940 likes | 1.06k Views
Les démembrements innommés de la propriété et la doctrine du numerus clausus en droit civil québécois. Présentation donnée dans le cadre du cycle de conférences “Réflexion sur le droit de propriété” du Centre d’études en droit économique de l’Université Laval Simon-Pierre Bernard Arevalo
E N D
Les démembrements innommés de la propriété et la doctrine du numerus clausus en droit civil québécois Présentation donnée dans le cadre du cycle de conférences “Réflexion sur le droit de propriété” du Centre d’études en droit économique de l’Université Laval Simon-Pierre Bernard Arevalo 20 Novembre 2009
Objectifs • Faire un rappel des principes fondamentaux se rapportant au droit de propriété. • Mettre en valeur la conception civiliste du droit de propriété et la structure juridique qui s’y rattache. • Sensibiliser le juriste à une démarche interdisciplinaire dans la résolution d’un problème juridique complexe ayant un impact socio-économique important. • Stimuler l’esprit critique et la réflexion personnelle.
Importance du droit de propriété • Concept omniprésent. • Importance historique: origines, présence au cours de l’histoire de l’humanité, courants philosophiques, idéologies politiques. • Importance économique: gestion de la rareté, incitatif, exploitation des ressources, développement économique. • Importance sociologique: relations interpersonnelles, prévention des conflits, paix sociale. • Importance anthropologique: Inhérent à l’être humain, éléments essentiels à la survie de l’espèce, sécurité personelle, contribution à l’épanouissement de l’individu, facteur modificateur de la conduite humaine.
Rareté et efficacité • Les ressources matérielles et humaines sont limitées: notion de rareté. • Cette situation oblige l’individu a devoir faire des choix. • Phénomène universel. La rareté n’épargne ni les pauvres ni les riches. • Voyons deux exemples...
Rareté et efficacité • Exemple 1: • Un enfant n’a qu’un dollar en poche. • Il désire une boisson gazeuse à 1$ ET deux paquets de gomme à 0.50$. • Il devra faire un choix... • Tiré de Parkin, Bade et Gonzalez, 2005, p. 4.
Rareté et efficacité • Exemple 2: • Un millionaire doit décider sur ce qu’il fera samedi prochain en après-midi. • Il est partagé entre l’idée d’aller jouer au golf et celle de participer à une réunion de planification stratégique. • Lui aussi devra faire un choix... • Tiré de Parkin, Bade et Gonzalez, 2005, p. 4.
Rareté et efficacité • Quels choix devons-nous faire ? • L’économique nous répond qu’il faut faire les choix les plus efficaces. • Le but: éviter le gaspillage et la mauvaise allocation des ressources.
La gestion de la rareté constitue l’une des principales problématiques de la vie en société. • Quel est le principal moyen utilisé afin de gérer la rareté ?
RÉPONSE: LA PROPRIÉTÉ
La propriété • C’est le moyen trouvé par les législateurs et à une plus grande échelle par les sociétés humaines afin de gérer la rareté. • Conception variable. • Nous mettrons l’emphase sur la conception civiliste de la propriété appliquée au Québec en matière immobilière.
La propriété: définition • Le Code civil du Québec à l’instar du Code civil du Bas Canada définit le droit de propriété en fonction de ses attributs (prérogatives qu’il octroie à son titulaire) aux articles 947 et 948. • Quatre prérogatives constituent le droit de propriété: l’usus, le fructus, l’abusus et l’accessio.
La propriété: définition • Usus (droit d’user un bien). • Fructus (droit de jouir des fruits et revenus générés par le bien). • Abusus (droit de disposer du bien). • Accessio(droit de faire sien tout ce qui vient se greffer au bien, droit de reconstituer son droit de propriété démembré)
La propriété: définition • Article 947, al. 1 C.c.Q.: • “La propriété est le droit d'user, de jouir et de disposer librement et complètement d'un bien, sous réserve des limites et des conditions d'exercice fixées par la loi.”
La propriété: définition • Article 948 C.C.Q.: • “La propriété d'un bien donne droit à ce qu'il produit et à ce qui s'y unit, de façon naturelle ou artificielle, dès l'union. Ce droit se nomme droit d'accession.”
CECI NOUS AMÈNE AU CONCEPT DE DÉMEMBREMENT DU DROIT DE PROPRIÉTÉ MAIS AVANT ABORDONS BRIÈVEMENT LES CARACTÉRISTIQUES DU DROIT DE PROPRIÉTÉ
Caractéristiques du droit de propriété • Nous avons vu que le droit de propriété était composé de quatre attributs. Ceci en fait un droit complet ou absolu car il octroie à son titulaire tous les bénéfices que le bien est susceptible de donner.
