cet art est le…»

    140. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…plus négligé, la vie moyenne de l'homme soit plus courte que dans ceux où il est cultivé avec le plus de soin ; et comment cela pourrait-il être, si nous nous donnons plus de maux que la médecine ne peut nous fournir de remèdes! L'extrême inégalité dans la manière de vivre, l'excès d'oisiveté dans les uns, l'excès de travail dans les autres, la facilité d'irriter et de satisfaire nos appétits et notre sensualité, les aliments trop recherchés des riches, qui les nourrissent de sucs échauffants et les accablent d'indigestions, la mauvaise nourriture des pauvres, dont ils manquent même le plus souvent, et dont le défaut les porte à surcharger avidement leur estomac dans l'occasion, les veilles, les excès de toute espèce, les transports immodérés de toutes les passions, les fatigues, …»

    141. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…et l'épuisement d'esprit, les chagrins, et les peines sans nombre qu'on éprouve dans tous les états, et dont les âmes sont perpétuellement rongées. Voilà les funestes garants que la plupart de nos maux sont notre propre ouvrage, et que nous les aurions presque tous évités, en conservant la manière de vivre simple, uniforme, et solitaire qui nous était prescrite par la nature. Si elle nous a destinés à être sains, j'ose presque assurer que l'état de réflexion est un état contre nature, et que l'homme qui médite est un animal dépravé. Quand on songe à la bonne constitution des sauvages, au moins de ceux que nous n'avons pas perdus avec nos liqueurs fortes, quand on sait qu'ils ne connaissent presque d'autres maladies que les blessures, et la vieillesse, on est très porté à croire…»

    142. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…qu'on ferait aisément l'histoire des maladies humaines en suivant celle des sociétés civiles. C'est au moins l'avis de Platon, qui juge, sur certains remèdes employés ou approuvés par Podalyre et Macaon au siège de Troie, que diverses maladies, que ces remèdes devaient exciter, n'étaient point encore alors connues parmi les hommes. Avec si peu de sources de maux, l'homme dans l'état de nature n'a donc guère besoin de remèdes, moins encore de médecins ; l'espèce humaine n'est point non plus à cet égard de pire condition que toutes les autres, et il est aisé de savoir des chasseurs si dans leurs courses ils trouvent beaucoup d'animaux infirmes. Plusieurs en trouvent-ils qui ont reçu des blessures considérables très bien cicatrisées, qui ont eu des os, et même des membres,…»

    143. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…rompus et repris sans autre chirurgien que le temps, sans autre régime que leur vie ordinaire, et qui n'en sont pas moins parfaitement guéris, pour n'avoir point été tourmentés d'incisions, empoisonnés de drogues, ni exténués de jeûnes. Enfin, quelque utile que puisse être parmi nous la médecine bien administrée, il est toujours certain que si le sauvage malade abandonné à lui-même n'a rien à espérer que de la nature, en revanche il n'a rien à craindre que de son mal, ce qui rend souvent sa situation préférable à la nôtre. Gardons-nous donc de confondre l'homme sauvage avec les hommes, que nous avons sous les yeux. La nature traite tous les animaux abandonnés à ses soins avec une prédilection, qui semble montrer combien elle est jalouse de ce droit.»

    144. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «Le cheval, le chat, le taureau, l'âne même ont la plupart une taille plus haute, tous une constitution plus robuste, plus de vigueur, de force, et de courage dans les forêts que dans nos maisons ; ils perdent la moitié de ces avantages en devenant domestiques, et l'on dirait que tous nos soins à bien traiter et nourrir ces animaux n'aboutissent qu'à les abâtardir. Il en est ainsi de l'homme même : en devenant sociable et esclave, il devient faible, craintif, rampant, et sa manière de vivre molle et efféminée achève d'énerver à la fois sa force et son courage. Ajoutons qu'entre les conditions sauvage et domestique la différence d'homme à homme doit être plus grande encore que celle de bête à bête ; car l'animal et l'homme ayant été traités également par la nature, toutes les commodités…»

