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L’orientalisme: Les vices cachés de l’Occident. http://www.international.ucla.edu/media/images/tales-2matrix.jpg. Guy Lanoue, Université de Montréal, 2011-2014.
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L’orientalisme: Les vices cachés de l’Occident http://www.international.ucla.edu/media/images/tales-2matrix.jpg Guy Lanoue, Université de Montréal, 2011-2014
L’orientalisme dans son premier sens se réfère à un mouvement artistique et littéraire surtout populaire en France (mais certainement avec des échos ailleurs) populaire dans la 2e moitié du 19e siècle. Son sujet, l’Orient surtout dans son sens du Moyen Orient (le mouvement s’apparentait à l’Égyptologie), était sélectionné pour souligner les aspects exotiques de cette région. Pour eux, comme pour les Romains, l’Orient commence aux Balkans. En fait, le critère saillant est culturel, car ce sont largement des cultures musulmanes qui se font orientalisées. On ajoute donc des sujets de l’Afrique du Nord, qui n’est aucunement l’Orient pour la France. Pour les Anglais, cela inclut l’Inde. Plus tard, avec l’expansion coloniale vers la Chine et l’Indochine, on y ajoute l’Asie et la Polynésie. On a tendance aujourd’hui à diaboliser ce mouvement pour sa simplification de l’Autre, oubliant que plusieurs aspects des cultures orientales étaient admirés, pourvu qu’ils fussent dénaturés et décontextualisés par la distance. Combien d’aspects de l’esthétique victorienne et d’empire ont incorporé des «chinoiseries»? Intérieur victorien, avec tapis, rideaux et tapisserie ayant des motifs orientaux. http://3.bp.blogspot.com/_o-JtoYkb2Bc/St0mK-KY3hI/AAAAAAAABqc/5EBFb1a1qT4/s400/aesthetic_interiors.com+victorian.jpg
L’orientalisme trace ses origines au mythe d’Europa. Comme la légende romaine qui précise des origines orientales pour le lignage de Romulus, Europa, selon la mythologie grecque, est une Phénicienne noble (donc, étrangère et appartenant à un group rival). Il y a plusieurs versions, mais la plus répandue, et une de plus récentes (500 a.J.-C.) serait que Zeus assume la forme d’un taureau et la séduit (ou la violé)* et l’amène à Crète (pays du taureau sacré) sur son dos, où il révèle sa vraie identité. Il lui donne des cadeaux, et elle est couronnée la Reine de Crète. À gauche, Europa et Zeus, version «conventionnelle», d’après un portrait grec de l’époque classique. À droit, version plus érotique, de Félix Valloton, 1908. Voir M. Dumoulin (dir.), Europa. L’idée et l’identité européennes, de l’Antiquité grecque au XXIe siècle, 2001. http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/0c/Europa_auf_dem_Stier.jpg http://www.jahsonic.com/FelixVallotton.jpg * Dans la littérature antique, le viol, le rapt (comme dans le cas des Romains et les femmes sabines) et la séduction sont souvent la même chose. La grande majorité des représentations d’Europe la montre comme assise délicatement sur le dos de Zeus, signalant son accord avec l’enlèvement, avec sa main qui tient une seule corne phallique du taureau. En fait, Europa femme phénicienne de Tyr, n’a jamais visité les terres qui portent son nom, sauf pour la Crète, qui est à la frontière extrême orientale et méridionale du continent. Selon Dumoulin, l’histoire du rapt serait une métaphore des efforts pour tracer la frontière avec l’Asie. http://www.historyforkids.org/learn/greeks/religion/myths/europa.jpg
L’empire grec, nous le savons, avait de rapports importants et de filiales en Asie. Les Grecs eux-mêmes, comme de fait tous les peuples indo-européens, sont d’origine «asiatique» (en fait, Homère les appelle «Achéens», car le mot «Grec» à l’époque était utilisé pour une seule tribu). Reste la question du pourquoi les Grecs ont voulu investir dans un mythe du type fondateur qui reconnait et ne cache pas l’origine orientale de l’Europe. http://3.bp.blogspot.com/_eW4wfX_JPKA/TBrPwm2czMI/AAAAAAAAAq8/I_-2UQyeaHU/s1600/greek-alphabet-1.jpg http://www.phoenician.org/alphabet_phoenician.GIF Je crois, comme Dumoulin, que le mythe d’Europa e de Zeus est une tentative de tracer de frontières là où il avait énormément de contacts commerciaux et politiques. Il y a de plus. Les Grecs, anciennement bergers et éleveurs (Homère le mentionne à maintes reprises), bénéficièrent de l’alphabétisation venue des Phéniciens par Cadmos le frère d’Europa, ce qui les permet d’ériger un appareil étatique, dont l’œuvre principale était de fonder des colonies semi-indépendantes, créant ainsi un commerce international qui devient la base du pouvoir des Grecs. Ils sont donc largement orientés vers l’Asie et non vers l’Europe, car ce sont les Phéniciens fondateurs de Carthage qui dominent la Méditerranéenne occidentale. Il est donc possible que la question de frontières assume une importance primordiale, car l’engin symbolique qui fait fonctionner la machine grecque est au fond oriental.
