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Les droits des migrants en droit international et en droit canadien. François Crépeau Professeur Hans et Tamar Oppenheimer de droit international public Université McGill. Plan. La migration: une constante complexe Les droits du migrant Le contrôle des migrations irrégulières
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Les droits des migrants en droit internationalet en droit canadien François Crépeau Professeur Hans et Tamar Oppenheimer de droit international public Université McGill François Crépeau McGill-Barreau 2010
Plan • La migration: une constante complexe • Les droits du migrant • Le contrôle des migrations irrégulières • Conclusion: rôle des avocats François Crépeau McGill-Barreau 2010
Section 1.La migration: une constante complexe François Crépeau McGill-Barreau 2010
Un phénomène complexe • Un transfert économique. • Un facteur de développement. • Un objectif démographique. • Un enjeu du discours politique et identitaire. • Un vecteur de transformation sociale. • Un vecteur de métissage culturel. • Un défi à la souveraineté territoriale. • Un enjeu sécuritaire. • Un phénomène clandestin. • Un parcours individuel dans des espaces sociaux. François Crépeau McGill-Barreau 2010
Nous sommestous des migrants • La migration estuneconstante de civilisation: • La migration est au coeur des récitsfondateurs des civilisations (Exode, Odyssée, Hégire) • L’asile est une tradition immémoriale, trans-civilisationnelle, liée à la grande loi d'hospitalité • La sédentaritéest un étatrécent et instable: nomades; pélerinages; exode rural; travailleurssaisonniers; retraitesdans le sud; “snowbirds”; étudiantsinternationaux; expats; etc. François Crépeau McGill-Barreau 2010
La migration estuneconstante • 3% de la population mondialeestmigrante: 214M • La migration des zones de pauvreté et de violence vers les zones de prospérité et de stabilitéestinéluctable: • nous pouvons la freinertemporairement avec des mesures de dissuasion et de prévention, • mais pas la stopper durablement • Nous ferions la même chose à leur place • Les migrations irrégulièresactuellessont le résultat : • De nosbesoinséconomiques non-reconnus de main d’oeuvre • Des besoinsd’émigrationdus aux déséquilibresplanétaires • Nospolitiques de contrôlemigratoire François Crépeau McGill-Barreau 2010
Conflit de paradigmes Le migrant illustre le conflitouvert entre: • Paradigme de souverainetéterritoriale: • Étathôtedécide qui entre et reste, qui fait partie du groupe (les citoyens) • L’étrangern’aaucun droit a priori dans le pays hôte: seulementdans son pays d’origine (attributs de la citoyenneté) • Étathôtetraitel’étrangercommeil le souhaite (discrétion administrative), au risque de réciprocité François Crépeau McGill-Barreau 2010
Conflit de paradigmes • Paradigme des droits humains: • Chacun a des droitsopposables à tout Pouvoir • Étathôtedoit respecter droits de tous, partout, en tout temps • Rédacteurs du système international des DH n’ont pas imaginéque les migrants pourraients’enservir: les Étatsont le sentiment d’avoirété “piégés” par leurs engagements internationaux François Crépeau McGill-Barreau 2010
Section 2.Les droits du migrant François Crépeau McGill-Barreau 2010
1. Le citoyen est seul titulaire de deux droits Pacte international relatif aux droits civils et politiques • Article 25 :Le droit de prendre part à la direction des affaires publiques, le droit de vote et d’être élu • Article 12(4) :Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d'entrer dans son propre pays Chartecanadienne des droits et libertés • Article 3 : Droit de vote et d’être élu, • Article 27 : Droit à une éducation en langue minoritaire • Article 6 : Droit d’entrer et de rester au Canada François Crépeau McGill-Barreau 2010
2. L’étranger est titulaire de tous les autres droits Pacte international relatif aux droits civils et politiques • Article 2(1) : “[…] garantir à tous les individusse trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence […]” • “Nul” Chartecanadienne des droits et libertés • Article 1 : garantie des droits et libertés de “chacun” • Sousréserve des restrictions justifiablesdansunesociétélibre et démocratique François Crépeau McGill-Barreau 2010
Dans Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, « chacun » a été défini comme signifiant: « tout être humain qui se trouve au Canada et qui, de ce fait, est assujetti à la loi canadienne » • Un demandeur d’asile a obtenu que tout un chapitre de la Loi sur l’immigration soit déclaré inconstitutionnel. • Jeffrey Simpson n’en est jamais revenu! François Crépeau McGill-Barreau 2010
3. L’étrangeresttitulaire du droit à l’égalité Pacte international relatif aux droits civils et politiques • Articles 2 et 26 : “sans distinction aucune, notamment […] d’originenationale” Chartecanadienne des droits et libertés • Article 15 : “chacun” a droit à “l’égale protection et l’égalbénéfice de la loi sans discrimination […] fondéesur […] l’originenationale […]” • L’interprétation de ce droit estdifficile et les tribunauxévitent encore de se lancer dans des analyses complexes, se référantsouvent au traditionnel adage selonlequell’immigrationest un privilège. François Crépeau McGill-Barreau 2010