Caractéristiques du droit de propriété • Le titulaire du droit de propriété pourra bénéficier des prérogatives octroyées par le bien jusqu’à ce que son droit soit aliéné ou jusqu’à ce que le bien soit détruit. Il lui est toujours possible d’abandonner son bien. • Le droit de propriété est donc perpétuel car il ne peut faire l’objet d’une prescription extinctive.
Caractéristiques du droit de propriété • Le bénéficiaire des prérogatives octroyées par le bien est le propriétaire et nul d’autre. C’est pour cela que l’on dit que le droit de propriété est exclusif.
LE PROPRIÉTAIRE PEUT-IL DÉCIDER DE SE DÉPARTIR D’UN OU DE PLUSIEURS DES ATTRIBUTS DE SON DROIT AFIN DE LES CÉDER À UNE OU PLUSIEURS AUTRES PERSONNES ?
Les démembrements du droit de propriété • La réponse à cette question est oui. • Art. 947 al. 2 C.c.Q.: • “ [La propriété] est susceptible de modalités et de démembrements.” • Le Code civil mentionne et régit quatre types de démembrements (art. 1119 et ss.): L’usufruit (usus + fructus), l’usage (usus), la servitude (usus réduit) et l’emphytéose (usus+ fructus + abusus).
Les démembrements du droit de propriété • Les démembrements du droit de propriété ainsi que le droit de propriété constituent des droits réels c’est-à-dire des droits directs sur les biens. • La notion de droit réel s’oppose à celle de droit personnel qui constitue un lien de droit entre des personnes où l’objet du droit est une prestation que le débiteur s’engage à accomplir en faveur du créancier.
LA QUESTION QUI TUE:PEUT-ON CRÉER D’AUTRES TYPES DE DÉMEMBREMENTS QUE CEUX PRÉVUS PAR LE CODE CIVIL ???
Deux possibilités: • THÈSE: Oui. On parlera alors d’un numerus apertus (nombre ouvert) des droits réels. Les démembrements crées en dehors du Code sont des démembrements innomés. • ANTITHÈSE: Non. On parlera alors d’un numerus clausus (nombre fermé) des droits réels.
Thèse • Oui, on peut créer d’autres démembrements du droit de propriété que ceux prévus au Code civil.
Thèse • Arguments en faveur: • Le principe de la liberté contractuelle et l’inexistence d’une disposition écrite limitant le nombre de droits réels que l’on peut créer par convention. • Arrêt Matamajaw Salmon Club. • L’énoncé de l’article 1119 C.c.Q.
Liberté contractuelle • Le principe de la liberté contractuelle consacre la suprématie de l’autonomie et de l’autodetermination des sujets de droit qui sont libres de s’engager dans les conventions qu’ils désirent. • La reconnaissance de cette liberté que chaque individu possède provient de la Révolution française (liberté, égalité, fraternité).
Liberté contractuelle • Limites à la liberté en matière contractuelle (art. 1413 C.c.Q.): • La loi. • L’ordre public. • Exemple: le contrat de mère porteuse est nul de nullité absolue (art. 541 C.c.Q.).
Liberté contractuelle • Donc, les parties auraient le droit de créer des droits réels autres que ceux prévus au Code, en raison du principe de la liberté contractuelle et de l’inexistence d’une disposition légale à l’effet contraire.
L’arrêt Matamajaw Salmon Club • Jugement rendu par le Conseil privé de Londres en 1921. • L’affaire opposait un propriétaire riverain et un club de pêche au sujet de l’existence d’un droit de pêche en faveur de ce dernier. • Le tribunal conclut à l’existence du droit de pêche en tant que droit de propriété autonome pouvant être séparé du droit de propriété sur le terrain riverain.
L’arrêt Matamajaw Salmon Club • Le Conseil privé dit que le droit civil québécois ne met pas d’obstacle à la possibilité de pouvoir séparer les composantes du droit de propriété selon la volonté des cocontractants... • L’arrêt a été suivi par les tribunaux québécois même si le jugement reste controversé...
L’article 1119 C.c.Q. • Cette disposition est entrée en vigueur le premier janvier 1994. • Sous le Code civil du Bas Canada, il n’existait pas d’article équivalent. • Cet article a la particularité d’insérer le concept de “démembrement” dans le Code civil.
L’article 1119 C.c.Q. • “L’usufruit, l’usage, la servitude et l’emphytéose sont des démembrements du droit de propriété et constituent des droits réels.”
L’article 1119 C.c.Q. • Si l’on interprète littéralement l’article 1119 C.c.Q., on pourrait créer d’autres démembrements que ceux prévus au Code. • D’ailleurs, le législateur est présumé ne pas parler pour ne rien dire...
ALORS, COMMENT PEUT-ON SOUTENIR QU’IL EXISTE UN NUMERUS CLAUSUS DES DROITS RÉELS EN DROIT CIVIL QUÉBÉCOIS ?
Antithèse • Arguments en faveur: • Les principes généraux en matière de droit de propriété. • Aspects économiques. • Aspects sociologiques.