Je crois que ce qui est considéré une simple parenthèse dans l’histoire d’Europa est en fait d’une importance capitale pour définir l’orientalisme contemporain. Après l’enlèvement, le père d’Europa envoie son fils Cadmos (frère d’Europa, logiquement) à la recherche de sa sœur. Il n’arrivera jamais à la trouver, mais ses errances en Grèce l’amènent à fonder une ville qui va devenir un des symboles clés de la Grèce antique, Thèbes (bien qu’il ne l’a pas baptisé avec ce nom). Thèbes est la ville principale de la région de Béotie, qui est aussi la région des Grecs, la tribu qui a donné son nom aux peuples de la péninsule. Thèbes devient célèbre au 19e siècle quand un certain médecin autrichien devenu psychanalyste va baser ses théories de la psyché sur la mythologie de la ville, la légende du Sphinx (une femelle, ne l’oublions pas, qui était gardienne de Thèbes), d’Œdipe et de Jocaste sa mère qu’il épousera après avoir tué son père Laïos. L’orientalisme, qui nait 20 siècles a.J.-C. avec la légende d’Europa (situé par les Grecs 1000 ans avant les évènements de l’Iliade), signale deux grandes dynamiques: 1) l’interpénétration de deux mondes et les tentatives de définir une frontière «pénétrable», et 2) la féminisation de la «chose publique», la res pubblica, la république, la communauté imaginée (pour reprendre les mots de Benedict Anderson, Imagined Communities, 1983), pour souligner sa faiblesse et pour autoriser l’idée de l’intervention «masculine». Ces deux thèmes deviennent inséparables avec la modernité psychanalytique. Au 19e siècle, le colonialisme va «masculiniser» le Nous et féminiser l’Autre qui, jadis, était une entité masculine qui menaçait de pénétrer l’Europe depuis l’époque de la chute de l’Empire. Œdipe et le sphinx, Gustave Moreau, 1864, capte bien le courant sexuel entre les deux, qui anticipe les évènements à venir, le mariage d’Œdipe avec sa mère. http://jssgallery.org/other_artists/gustave_moreau/Oedipus_and_the_Sphinx.jpg
Il ne faut pas oublier l’influence énorme du Japon (le japonisme) et de la Chine sur la porcelaine (en Anglais, «china») et sur le design européen. http://www.benjanssens.com/2007/maastricht/73_porcelain-jar.jpg http://www.creativepossibilitiesuk.com/userimages/chinoiseries.JPG Porcelaine chinoise Porcelaine japonaise http://www.designyourowndraperies.com/cm_files/store/product_fullsize/Mancelona-Porcelain-lg.jpg Même des textiles qui allaient devenir populaires auprès du style liberté (Art nouveau) sont influencés par les motifs orientaux exportés vers l’Occident avec la porcelaine. http://www.e-yakimono.net/guide/kato-hajime-porcelain-GB.jpg
L’orientalisme est associé à ce mouvement littéraire et surtout artistique du 19e siècle, mais il a certainement des antécédents, cars les Vénitiens, parmi d’autres empires européens, étaient en contact avec l’Orient depuis des siècles (on pense à Marco Polo, Livres des merveilles du monde, 14e siècle, qui décrit ses aventures sur la Route de la soie et dans la cour de Kublai Khan; ce livre devient un trope pour l’aventure orientale, par exemple le livre d’Umberto Eco, Baudolino, 2000). Voir Chris Bongie, Exotic Memories: Literature, Colonialism, and the Fin de Siècle, 1991, qui parle de l’Orient et les œuvres de Jules Verne, Pierre Loti, Victor Segalen, Joseph Conrad, etc., et David Lucking, Conrad’s Mysteries: Variations on an Archetypal Theme, 1986, qui explore Conrad et la dimension mythique et même ésotérique. Au 20e siècle, l’«orientalisme» devient synonyme pour la diabolisation et l’asservissement de l’Autre, utilisant les techniques psychoculturels (appelé, parfois, l’hégémonie) de la gouvernance moderniste: manipuler les images et les signifiés du quotidien pour créer et renforcer une hiérarchie de valeurs qui souligne tacitement la puissance et la domination de l’idéologie occidentale. http://www.cais-soas.com/CAIS/Images2/Maps/SilkRoad1.jpg
