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Le prix des médicaments: un enjeu de justice. Prof. Alex Mauron Institut d’éthique biomédicale. « Tous les médicaments gratuits devraient être efficaces et tous les médicaments efficaces devraient être gratuits » A. Cochrane. Dans la théorie économique classique….
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Le prix des médicaments: un enjeu de justice. Prof. Alex Mauron Institut d’éthique biomédicale
« Tous les médicaments gratuits devraient être efficaces et tous les médicaments efficaces devraient être gratuits » A. Cochrane
Dans la théorie économique classique… …le prix d’une denrée est à la fois: • une donnée qui coordonne l’offre et la demande de cette denrée • l’élément d’un système d’information concernant cette denrée, sa demande, sa production et sa consommation.
Qu’est-ce qu’un prix? Typiquement, c’est la somme qui correspond à l’échange d’une marchandise sur un marché libre: S= offre D= demande Quantité Sur un marché « idéal », la quantité Q1 sera achetée au prix P1, qui représentent le prix et la quantité d’équilibre, pour une demande donnée représentée par la courbe D1.
Au niveau microéconomique…. …le prix du médicament est très différent d’un « vrai » prix:
Parce que le « consommateur » (c’est-à-dire le patient) ne supporte pas lui-même la plus grande partie du fardeau financier lié à l’achat, quoique…. problème des coûts-patient • Parce que le « consommateur » ne choisit pas librement d’acheter ou non. • Parce que l’information n’est pas réellement transparente entre acheteur et vendeur. • Parce que l’acheteur véritable n’est pas le « consommateur » mais un acteur administratif ou politique, qui négocie un prix avec l’industrie pharmaceutique. Parce qu’un marché libre au niveau de l’usage final est structurellement incapable de remplir des objectifs de justice sociale dont relève l’accès aux médicaments efficaces.
Une génuflexion devant l’idole du marché: les coûts-patient Faire participer le patient au coût des médicaments = introduire des coûts-patient dans le système (franchise, pourcent à charge de l’assuré, médicaments efficaces non couverts, obstacles bureaucratiques à la prise en charge, etc.). Le coût-patient représentent un coût d’opportunité pour le patient: - met la dépense de santé en concurrence avec d’autres dépenses, surtout pour les classes défavorisées. - est un incitatif à ne pas se soigner. - est un incitatif à substituer un ttt bon marché inefficace à un ttt cher efficace. S’ils sont économiquement significatifs, les coûts-patient renforcent les inégalités d’accès aux soins de santé et accentuent le gradient socioéconomique en santé, lequel préexiste à ces inégalités.
Les déterminants sociaux de la santé Dans la plupart des sociétés contemporaines, il y une stratification sociale de la longévité et de la morbidité due à certaines pathologies courantes. (Marmot M., Status syndrome , 2004; Wilkinson R., The impact of inequality: How to make sick societies healthier, 2005.)
Hypothèses explicatives Plus on est au bas de l’échelle: - moins on exerce de contrôle sur son travail et ses conditions de vie, - moins on obtient de gratifications (matérielles et symboliques) de son activité quotidienne, - plus on vit mal les transitions porteuses de stress qui jalonnent tout parcours de vie. - Ces stresseurs ont des effets multiformes sur la santé (risque coronarien, syndrome métabolique, etc.: Brunner E. Biology and health inequality. PLoS Biology 2007;5:e267)
Au niveau microéconomique, l’idée de faire supporter au patient les coûts d’opportunité liés à l’achat de médicaments relève d’une triple superstition politique: • Que le marché règle tous les problèmes par miracle • Que les coûts de la santé sont en bonne partie imputables aux comportements « irresponsables » des individus. • Que les coûts-patients permettent des économies en « mordant » sur le superflu plutôt que sur le nécessaire.
Une menace pour l’assurance-maladie Des coûts-patients significatifs mettent en danger le fondement prudentiel et éthique de l’assurance-maladie et affectent particulièrement ceux pour qui l’assurance est la plus indispensable: les malades chroniques et les personnes à petits revenus. (Hurst S, Danis M : Indecent Coverage? Protecting the Goals of Health Insurance from the Impact of Co-Payments.Cambridge Quarterly of Healthcare Ethics. 2006;15(1):107-13.)