D’où provient notre droit civil québécois? • Notre droit civil québécois est fortement inspiré du droit civil français qui lui-même est fortement inspiré du droit romain. • La droit de propriété tel que conçu par le Code civil du Québec correspond à la conception civiliste d’origine française de la propriété.
Conception civiliste du droit de propriété • Le droit de propriété est: • Un droit complet. • Un droit exclusif. • Un droit perpétuel. • En somme, le droit de propriété est qualifié du droit réel par excellence.
Conception civiliste du droit de propriété • À ce sujet la professeure Anne-Françoise Debruche nous dit: • “Dans un système hérité du droit romain, le droit de propriété luit comme un soleil incontesté: il représente la norme par rapport à laquelle les autres droits réels sont mesurés.” • Dans cette conception, les démembrements de la propriété sont qualifiés comme des droits réels inférieurs.
D’où provient cette conception du droit de propriété? • Elle provient de l’idéologie révolutionnaire existante en France vers la fin du XVIII siècle qui cherchait à terminer avec les injustices sociales et économiques d’un régime à caractère féodal où la propriété des biens était un mode de soumission envers le peuple.
D’où provient cette conception du droit de propriété? • Ces idées véhiculées par les intellectuels de l’époque sont le fruit d’un long processus où l’on passe d’une conception théocentrique de la vie sur terre vers une conception anthropocentrique. • On parlera alors d’absolutisme du droitde propriété faisant allusion à la maîtrise entière que détient le propriétaire sur l’objet de son droit sans qu’il puisse exister des droits féodaux de redevance sur le bien.
D’où provient cette conception du droit de propriété? • L’esprit de démocratisation des révolutionnaires se reflète par l’adoption d’un Code civil contenant les principales règles à suivre dans la vie quotidienne de société. • Cet esprit se reflète aussi en matière de droit de propriété à travers des principes généraux qui ont guidé le législateur dans l’adoption des règles écrites.
Principes généraux du droit en matière de propriété • Ces principes généraux sont: • Absolutisme du droit de propriété (le droit de propriété est un droit complet, exclusif et perpétuel). • Le principe du vis attractiva. • Le principe du numerus clausus des droits réels.
Le numerus clausus des droits réels • Raisons d’être à l’origine: • Contribuer à préserver l’absolutisme du droit de propriété (On évite que les parties puissent créer des droits réels quasiment identiques au droit de propriété sans être un droit de propriété comme tel. Exemple: le contrat d’antichrèse). • Éviter que l’on puisse faire revivre l’ancien régime féodal.
Le numerus clausus des droits réels • Concordance avec l’idéologie du libéralisme économique qui s’oppose aux obstacles à la libre circulation des biens. • La protection des tiers contre les externalités engendrées par les conventions créant des droits réels • La transparence des titres, lasécurité juridique et la démocratisation du droit.
Dans le rapport des codificateurs du Code Napoléon, les commissaires disent: “[Nous] allons reprendre la première série des titres, et vous vous occuperez du livre II, c’est-à-dire des biens considérés sous leur différentes modifications. Ce livre renferme quatre titre:- De la Distinction des Biens.- De la Propriété.- De l’Usufruit et de l’Habitation;- Des Servitudes ou Services fonciers...
... Voilà, en effet, les seules modifications dont les propriétés soient susceptibles dans notre organisation politique et sociale; il ne peut exister sur les biens aucune autre espèce de droits: ou l’on a une propriété pleine et entière, qui renferme également et le droit de jouir et le droit de disposer; ou l’on a qu’un simple droit de jouissance, sans pouvoir disposerdu fonds; ou enfin on n’a que des services fonciers à prétendre sur la propriété d’un tiers...
...services qui ne peuvent être établis que pour l’usage et l’utilité d’un héritage; services qui n’entraînent aucun assujétissement de la personne; services enfin qui n’ont rien en commun avec les dépendances féodales brisées pour toujours”
Le numerus clausus des droits réels • Comme le fait remarquer le grand juriste Shalev Ginossar, cette déclaration ressemble beaucoup à l’énoncé de l’article 543 C.N. qui viendrait donc codifier le principe du numerus clausus. • Ginossar, 1960, p. 147 n° 58
Le numerus clausus des droits réels • Art. 543 C.N.: • “On peut avoir sur les biens, ou un droit de propriété, ou un simple droit de jouissance, ou seulement des services fonciers à prétendre.” • L’article 405 du Code civil du Bas Canada est quasiment identique à l’article 543 du Code Napoléon.
Le numerus clausus des droits réels • D’autres pays de droit civil ont eux aussi incorporé le principe du numerus clausus à leurs dispositions régissant les droits réels en raison de l’influence française sur leur droit interne. Cette incorporation peut être explicite (par le biais d’une disposition écrite) ou implicite telle que reconnue par la doctrine et la jurisprudence majoritaires.