En 1853, un Irakien d’origine assyrienne Hormuzd Rassam mais éduqué en Angleterre, engagé par l’archéologue anglais A.H. Layard, a découvert la « bibliothèque » du roi néo-assyrien Assurbanipal (c.669 – 631 ou 626 av.-J.C), dont le palais était à Ninive, Mésopotamie (aujourd’hui, un quartier de Mossoul, Irak, sur les rives du Tigre). Layard est à Londres au moment de la découverte; Rassam est en charge. Parmi les tablettes d’argile, dans une langue inconnue écrite en cunéiforme, il trouve une version de l’Épopée de Gilgamesh, texte akkado-babylonien basé sur les exploits de Bilgamesh, 5e roi d’Uruk, ville sumérienne, l’Erech biblique. On découvre plus tard que les premières versions de ce récit s’inspirent de textes sumériens du 3e millénaire – une histoire, donc, avec une renommée de 2000 ans. C’est le premier texte littéraire de l’histoire, car les Sumériens n’ont pas seulement inventé le cunéiforme, ils ont inventé l’écriture. C’est une découverte phénoménale, car l’épopée contient une version du déluge biblique, qui démontre que la version israélite n’est qu’une copie d’un texte beaucoup plus ancien, et que le récit, ayant deux sources, est possiblement inspiré de faits vrais.
Vingt ans plus tard, George Smith, un génie travaillant comme commis au British Museum, commence à déchiffrer ces signes cunéiformes. Prolétaire d’origine, il meurt dans l’oublie, mais Rassam, désormais vivant en Angleterre et directeur de plusieurs fouilles pour le Musée, vit assez long pour être accusé par le nouveau directeur E.A. Wallis Budge d’être incompétent et possiblement un voleur qui vendait des objets archéologiques. Rassam fait procès. Il gagne une victoire pyrrhique, car le tribunal le dédommage seulement 50 livres, une insulte. Sa réputation est ruinée. Il se retire, mais ne peut plus publier ses livres. Son nom est rayé des guides du musée. Pour l’histoire officielle, Rassam serait toujours un « employé local » de son ami Layard, « a common sort of Levantine », comme a témoigné un professeur allemand au procès. Même deux ans après la mort de Rassam, Budge publie un livre sur l’histoire de l’assyriologie où il cite le commentaire dédaigneux et raciste. Voilà l’autre visage de l’orientalisme: un outil de l’hégémonie.
Le nationalisme occidental qui émerge au moitié du 19e siècle préférait postuler des origines grecques plutôt que romaines, car les Grecs étaient ethniquement homogènes et donc plus « nationales » selon un modèle européen, comparés aux Romains, qui ignoraient l’ethnicité pour créer une communauté purement politique basée sur la citoyenneté. L’intérêt dans les classiques grecs alimente l’appétit pour les fouilles en Mésopotamie (en en Égypte). Une source importante pour les Européens, Hérodote, (Histoires, Tome I:199, dans un passage cité à maintes reprises), décrit une coutume où les Babyloniennes étaient obligées à se vendre à un inconnu dans le temple local, au moins une fois dans leur vie. Les femmes belles accomplissaient leur devoir après un seul jour, mais les moins mignonnes étaient souvent obligées d’attendre jusqu’à trois ou quatre ans avant qu’un homme les choisisse. Les femmes qui recevaient un prix plus élevé finançaient les dots de femmes moins désirées. Edwin Long, 1875, The Babylonian Marriage Market; inspiré non seulement d’Hérodote mais par des objets assyriens récemment trouvés par les archéologues. Considérés « véridique » au niveau des détails, l’histoire de base est complétement inventée.