Conclusion 1 Les médicaments efficaces doivent être gratuits en ce sens que leur coût d’opportunité pour l’usager final doit être faible ou nul (plus exactement, et en termes économiques, l’élasticité-prix de la demande d’un médicament efficace devrait être nulle). Mais… la notion d’efficacité risque de faire l’objet d’un débat politique: cf. l’initiative visant à inscrire les médecines pataphysiques dans la Constitution fédérale.
Au niveau macroéconomique… …le prix du médicament est une réalité qui informe effectivement les choix des décideurs économiques: • CEO d’une pharma: quel médicament puis-je espérer produire en grade quantité avec une forte marge bénéficiaire? • Ministre de la santé: ma population a tels besoins en médicaments, comment les couvrir au meilleur prix?
Pourtant, même au niveau macro, le prix du médicament est un objet relativement mal défini: sa composante « noble » (recherche, coûts de fabrication) est minoritaire.
Promotional spending on prescription drugs, l996-2002 Source: NIHCM, 2001
Drug company jobs in marketing and research, 1995-2000 # Jobs Source: PhRMA Industry Profile 2000; percentages calculated by Sager and Socolar
Profitability of drug industry, l993-2000 2.8% • Source: Public Citizen update of Stephen W. Schondelmeyer calculation, Competition and Pricing Issues in the Pharmaceutical Market, PRIME Institute, University of Minnesota based on data found in Fortune magazine, 1958 to 1999; Fortune magazine, April 2000, Fortune 500 (www.fortune.com).
Qui contrôle les contrôleurs? • Le débat global sur le prix des médicaments est éminemment politique • Exemple: En 2003 le commissaire de la FDA Mark McClellan participe à un campagne de propagande de l’industrie pharmaceutique américaine. Il s’agit de persuader le bon peuple que les Canadiens et les Européens sont les resquilleurs de l’innovation thérapeutique, car ils ne payent pas « assez » pour leurs médicaments et ce sont donc les citoyens étatsuniens qui financent la recherche à leur place.
En réalité, il s’avère que le prix des médicament dans chaque marché individuel des pays développés couvre largement les coûts de la recherche imputables à l’industrie… • … d’autant plus que c’est le contribuable qui paye l’essentiel de la recherche biomédicale, soit directement, soit par le biais de rabais d’impôts consentis à l’industrie (surtout aux US). « High American prices are essentially monopoly rents charged to employers in every other industry. They shift profits from other industries to the drug industry » (Light & Lexchin, The American Journal of Bioethics 4(1):W1-W4, 2004).
Le prix du médicament est un prix administré, donc un prix politique négocié entre acteurs qui ont des intérêts divergents. Chacun des partenaires dans ce bras de fer a intérêt à faire croire que c’est « son » explication du prix qui est la bonne.
Une prise d’otage à grande échelle Most industries view research and development as something they must do to stay one step ahead of the competition (…) If they fail to innovate, they risk obsolescence and decline. « If we don’t spend our money on research and development, we will die », I’ve heard more than one chief executive officer say to stockholders at an annual meeting. The drug industry stood this corporate mantra on its head. « If we don’t get your money to spend on research and development, you’ll die ». Merril Goozner: The $800 Million Pill. The Truth behind the Cost of New Drugs. Berkeley: 2004.
Quelles réponses au problème ? Les systèmes d’incitatifs macroéconomiques en matière de médicaments sont très complexes et controversés: - Politiques différentielles du prix du médicament. - Suspension de la propriété intellectuelle sur les médicaments destinés aux problèmes de santé prioritaires des pays pauvres. - Partenariats public-privé autour des maladies négligées. - Traiter les résultats de la recherche comme un bien public, couplé avec un incitatif liant le bénéfice pour l’industrie pharmaceutique à l’impact de ses produits sur le « global burden of disease ». (Pogge TW: Human rights and global health. Metaphilosophy 2005;36:182-209) - Etc.
Conclusion 2 Au niveau macro, dans un monde où les marchés sont globalisés, le médicament ne saurait être gratuit, car il joue un rôle essentiel dans l’allocation des ressources en matière d’innovation et de production de médicaments. Le prix « macroéconomique » du médicament est également un prix politique. Agir sur les prix des médicaments par des incitatifs qui intègrent des priorités d’éthique sociale (santé publique et internationale) est possible, mais demande un effort concerté de nombreux acteurs.