    145. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…que l'homme se donne de plus qu'aux animaux qu'il apprivoise sont autant de causes particulières qui le font dégénérer plus sensiblement. Ce n'est donc pas un si grand malheur à ces premiers hommes, ni surtout un si grand obstacle à leur conservation, que la nudité, le défaut d'habitation, et la privation de toutes ces inutilités, que nous croyons si nécessaires. S'ils n'ont pas la peau velue, ils n'en ont aucun besoin dans les pays chauds, et ils savent bientôt, dans les pays froids, s'approprier celles des bêtes qu'ils ont vaincues, s'ils n'ont que deux pieds pour courir, ils ont deux bras pour pourvoir à leur défense et à leurs besoins ; leurs enfants marchent peut-être tard et avec peine, mais les mères les portent avec facilité ; avantage qui manque aux autres espèces, …»

    146. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…où la mère, étant poursuivie, se voit contrainte d'abandonner ses petits, ou de régler son pas sur le leur. Enfin, à moins de supposer ces concours singuliers et fortuits de circonstances, dont je parlerai dans la suite, et qui pouvaient fort bien ne jamais arriver, il est clair en tout état de cause que le premier qui se fit des habits ou un logement se donna en cela des choses peu nécessaires, puisqu'il s'en était passé jusqu'alors, et qu'on ne voit pas pourquoi il n'eût pu supporter, homme fait, un genre de vie qu'il supportait dès son enfance. Seul, oisif, et toujours voisin du danger, l'homme sauvage doit aimer à dormir, et avoir le sommeil léger comme les animaux, qui, pensant peu, dorment, pour ainsi dire, tout le temps qu'ils ne pensent point.»

    147. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «Sa propre conservation faisant presque son unique soin, ses facultés les plus exercées doivent être celles qui ont pour objet principal l'attaque et la défense, soit pour subjuguer sa proie, soit pour se garantir d'être celle d'un autre animal : au contraire, les organes qui ne se perfectionnent que par la mollesse et la sensualité doivent rester dans un état de grossièreté, qui exclut en lui toute espèce de délicatesse ; et ses sens se trouvant partagés sur ce point, il aura le toucher et le goût d'une rudesse extrême ; la vue, l'ouïe et l'odorat de la plus grande subtilité. Tel est l'état animal en général, et c'est aussi, selon le rapport des voyageurs, celui de la plupart des peuples sauvages. Ainsi il ne faut point s'étonner, que les Hottentots du cap de Bonne-Espérance découvrent, à la…»

    148. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…simple vue des vaisseaux en haute mer, d'aussi loin que les Hollandais avec des lunettes, ni que les sauvages de l'Amérique sentissent les Espagnols à la piste, comme auraient pu faire les meilleurs chiens, ni que toutes ces nations barbares supportent sans peine leur nudité, aiguisent leur goût à force de piment, et boivent des liqueurs européennes comme de l'eau. Je n'ai considéré jusqu'ici que l'homme physique. Tâchons de le regarder maintenant par le côté métaphysique et moral. Je ne vois dans tout animal qu'une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu'à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire, ou à la déranger. J'aperçois précisément les mêmes choses dans la …»

    149. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…machine humaine, avec cette différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l'homme concourt aux siennes, en qualité d'agent libre. L'un choisit ou rejette par instinct, et l'autre par un acte de liberté ; ce qui fait que la bête ne peut s'écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui serait avantageux de le faire, et que l'homme s'en écarte souvent à son préjudice. C'est ainsi qu'un pigeon mourrait de faim près d'un bassin rempli des meilleures viandes, et un chat sur des tas de fruits, ou de grain, quoique l'un et l'autre pût très bien se nourrir de l'aliment qu'il dédaigne, s'il s'était avisé d'en essayer. C'est ainsi que les hommes dissolus se livrent à des excès, qui leur causent la fièvre et la mort ; parce que l'esprit déprave les sens, et que…»

    150. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «…la volonté parle encore, quand la nature se tait. Tout animal a des idées puisqu'il a des sens, il combine même ses idées jusqu'à un certain point, et l'homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus au moins. Quelques philosophes ont même avancé qu'il y a plus de différence de tel homme à tel homme que de tel homme à telle bête ; ce n'est donc pas tant l'entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de l'homme que sa qualité d'agent libre. La nature commande à tout animal, et la bête obéit.»

    151. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes «L'homme éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre d'acquiescer, ou de résister ; et c'est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme : car la physique explique en quelque manière le mécanisme des sens et la formation des idées ; mais dans la puissance de vouloir ou plutôt de choisir, et dans le sentiment de cette puissance on ne trouve que des actes purement spirituels, dont on n'explique rien par les lois de la mécanique.»

More Related