Gyula Tornai – The Connaisseurs (1892)* L’Orientalisme se distingue surtout par son sujet, l’orient exotique. Les sous-textes parfois appuient la position extrême de Edward Said, Orientalism, 1978; ici, on voit des «Orientaux» qui visionnent une œuvre orientaliste, perplexes et émerveillés, comme si la dimension visuelle leur était totalement inconnue. On voit, également l’utilisation de couleurs fortes et de soleil lumineux, et une attention particulière à l’habillement des «Orientaux», des traits qui vont devenir la marque de commerce de ce style. * Notez que les titres qui suivent sont parfois approximatifs, car les œuvres sont parfois connues sous plusieurs noms, qui, souvent, ont été attribués par des marchands et des galeristes, plus sensibles au marché qu’au sujet.
Jean-Léon Gérôme, Le marché d’esclaves (1871)L’impact de cette représentation, à part de la belle femme nue à gauche, est certainement dû au dégout avec le sujet annoncé par le titre, car les Européens se félicitaient toujours pour avoir aboli l’esclavage 50 ans auparavant (nous sommes 5 ans après la guerre de Sécession aux États-Unis). Ici, nous voyons une première stratégie pour représenter l’Orient: se concentrer sur une dimension exotique pour la sexualiser.
Leopold Carl Muller, Primary School in Upper Egypt (1881)Notez que l’artiste présente une activité banale, mais fondamentale, l’éducation, pour souligner les conditions précaires et primitives (représentées par le bâton du professeur). C’est l’époque où on établit, en Europe, l’idée de l’éducation standardisée et «scientifique».
Jean-Léon Gérôme, Charmeur de serpent (1880) Plusieurs ont noté la nudité du petit gars pour suggérer que l’artiste voulait proposer ou souligner une vision pervertie de l’Orient, mais notez le détail exquis de la calligraphie arabe que l’artiste a choisi d’immortaliser. Même sans connaitre les détails de la vie de Gérôme, ceci suggère une certaine admiration pour le sujet «oriental». Cependant, cette admiration sans doute sincère n’empêchait que ces artistes et écrivains sexualisent l’Orient. Cela faisait partie inconsciente de l’économie politique de l’esthétique de l’époque.
Gérome, Charmeur de serpent (détail) Une autre ambigüité: comme est souvent le cas avec le style orientalisant, les détails naturels ou architecturaux semblent dominer les personnes. Ceci est une autre stratégie visuelle de la culture de l’orientalisation, c.-à-d., présenter les individus dans une position subordonnée et assujettie à leur environnement.
Vasily Vereshchagin, Dervishes in Tashkent (c.1880) Une variation de la technique précédente, où l’individu est soit dominé soit caché par ses vêtements ou par la perspective sélectionnée par l’artiste.
Vasily Vereshchagin, Throne Room at the Shah Jahan Fort in Delhi (c.1885) • Notez ici l’utilisation d’une perspective très bizarre, où le plan central de l’espace sous les arches disparait vers l’arrière-plan de façon conventionnelle (selon les canons de la perspective linéaire), bien qu’exagérée, mais le toit suit toute une autre géométrie, et l’édifice est orienté sur un troisième axe, pour créer un effet visuel plutôt dérangeant, un genre de tension subtile qui devient une métaphore apte pour la façon dont l’Occident voit l’Orient.
Fabio Fabbi, Il sogno dell’arabo (Le rêve de l’Arabe, c.1890). Un autre sujet préféré des orientalistes: représenter l’utilisation de la drogue et la recherche exagérée du plaisir; la décadence, la débauche. Notez l’attention exquise aux détails des vêtements (qu’établit un contraste avec la condition physique un peu dégénérée de l’homme, représentée par ses mains) et le fait que les débauchés sont présentés comme passifs. Notez aussi le contenu de son rêve, manifesté par les visages de jeunes filles à droit.
Pasquale Liotta, L’effetto dell’hashish (1875)Ici, l’effet du sujet «osé» est renforcé par la pose et par les vêtements un peu féminins
Jean Lecomte du Nouÿ, La porte du sérail, souvenir duCaire (1876) Il s’agit de la garde du harem du Sultan, mais notez les poses féminines des soldats, qui établissent un contraste avec la collection impressionnante d’armes; toujours la tension entre deux extrêmes: derrière l’apparence d’inertie, la tension.
Du Nouÿ, détailL’attention portée aux détails trop soignés établit la distance avec les normes européennes; pour des soldats, ceci suggère un manque de discipline.
José Villegas y Cordero, Le fumeur oriental (1875)Un autre drogué dans une pose langoureuse
Nicola Forcella, Le fumeur de narguilé (1880s) Une autre stratégie occidentale est de suggérer que le plaisir un peu perverti est peut-être un peu trop important pour ces personnes; l’homme en arrière-plan qui se donne au plaisir banal de boire un thé normalise (et notez la théière à gauche) le plaisir illicite du fumeur décadent. C’est la vie normale: thé ou hachisch, c’est la même chose.