4. L’étranger a droit à un recours Pacte international relatif aux droits civils et politiques • Article 2(3)a) :“[…] toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d'un recours utile […]” Chartecanadienne des droits et libertés • Article 24 : “Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances” François Crépeau McGill-Barreau 2010
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés a vu presque tous les appels de jure être remplacés par des contrôles judiciaires sur permission. • En particulier, les décisions de refus du statut de réfugié, très souvent fondées sur les faits ou la crédibilité du témoignage, ne peuvent faire l’objet d’aucun appel sur les faits, alors même que les conséquences peuvent être plus graves que celles d’un procès criminel. François Crépeau McGill-Barreau 2010
5. L’étranger ne peutêtrerenvoyévers la persécutionou la torture Convention de Genève sur le statut des réfugiés (1951) • Article 33(1) :Principe de non-refoulement du réfugié • Article 33(2) :Exception sécuritaire Convention des Nations Uniescontre la torture (1984) • Article 3 : Interdiction du renvoi de toute personne vers la torture • Aucune exception, même en cas de guerre François Crépeau McGill-Barreau 2010
En Europe, le renvoi vers la torture est absolument prohibé: CEDH, Saadi c. Italy, Requête no. 37201/06, jugement du 28 février 2008. • Le Canada a été horrifié d’être condamné pour « torture »: Khan c. Canada, Communication No. 15/1994 : Canada. 18/11/94, CAT/C/13/D/15/1994. • Le Canada autorise le renvoi vers la torture dans des « cas exceptionnels »: Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1 • Le Canada renvoie vers la torture: Dadar c. Canada, Communication No. 258/2004 : Canada. 05/12/2005, CAT/C/35/D/258/2004. François Crépeau McGill-Barreau 2010
6. L’enfantétranger ne peutêtrediscriminé Convention sur les droits de l’enfant (1989) • Article 2(1) :“[…] garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de […] leur origine nationale […] ou de toute autre situation ” • Article 2(2) :“[…] l'enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille” • Article 3 :“Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ” François Crépeau McGill-Barreau 2010
À Montréal, contrairement à Toronto, les écoles demandent les documents d’immigration des parents. • Dans un hôpital pédiatrique de Montréal, les gestionnaires ont demandé aux soignants de dénoncer les familles migrantes en situation irrégulière aux autorités d’immigration. François Crépeau McGill-Barreau 2010
7. Le réfugié a droit à une protection spécifique • Est réfugiée toute « personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays de sa nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». • La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés reprend cette définition de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés et y ajoute les personnes qui risquent la torture en cas de retour dans leur pays, en application de la Convention des Nations Unies contre la torture de 1984. François Crépeau McGill-Barreau 2010
Dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême a reconnu la possibilité que le Canada reconnaisse comme réfugié un citoyen du Royaume Uni. François Crépeau McGill-Barreau 2010
7. Le travailleur migrant a droit à la dignité • Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille(1990) • Ouverte à la signature en 1990, entrée en vigueur en 2003. • AucunÉtat du “Nord global” ne l’aratifiée. • Pourtant, elle ne fait trèssouventquespécifier, pour les migrants, les modalités des droits qui leurssontreconnus par des instruments généraux. • Son principal “défaut” est de spécifier les droits des travailleurs migrants en situation irrégulière, auxquels les Étatshôtes ne veullentreconnaîtreaucun droit, alorsmêmeque le travail irrégulier fait partie des stratégies de compétitivitééconomique. François Crépeau McGill-Barreau 2010
8. Même dans un contexte sécuritaire, le migrant a des droits • Charkaoui c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 R.C.S. 350: • « De nombreux principes de justice fondamentale ont été élaborés dans le cadre de causes criminelles. Cependant, leur application ne se limite pas à ce type de cause : ils s’appliquent dès lors que l’un des trois droits protégés est en jeu. Autrement dit, les principes de justice fondamentale s’appliquent aux instances criminelles, non pas parce qu’il s’agit d’instances criminelles, mais parce que le droit à la liberté y est toujours en jeu. » • « Le principe primordial de justice fondamentale applicable ici est le suivant : l’État ne peut détenir longtemps une personne sans lui avoir préalablement permis de bénéficier d’une procédure judiciaire équitable […] » François Crépeau McGill-Barreau 2010
Dans deux décisions récentes relative à M. Harkat (2009 FC 553, 28 May 2009; 2009 FC 659, 23 June 2009), le juge Noël a vertement réprimandé les autorités pour des comportements inadmissibles: • Le SCRS a « oublié » de mentionner qu’une source importante du dossier contre M. Harkat était peu fiable, alors qu’aucun contre-interrogatoire n’est possible. • Quelques semaines plus tard, une perquisition matinale en règle du domicile de M. Harkat a été jugée abusivement intimidante. • Le juge Noël ne traite pas ici l’étranger différemment du citoyen et sa colère froide envers les abus de pouvoir des autorités est impressionnante. François Crépeau McGill-Barreau 2010