Nicola Forcella, The Hookah (1876) Un autre fumeur tranquille, mais notez la pose excessivement complexe de l’homme, suggestive d’une certaine décadence et même une condition primitive, car elle suggère qu’il a complètement perdu le contrôle de son corps.
Stephen Wilson Van Schaik, Turkish Idlers (1880s)Des flâneurs dans un rêve quasi narcotique (détail). À droit (en dehors du cadre présenté ici) il y a un sheesa (narghileh) et leurs pantoufles qu’ils ont enlevées (un sous-texte de perte, donc pire de la sauvagerie des «vrais» primitifs sans chaussures).
William Hogarth, Cruelty 1 et 2 (1750s)Notez, qu’à différence de la dissolution et décadence orientale, le même phénomène en Occident (dont Hogarth est l’interprète le mieux connu) souligne la violence et l’agression sociale, le désordre. L’aspect paisible et passif des débauchés orientaux suggère que la société n’est pas un point de référence important dans la dynamique de la psyché individuelle, un point qui semble avoir frappé les orientalistes de l’Occident.
Hogarth, Beer Street (gauche), Gin Lane (droit) (1750s)Avant le 20e siècle, la débauche en Occident est une forme d’agression sociale. Peut-être le contraste que les orientalistes ont saisi représente une envie de la débauche «passive» de l’Orient. Le manque d’agression dans les représentations de l’Orient souligne la normalité du kayf, le loisir et la détente. À noter que le loisir oriental est certainement lié à un rythme d’une vie non industriel, et que Hogarth vivait au plein milieu de la révolution industrielle, qui impose ses rythmes farouches sur le corps et sur l’âme.Un corolaire: la fameuse politesse orientale n’est qu’une ritualisation de la passivité de l’individu face à la société.
Gustav Bauernfeind, Market in Jaffa (1887)Notez que les détails dominent les personnes, que l’impression est d’un chaos, et que les figures principales, les femmes en blanc à bas à gauche, ont le visage caché
Ludwig Hans Fischer, An Arab Caravan (1903) • Ici on voit non seulement l’accent sur les détails qui dominent et éclipsent les personnes, mais aussi l’utilisation d’un autre technique préféré des orientalistes, l’illumination contrejour (qui est quasiment l’inverse du chiaroscuro italien), qui effectivement utilise la lumière pour exagérer l’importance de l’environnement aux dépens des personnes.
Jean-Léon Gérôme, Arabes traversant le désert (1870)Toujours l’illumination contrejour, augmentée par les voiles qu’ils portent et leur peau foncée. Le thème de mouvement, un préféré des orientalistes, suggère une condition sociale déracinée
Charles Théodore Frère, La caravane près du Caire (1875) La même chose, mais avec une illumination contrejour tellement exagérée qu’elle annule totalement les personnes. Le mouvement et le déplacement de personnes sont un autre thème préféré, dont le sous-texte suggère le manque de racines (un passé flou; les personnes donc vivent dans une dimension atemporelle) et la faiblesse de la dimension civilisée qui pousserait les Arabes à se déplacer continuellement: le nomadisme souligne leur manque de villes et donc de civilisation.
Léon Belly, Pèlerins allant à La Mecque (1861) • Illumination contrejour, masse humaine un peu chaotique, la primauté accordée aux chameaux (et donc de la nature aux dépens de l’humain), et le mouvement, l’organisation spatiale des personnes en flèche qui vise et menace le public européen qui visionne cette toile – tous des techniques et des thèmes préférés des orientalistes ici unies dans un seul portrait, et la raison pour laquelle on appelle cette illustration la plus grande du genre.
Jean-Léon Gérôme, Le bain du harem (1876) Les femmes sensuelles et langoureuses, avec un esclave mâle qui en effet domine les femmes, en dépit de son statut d’esclave, par sa taille exagérée. http://lili.butterfly.free.fr/ingresweb/gerome.jpg
Léon Belly, Femmes fellah au bord du Nil, 1863Illumination contrejour, visages cachés, et l’accent sur les fesses et les seins nus suggèrent une condition sensuelle et donc un peu sauvage.
Frederick Arthur Bridgman, The Siesta, 1878Le féminin comme métaphore de l’Orient, dans une pose très sexuelle. La femme langoureuse séduit toujours, même quand elle dort. Ceci suggère la qualité primordiale et incontournable de la sensualité orientale.