Section 3.Le contrôle des migrations irrégulières François Crépeau McGill-Barreau 2010
Les États ont mis en place tout un dispositif de lutte contre les migrations irrégulières • Des mesures de dissuasion • Des mesures de prévention (“containment”) • Plus récemment, la migration irrégulière est devenue partie intégrante du discours sécuritaire: • Sécurité intérieure dès 1990: Schengen • Sécurité internationale après septembre 2001 François Crépeau McGill-Barreau 2010
Les mesures de dissuasion • L’accélération des procédures d’asile • L’élimination des appels: “crédibilité” et SAR • L’accès difficile au marché du travail • La réduction de l’aide juridique et de la protection sociale • La criminalisation de toute aide à la migration irrégulière • Des pénalités irréalistes pour le trafic de migrants • Les accord de tiers pays sûr • L’accroissement de la détention François Crépeau McGill-Barreau 2010
Les mesures de prévention • Le régime des visas • Les sanctions contre les transporteurs • La formation du personnel aux frontières • La création de “zones internationales” dans les aéroports • Les mécanismes d’interdiction et d’interception hors frontières • Le renseignement de sécurité d’immigration • L’échange entre bases de données nominatives • Les conditionalités de la coopération économique régionale • La militarisation des frontières et des mers • L’externalisation de l’asile • Le rejet du droit international des droits de l’homme François Crépeau McGill-Barreau 2010
L’agenda de “sécurisation” des flux migratoires • La migration fait désormaispartie du risquesécuritaireproclamé et perçu. • Les contrôlesmigratoires font partie du phénomène de “sécurisation de l’espace public”. • Pensons aux certificats de sécurité qui permettent de détenir sans accusation durantplusieursannées • Denombreusespratiquesadministratives ne font l’objetd’aucuncontrôle, car hors de portée des juges, des ONGs et des médias. François Crépeau McGill-Barreau 2010
Critiques de cettedérivesécuritaire • L’entréeirrégulièren’est pas un crime: nicontre les personnes, nicontre la propriété • L’utilisation de réseaux de passeursestnécessairelorsque les voiesrégulières ne sont pas disponibles. Elle a toujoursexisté: Juifsallemands (Casablanca!), Républicainsespagnols (Astérix en Hispanie!), Indochinois, Haïtiens, etc. • L’immensemajorité des migrants irréguliers ne pose aucunproblème de sécurité. Au pire, un problème de petite criminalité qui n’est pas différent du reste de la population comparable. • Aucune mort de faim: tous les migrants irrégulierstravaillent et remplissent des fonctionséconomiques et socialesessentielles: agriculture, hôtellerie, services de santé, service à domicile, etc. Cette main-d’oeuvre contribueefficacement à la compétitivité de noséconomies et les employeurs ne sontgénéralement pas inquiétés par unelutteefficacecontrel’emploiirrégulier François Crépeau McGill-Barreau 2010
Critiques de cettedérivesécuritaire • Les terroristes du 11 septembre 2001 n’étaient pas des migrants irréguliers: ilsavaienttous des visas. • Comme pour la contrebande, l’essentiel de la luttecontre la migration irrégulièrecriminalisée ne peut se faire à la frontière, mais par le renseignement de sécurité (“immigration intelligence”). • Toutes les mesuresdissuasives de l’immigrationirrégulièresontgénéralementinefficaces car elles ne répondent pas à la motivation profonde de cette migration: l’absenced’avenir pour soi et sesenfants. • Malgré la désignation de criminalitéinternationale, les mesuresrépressives de l’immigrationirrégulièreont plus pour objet de désigner un bouc-émissairemédiatiqueque de lutterefficacementcontre le crime. François Crépeau McGill-Barreau 2010
Conclusion:Les rôles du judiciaire, du politique et de la sociétécivile François Crépeau McGill-Barreau 2010
Il ne faut pas d’abordattendre la protection des droits des étrangersni du pouvoirexécutif, ni du pouvoirlégislatif: • Ilssont de bonsboucsémissaires des maux de nossociétés • Ils ne votent pas: ilssontpolitiquementinsignifiants • Ils se plaignentpeu : ilssontjuridiquementinsignifiants • Dansbiend’autrescas, la protection des droits de populations vulnérablesn’est pas venu des gouvernements, mais des tribunaux: ouvriers, femmes, autochtones, minorités, détenus, gais et lesbiennes, tous se sontbattusdevant les tribunauxcontre les gouvernements et contre les opinions publiques. François Crépeau McGill-Barreau 2010
Il y a donc un travail de fond pour la sociétécivile et les avocats: saisir les tribunaux pour luttercontre des pratiquesinacceptables et pour informer l’opinionpublique • Réconcilier les préoccupationssécuritaires (paradigme de la souverainetéterritoriale) avec la protection effective des droits de chacun (paradigme des droits humains) • Faire comprendreque la protection des droits de tousestuneprécondition de légitimité des actions sécuritaires. François Crépeau McGill-Barreau 2010