Jean-Léon Gérôme, Le bain maure, 1870s La femme dominée par l’esclave suggère que les hiérarchies du pouvoir ne sont pas claires. En même temps, il réussit à suggérer une tendresse entre les deux, unis par ce geste simple. Ici, on voit un autre technique préféré des orientalistes, présenter la femme du dos plutôt que du devant. Ceci met l’emphase sur les fesses et non sur les seins symboles du rôle féminin de nourrice et donc de créatrice (dans un sens) de l’être humain. Le pouvoir sexuel inné des femmes orientales doit être dompté, et donc elles sont souvent présentées dans cette pose de soumission qui conserve quand même l’odeur de la sexualité.
La petite baigneuse, ou l’intérieur du harem (Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1838) Parfois, l’appropriation se fait recycler; ici, l’original d’Ingres, La Baigneuse de Valpinçon, 1808 Le dos tourné est une stratégie préférée pour représenter les odalisques (du Turc odalik, femme de chambre); dans ce contexte, cacher les attributs féminins ne fait que les souligner, de surchauffer l’imagination érotique. http://www.veritemensonge.com/upload/items/tn_12-La_baigneuse_de_Valpincon_817.jpg
Jean-Auguste-Dominique Ingres, L’odalisque et l’esclave (1839) (en arrière-plan, un gardien); quand la femme est présentée du devant, elle est souvent dans une pose langoureuse • http://www2.oakland.edu/users/ngote/images-full/ingres-odalisque-louvre.jpg
Eugène Delacroix, Femmes d’Alger dans leur appartement, 1834 (les femmes dominées par un esclave); ici, elles ne sont pas présentées dans des femmes particulièrement langoureuses, mais elles suggèrent néanmoins la décadence • http://www.artchive.com/artchive/d/delacroix/delacroix_algiers.jpg
Mariano Fortuny Marsal, Odalisca, 1862 (la menace indistincte) • http://www.latribunedelart.com/Expositions_2003/Mariano_Fortuny_-_Odalisque.JPG
Luis Riccardo Falero, L’enchanteresse (1878) Une sensualité naturelle et donc plus menaçante que la séduction classique et «pensée»; l’innocence du visage et la nudité innocente cachent (à peine) un pouvoir érotique formidable.
Jean-Léon Gérôme, Une Almeh, 1882 La femme européenne comme odalisque; en fait, une grande partie des femmes du harem venait de l’Europe orientale. Même cette femme, pas trop belle selon les canons classiques, dégage un pouvoir et une confiance en soi qui démentent son statut officiel de la personne qui est devenue victime de la culture patriarcale. Elle est une almée: chanteuse, poète, femme de salon.
Lecomte du Nouÿ, L’odalisque, 1888Ses cheveux rouges la marquent comme Européenne; la femme blanche (l’Europe) menacée
Fernand Boucher, Odalisque blonde, 1752(l’Europe menacée; il s’agit d’un portrait de Louise O’Murphy, maitresse de Louis XV, c. 1752)
Eugène Delacroix, L’odalisque, 1857 http://www.lyons.co.uk/orientals/Large/Delacroix-odalisque.jpg
François Boucher, Le viol d’Europa (L’enlèvement d’Europe), 1734 • La représentation d’un mythe classique, traitant de l’origine de l’Europe (car Europa s’enfuit dans la région qui va porter son nom); ceci est une vision non orientaliste de la féminisation; la femme est soumise, mais pas dominée; la nature sauvage est clairement «en bas», et le ciel héberge de petits cupidons qui viennent à son aide. Bref, la femme occidentale peut lier des éléments bas et hauts, le sauvage et le noble. La condition féminine n’est pas totalement négative.
Eugène Delacroix, Cavalierarabe attaqué par un lion, 1849 L’homme oriental comme sauvage violent, mais aussi la présence menaçante de la nature. L’image communique que la soi-disant civilisation des Orientaux ne réussit pas à les isoler de la nature, comme elle le fait en Europe. http://www.ibiblio.org/wm/paint/auth/delacroix/arab-lion.jpg
Eugène Delacroix, Massacre à Chios, 1824 (viol, esclavage et le sauvage, surtout la menace turque)
Une autre version, attribuée à Delacroix, mais il s’agit d’une interprétation contemporaine
Eugène Délacroix, Le mort de Sardanapulus, 1827Orientalisme: viol, esclavage et le sauvage